Après une présentation de l'organisation judiciaire et des règles de compétence gouvernant l'intervention des juridictions, cette première partie du cours traitera des actes du juge et de la spécificité de la fonction juridictionnelle.
L'organisation et le fonctionnement des institutions judiciaires doivent répondre à un certain nombre de conditions et de principes généraux. Nous commencerons par passer ces principes en revue, puis présenterons les différentes juridictions appelées à statuer en matière civile. Enfin, les professions qui contribuent au fonctionnement de la Justice civile seront étudiées dans la leçon 3.
Section 1. Les impératifs généraux régissant l'organisation judiciaire civile
§ 1. Le respect nécessaire des garanties fondamentales issues de la Convention EDH
Le droit au procès équitable, consacré par la convention, comporte trois volets, dégagés de l'article 6§1 par la Cour EDH :
- Le droit d'accès à un tribunal.
- Diverses garanties d'ordre procédural du droit à « un bon juge et une bonne justice », et notamment le droit à un « procès équitable, public, dans un délai raisonnable, devant un tribunal indépendant et impartial établi par la loi ».
- Le droit à l'exécution des décisions de justice.
Par ailleurs, toutes les phases de procédure sont concernées, depuis l'introduction de l'instance jusqu'à l'exécution de la décision.
Le droit à l'exécution des décisions de justice a été consacré en 1997 et réaffirmé depuis à maintes reprises (Cour EDH, 19/3/97, Hornsby, JCP G 97 II 22949 - Cour EDH, 1ère sect., 1er juill. 2014, Proc. 2014 Fasc. 8 n° 234 note N. Fricero : en cas de violation de cette obligation, un recours interne effectif doit être mis en place pour réparer le préjudice subi. Lorsque l'inexécution ou l'exécution tardive relève d'un problème structurel, la Cour européenne peut statuer selon la procédure de l'arrêt pilote et donner à l'État un délai d'un an pour se mettre en conformité, en coopération avec le Comité des ministres - Cour EDH, 13 mars 2018, Proc. 2018 Fasc. 5 n° 147 obs. N. Fricero : « Droit à l'exécution d'une décision de justice et responsabilité de la puissance publique »).
Dans la suite des développements, nous allons évoquer successivement le droit d'accès à un tribunal (A), puis le droit à une bonne justice, appréhendé par la Cour EDH au regard tant de la composition et de l'organisation du tribunal (B), que des garanties d'ordre procédural mises en place au niveau du déroulement de l'instance (C).
A. Droit d'accès à un tribunal
Le caractère fondamental du droit d’agir en justice et à un recours juridictionnel a été reconnu par l’arrêt Golder (Cour EDH, 21 fév. 1975, série A n° 18 § 36) et réaffirmé ensuite à de multiples reprises. Non seulement l’art. 6 §1 garantit le droit à un procès équitable dans le cadre d’une instance engagée mais il reconnaît aussi un droit d’accès à toute personne désirant introduire une action dans le champ de la convention. Cela implique le droit de disposer d’un recours approprié devant un tribunal établi par la loi.
Si les conditions de nomination des juges sont susceptibles d'affecter l'exigence de droit à un tribunal établi par la loi (Cour EDH, Gde Chambre, 1er déc. 2020, Guðmundur Andri Ástráðsson, c. Islande, requête n° 26374/18, Proc. 2021 Fasc. 5 n° 135 note N. Fricero), ce tribunal peut ne pas être une juridiction classique intégrée dans l'organisation judiciaire ordinaire de l'Etat concerné. Mais le pouvoir de rendre une décision obligatoire de portée définitive au détriment d'une partie ne peut en revanche émaner d'une autorité non judiciaire (Cour EDH, 19/4/94, GP 28 sept 95 note Pettiti).
Est par ailleurs posée la nécessité préalable que la contestation porte sur un droit reconnu au plan interne, à même de servir de base au droit d’action (Cour EDH, 21 fév. 1986 ; 28 sept. 95, série A 327 § 49 ; 19 oct. 2005, JCP G 2006, I 109 obs. F. Sudre).
L'effectivité du droit d'accès à un tribunal implique que le recours concerné permette un contrôle juridictionnel réel et suffisant, en ce sens que le tribunal doit posséder une compétence de pleine juridiction : il doit pouvoir examiner l'affaire au fond tant en fait qu'en droit (Cour EDH 23 juin 1981, Le compte et autres, série A n° 43 §51).
L'effectivité se mesure aussi à la réalité de la possibilité d'accéder en fait à la justice, en lien avec les éventuels obstacles d'ordre matériel et financier que pourraient rencontrer les justiciables et que l'Etat se doit alors de lever en prenant toutes mesures utiles (Cour EDH, 9 oct. 1979, Airey/Irlande, Série A n° 32). La Cour EDH se montre très protectrice du droit d'accès à un tribunal, même si elle considère qu'il n'est pas absolu. Ses limitations éventuelles ne doivent pas restreindre l'accès à un point tel que le droit en soit atteint dans sa substance même (Cour EDH, 27 juin 1997, Philis/Grèce, série A n° 209 §59). La restriction doit poursuivre un but légitime et il doit y avoir proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Cour EDH, 28 mai 1985, Ashingdane/Roy. Uni, Série A n° 93). Ce droit peut ainsi être différé par l'intervention en première instance d'un organisme administratif ou disciplinaire indépendant, lequel peut ne pas satisfaire à toutes les exigences du procès équitable, à condition qu'il y soit ensuite satisfait devant un organe de contrôle disposant de pouvoirs de pleine juridiction (Cour EDH, Le Compte et autres, 23 juin 1981, série A n° 43 §5). Au vu de la jurisprudence interne récente, Nathalie Fricero confirme qu'en matière de droit d'accès au juge, la Cour de cassation effectue aussi un contrôle in abstracto de proportionnalité, parfois couplé avec une modulation dans le temps et une mise en œuvre différée de sa jurisprudence. Elle y voit une différence avec « le contrôle in concreto mis en œuvre pour les autres droits substantiels garantis par la Convention EDH, où la prise en compte des éléments factuels suscite un fort aléa judiciaire » (N. Fricero, Proc. 2021).
- Cour EDH, 29 juin 2011, Sabeh El Leil c/ France, JCP G 2011 Fasc. 29 n° 874, veille par K. Grabarczyk, ibid. Fasc. 36 n° 940 obs. F. Sudre, Rev. Proc. 2011 Fasc. 8 n° 266 obs. N. Fricero : la Cour EDH poursuit la remise en cause du caractère absolu de l'immunité juridictionnelle des États, dans la continuité d’un précédent arrêt (Cour EDH, gr. ch., 23 mars 2010, Cudak/Lituanie, JCP G 2010 actu n° 395, obs. C. Picheral ; JCP G 2010 Doctr. 859, n° 9, obs. F. Sudre), en jugeant que l'impossibilité pour un salarié licencié par l'ambassade d’un Etat à Paris de contester son licenciement viole le droit d'accès à un tribunal garanti par l'article 6, § 1, alors que le requérant n'a exercé aucune responsabilité particulière dans le cadre du service diplomatique et n'a pas été engagé pour s'acquitter de fonctions particulières de puissance publique.
- Cass. Civ. 1ère, 9 avr. 2013, JCP G 2013 Fasc. 25 n° note E. Dreyer : le droit d'accès à un tribunal est affecté lorsque le délai de contestation d'une décision court du jour où la décision est prise non contradictoirement et que n'est pas assurée l'information des personnes admises à la contester. Une telle atteinte peut être dénoncée pour la première fois devant la Cour de cassation.
- Cour EDH, 26 mars 2015, Proc. 2015 Fasc. 5 n° 159 note N. Fricero, RTD civ. 2016 698 obs. P. Théry : l'arrêt considère que ne constitue pas une entrave substantielle au droit direct d'accès au juge l'obligation imposée par la loi de tenter de trouver une solution amiable, préalablement à toute demande devant une juridiction civile, à peine d'irrecevabilité, si par ailleurs le processus amiable suspend le cours de la prescription et qu'en cas d'échec, les parties disposent d'une possibilité de saisir le juge compétent.
- Cour EDH, 15 sept. 2015, JCP G 2015 Fasc. 40 n° 1037 : notion d'accès à un tribunal de pleine juridiction dans une matière où l'administration dispose d'un pouvoir discrétionnaire.
- Cour EDH 15 sept. 2015, Proc. 2015 Fasc. 11 n° 327 obs. N. Fricero : l'accès à un tribunal peut faire l'objet de limitations de nature diverses, y compris financières. Le paiement d'une taxe à peine d'irrecevabilité n'est pas en soi incompatible avec l'art. 6, à condition que les juges motivent leur refus d'exonération de telle sorte que le droit ne se trouve pas atteint dans sa substance même. - Cour EDH, 4ème sect., 14 juin 2016, Buczek c/ Pologne, Proc. 2016 Fasc. 8 n° 261 note N Fricero : L'accès à un tribunal peut faire l'objet de limitations de nature diverse, y compris financière, à condition qu'elles tendent à un but légitime et qu'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. En ce qui concerne les frais ou taxes judiciaires dont un justiciable est redevable, leur montant doit être apprécié à la lumière des circonstances particulières d'une affaire donnée, y compris la solvabilité de l'intéressé.
- Cass. Civ. 2ème, 4 nov. 2021, D. 2021 2051 : accès au juge, aide juridictionnelle et diligences incombant à la Cour d'appel.
- Cour EDH, 9 juin 2022 Lukas/France n° 15567/20, JCP 2022. 1345, § 2, obs. L. Mayer ; Gaz. Pal. 26 juill. 2022, p. 34, obs. S. Amrani-Mekki ; Procédures 2022. 202, note N. Fricero ; D. actu. 13 juill. 2022, obs. J. Jourdan-Marques, et 16 juin 2022, obs. C. Bléry, D. 2022 2330 T. Clay, JCP 2022 Fasc. 25 n° 785, GPL 25 oct. 2022 56 note M. Plissonnier : la Cour EDH considère que le fait de se voir imposer une obligation de communication par voie électronique alors que des obstacles pratiques s'y opposaient, s'agissant d'un recours en annulation en matière d'arbitrage, a constitué pour le requérant une charge disproportionnée rompant le juste équilibre entre, d'une part, le souci légitime d'assurer le respect des conditions formelles pour saisir les juridictions et d'autre part le droit d'accès au juge. Elle en conclut que le droit d'accès au juge a été violé. Selon les commentateurs, la Cour invite le juge français à effectuer un contrôle de proportionnalité in concreto alors qu'en matière de formes et de délai la 2e chambre civile ne l'effectue en général qu'in abstracto.
B. Garanties de composition et d’organisation du tribunal
La question du droit à un bon juge postule sans doute une réflexion sur le choix d’une organisation de type collégial ou à juge unique (voir §2, infra) mais la convention pose surtout clairement l’exigence que le tribunal établi par la loi soit indépendant et impartial.
- Tribunal indépendant : l’indépendance, préalable à l’impartialité, fait référence à l’absence de liens avec d’autres pouvoirs ou avec les parties, et implique pour les juges la possibilité d’exercer leurs fonctions en toute liberté, sans entrave ni pression externe. Pour l’apprécier il faut tenir compte du mode de désignation et de la durée du mandat des juges, et des garanties contre des pressions extérieures et en termes d’indépendance (Cour EDH, Delcourt, 17 janvier 1970 ; Sramek, 22 octobre 1984). Comme nous allons l’examiner plus loin au regard du principe de séparation des pouvoirs (§2), il doit y avoir indépendance à l’égard des pouvoirs législatif et exécutif, en ce sens que le tribunal ne doit pas recevoir d’injonctions intéressant son activité juridictionnelle et que si tel était le cas, les parties devraient pouvoir disposer d’un recours devant un tribunal.
-
Tribunal impartial : parmi les principes énoncés par l'article 6§1, celui d'impartialité, lié à l’organisation et au fonctionnement interne des juridictions, fait l'objet d'une jurisprudence abondante, à l'origine de plusieurs évolutions textuelles (RTD civ. 00 618 - D. 01 chr. 2427).
L'impartialité peut tout d'abord s'apprécier de manière subjective, du point de vue du sentiment éprouvé par le juge dans son for intérieur, dans sa conscience intime (Cour EDH, 1er oct. 82, Piersak/Belgique, série A n° 53). Mais le défaut d'impartialité subjective n'est pas nécessairement aisé à établir.
L'impartialité peut aussi se déterminer de manière objective, en fonction des circonstances dans lesquelles le juge intervient, en lien avec la composition de la juridiction ou le fait qu'il ait déjà connu de l'affaire auparavant, en une autre qualité (impartialité fonctionnelle): c'est le critère de l'apparence, que traduit la formule « Justice must not only be done, it must also be seen to be done » (Cour EDH, 22 oct. 84, Sramek/Belgique, série A n° 84).
La jurisprudence européenne retient désormais une conception plutôt pragmatique du défaut d’impartialité fonctionnelle : elle a rejeté une application indifférenciée du critère objectif pour dépasser l'approche fondée sur les apparences (Cour EDH, Kleyn/Pays-Bas, 6 mai 2003, P.A. 2004 n° 44 : exercice successif de fonctions consultatives et juridictionnelles par le Conseil d'Etat).
Ex.Illustrations jurisprudentielles intéressant l'exigence d'impartialité :- Sanction du non-respect du principe de séparation des fonctions d’instruction et de jugement en cas de présence du rapporteur lors du délibéré des autorités administratives indépendantes (Ass. Plén., 5/2/99 (COB) : JCP G 99 II 10060, RGP 99 275, RTD civ. 00 625 ; V. Magnier, JCP G 00 I 252). La CA de Paris a statué dans le même sens à propos du Conseil de la concurrence (RGP 99 719), à la différence du Conseil d’Etat (CE Ass., 9 déc 99 : Conseil des marchés financiers ; Conseil National de l’Ordre des médecins ; CNIL, JCP G 99 Fasc. 50 actu.).
- Dans le même sens, sanction par la Cour EDH de la participation au délibéré du commissaire du gouvernement (devenu rapporteur public) devant le Conseil d’Etat (Cour EDH, 7 juin 2001, Kress/France, D. 01 2619, JCP G 01 II 10578 ; Cour EDH 5/7/05, Loyen/France, JCP G 06 II 10016, dont s’infère l’inconventionnalité de la présence même au délibéré du commissaire du gouvernement) et la Cour des comptes, que cette présence soit active ou passive (Cour EDH, 12/4/06, JCP G 06 I 157 n° 12 et I 164 § n° 5).
- Conseil constitutionnel (QPC), décision du 8 juill. 2011, JCP G 2011 F. 29 n° 868 : le cumul des fonctions d'instruction et de jugement du juge des enfants est jugé contraire au principe d'impartialité.
- Cass. Soc., 23 oct. 2013, Proc. 2014 Fasc. 1 n° 13 obs. A. Bugada : en statuant en des termes injurieux et manifestement incompatibles avec l'exigence d'impartialité, une cour d'appel viole l'art. 6§1 de la Convention EDH.
- Cass. Crim., 13 janv. 2015, (affaire AZF), JCP G 2015 Fasc. 4 n° 50 note M. le Pogam, Fasc. 8 note 121 H. Matsopoulou et n° 122 note J. van Campernolle: le principe d'impartialité est méconnu dès lors que les liens existant entre le juge et certaines parties créent un doute raisonnable, objectivement justifié, quant à l'impartialité de la formation de jugement (impartialité subjective).
- Cass. Civ. 2ème, 5 janvier 2017, JCP G 2017 Fasc. 4 n° 74 note F. G'sell : une « amitié Facebook » ne signifie pas, par principe, une mise en cause de l'impartialité.
- Cass. Civ. 2ème, 4 juin 2020, JCP G 2020 Fasc. 24 n° 745 : exercice de fonctions successives.
- Cass. Civ. 2ème, 25 mars 2021, JCP G 2021 Fasc. 24 n° 638 note V. Orif : impossibilité d'invoquer l'atteinte à l'impartialité d'une juridiction en se fondant seulement sur le fait que plusieurs affaires concernant une même partie sont fixées à une même audience.
- Cour EDH, 13 juin 2023, n° 22060/20, Proc. 2023 Fasc. 8 n° 241 note N. Fricero : le fait qu'un membre d'une formation collégiale ait figuré auparavant parmi les membres du Parquet dans la même affaire ne constitue pas une raison de redouter un manque d'impartialité de son chef. Toutefois au regard de la nature des mesures prononcées et des prises de position du magistrat le justiciable peut légitimement craindre qu'il n'offre pas assez de garanties d'impartialité.
- Cass. Civ. 2ème, 28 mars 2024 n° 22-20.599, JCP 2024 Fasc. 18 act 558 note G. Deharo, DA 30 avril 2024 note N. Hoffschir : le défaut d'impartialité du juge des libertés et de la détention ne saurait se déduire du seul fait qu'il a précédemment connu de l'affaire, s'agissant du suivi d'une personne hospitalisée d'office.
- Cour EDH, 14 déc. 2023 n° 41236/18 : relation professionnelle étroite et rémunérée d'un magistrat avec l'une des parties, au titre d'un contrat d'édition.G. Bolard, L'impartialité du juge, D. 2024, p. 605.
C. Garanties dans le déroulement de l’instance
Est ici notamment visé ledroit affirmé par l'article 6§1 à un procès équitable (1), public (2) et d’une durée raisonnable (3).
1. Le droit à un procès équitable
L’idée d’équité résume à elle seule l’ensemble des garanties énoncées par l’art. 6§1. La notion bénéficie néanmoins d’une autonomie d’interprétation propre, permettant de vérifier qu’un procès a été équitable dans son intégralité, au-delà des garanties expressément citées par le texte.
- Cass Civ. 1ère, 30/6/04 : le droit à un procès équitable relève de l'ordre public international au sens de l'art. 27 de la Convention de Bruxelles modifiée.
- Cass. Civ. 1ère, 10 sept. 2014, RTD civ. 2016 176 obs. N. Cayrol : L'exigence d'un procès équitable, au regard des principes d'égalité des armes et d'impartialité du juge, impose qu'une juridiction disciplinaire de première instance ne soit pas partie au recours contre ses propres décisions.
En savoir plus
- Cass. Civ. 1ère, 11 juin 2009, JCP G 09 n° 41 et D. 09 2599 : la sécurité juridique, invoquée sur le fondement du droit à un procès équitable, pour contester l'application immédiate d'une solution nouvelle résultant d'une évolution de la jurisprudence, ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence figée, dès lors que la partie qui s'en prévaut n'est pas privée du droit à l'accès au juge (voir également N. Molfessis, « La Cour de cassation face à la modulation dans le temps des revirements de jurisprudence », D. 09 chr. 2567).
- Cour EDH, 26 mai 2011, Legrand/Fr, JCP G 2011 Fasc. 26 n° 742 et actu 730 aperçu rapide A. Marais, Proc. 2011 Fasc. 7 n° 229, note N. Fricero : la Cour EDH admet qu’un revirement de jurisprudence puisse de façon rétroactive et en lien avec le principe de concentration des moyens, priver des requérants de leur droit à réparation sans porter atteinte à leur droit d’accès au tribunal. Elle considère qu'il n'y a pas d'atteinte au droit à un procès équitable si la Cour de cassation applique immédiatement un revirement de jurisprudence survenu avant la formation du pourvoi et connu des parties. En conséquence, il n'y a pas violation de l'article 6 § 1, si la demande devant le juge civil est déclarée irrecevable, sur le fondement de la chose jugée tirée de l'art. 1351 du C. civ. (désormais art. 1355 du C. civ.), le demandeur n'ayant pas concentré tous ses moyens devant la juridiction pénale pour obtenir réparation de son préjudice.
- Cass. Com., 21 mars 2018, JCP G 2018 Fasc. 19-20 n° 541 note P. Deumier : le revirement de jurisprudence limitant le pouvoir juridictionnel de la CA de Paris en matière de pratiques restrictives de concurrence ne doit pas s'appliquer à une instance en cours dès lors qu'il aboutirait à priver l'une des parties de son droit d'accès au juge.
Même si l’ensemble de la procédure est examiné en bloc, la Cour EDH fait du respect du droit à un procès équitable l’un des critères d’appréciation de son contrôle de la proportionnalité des ingérences des Etats dans les droits substantiels garantis aux individus par la Convention EDH. Selon la doctrine, le droit au procès équitable est devenu l’une des pierres angulaires du droit de la Convention et constitue désormais un droit substantiel (S. Guinchard, « Le procès équitable, garantie formelle ou droit substantiel », Mel. G. Farjat, 1999 p. 179).
2. Le droit à un procès public
La Cour EDH apprécie le déroulement du procès dans sa globalité, et le respect du principe de publicité n'est par suite pas exigé à tous les niveaux hiérarchiques. Une exception peut ainsi y être apportée pour les juridictions statuant uniquement en droit.
Il est aussi fait référence à la publicité des débats dans l'art. 10 de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme et à l'art. 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
En droit interne, la publicité est aussi le principe, posé par l'art. 11-1 de la L. n° 72-626 du 5 juillet 1972. Le CPC lui consacre également plusieurs dispositions (art. 433 s., CPC), et elle constitue en outre l'un des principes directeurs du procès civil (art. 22 du CPC).
En 1974 le Conseil d'Etat lui avait reconnu valeur de principe général du droit, avec cette conséquence que les limitations susceptibles de lui être apportées ne pouvaient être que d'origine légale (CE, 4 oct. 74, Dame David, D. 75 369, note Auby, JCP 75 II 17967, note Drago : annulation des dispositions limitatives d'origine réglementaire, mais les textes ont ensuite été repris par voie législative).
En savoir plus
Le respect de la publicité n'est pas toujours allé de soi, notamment pour les contentieux disciplinaires.
Selon la Cour EDH, la matière disciplinaire rentre bien dans le champ d'application de la Convention (Cour EDH, arrêt Delamare, 23 juin 81, Gaz. Pal. 81 775). Le principe en a pourtant été longtemps refusé par le Conseil d'Etat jusqu'à l'intervention du législateur (Décret n° 93-181 du 5 février 1993 - Debbasch, JCP 93 I 3663 - L'évolution a ensuite été consacrée par la jurisprudence : CE, 23/2/00, JCP 00 II 10371 : fonction publique hospitalière). La Cour de cassation estimait quant à elle que la publicité était possible mais à condition d'être demandée (Cass. Civ. 1ère, 10 déc. 85, JCP 86 IV 72 : notaires ; 25/4/89, Gaz. Pal. 90 som. 7, obs. Guinchard et Moussa). Des dispositions en ce sens avaient été adoptées par l'art 192 du D. 27 nov. 1991, relatif à la discipline des avocats. Certains juges du fond avaient jugé ce texte contraire à l'art 6§1 de la Convention EDH (Poitiers, 3 oct. 94, D. 95 596 et JCP 96 II 22591). Sa légalité avait dans un premier temps été admise par le Conseil d'Etat (CE, 14/2/96, JCP 96 II 22669), avant qu'il ne se ravise (CE, 2 oct. 06, JCP 06 actu n° 486). L'art. 194 du décret n° 91-1197 du 27 nov. 1991 dispose donc que les débats sont publics sauf décision contraire de l'instance disciplinaire, prise à la demande de l'une des parties, ou s'il devait en résulter une atteinte à la vie privée. Ultérieurement, la Cour EDH a aussi sanctionné le défaut de publicité des débats devant la Cour des Comptes (Cour EDH, 12 avril 2006, JCP 06 I 157 n° 12 et I 164 § n° 5) et la COB (Cour EDH, 20 janvier 2011, Rev. Procédures 2011, Fasc. 3 n° 93, obs. N. Fricero).
Enfin le juge peut aussi décider que les débats auront lieu ou se poursuivront en chambre du Conseil dans trois situations (art 11-1, L. n° 72-626 du 5 juillet 1972 et art. 435 du CPC) :
- en cas de risque d'atteinte à l'intimité de la vie privée,
Ex.Paris, 26 janv. 1996, D. 97 52 : l'absence de publicité lors de la phase initiale d'une procédure collective étant instituée pour protéger les dirigeants, le D. 27 décembre 1985 n'apparaît pas en contradiction avec la Convention EDH. - si toutes les parties le demandent,
- en cas de risque d'atteinte à l'ordre public, si la publicité risque de provoquer des désordres de nature à troubler la sérénité de la justice.
3. Le droit d'être jugé dans un délai raisonnable : principe de célérité
Les juridictions sont soumises à un principe d'efficacité issu de la Convention EDH qui impose une exigence de jugement des affaires dans un délai raisonnable. L'appréciation de ce délai inclut les phases ou recours préalables imposés aux justiciables avant la saisine du juge (Cour EDH, 29/7/03, JCP G 03 som. com. 2270), de même que la procédure d’exécution. La Cour européenne fonde son appréciation sur un faisceau d'indices, suivant les circonstances de la cause. Elle tient notamment compte du degré de complexité du litige, du comportement du demandeur et de ses conseils, de celui des autorités compétentes, du délai effectif de jugement en première instance et en appel (Cour EDH, Monnet/Fr, D. 95 som. com. 102 obs. Renucci - Cour EDH 14 sept. 2017 : durée appréciée, s'agissant du point de départ, à partir de la saisine du TGI, jusqu'au prononcé de l'arrêt de la Cour de cassation - Cour EDH 11 janv. 2024 n° 34/18 S./France, Rev. Proc 2024 Fasc. 4 n° 89 note N. Fricero : il y a violation de l'art. 6 § 1 de la Convention EDH dès lors que les circonstances de la cause (réparation de la transmission de l'hépatite C due à une transfusion) imposaient de faire preuve de diligence exceptionnelle et que la procédure en première instance a duré 10 ans, durée principalement imputable au comportement des autorités compétentes).
Un manquement à l'exigence de délai raisonnable est susceptible d'être assimilé à un déni de justice (TGI de Paris, 5 nov 97, D 98 9 - contra Cass. Civ. 1ère, 25/5/04, Bull 04 I n° 150) ou à une faute lourde (Cass. Civ. 1ère, 20/2/08, JCP G 08 IV 1556), et peut justifier une condamnation de l'Etat au titre de l'art. L. 141-1 du COJ pour fonctionnement défectueux du service public de la Justice (V. aussi CE, 28/6/03, D. 03 23, se fondant sur les art. 6 et 13 de la Convention EDH et leçon 3). Toutefois, la Cour EDH déclare désormais irrecevable toute requête fondée sur la violation du délai raisonnable si l'intéressé n'a pas épuisé le recours interne utile, en l'occurrence en France l'article L 141-1 du COJ (Cour EDH, Kudla/Pologne, 26 oct. 2000, RTD civ. 01 442 obs. Marguénaud ; Giummarra/France, 12 juin 01, RTD civ. 02 395, obs. Marguénaud ; D. 03 som. com. 592 obs. Fricero).
Cette jurisprudence n'a pas été reprise par la loi n° 2015-177 du 16 février 2015, qui prévoit que le Tribunal des conflits est désormais seul compétent pour connaître des recours en responsabilité pour durée excessive des procédures entre les deux ordres (voir aussi art. 43 et 44 du décret du 27 fév. 2015).
La Cour de cassation a repris l'exigence d'approche globale de la procédure pour apprécier la durée d'affaires comportant une phase pénale et une phase civile ayant le même objet (Cass. Civ. 1ère, 25 mars 2009, (2 arrêts), JCP G 09 actu. n° 197 obs. L. Milano).
Par ailleurs, dans un arrêt du 3 février 2009, la Cour EDH a précisé que même lorsqu'une procédure est régie par le principe dispositif, qui consiste à donner aux parties des pouvoirs d'initiative et d'impulsion, il incombe aux Etats contractants d'organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs juridictions puissent garantir à chacun le droit d'obtenir une décision définitive sur les contestations relatives à ses droits et obligations de caractère civil dans un délai raisonnable (Cour EDH, 3/2/09, Poelmans/Belgique, JCP G 09 II 10070 note N. Fricero, Proc. 09 n° 81).
Bouclant en quelque sorte la boucle, la Cour EDH a enfin précisé que la procédure d'indemnisation de la durée excessive des procédures administratives est elle aussi soumise aux exigences du procès équitable et doit conduire à une réparation d'un montant suffisant, effectivement versée dans un délai raisonnable (Cour EDH, 24 sept. 2009, Sartory c/ France, Proc. 09).
D. Chabanol et C. Lapp, « La justice et le temps. Quelques pistes de réforme », D. 2024, p. 369.
§ 2. Des garanties européennes impactant les principes traditionnels de fonctionnement de la justice civile
Comme nous le verrons, certains de ces principes ont été renforcés, notamment du fait du jeu de la convention EDH, alors que d’autres ont parfois subi des atteintes susceptibles d’en réduire la portée.
A. Principe de séparation des pouvoirs
Ce principe se traduit par une interdiction faite au pouvoir judiciaire d'attenter aux prérogatives du législatif ou de l'exécutif, tout en protégeant son indépendance vis-à-vis de ces mêmes pouvoirs.
1. Interdiction d'attenter aux prérogatives du législatif et de l'exécutif
a) Pas d'empiétement du judiciaire sur le législatif
Un juge ne peut rendre de décisions de portée générale. Il ne peut raisonner qu'au cas par cas, sans faire référence aux précédents, comme c'est le cas en droit anglo-saxon.
Mais le juge doit interpréter les lois et il a même l'obligation de suppléer à leur silence : c'est l'interdiction du déni de justice (art. 4 du C. civ.).
En pratique la jurisprudence, née de la répétition et de l'autorité de certaines décisions, notamment émanant des juridictions supérieures, n'en est pas moins une source de droit. Cette évolution est susceptible de se renforcer, en lien avec la mise en place de l'Open data des décisions de justice.
- Ensuite, les juges ne peuvent se prononcer directement sur la constitutionnalité des lois.
Une certaine évolution découle de l’introduction de la question prioritaire de constitutionnalité, instituée par l’article 61-1 de la Constitution et précisée par la loi organique du 10 décembre 2009 (validée par le Conseil Constitutionnel le 3 décembre 2009 : CC, décision n° 2009-595 – JCP G 09 Fasc. 51 n° 568). Cette loi, entrée en vigueur le 1er mars 2010, instaure un contrôle de constitutionnalité a posteriori des lois déjà entrées en vigueur (B. Mathieu, « La question prioritaire de constitutionnalité : une nouvelle voie de droit – A propos de la loi organique du 10 décembre 2009 et de la décision du Conseil constitutionnel n° 2009-595 DC », JCP G 09 Fasc. 52 n° 602 – Croze, Proc. 2010 n° 2 & JCP G 2010 Fasc. 9 n° 269 ; G. Drago, « Vers la question prioritaire de constitutionnalité ; une constitution proche du citoyen », JCP G 2010 Fasc. 1 n° 2).
La réforme a permis à tout justiciable de soutenir devant un juge (hors Cour d’assises) qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et liberté garantis par la Constitution. Si la juridiction en cause décide de transmettre la question au Conseil d’Etat ou à la Cour de cassation, elle doit en principe surseoir à statuer. Le Conseil d’Etat et la Cour de cassation décident alors si le Conseil constitutionnel doit être saisi de la question. Si elle lui est renvoyée, celui-ci peut la trancher et, le cas échéant, abroger la disposition en cause.
En savoir plus
Les règles de procédure propres aux juridictions judiciaires et administratives ont été précisées par le décret n° 2010-148 du 16/2/2010 (H. Croze, Proc. 2010 n° 4 alerte 17), tandis que le Conseil constitutionnel a fixé dans son règlement intérieur la procédure applicable devant lui (décision du 4 fév. 2010 ; B. Mathieu, JCP G 2010 fasc. 9, n° 238). A cet égard, la Cour EDH avait précisé que cette procédure était soumise aux règles du procès équitable (Cour EDH, 13 oct 2009, Ferré Gisbert/Espagne, Proc. 09 n° 399, obs. N. Fricero).
Voir également :
- Circulaire du 24/2/2010 (S. Lavric, D. 2010 564).
- B. Mathieu, « Les débuts prometteurs de la question prioritaire de constitutionnalité devant le Conseil d'État - À propos des arrêts rendus par le Conseil d'État les 14 et 16 avril 2010 », JCP G 2010 F. 17 n° 465.
- A. Levade, « QPC 1, 2 et 3 : le Conseil d'Etat joue le jeu du renvoi ! », D. 2010 1061.
- site internet du Conseil Constitutionnel
- Actualité : Le 10 janvier 2023 le Conseil constitutionnel a ouvert son nouveau service QPC 360°, rassemblant toutes ressources utiles concernant, selon son président, la "question citoyenne"
- site internet de la Cour de cassation
Un juge peut toutefois refuser d'appliquer un règlement qu'il considérerait comme illégal car portant atteinte à la liberté individuelle ou au droit de propriété (V. cep., D. Cohen, « La fonte du rôle protecteur des libertés individuelles du juge judiciaire », JCP G 2017 Fasc. 38 n° 950).
Il peut aussi, en vertu de l'article 55 de la Constitution, refuser d'appliquer une loi contraire à un traité, cela même s'il s'agit d'une loi postérieure au traité (, D. 75 497 concl Touffait - , JCP G 89 II 21371 concl Frydman). Cette solution a été étendue aux règlements (CE, 24/9/90, JCP G 90 IV 357) et aux directives communautaires (, JCP G 92 II 21859 Teboul).
b) Pas d'empiétement du judiciaire sur l'exécutif
Il ne peut non plus apprécier la validité des actes administratifs, ni connaître du contentieux administratif. La règle a été posée par la loi des 16 et 24 août 1790.
2. Protection de l'indépendance de l'autorité judiciaire
Le juge doit être protégé à la fois contre les immixtions du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif.
a) Protection du juge contre le pouvoir législatif
Un risque existe en cas d'adoption de dispositions expressément rétroactives ou de lois de validation.
En savoir plus
Une loi de validation est une loi votée par le Parlement visant à valider de manière rétroactive un acte reconnu illégal par un juge ou susceptible de l'être. Cela permet de régulariser rétroactivement les effets d'une annulation prononcée par le juge administratif afin d'éviter les difficultés susceptibles d'en résulter ou de faire obstacle à une jurisprudence de la Cour de cassation que le pouvoir législatif juge inacceptable.
La Cour Européenne des Droits de l'Homme considère que les lois de validation sont susceptibles d'attenter à l'exigence de procès équitable, imposée par la Convention EDH (Cour EDH, Zielinski, 28 oct 99, RTD civ. 2000 obs. Marguénaud, Rev. Proc. 00 n° 94).
En droit interne, la Cour de cassation a parfois adopté une position plus nuancée.
Elle affirmait certes que « le principe de prééminence du droit et la notion de procès équitable s’opposent, sauf pour d’impérieux motifs d’intérêt général, à l’ingérence du pouvoir législatif dans l’administration de la justice afin d’influer sur le dénouement judiciaire des litiges en cours », considérant que la solution valait tant pour les lois de validation, que pour les lois interprétatives (Ass. Plén., 23/1/04, JCP G 04 II 10030, Proc. 04 n° 49, RTD civ. 04 341 n° 3). Mais l'existence de tels motifs impérieux a été retenue à diverses reprises (Ass. Plén., 24/1/03, 2 arrêts, D. 03 1648 note crit. S. Paricard-Pioux et Cass. Civ. 1ère, 9/7/03, JCP G 04 II 10016 - Cass. Com., 14 déc. 04, Proc. 05 n° 60 : inversion de la formulation et admission d’une application rétroactive en matière civile, et aux instances en cours, pour un impérieux motif d’intérêt général).
Ce point de vue a été censuré par la Cour européenne, qui a prononcé en 2006 l’inconventionnalité d’une loi de validation, en l’occurrence, l’art. 87-1 de la loi du 12 avril 1996 dans l’affaire dite « des tableaux d’amortissement » en matière de crédit immobilier, avec effet rétroactif, sous réserve des décisions passées en force de chose jugée. Il a été jugé indifférent que la loi en cause ait été déclarée conforme à la constitution, tout comme le fait que l’Etat soit partie ou non aux procédures. Selon la Cour, pour être compatible avec la Convention EDH, la loi rétroactive, qu’elle porte atteinte au droit à un procès équitable ou au droit de propriété, doit obéir à un impérieux motif d’intérêt général. Mais en l’espèce, le motif financier qui avait été retenu par la Cour de cassation n’a pas été validé (Cour EDH, 11/4/06, Cabourdin/France et Cour EDH 14 /2/06, Lecarpentier/France, JCP G 06 I 164 § n° 4 et JCP G 06 II 10171 note Thioye – V. aussi Cour EDH, 11/2/2010, Proc. 2010 n° 120, obs. N. Fricero).
Depuis, cette position a été reprise par la Chambre Sociale en droit du travail, dans l'affaire dite des « heures d'équivalence » (Cass. Soc., 13/6/07 (deux arrêts), D. 07 2439, note Pérès, L'avenir compromis des lois de validation consécutives à un revirement de jurisprudence).
b) Protection contre l'exécutif
- Garanties d'indépendance organique.
Les magistrats sont des fonctionnaires sous la dépendance du Garde des Sceaux. Pour exercer leurs fonctions en toute sérénité des conditions d'indépendance sont indispensables quant à leur nomination, leur avancement et leur discipline. Pour cette raison, le principe d'inamovibilité des magistrats du siège est inscrit dans la Constitution (art. 64 de la Constitution). La signification en est l'impossibilité de leur imposer une affectation territoriale nouvelle qu'ils n'auraient pas consentie.
Plus récemment la loi organique n° du 8 août 2016 a créé une Inspection générale de la Justice (L. Cadiet, Proc.. 2016 Fasc. 10 repère 9).
L'extension des compétences de celle-ci à la Cour de cassation par le décret n° 2016-1675 du 5 déc. 2016 avait suscité une vive émotion au sein de la Cour avant que les dispositions en cause (art. 2) ne soient annulées par le Conseil d'Etat (CE, 23 mars 2018, JCP G 2018 Fasc. 14 n° 398 note H. Paulliat, D. 2018 675 - L. Cadiet, « De l'ambiguïté considérée comme un art. : retour sur l'inspection générale de la justice », Proc. 2018 Fasc. 5 repère 5 - D. Allonsius et L. Bettanti, « L'inspection générale de la Justice - Nouvelles missions, nouvelle organisation interne modernisée », JCP G 2020 Fasc. 3 n° 46).
L'indépendance des magistrats est aussi garantie par le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM), qui comporte deux formations, l'une compétente à l'égard des magistrats du siège, l'autre à l'égard des magistrats du Parquet. La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 a apporté à son organisation et à son fonctionnement des modifications importantes, qui sont entrées en vigueur le 23 janvier 2011.
En savoir plus
Consultez le site du CSM : visionnez les vidéos de présentation, lisez les développements sur l'historique, la composition, les missions et attributions du CSM.
L'évolution du CSM, de 1993 à janvier 2011
Le CSM comportait autrefois 9 membres, tous désignés par le Président de la République, qui en assurait la présidence, le Ministre de la Justice étant vice-président. La création des deux formations en 1993 (Loi constitutionnelle n° 93-952 du 27/7/93), a constitué une première réforme allant dans le sens d'une plus grande indépendance et d'une unité de la magistrature.
- La formation compétente à l'égard des magistrats du siège était composée de 5 magistrats du siège, d'un magistrat du Parquet, d'un Conseiller d'Etat désigné par le Conseil d'Etat et de 3 personnalités n'appartenant ni au Parlement ni à l'ordre judiciaire et désignées par le Président de la République, le Président de l'Assemblée Nationale, et celui du Sénat.
- La formation compétente à l'égard des magistrats du parquet était composée de manière symétrique mais avec cinq magistrats du Parquet et un magistrat du siège. Ce texte avait été complété par une loi organique du 5/2/94 quant au mode de désignation de ces magistrats : ils étaient élus pour 4 ans non renouvelables par deux collèges au terme d'une élection majoritaire à deux degrés.
Une autre réforme d'envergure avait été envisagée à la fin des années quatre-vingt-dix : réforme de la nomination des magistrats du Parquet, du CSM, suppression des instructions dans les affaires individuelles, développement de la responsabilité (JCP G 98 Fasc. 5 actu.). L'opposition parlementaire avait conduit le Président de la République à annuler la réunion du Congrès qui devait procéder à la révision de la Constitution. Quelques retouches ponctuelles ont été apportées, notamment par la loi organique du 25 juin 2001 et le décret n° 2002-442 du 2 avril 2002 modifiant le mode de scrutin aux élections du CSM.
Une étape importante a été franchie avec la loi constitutionnelle de 2008. La réforme n'est pas intervenue le 1er mars 2009, comme prévu initialement, car l’effectivité de certaines dispositions était subordonnée à des compléments, qui n’ont été adoptés que par une loi organique du 22 juillet 2010 (trois dispositions ont été censurées par le Conseil constitutionnel : CC, décision n° 2010-611 du 19 juillet 2010). La loi a été complétée par un décret n° 2010-1637 du 23 déc. 2010.
Bibliographie :
- J.-C. Zarka, « Le "nouveau CSM" », D. 2010 1888.
- M. Le Pogam, « Réforme du CSM – Entre ouverture et autonomie », JCP G 2010 F. 40 n° 982.
- La formation compétente à l’égard des magistrats du siège est présidée par le Premier président de la Cour de cassation. Cette formation comprend en outre cinq magistrats du siège et un magistrat du parquet, un conseiller d’Etat désigné par le Conseil d’Etat, un avocat et six personnalités qualifiées, qui n’appartiennent ni au Parlement, ni à l’ordre judiciaire, ni à l’ordre administratif. Le président de la République, le président de l’Assemblée nationale et le président du Sénat désignent chacun deux personnalités qualifiées. Les nominations effectuées par les présidents des deux assemblées sont soumises à l’avis de la commission permanente compétente de chaque assemblée intéressée.
- La formation compétente à l'égard des magistrats du parquet, présidée par le Procureur général près la Cour de cassation comprend cinq magistrats du parquet et un magistrat du siège, ainsi que le conseiller d'Etat, l'avocat et les six personnalités qualifiées mentionnées dans la formation compétente à l'égard des magistrats du siège. Selon le Conseil d'Etat, la présidence du CSM par le Procureur général près la Cour de cassation ne méconnaît pas le principe d'impartialité (CE, 27 mai 2009, JCP G 09 n° 21).
Il fait des propositions pour les nominations des magistrats du siège de la Cour de Cassation, pour celles des Premiers Présidents de Cours d’appel et présidents de Tribunaux judiciaires. La nomination des autres magistrats du siège est soumise à son avis conforme et celle des magistrats du Parquet à un avis simple, y compris désormais pour les Procureurs généraux. Par ailleurs, les commissions parlementaires disposent désormais d’un droit de veto sur les projets de nomination (total des votes négatifs représentant au moins 3/5e des suffrages exprimés au sein des deux commissions).
Enquête, La nomination des magistrats du siège et du parquet (JCP G 09, n° 28, 90, p. 8).
En matière disciplinaire, le CSM dispose d'un pouvoir juridictionnel à l'égard des magistrats du siège, et d'un pouvoir d'instruction débouchant sur un avis à l'égard des magistrats du Parquet (voir leçon 3).
Lorsqu'elle se réunit en Conseil de discipline, la formation compétente à l'égard des magistrats du siège comprend aussi le magistrat du siège appartenant à la formation compétente à l'égard des magistrats du Parquet. De même, le magistrat du parquet appartenant à la formation compétente à l'égard des magistrats du siège participe à la réunion de la formation compétente à l'égard des magistrats du Parquet lorsque celle-ci est amenée à donner un avis sur les sanctions disciplinaires à l'égard des magistrats du Parquet.
Le CSM se réunit en formation plénière pour répondre aux demandes d'avis du Président de la République, pour se prononcer sur les questions relatives à la déontologie des magistrats ainsi que sur toute question relative au fonctionnement de la justice dont le saisit le Garde des Sceaux. La formation plénière comprend 3 des 5 magistrats du siège de la formation compétente à l'égard des magistrats du siège, 3 des 5 magistrats du parquet de la formation compétente à l'égard des magistrats du Parquet, le Conseiller d'Etat, l'avocat et les six personnalités qualifiées. Elle est présidée par le Premier président de la Cour de cassation, que peut suppléer le Procureur Général près la Cour.
Sauf en matière disciplinaire, le ministre de la Justice peut participer aux séances des formations du CSM.
Une autre évolution importante tient au fait que désormais le CSM peut être saisi par tout justiciable qui considère qu’à l’occasion d’une procédure judiciaire le concernant, le comportement d’un magistrat dans l’exercice de ses fonctions est susceptible de recevoir une qualification disciplinaire. Les conditions ont été fixées par la loi organique du 22 juillet 2010 : un dispositif de filtrage, sous forme d’une commission d’admission des requêtes (CAR) composée de 4 membres du CSM, a été mis en place. Cette commission doit vérifier que les plaintes ne sont pas irrecevables ou manifestement infondées, afin d’éviter que la saisine du CSM ne devienne une voie de contestation systématique des décisions de justice.
Les conditions de recevabilité des plaintes déposées par les justiciables auprès du CSM ont été simplifiées par la loi organique n° 2023-1058 du 20 novembre 2023. Les pouvoirs d'investigation de la CAR apparaissent renforcés.
En général elles ne visent qu’à contester la décision rendue et non le comportement du magistrat (JCP G 2012, Fasc. 40 n° 1049).
2015 : 223 dossiers déposés, 10 décisions de recevabilité.
2016 : 250 requêtes, 7 plaintes déclarées recevables.
2019 : 324 plaintes enregistrées, 1 seule renvoyée devant la commission disciplinaire.
En réalité le projet de réforme n'a pas été abandonné. S'agissant du ministère public, le débat a été relancé une première fois à l'occasion de la réflexion sur la justice du XXIème siècle, plus particulièrement dans le cadre du rapport Nadal, « Refonder le ministère public », déposé fin novembre 2013. Un nouveau projet de réforme a alors été soumis au Parlement afin d'inscrire dans la Constitution la garantie d'indépendance du Parquet et de renforcer les pouvoirs de discipline et de nomination du CSM (avis conforme pour tous magistrats). Adopté le 26 avril 2016, ce projet devait encore, pour devenir définitif, être approuvé par référendum ou par le Parlement réuni en congrès, ce qui n'a pas été possible. Le processus a été relancé par un nouveau projet de loi constitutionnelle déposé le 9 mai 2018 ...
Les choses finiront sans doute par aboutir...
- Garanties d'indépendance fonctionnelle.
- Le juge n'a pas à recevoir d'ordres de l'exécutif. Jusqu'à très récemment cette règle ne valait que pour les magistrats du siège, pas pour les magistrats du Parquet. Une réforme avait été envisagée dans les années 90 mais ce n'est qu'en 2013 qu'a été supprimée la possibilité pour le Garde des Sceaux d'adresser aux magistrats du parquet des instructions dans les affaires individuelles (L. n° 2013-669 du 25 juillet 2013). Il est probable que la position adoptée par la Cour EDH soit à l'origine d'autres évolutions (voir infra leçons 3 et 5 et Rapport Nadal précité, « Refonder le ministère public »).
- Ensuite, l'exécutif ne peut trancher les litiges ou s'opposer à l'exécution d'un jugement.
En pratique, on a parfois pu observer des refus, justifiés par le maintien de l'ordre public. Pourtant, comme vu précédemment, selon la Cour EDH, l'exécution d'une décision judiciaire doit être considérée comme faisant partie intégrante du droit à un procès équitable.
Ex.Cour EDH, 19/3/97 Hornsby, JCP G 97 II 22949 ; Cour EDH, 23 oct. 03, JCP G 03 I 107 n° 3 - Cour EDH, 9 juin 2009, Proc. 09 n° 229, note N. Fricero : application à la réparation civile des conséquences d'une infraction pénale : le caractère excessif de la durée d'exécution doit s'apprécier avec les mêmes critères que la durée de la procédure.
Cour EDH, 6 nov. 2018 (Portugal), JCP G Fasc. 48 n° 1248s : contrôle juridictionnel de décisions du CSM.
Aux côtés de huit partenaires européens (Belgique, Luxembourg, Pays Bas, Ecosse, Allemagne, Hongrie, Pologne, Italie), la Chambre nationale des huissiers de justice a lancé en mai 2010 le projet EJE, soutenu par la Commission européenne, et destiné à améliorer l'exécution des décisions de justice en Europe grâce à l'E-justice. Ce projet s'est matérialisé notamment par la création d'un portail Internet disponible en 7 langues.
- Cette indépendance peut être un peu nuancée, en relation avec le fait que les sources du droit judiciaire privé sont principalement d'origine réglementaire (voir leçon 1)...
B. Principe d'égalité devant la Justice
Il n'existe pas en droit judiciaire privé de privilèges de juridiction liés à la qualité des justiciables. Cela ne constitue toutefois pas un obstacle à l'existence de juridictions spécialisées, compétentes en raison de la nature du litige.
Il n'existe pas de préférences liées au rang des individus, et il n'est pas possible de retirer un procès à son juge naturel.
Cette règle connaît quelques dérogations liées à l'existence de procédures administratives spéciales et de la Cour de Justice de la République (dont la disparition a été envisagée il y a peu). Il existe aussi un privilège de juridiction lié à la nationalité française des plaideurs issu des articles 14 et 15 CCiv. (voir leçon, 4 section, 4§1B) et un privilège des agents diplomatiques étrangers.
- L. Raschel, « Les apports de la loi Sapin II en matière d'immunités d'exécution des Etats étrangers (L. n° 2016-1691 du 9 déc. 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, art. 59) », Proc. 2017 Fasc. 3 n° 32.
- JB Donnier, « Le renforcement de l'immunité d'exécution des Etats étrangers par le décret 2017-892 du 6 mai 2017 », Aperçu rapide JCP G 2017 Fasc. 23 n° 635.
C. Principe de gratuité de la Justice
Aux termes de l'art. L. 111-2 du COJ, le service public de la justice concourt à l'accès au droit et assure un égal accès à la justice. Sa gratuité est assurée selon les modalités fixées par la loi et le règlement.
Les juges sont en général des fonctionnaires payés par l'Etat : le système des épices, qui existait sous l'Ancien droit a été aboli par la loi des 16 et 24 août 1790. Par ailleurs une loi du 30 décembre 1977 a institué le principe de gratuité des actes de justice, ce qui s'est traduit par la suppression de nombreux droits et taxes.
Il existe toutefois une certaine obligation de contribution des plaideurs à la dette judiciaire. Celle-ci se traduit par la condamnation du perdant aux dépens. Par ailleurs, chaque partie doit assumer ses propres frais en cas de recours à des auxiliaires de justice, sauf si la partie perdante ou condamnée aux dépens est condamnée à assumer prendre en charge une partie de ces frais irrépétibles (en application de l'art. 700 du CPC).
Pour le reste, une prise en charge des frais du procès peut résulter :
- de l'admission d'un plaideur au bénéfice de l'aide juridictionnelle (loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et D. n° 2020-1717 du 28 déc. 2020, relatif à l'aide juridictionnelle et l'aide à l'intervention de l'avocat dans les procédures non juridictionnelles, abrogeant au 1er janvier 2021 le D. 19 déc. 91) ;
- ou de la souscription volontaire d'une assurance de protection juridique (loi n° 89-1014 du 31 déc. 89, modifiée en 2007).
Mais le principe de gratuité a parfois subi des atteintes :
- D'une part, la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011 avait introduit, à compter du 1er oct. 2011, une contribution pour l'aide juridique de 35€ par instance introduite devant une juridiction judiciaire (non pénale) ou administrative. Cette contribution, instaurée pour financer la réforme de la garde à vue était versée au Conseil national des Barreaux (CNB) au bénéfice des avocats effectuant des missions d'aide juridictionnelle. Elle devait être payée par l'avocat ou la partie demanderesse (par voie électronique ou timbre) lors de l'introduction de l'instance, à peine d'irrecevabilité de la demande constatée d'office (art. 62-5 du CPC).
- D'autre part, le décret du 28 sept. 2011 a introduit à compter du 1er janvier 2012 et en principe jusqu'à la fin 2018, une taxe de 150 euros imposée aux justiciables agissant en matière civile devant les Cours d'appel lorsque la constitution d'avocat est obligatoire. Le produit de ce droit est affecté au fonds d'indemnisation de la profession d'avoué près les cours d'appel.Ces textes ont été critiqués (F. G'sell, JCP G 2011 F. 41 n° 1098 § 7; N. Gerbay, « Une réforme épicée : à propos du décret du 28 sept. 2011 », JCP G 2011 Fasc. 42 n° 1107, H. Croze, JCP G 2011 Fasc. 43 n° 1145, L. Cadiet, JCP G 2011 F. 50 n° 1397 §2) : il leur a été reproché de porter atteinte aux principes de gratuité de la justice, de libre accès au juge et d'égalité des citoyens devant les charges publiques. Ils ont fait l'objet d'un recours de la part du CNB et de deux QPC (renvoi CE, 3 fév. 2012 et Cass., 26 janv. 2012). Le Conseil Constitutionnel a néanmoins déclaré ces dispositions conformes à la Constitution dans une décision du 13 avril 2012, considérant qu'aucune de ces contributions n'entraînait de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques (CC, décision du 13 avril 2012, JCP G 2012, Fasc. 42 n° 1121 § 14).
Mais, comme s'y était engagé F. Hollande lors de la campagne présidentielle 2012, la contribution de 35 euros a été supprimée à compter du 1er janvier 2014 (L n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 et décret n° 2013-1280 du 29 décembre 2013).
En revanche, le produit de la taxe due pour les procédures d'appel s'étant révélé insuffisant, la loi de finances pour 2015 en a porté le montant à 225 € et l'a prolongée jusqu'en 2026 (M. Attal, « Le prix de l'accès à la justice en appel », JCP G 2014 Fasc. 46 n° 1167).
- S'agissant de la justice commerciale, la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 prévoit la création pour 4 ans à titre expérimental de « tribunaux des activités économiques » dans neuf à douze tribunaux de commerce. Ceux-ci auront une compétence étendue pour traiter toutes les procédures amiables et collectives engagées par les acteurs économiques, sauf pour les professions du droit réglementées. L'article 27 prévoit le versement par la partie demanderesse pour chaque instance introduite devant le tribunal des activités économiques d'une contribution pour la justice économique dont le montant sera fixé par un barème défini par décret en Conseil d'Etat, dans la limite de 5 % du montant des demandes cumulées au stade de l'acte introductif d'instance et pour un montant maximal de 100 000 euros. Il sera tenu compte du montant des demandes initiales, de la nature du litige, de la capacité contributive de la partie demanderesse, appréciée en fonction de son chiffre d'affaires annuel moyen sur les trois dernières années, de ses bénéfices ou de son revenu fiscal de référence, et de sa qualité de personne physique ou morale. Cette contribution, imposée à peine d'irrecevabilité, que le juge pourra prononcer d'office, sera remboursée lorsque les parties au litige parviendront à un accord amiable.
D. Principe de collégialité des juridictions
La collégialité est considérée comme une garantie de meilleure justice et d'impartialité.
L'article L. 212-1 du COJ dispose notamment que le tribunal judiciaire statue en formation collégiale, sous réserve des exceptions tenant à l'objet du litige ou à la nature des questions à juger. Selon le même texte, il ne peut statuer à juge unique dans les matières disciplinaires ou relatives à l'état des personnes, sous réserve des dispositions particulières aux matières de la compétence du juge aux affaires familiales et du juge des contentieux de la protection.
De fait on a assisté progressivement à une multiplication des juges uniques, qui a pu susciter des controverses au regard de la Convention EDH (RTD civ. 00 619).
S'agissant du tribunal judiciaire (TJ), outre les cas d'intervention d'un juge unique expressément prévus par l'art. R. 212-8 du COJ, le Code de procédure civile ouvre en réalité la faculté de faire trancher la plupart des affaires par un juge unique (art. R. 212-9 COJ et art. 812 et s. du CPC – V. déjà auparavant l'ex-art. 801 du CPC - Villacèque, « Le TGI statuant au fond en matière civile : la collégialité menacée par les juges uniques », D. 95 chr. 317).
En faveur du juge unique, on fait valoir que cette situation développe le sens de la responsabilité, permet une spécialisation, est source de simplification des procédures et rend la Justice plus proche des justiciables. Cela étant, le système présente sans doute aucun une rentabilité accrue pour l'Etat.
Toutefois, quand des textes imposent ou prévoient un recours au juge unique, existe en principe une possibilité de renvoi à une formation collégiale : devant le tribunal judiciaire, de telles dispositions sont prévues par les articles R. 212-8 du COJ et 815 du CPC, ainsi que pour le JAF, le JEX, et en matière de référé.
E. Principe de permanence des juridictions
Le fonctionnement de la Justice ne connaît pas d'interruption (totale) de fonctionnement sauf pour les juridictions fonctionnant par sessions et pour les audiences foraines.