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Culture générale

Religion et société

En Occident, les rapports entre religion et société ont souvent été conflictuels, chaque autorité essayant de s’imposer à l’autre. Malgré tout, l’idée d’une séparation de ces deux domaines s’est imposée à travers la théorie dualiste, le gallicanisme, pour aboutir à la séparation des Églises et de l’État. Malgré un principe proclamé de laïcité, la religion n’a pas disparu de la sphère civile française. Hors des frontières, les États ont opté pour d’autres rapports (religion d’Etat, concordat, etc.).


Df.Une religion est un système de croyances avec sa ou ses divinités, sa cosmologie et ses mythes d'origine, sa morale, ses interdits, ses prescriptions, ses valeurs et ses tabous, ses rituels et cérémonies, ses prières et objets de culte, ses institutions.


Il y a trois manières d’envisager les rapports entre la religion et la société : soit une intégration soit une séparation soit une collaboration. Ces trois manières d’articuler les rapports entre la religion et la société se sont succédées au fil des siècles et des régions du monde.

Section 1 : L'évolution des rapports entre religions et société


En Occident, les rapports entre le pouvoir laïc et le pouvoir religieux sont des rapports conflictuels. Aucune de ces autorités ne parvient à absorber totalement l'autre qu'elle tolère, favorise ou défavorise en fonction des époques et des contextes.


À Rome, dès les premiers temps, le droit (ius) se sépare de la religion (fas) pour devenir un droit laïc. La religion officielle romaine devient avec l’empire, une religion politique, un culte rendu aux dieux de la cité, à l’Empereur lui-même qui devient un dieu parmi les autres dieux. La religion romaine n’est pas une religion exclusive, elle accepte les dieux et les concepts des autres religions. L’intégration de la religion grecque se fait sans encombre, les deux religions étant très proches, des concordances entre les dieux sont même établies. Les cultes orientaux, plus métaphysiques, sont plus difficilement assimilables, mais ils intègrent eux-aussi un ensemble religieux hétérogène, qui correspond au fond à l’esprit superstitieux des Romains.
Cependant, avec l’arrivée du christianisme, religion individualiste, égalitaire, religion qui affirme détenir la vérité unique, les tensions entre Rome et les chrétiens deviennent irréductibles ; les chrétiens sont, au mieux, ignorés par l’Empire. Après une période de répressions sporadiques, la religion chrétienne est tolérée par l’Empire (avec L’Édit de Milan de 313) et les rapports entre Rome et les chrétiens vont aboutir, avec l’Édit de Thessalonique pris par l’empereur Théodose en 380, à la christianisation de l’Empire. Dans ces conditions, les rapports de l’Église et de l’État connaissent de nouveaux développements. L’empereur est désormais un empereur chrétien qui n’hésite pas d'ailleurs à s’immiscer dans la vie de l’Église, se prononçant sur les questions de dogme, désignant les évêques ou dictant ses décisions aux conciles. Parallèlement, la hiérarchie religieuse cherche à guider, voire à juger, la politique de l’empereur.
Théodose Ier , empereur romain de 379 à 395. Source : Domaine public.


Augustin d'Hippone ou Saint Augustin (vers 1480), philosophe et théologien chrétien romain. Source : Wikipédia - Domaine public.

Les doctrines de l’époque des royaumes barbares (476-750) s’inscrivent dans la continuité des idées développées par Augustin d’Hippone.
En savoir plus : Les deux cités et l'augustinisme

Pour lui, il existe deux cités, la cité de Dieu, détentrice d’une autorité morale et la cité terrestre qui possède une autorité physique. Ces deux cités sont distinctes et indépendantes, mais elles coexistent et collaborent puisque les chrétiens appartiennent nécessairement aux deux cités. On assiste toutefois à une inflexion progressive des théories augustiniennes, liée aux profondes mutations historiques. Alors que dans l’Empire romain d’Orient se maintient un pouvoir civil très fort, capable de s’imposer à l’Église, ce n’est pas le cas en Occident. La chute de l’Empire romain d’Occident, qui entraîne la formation des royaumes barbares, a très largement profité à l’Église, et notamment à la papauté. Se développent alors en Occident un certain nombre de thèses visant à soumettre l’État à l’Église. C’est la naissance d’une doctrine de confusion des pouvoirs qui reçoit traditionnellement le nom d’augustinisme politique.
Cette confusion de pouvoir prend, avec Charlemagne, une autre tournure, cette fois en faveur de l’État. Le 25 décembre de l’année 800, dans la basilique Saint-Pierre de Rome, le pape Léon III pose la couronne impériale sur la tête de Charlemagne, avant de le faire acclamer par la foule, puis de s’agenouiller devant lui.
L’Empire est donc restauré dans un sens nettement chrétien. À la fois roi et prêtre, l’Empereur exerce une autorité aussi bien spirituelle que temporelle. C’est désormais autour de sa personne que s’affirme l’unité de la chrétienté. Cependant, cette articulation du rapport de force ne survit pas à Charlemagne et les évêques carolingiens construisent une doctrine selon laquelle la royauté est une institution, une fonction donnant au roi la mission et la responsabilité de gouverner et de diriger ses sujets, le peuple de Dieu, avec équité et justice. À la fin de la période carolingienne, Hincmar de Reims produit une doctrine équilibrée. Tirant toute son autorité de la cérémonie du sacre, l’autorité royale doit recevoir le soutien de l’Église. Cette dernière est toutefois en droit d’attendre du roi qu’il exécute les engagements contenus dans la promesse du sacre.




Avec la réforme grégorienne, qui aboutit à l’adoption des dictatus papae en 1075 par le pape Grégoire VII, et avec la querelle des investitures, qui oppose ce pape à Henri IV, empereur du Saint-Empire Romain Germanique, la papauté affirme sa supériorité sur les princes temporels. La situation politique de la papauté n’est toutefois pas aussi brillante qu’elle pouvait l’espérer. En France, la réforme grégorienne s’est introduite sans le concours du roi. En Angleterre, Henri II est parvenu à imposer sa domination sur l’Église (Constitutions de Clarendon en 1164), malgré la résistance conduite par l’archevêque de Canterbury, Thomas Becket, assassiné en 1170 (assassinat pour lequel Henri II dut faire amende honorable). Dans l’Empire, Frédéric Barberousse, entreprend, au lendemain de son élection, de reprendre en main son clergé. À Rome même, le pape doit faire face à une révolte communale (1143-1155) conduite par Arnaud de Brescia qui, soucieux de rétablir la pureté évangélique, préconise la pauvreté radicale et demande à la papauté de renoncer à son pouvoir temporel. C’est dans ce contexte assez contrasté que la papauté développe la fameuse théorie dite des deux glaives.
En savoir plus : La théorie des deux glaives

Cette théorie, inspirée des évangiles, formulée par Bernard de Clairvaux, affirme que le monde est régi par deux glaives qui appartiennent à l’Église, le glaive spirituel qu’elle conserve et le glaive temporel qu’elle délègue à l’autorité politique tout en le contrôlant. Pour autant, le pape ne peut pas intervenir directement dans les affaires politiques, mais il peut le faire au nom d’un pouvoir indirect, au titre du péché (lorsque le prince risque par sa politique de commettre un péché, ou de nuire aux intérêts de l’Église).
Cependant, rapidement, au Moyen Âge, la théorie dualiste, inspirée des Évangiles (la célèbre phrase du Christ relatée dans les Évangiles « Il faut rendre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu », ou encore « Mon royaume n'est pas de ce monde » montre que la distinction entre la religion et l’État est inhérente à la religion chrétienne), sépare la sphère spirituelle de la sphère temporelle. Inspirée par Thomas d’Aquin et formulée par les juristes royaux à partir du XIIIème siècle, cette théorie soumet le monde à deux autorités, le pape et le roi, autorités égales et indépendantes chacune dans son domaine.
Saint Thomas d'Aquin, religieux italien de l'ordre dominicain, célèbre pour son œuvre théologique et philosophique. Source : Wikipédia - Domaine public.


En France, la théorie dualiste va permettre l’émergence du gallicanisme.
En savoir plus : Le gallicanisme

Dès le haut Moyen Âge on parle d’ecclesia gallicana, d’Église gallicane. Ce terme n’a alors qu’une signification géographique. Le terme gallicanisme désigne en revanche une certaine conception des relations entre le Saint-Siège et la France. Il s’agit d’une doctrine principalement française qui limite la puissance pontificale.
Le conflit qui oppose le roi de France Philippe le Bel et le pape Boniface VIII est l’occasion des premières prises de positions gallicanes, orchestrées par les légistes royaux, lorsqu’ils remettent en question l’autorité que le Pape prétend exercer sur le Roi de France et son Église et lorsqu’ils font reconnaître le pouvoir du Roi sur l’Église de France. Ce mouvement doctrinal ne cesse de se renforcer tout au long du XIVème siècle et trouve son aboutissement sous le règne de Charles V (1364-1380), lorsque est rédigé l’un des ouvrages les plus importants dans l’affirmation de l’État et de la souveraineté royale, un ouvrage resté anonyme, Le songe du Vergier, vers 1376. Ce texte contient les éléments constitutifs du gallicanisme.
Le Pape est bien le chef spirituel de l’Église et il détient la juridiction spirituelle sur l’ensemble de la chrétienté. Mais cela n’altère en rien l’indépendance du roi de France au temporel, en aucun cas le pape n’est habilité à sanctionner ses actes. Le prince est donc totalement autonome par rapport au souverain pontife et le souverain pontife ne peut rien contre lui. Aux ministres de Dieu les choses spirituelles, au Prince et à ses serviteurs, les choses temporelles. Cette distinction est simple et claire, mais évidemment dans ses applications pratiques, la délimitation entre spirituel et temporel est complexe et se précise progressivement.
En 1398, à Paris, un concile d’une cinquantaine d’évêques français affirme que les décisions prises par les conciles généraux sont supérieures à la législation pontificale. Le Roi n’est alors plus le seul à limiter les pouvoirs du Pape, les conciles, c’est-à-dire les réunions d’évêques, le contestent également. Ce mouvement est appelé gallicanisme religieux, en opposition au mouvement affirmant la supériorité du Roi qui est qualifiée de gallicanisme politique. Concrètement les évêques ne reconnaissent plus le pouvoir du Pape de prélever des impôts, son pouvoir de légiférer ni celui de nommer les ecclésiastiques les plus importants. Une autre étape a lieu en 1406, toujours en plein schisme (La chrétienté traverse une crise grave pendant laquelle deux puis trois papes dirigent l’Église entre 1378 et 1415), une nouvelle assemblée d’évêques de France fait appel au Roi pour défendre l’Église gallicane et ses libertés contre les abus du ou des Papes. Avec cette décision, l’Église de France se place sous la protection et sous le contrôle du Roi de France. Cette même assemblée demande alors que toute législation venue de Rome soit d’abord contrôlée et autorisée par le Roi de France avant de pouvoir être appliquée au clergé français. En 1438, par la Pragmatique Sanction de Bourges, le Roi au titre de protecteur de l’Église gallicane et de ses libertés, traduit les décisions des prélats par une ordonnance royale, les rendant ainsi effectives dans le royaume.
En 1516, le Concordat de Bologne reconnaît la suprématie du pape sur les conciles nationaux, tout en donnant au roi le droit de nommer les titulaires des sièges ecclésiastiques dans son royaume (abbés, évêques, archevêques).

Cependant, ce n’est pas parce que le roi de France s’émancipe de la tutelle de Rome, que l’influence de la religion n’est pas présente dans la société. Sous l’Ancien Régime, l’État en Europe est confessionnel et selon la vieille maxime impériale cujus regio, ejus religio (telle la religion [du prince] telle celle du pays), l’installation sur un territoire entraîne l’adhésion à la religion du territoire en question. Ce principe s’impose même au souverain (Henri IV en France, Jacques II en Angleterre par exemple). Le roi apparaît comme le garant de l’orthodoxie religieuse dans le royaume. Dans le système royal, se mêlent conduite des hommes et salut des âmes. Or, il y a des doctrines et des comportements qui représentent, aux yeux du roi, des risques graves de résistance politique et de perdition spirituelle Aussi, en France, la monarchie du roi Très Chrétien impose-t-elle le catholicisme et se préoccupe-t-elle des libertins, des infidèles, des protestants.
Le roi doit être catholique et ses sujets aussi. Le droit pénal de l’Ancien Régime sanctionne les atteintes à l’ordre moral et religieux : le blasphème, le sacrilège, la sorcellerie sont des crimes de lèse-majesté divine. Aux yeux de la monarchie, les libertins ou les athées sont coupables de ne pas professer la religion d’État. Tant qu’ils reconnaissent la nécessité d’une religion officielle pour la survie de l’État et restent prudents, ils sont tolérés, mais si une prise de position est ouvertement libertine ou blasphématoire, la justice royale sévit et condamne au bûcher.
En savoir plus : Les minorités religieuses sous l'Ancien Régime

Les Juifs ont été expulsés du royaume en 1394 ; cette expulsion est rappelée en 1615. Cette interdiction officielle masque une tolérance car ils sont assujettis au roi et sont jugés utiles au commerce. Avec les protestants, les rois adoptent un autre comportement. La doctrine de Luther suscite immédiatement un grand trouble en France. Elle connaît un vif succès et de sanglantes ripostes. Lorsqu’en 1559 le premier Concile National des Églises Réformées s’organise, il révèle l’existence de deux communautés chrétiennes appelées à coexister : c’est un véritable défi politique, d’autant que les réformés s’appuient sur une armée, sur des places fortes et sur une constitution politique. Cette coexistence dégénère en véritable guerre de religion dont le point d’orgue est la Saint Barthélémy le 24 août 1572. La situation s’apaise avec la conversion d’Henri IV en 1593 et surtout l’édit de Nantes en 1598. Si le catholicisme reste la règle, cet édit impose la tolérance et confère un statut aux réformés. L’édit est préservé pendant le règne d’Henri IV mais après son assassinat en 1610, il commence à être remis en cause. Enfin, le gouvernement royal décide de réunir les protestants au catholicisme en encourageant financièrement les conversions, en retirant les charges publiques des mains des protestants. Puis en 1685, Louis XIV révoque l’édit de Nantes. Pour lui, il y a un roi, une foi, une loi. Il faut attendre un siècle pour que la politique de tolérance fasse son retour. L’opinion publique est sensibilisée par de grandes affaires comme l’affaire Callas, soutenue par Voltaire ; en 1787, les protestants ont désormais la pleine capacité civile. La tolérance commence à faire son chemin, certains États européens accueillant volontiers les exilés religieux.
Le Massacre de la Saint-Barthélemy. Source : François Dubois, musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne - Domaine public.
Première page de la version de l'édit de Nantes transmise pour enregistrement au Parlement de Paris. Source : Archives nationales, J//943/2 ou AE/II/763 - Domaine public.


La Révolution Française opère une rupture avec la tradition et avec les rapports de l’Église et de l’État en faisant de la religion une opinion comme une autre (article 10 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen), elle accorde l’égalité en droit à tous les citoyens qu'ils aient ou non une religion et quelle que soit leur religion. Aucun régime ne reviendra sur cette innovation. En 1795, est instaurée la première séparation des Églises et de l’État.

Napoléon, par le concordat de 1801, reconnaît la religion catholique comme étant celle de la majorité des Français, mais il ne la reconnaît pas religion d’État. Il accorde aux religions juive et protestante le statut de culte reconnu (ce régime est d’ailleurs toujours en application en Alsace et en Moselle). Tout au long du XIXème siècle, les rapports entre l’État et la religion catholique se renforcent. Cependant, les républicains, dont certains sont fortement anticléricaux s'engagent à partir de 1880 sur la voie de la neutralité religieuse de l’État.
Tx.Enfin, en 1905, la loi de séparation fait de la religion une affaire privée mais avec un aspect social, le culte. Les Constitutions de 1946 et de 1958 réaffirment la nature laïque de la République en en faisant un principe constitutionnel.
Première page de la loi de séparation des églises et de l’État de 1905. Source : Archives Nationales - AE-II-2991 - Domaine public.

Section 2 : Les rapports actuels entre religion et société


Qu’on le veuille ou non, les rapports de la religion et de la société française sont tributaires de cet héritage séculaire. En Europe, le christianisme s’est répandu à l’échelle du continent et a imposé peu à peu son empreinte (églises, calendriers) ; il aurait pu être et a été un temps un facteur d’unité mais il s’est rapidement divisé avec les deux schismes (le grand schisme d’Orient de 1054 et le grand schisme d’Occident) et surtout avec l’apparition de la Réforme.
D’une certaine manière, pour contrebalancer sa perte d’influence au niveau politique, l’Église catholique estime qu’il va de sa responsabilité de définir la position chrétienne sur tous les problèmes de morale, privée et publique ; elle intervient, surtout depuis l’initiative du pape Léon XIII consacrant en 1891 une encyclique sur la situation faite aux ouvriers par la révolution industrielle, sur tous les grands problèmes de société. Désormais, en France, l’Église est un des acteurs parmi d’autres de la société française. Cette intervention de la religion s’illustre dans les droits reproductifs des femmes, notamment l’avortement. La séparation, reconnue par l’église catholique par le concile Vatican II, s’entend d’une autonomie de la sphère civile par rapport à la sphère religieuse mais non par rapport à la sphère morale.


Depuis 1905, la France est un État laïc. Issue du grec laos (unité d’une population considérée comme indivisible), la laïcité en France est un principe qui distingue le pouvoir politique des organisations religieuses – l’État devant rester neutre – et garantit la liberté de culte (les manifestations religieuses devant respecter l’ordre public) ; il affirme parallèlement la liberté de conscience et ne place aucune opinion au-dessus des autres (religion, athéisme, agnosticisme ou libre-pensée), construisant ainsi l’égalité républicaine. Jusqu'au début du XXème siècle, l'idée de laïcité représentait avant tout, en pratique, la volonté de réduire l'influence de l'Église catholique sur les institutions, cette influence étant identifiée comme une menace majeure pour les valeurs républicaines. Avec l’évolution de la société, cette lutte contre l’influence de l’église s’est apaisée et la constitution de 1958 affirme dans son premier article que « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ». La séparation des Églises et de l’État met fin à la reconnaissance et au financement d'un culte particulier par l’État, l’État ne considère plus la religion comme le garant de l'ordre social et il met un terme à l'idée d'une Église contrôlée par l’État. C'est un principe d'autonomisation réciproque.
La première et plus importante traduction concrète de ce principe en France concerne l’état civil, auparavant tenu par le curé de la paroisse qui enregistrait la naissance, le baptême, le mariage et le décès des fidèles. Depuis 1792, il est tenu par l’officier d’état civil dans la commune et tous les actes doivent être enregistrés devant lui. Les sacrements religieux (mariage et baptême notamment) n’ont plus de valeur légale et n’ont qu’un caractère optionnel.
Rq.Le mariage religieux ne pourra être effectué que postérieurement à un mariage civil. Le ministre du culte qui ne respecte pas cette règle est répréhensible pénalement (art 433-21 du Code pénal). Cette règle pratique constitue une exception au principe de neutralité par rapport aux sacrements puisqu'elle soumet le droit au mariage religieux à l'accomplissement préalable d'un acte d'état civil. Elle s'explique en France par une raison historique : à l'époque de l'instauration du mariage civil, le législateur craignait qu'une grande partie des couples contractent des mariages uniquement religieux et se retrouvent, sur le plan civil, en situation de concubinage, ce qui était considéré comme immoral. Bien qu'obsolète de nos jours (et parfois même dénoncée comme une atteinte inutile à la liberté religieuse), cette règle est restée en vigueur.

La laïcité en France repose sur 3 piliers :
  • la liberté de conscience et celle de manifester ses convictions dans les limites du respect de l’ordre public ;
  • la séparation des institutions publiques et des organisations religieuses ;
  • l’égalité de tous devant la loi quelles que soient leurs croyances ou leurs convictions.


Par principe, la laïcité est un concept étroitement lié à celui de la liberté d’expression et d’opinion. Il est permis à chacun de pratiquer la religion de son choix, tant que cette pratique ne va pas à l’encontre des droits d’autrui. Les démonstrations d'appartenance à une religion peuvent cependant être restreintes. C’est le cas notamment des fonctionnaires, qui, durant leur service, n’ont pas le droit de porter de signes religieux voyants. De même, il est interdit d'afficher des signes ostentatoires religieux dans les écoles de la République. Là encore, il ne s'agit pas spécifiquement d'une application du principe de laïcité, le même interdit existant pour d'autres convictions (politiques par exemple).

L’État ne doit ni poser des questions (dans le cadre d'un recensement par exemple), ni distinguer entre les personnes sur la base de critères religieux. Ce n'est toutefois pas une application du principe de laïcité, le même interdit existe pour d'autres catégorisations sensibles (origine ethnique, couleur de peau, appartenance politique ou syndicale, etc ..). Au niveau collectif, le fait qu'une organisation soit ou non affiliée à une religion ne peut pas non plus entrer en considération : seules les activités cultuelles sont exclues, mais un club sportif dépendant d'une église peut obtenir des subventions aussi bien qu'un club laïc, dans la mesure où il est aussi ouvert aux laïcs. De même, les écoles confessionnelles peuvent participer au service public de l'éducation (l'État rémunère alors les professeurs et les collectivités territoriales peuvent contribuer à leur bonne marche), ce qui implique notamment qu'elles respectent les programmes officiels, et qu'elles doivent accueillir tous les élèves qui le souhaitent, indépendamment de leur religion et sans prosélytisme dans le cadre des cours. 90 % des écoles privées en France sont catholiques.
Ex.Certains affaires récentes ont mis en lumière ces écoles privées confessionnelles ainsi que leurs droits et devoirs (par exemple, la décision de cesser de subventionner le lycée privé musulman Averroès à Lille en raison notamment des fonds reçus d’une ONG qatari ayant pour but « d’enraciner un islam politique au sein des communautés musulmanes d’Europe » selon le préfet du Nord et de contenus pédagogiques contraires aux valeurs de La République, ou encore la polémique entourant le lycée privé catholique Stanislas à Paris).

Si les rapports entre l’État et le christianisme semblent apaisés (malgré quelques crispations récentes, autour des crèches de Noël notamment), un regain de tension est apparu à la fin du XXème siècle avec le développement de l’Islam en France.
Rq.En effet, les tensions récentes autour de la laïcité sont liées à la religion islamique, que ce soit les affaires du voile à l’école, qui ont d’ailleurs conduit à l’adoption en 2004 de la loi sur les signes religieux dans les écoles publiques françaises, cette loi ayant vocation à préserver la « laïcité dans l'espace scolaire » et la « neutralité de l'espace scolaire » ; que ce soit également les affaires liées au port du voile intégral dans les espaces publics, ce qui a d’ailleurs conduit à l’adoption de la loi interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public de 2010, ou encore les affaires liées au burkini. L’école semble cristalliser en grande partie ces tensions qui dégénèrent parfois dramatiquement comme le montre l’assassinat en 2020 de Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie, ou encore les menaces de mort envers les enseignants ou les proviseurs. La question des mosquées et plus largement des salles de prières pour les musulmans est également prégnante. Elle met en avant une inégalité entre les cultes déjà implantés en France lors de la loi de 1905 (et bien fournis en lieux de culte) et les cultes plus tardifs qui ne bénéficient pas des mêmes infrastructures.
Samuel Paty, professeur d'histoire-géographie, victime du terrorisme islamiste dans le cadre de l'attentat de Conflans-Sainte-Honorine perpétré le 16 octobre 2020 dans la commune française d'Éragny-sur-Oise, située dans le Val-d'Oise. Source : https://franceuniversites.fr


La logique de cantonnement du religieux dans le domaine de « l'intime » (par opposition à « l'espace public »), est reprise par le président François Hollande lors du discours d'installation de l'Observatoire de la laïcité en 2013. A cette occasion (et en pleine affaire de la crèche Baby Loup, affaire dont le point de départ est le licenciement d’une salariée voilée dans une crèche privée) il affirme : « les lignes de séparation entre secteur public et secteur privé ont évolué. Il y a donc une nécessité de clarification. En 1905, la laïcité était simplement la séparation de l’État et des cultes. Aujourd’hui, elle est une frontière entre ce qui relève de l’intime, qui doit être protégé, et ce qui appartient à la sphère publique qui doit être préservé. Et comme toute frontière, il n’est pas toujours aisé de la tracer ».
Cette frontière est d’autant moins aisée à tracer que cette idée de séparation, sur laquelle repose les rapports du christianisme et de l’État, est étrangère à l’Islam qui considère qu’il n’y a qu’un seul droit, le droit religieux.

Pour remédier aux tensions et mieux faire comprendre la laïcité, l’État met en place une politique de formation à la laïcité. Ainsi, depuis 2017, l’obtention d’un DU agréé est nécessaire pour les aumôniers rémunérés ou indemnisés intervenant spécifiquement dans les établissements hospitaliers, pénitentiaires ou au sein des armées. Les enseignements dispensés dans le cadre de ces DU permettent de transmettre un socle commun relatif au contexte socio-historique français, au droit et aux institutions de la République, en particulier au principe de laïcité et à ses applications. Les enseignements en droit des cultes et relatifs aux institutions publiques participent de la formation des gestionnaires de lieux de culte et d’activités religieuses, ainsi que des aumôniers qui interviennent dans les services publics. Enfin, en développant, la connaissance du fait religieux et des principales religions présentes sur le territoire français, ils facilitent la compréhension mutuelle, le dialogue interreligieux et avec les pouvoirs publics.
Tx.La loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République (CRPR) contient des dispositions spécifiques en matière de laïcité notamment le renforcement de l’application du principe de laïcité par tous les organismes chargés de l’exécution d’une mission de service public et notamment l’insertion de clauses spécifiques dans les contrats de la commande publique (art. 1er) ; l’obligation de formation de tous les agents publics au principe de laïcité (art. 3) ; la nomination de référents laïcité dans toutes les administrations (art. 3) ; le renforcement du contrôle de la mise en œuvre du principe de laïcité par les collectivités locales via le déféré laïcité (art 5).

Rq.Depuis 2015, le 9 décembre, date anniversaire de la loi sur la séparation des Églises et de l’État, on célèbre la journée nationale de la laïcité. Une manière de rappeler l’importance de cette valeur fondamentale, objet de controverses récurrentes. Dans un sondage Ifop de mai 2023, 67 % des Français estiment que la laïcité est menacée. Pour autant, les français y sont attachés puisque selon ce même sondage 71 % des Français souhaitent conserver la loi de séparation des Églises et de l’État, 21 % souhaitent l’assouplir et 8 % la supprimer.

Billet de un dollar américain. Source : BNF.

Cette conception de la laïcité est particulière à la France. À l’étranger, les pays occidentaux fonctionnent différemment. Ainsi, en Allemagne, les Églises et l'État sont séparés (il n'existe pas de religion officielle), mais il existe une coopération dans beaucoup de domaines, particulièrement dans le secteur social. Les Églises et les communautés religieuses, si elles sont puissantes, stables et respectueuses de la constitution, peuvent obtenir le statut spécial de « corporation de droit public », qui permet aux Églises de prélever auprès de leurs membres un impôt appelé Kirchensteuer (littéralement « taxe d'Église »), qui est collecté par l'État. Aux États-Unis, officiellement, la religion est séparée de l’État par le premier amendement du 12 décembre 1791 de la constitution de 1787. Pourtant, les références à Dieu sont omniprésentes dans la pratique politique : George Washington, fut le premier président à introduire le serment sur la Bible, alors que la constitution ne prévoyait qu’un simple serment. On note également le « In God we trust » sur les pièces et billets, qui est devenu la devise officielle des États-Unis. Dans les États où, à l'occasion d'un procès (ou de la prise de fonction d'un gouverneur ou d'un shérif, par exemple), les témoins doivent jurer de dire la vérité sur un « document sacré », le choix est possible entre tous les « documents » disponibles. La définition du Dieu auquel se réfère l’État américain est pensée et vécue comme le point commun à toutes les religions ; il ne s’agit donc pas d’un Dieu précis, attaché à un culte défini. D’une manière différente de la France, où l’État rassemble par son indifférence aux cultes, l’État américain rassemble en créant un point commun qui est le fait de croire. En se refusant toute ingérence étatique dans la vie religieuse des citoyens, les fondateurs des États-Unis ont attiré dans leur pays de nombreux immigrants très religieux, parfois brimés dans leurs pays d’origine. La forte religiosité américaine, qui connaît son pic pendant la guerre froide, n’est donc pas le vœu des fondateurs du pays mais la conséquence des conditions dans lesquelles le pays s’est construit. En Europe, certains pays ont une Église d’État (la Grande-Bretagne avec l’Église Anglicane, la Finlande, le Danemark, avec l’Église Luthérienne), d'autres fonctionnent sur le système du Concordat avec le Vatican (l’Autriche, la Belgique, l'Espagne).
Rq.Ainsi, la majorité des États laïques européens et mondiaux pratiquent une forme de reconnaissance légale des différentes religions, allant jusqu’à leur éventuel subventionnement par l’État selon des critères variés se rapportant à l’histoire du pays, l’ancienneté de leur ancrage territorial, à leur représentativité d’un point de vue quantitatif et à leur adhésion avec le pluralisme de la société et le fonctionnement démocratique de l’État. Par exemple, l’Italie, l’Espagne et certains pays d’Europe de l’Est ont mis en place des systèmes de conventions avec les différentes religions existant sur leur territoire.

Lorsque coexistent plusieurs religions, il arrive comme en Inde ou au Nigeria que l’État accorde une semi-autonomie aux institutions religieuses vis-à-vis du régime juridique national ; notamment en ce qui concerne les lois sur le statut personnel et sur la famille.

Il n’y a donc pas une forme de laïcité, il y en existe 7, les laïcités antireligieuse, gallicane, ouverte, identitaire, concordataire, séparatiste stricte et séparatiste inclusive.

C’est lorsque les instances religieuses ont une forte emprise sur le plan politique et social, lorsque l’État peut se définir comme religieux avec un cadre juridique qui renvoie à une interprétation des textes religieux (Iran, Pakistan….) que la place de la religion peut poser problème, si elle empiète sur la liberté de conscience des citoyens, sur la liberté d’expression, sur les droits de l’homme en général.

Sy.À l’échelle mondiale, la place occupée par la religion dans le champ du politique n’a cessé de s’affirmer, avec l’émergence d’États religieux, avec la multiplication des revendications d’ordre religieux. Mais au fond, la religion a-t-elle déjà été une question privée, séparée de l’état par un mur infranchissable ? Même en Europe, occidentale, bastion de la laïcité, les religions ont pesé et pèsent toujours sur les régimes de protection sociale et sur les lois touchant à l’avortement et à la fin de vie. Il suffit de se rappeler l’importance de la mobilisation contre le mariage pour tous, les débats lors de l’inscription de l’IVG dans la constitution, les réticences générales lorsqu’il a été question de transformer des jours de congés catholiques en jours de congés liés à des fêtes juives ou musulmanes, la popularité de fêtes de bénédiction de bateaux ou de vendanges, ou encore les appels à la solidarité pour les chrétiens d’Orient pour se rendre compte du poids de la religion catholique sur la société française. La religion a joué un rôle important dans la formation des État-Nations, favorisant un sentiment de communauté et d’appartenance. Historiquement, elle a un poids considérable dont il faut tenir compte.
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