Le terme de droit judiciaire privé nécessite d'être précisé. Nous commencerons donc par présenter la matière elle-même, avant de poursuivre par une étude des caractéristiques et du régime général des règles de droit judiciaire privé.
Section 1. La notion de droit judiciaire privé
Après qu'ait été défini et cerné le droit judiciaire privé, la réflexion portera sur sa fonction et ses caractères.
§ 1. Définition et contenu
Technique, le droit judiciaire privé n'exclut pas pour autant toute discussion ou controverse doctrinale théorique. Au contraire, des débats ont même eu lieu quant à sa dénomination et à son contenu, questions sur lesquelles il convient d'apporter des précisions et d'opérer des distinctions.
A. Distinctions notionnelles
Le droit judiciaire privé est le droit de la solution des litiges. Il regroupe l'ensemble des règles permettant au titulaire d'un droit de faire respecter ses prérogatives, notamment mais désormais pas exclusivement, en recourant aux juridictions civiles : le procès est un mécanisme de solution des litiges par application des règles de droit qui se concrétise par un jugement, lequel est un acte juridictionnel, sauf quand il y a jugement en équité.
Le droit judiciaire privé concerne la réalisation contentieuse des droits privés, ce qui permet de l'opposer aux règles permettant la sanction juridictionnelle des infractions à la loi pénale (la procédure pénale) ou aux dispositions du droit public (le contentieux administratif).
La notion de droit judiciaire est plus large que le terme technique de "procédure". Celui-ci n'est d'ailleurs pas propre au procès car l'expression peut viser toute démarche à suivre pour obtenir une décision, un avantage, devant une autorité, administrative ou non. En outre, cette dénomination ne vise que les formalités relatives à l'engagement, au déroulement du procès, et à la manière d'agir en justice.
Le Droit processuel consiste en l'étude comparative des procédures civile, pénale et administrative. Les interférences entre ces différentes procédures avaient été envisagées, à l'origine, par Motulsky. L'existence d'un droit commun, fondamental, du (des) procès s'est trouvée renforcée par :
- la création de procédures hybrides, notamment en droit économique (contentieux de la Bourse, de la concurrence...),
- l'application à tous les contentieux des dispositions procédurales de
- le rayonnement des principes généraux du droit,
- et le respect nécessaire des dispositions constitutionnelles.
B. Contenu du droit judiciaire privé et contenu du cours
Droit de la solution des litiges, le droit judiciaire privé englobe notamment l'ensemble des règles relatives à l'organisation et au fonctionnement du service public de la justice civile.
En font ainsi partie l'étude :
- des institutions et de l'organisation judiciaire, ainsi que des questions liées à la compétence, regroupées sous le vocable de "juridiction",
- des conditions pour agir et obtenir du juge des décisions : c'est ce qu'on appelle "l'action",
- des conditions de déroulement du procès et d'exercice des voies de recours : c'est la procédure civile, stricto sensu.
Confronté au contenu des cours dispensés en Faculté, le terme de droit judiciaire apparaît néanmoins trop large en ce que ne sont en général pas abordées les procédures spéciales propres à certains contentieux, ni les voies d'exécution, qui pourtant en font partie, mais donnent lieu à un enseignement distinct.
- L'action
- La juridiction
- L'instance
- L'arbitrage
- Le droit judiciaire international
En savoir plus
L'enseignement du droit judiciaire fait à Rennes l'objet de deux cours semestriels. L'un est un cours dispensé aux étudiants de licence, intitulé « Institutions et principes fondamentaux du procès civil ». Il s'agit d'appréhender les institutions judiciaires civiles et les grandes théories qui sous-tendent le procès civil, et constituent en quelque sorte le « droit fondamental » du procès civil. L'autre est un cours de master dans lequel sont présentées et approfondies des dispositions complémentaires ou plus techniques de procédure civile afférant au déroulement de l'instance.
Les développements qui vont suivre correspondent au premier de ces deux cours.
§ 2. Fonction du droit judiciaire privé
Dans la plupart des cas les règles de droit sont (heureusement) exécutées de manière spontanée et non contentieuse. Mais lorsqu'un litige advient, son règlement au regard du droit objectif est en général assuré par le juge dans le cadre d'un procès.
La Justice apparaît comme un instrument de paix sociale permettant de vérifier la régularité des situations juridiques et d'assurer la réalisation concrète des droits. Faire respecter les règles édictées par les pouvoirs législatif et réglementaire est l'une des missions de l'Etat, justifiant l'existence de l'autorité judiciaire.
Ceci explique que la Justice soit publique et non privée.
Mais il convient aussi de signaler, à côté de l'intervention du service public de la Justice et de la mise en œuvre de la fonction juridictionnelle, l'existence de moyens non contentieux de réalisation des droits. Il s'agit par exemple de l'usage de techniques issues du droit des obligations ou des contrats (droit de rétention, clauses pénales, transaction...), techniques dont la place a été renforcée depuis la modification du Code civil par l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, entrée en vigueur le 1er octobre 2016. Les pouvoirs publics ont aussi parfois eu recours à des commissions (commission des clauses abusives, commission de conciliation des locataires, commission de surendettement...).
Mais surtout, a été affirmée à partir de 1995, la volonté de favoriser les règlements amiables. Dans un premier temps, ont été concernés les modes alternatifs de règlement des conflits à l'initiative ou sous le contrôle du juge. Cela s'est traduit par le développement des procédures de conciliation et de médiation judiciaires. La création des juridictions de proximité, supprimées en 2017, avait aussi témoigné d'une certaine volonté de réintroduire des « juges de paix ».
Par la suite, la possibilité d'accompagner des procédures amiables de règlement des différends a été élargie à d'autres personnes et permise dans un cadre purement conventionnel.
Les incitations à y recourir sont de plus en plus nombreuses, les pouvoirs publics prônant désormais les vertus de la négociation pour régler les conflits, tout en essayant de garantir la sécurité des processus et en prévoyant notamment la possibilité de faire homologuer par le juge les accords obtenus. L'on peut aussi voir dans cette évolution une volonté de contribuer à désengorger les tribunaux.
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- L'implication dans le règlement conventionnel des différends concerne ainsi les avocats : la loi n° 1609-2010 du 22 décembre 2010 a introduit dans le code civil la convention de procédure participative qui permet, par leur intermédiaire, un règlement amiable des litiges relatifs aux droits dont les personnes ont la libre disposition (H. Poivey-Leclercq, « La Convention de procédure participative "Un pacte de non agression à durée déterminée" », JCP G 2011, Fasc. 4 n° 70 - E. Bonnet, « La convention de procédure participative », Procédures n° 3, mars 2011, alerte 11 ; S. Amarani Mekki, « La convention de procédure participative », D. 2011 3007).
La loi de modernisation de la Justice du XXIème siècle (loi J21), du 18 novembre 2016, en a étendu la portée, permettant, devant toutes les juridictions, sa conclusion au cours d'instances déjà engagées, aux fins de mise en état des litiges. Cette « externalisation de l'instruction » peut ouvrir de nouvelles perspectives de recherche de consensus entre parties mais suscite des interrogations du point de vue de l'évolution du rôle du juge et du procès (pour le volet réglementaire, voir décret n° 2017-892 du 6 mai 2017 et décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile - R. Le Breton de Vannoise, « Vademecum de la Convention de procédure participative de mise en état », Proc. 2019 Etude 1).
- L’ordonnance n° 2011-1540 du 16 novembre 2011, portant transposition de la directive 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale a modifié les dispositions de la loi du 8 février 1995. La médiation s’entend depuis lors de tout processus structuré, quelle qu’en soit la dénomination, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l’aide d’un tiers, le médiateur, choisi par elles ou désigné, avec leur accord, par le juge saisi du litige. Au-delà de la médiation judiciaire, est donc aussi visée la médiation conventionnelle.
- Le décret n° 2012-66 du 20 janvier 2012, pris en application de cette ordonnance, a créé dans le Code de procédure civile un Livre V relatif à la résolution amiable des différends et encadrant toutes les procédures de ce type faisant intervenir un tiers.
- Le décret n° 2015-282 du 11 mars 2015 a incité aux tentatives de règlement amiable avant saisine du juge : il a imposé de justifier, dans la plupart des actes introductifs d'instance, des diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige, sauf motif légitime tenant à l'urgence ou à la matière considérée. Ces dispositions ont été remplacées en 2020.
- L'art. 4 de la loi J21 prévoyait qu'à peine d'irrecevabilité d'office, la saisine du tribunal d'instance par déclaration au greffe devait être précédée d'une tentative de conciliation par un conciliateur de justice (sauf si l'une des parties sollicitait l'homologation d'un accord, si les parties justifiaient d'autres diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable de leur litige ou si l'absence de recours à la conciliation était justifiée par un motif légitime).
Ce texte a été modifié par la L. n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, programmant la fusion des tribunaux de grande instance et d'instance au 1er janvier 2020. Désormais, lorsqu'une demande tend au paiement d'une somme d'argent n'excédant pas 5 000 euros (décret n° 2019-1333 du 11 déc. 2019) ou est relative à un conflit de voisinage relevant des articles R. 211-3-4 et R. 211-3-8 du COJ, la saisine du tribunal judiciaire doit, à peine d'irrecevabilité que le juge peut prononcer d'office, être précédée, au choix des parties, d'une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d'une tentative de médiation ou d'une tentative de procédure participative. Des exceptions sont cependant prévues par le texte. Elles ont été précisées par l’art. 750-1 du CPC issu du D. n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 lequel, après avoir été annulé par le Conseil d’état (CE, 22 sept. 2022 n° 436939 et 437002, JCP 2022 Fasc. 42 act. 1186, obs. S. Amrani-Mekki, ; Rev. Procédures 2022, repère 10, obs. H. Croze ; Procédures 2022, comm. 239, note R. Laffly ; Dalloz actualité, 3 et 4 oct. 2022, note M. Barba), a été réintroduit après modifications à compter du 1er octobre 2023 par le décret n° 2023-357 du 11 mai 2023 (DA 23 mai 2023, « L'extraordinaire histoire de l'article 750-1 du CPC : le rétablissement ? », JCP 2023 Fasc. 20 act. 596 veille V. Egéa – M. Barba, « Le retour de l’art 750-1 CPC », D. 2023 1456), JCP 2022 Fasc. 42 act. 1186, obs. S. Amrani-Mekki ; Rev. Procédures 2022, repère 10, obs. H. Croze ; Revue Procédures 2022, comm. 239, note R. Laffly ; Dalloz actualité, 3 et 4 oct. 2022, note M. Barba).
- La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 a encadré également les procédures de conciliation, médiation et arbitrage en ligne mais la doctrine a souligné les insuffisances du dispositif prévu (V. notamment Y. Strickler et L. Weiller, « Développer la culture du règlement alternatif des différends », Proc. 2019 Fasc. 6, Etude 10 - V. Lasserre, « Les graves lacunes de la réforme de la justice en matière de médiation », D. 2019 441).
- La loi n° du 21 décembre 2021, pour la confiance dans l'institution judiciaire, a institué un Conseil national de la médiation. Elle a par ailleurs étendu le champ de la médiation obligatoire avant saisine du juge, issue de l'art. 4 de la loi 18 nov. 2016, aux troubles anormaux de voisinage. Elle prévoit aussi la possibilité de faire apposer par le greffe la formule exécutoire sur les transactions et actes constatant un accord issu d'une médiation, d'une conciliation ou d'une procédure participative, sans passer par une homologation, dès lors qu'ils sont contresignés par les avocats de chacune des parties.
- Le D. n° 2023-686 du 29 juillet 2023 a introduit deux mécanismes facultatifs de nature à favoriser le règlement amiable des litiges après saisine du tribunal judiciaire : l'audience de règlement amiable (ARA) et la césure du procès civil. L'ARA permet à un autre juge que celui saisi du litige de tenter, avec l'accord des parties, de les concilier. En cas d'échec, le litige sera tranché par le juge initialement saisi. Quant au dispositif de césure, il ouvre aux parties la possibilité de solliciter un jugement pour trancher les points nodaux du litige, afin de leur permettre éventuellement, dans un second temps, de résoudre les points subséquents en recourant aux MARD. Ces dispositions sont applicables aux instances introduites depuis le 1er novembre 2023 (S. Amrani-Mekki, « Des modes amiables aux mode adaptés de résolution des différends, ARA et césure du procès », JCP 2023 Fasc. 37 Etude 1040 - N. Fricero, « Nouveaux circuits procéduraux devant le tribunal judiciaire, audience de règlement amiable et césure du procès », Proc. 2023 Fasc. 10 Etude 7).
Ces liens sont dans la nature même de la procédure, qui ne peut exister en dehors d'un procès mettant en cause des droits substantiels.
Ensuite, certaines dispositions procédurales assortissant les textes, traduisent la volonté du législateur d'influer par ce biais sur le fond du droit et ses conditions de mise en œuvre (délais, qualité pour agir...).
Enfin, l'interprétation des textes par les juridictions, selon son caractère restrictif ou libéral, a une incidence directe sur les droits subjectifs.
Les juridictions et le droit judiciaire peuvent aussi jouer un rôle préventif, lié à une certaine crainte de la sanction : la menace ou l'initiative d'une assignation suffisent parfois à débloquer une situation et à permettre d'ouvrir des négociations...
Voir C. Arens, « Les grands enjeux contemporains de l'office du juge en matière civile », RT 2023 573.
§ 3. Caractères du droit judiciaire privé
A. Caractère formaliste
Un formalisme excessif et le mauvais fonctionnement du système risquent de générer divers inconvénients et d'apparaître comme des sources potentielles de perturbations : coût, complexité, durée excessive des procédures, difficultés de fonctionnement, encombrement des juridictions, développement de l'esprit de chicane.
En revanche, connu à l'avance, bien maîtrisé et identique pour tous, il peut aussi constituer une sécurité contre l'arbitraire, une garantie de bonne justice : formes et délais offrent une certaine sécurité, contribuent à une meilleure information des plaideurs, offrent une protection contre le dilatoire. Ihering a traduit ces avantages dans la formule « Ennemie jurée de l'arbitraire, la forme est la sœur jumelle de la liberté ».
En fait, il importe de trouver une juste mesure : le formalisme doit avoir un but précis et les exigences imposées doivent permettre de remplir correctement l'objectif ainsi fixé.
Une illustration en est donnée en matière de nullités pour vice de forme avec la règle « pas de nullité sans grief » : le non-respect du formalisme ne sera pas sanctionné s'il n'a pas été préjudiciable à celui qui l'invoque.
B. Caractère impératif
Cela signifie :
L'explication tient en partie au fait que la Justice est un service public, que les particuliers ne doivent pas pouvoir manipuler, pour des raisons d'efficacité.
Il convient toutefois de nuancer la portée de ce caractère obligatoire. Le procès vient sanctionner des droits subjectifs dont les titulaires ont souvent la libre disposition ; on pourrait dès lors trouver logique que les particuliers puissent également "composer" avec les règles de procédure permettant d'assurer le respect de leurs droits.
En réalité, toutes les règles ne possèdent pas la même valeur et n'imposent pas un respect aussi absolu.
L'ordre public intervient souvent en droit judiciaire dans un but de protection des faibles (ordre public de protection). Il apparaît assez strict en matière d'organisation judiciaire et d'exercice des actions, un peu moins en matière de compétence territoriale et de procédure (ex. : dispositions sur les clauses dérogatoires, la prorogation de compétence).
En fait, on constate qu'une plus grande souplesse est offerte, une fois le litige né, pour modifier les pouvoirs du juge et les conditions de déroulement de la procédure : amiable composition, contrat judiciaire, retrait du rôle. Dans le même sens, la recherche d'une efficience accrue de la Justice a conduit à l'introduction récente dans le CPC de dispositions destinées à susciter la réflexion des parties quant à la conclusion de conventions de procédure participative aux fins de mise en état ou à l'acceptation de procédures sans audience.
Cela étant, en cas de non-respect de dispositions procédurales, les conséquences font souvent l'objet d'une appréciation au cas par cas.
C. Nature controversée
Il pourrait aussi être rattaché au droit privé, de par l'initiative du droit d'action dévolue aux parties, sa finalité de protection des droits privés individuels, et la conception traditionnelle du principe dispositif imposant une certaine neutralité au juge.
Appartenant à la catégorie des droits sanctionnateurs, dits aussi droits régulateurs ou réalisateurs (ex : procédure pénale, contentieux administratif, droit international privé...), il possède une nature hybride, à la différence des droits substantiels, déterminateurs ou matériels, qui ont pour finalité de régir l'activité sociale des personnes (ex.: droit civil, droit rural, droit commercial, droit social...).
En savoir plus
En tant que droit sanctionnateur, il permet d'assurer le respect des droits substantiels et de comprendre les règles qui les sous-tendent : sa mise en œuvre donne souvent lieu à une décomposition des mécanismes du droit substantiel. La connaissance des droits en jeu est nécessairement déterminante pour l'organisation du procès.