Ces rapports de force sont des rapports de pouvoir et des rapports économiques. Sans affirmer, comme Marx que toute l'histoire de l'humanité n'est que l'histoire de la lutte des classes, il n'en demeure pas moins que les frictions entre dominants et dominés sont un des moteurs de l'évolution sociale.
Section 1 : L’évolution de la contestation sociale
La contestation sociale connaît une longue histoire. Au XIIème siècle avant notre ère, en Égypte, sous le règne de Ramsès III, eut lieu ce qui est peut-être la première grève de l'histoire, lorsque les ouvriers de la nécropole royale cessent le travail jusqu'à ce que les arriérés de salaires leur soient versés. Les contestations sociales, dont le pivot se situe au XIXème siècle, jalonnent l'histoire.
§1. Les contestations sociales jusqu’au XIXème siècle
Dès l'Antiquité, les conflits sociaux apparaissent. Il s’agit de révoltes des classes sociales inférieures contre des mesures, jugées injustes, imposées par les classes supérieures.
À Rome, dès les premiers jours de la République, des tensions sociales apparaissent puisque après l’exil de Tarquin Le Superbe, dernier roi de Rome, la Cité est gouvernée par un petit groupe de familles constituées en caste fermée : les patres, les pères de la cité. Ils écartent du pouvoir le reste de la population, les plébéiens. Les luttes sociales opposant patriciens et plébéiens sont l’un des grands ressorts de l’évolution institutionnelle de la République.
En savoir plus
La première sécession de la Plèbe a lieu en 495 av. J.-C. Une nouvelle guerre contre les Volsques (peuple italique installé dans le sud du Latium) est imminente. Une grande partie des plébéiens est endettée, et les lois romaines sont particulièrement féroces contre les débiteurs : les créanciers, appartenant surtout à l'aristocratie sénatoriale et donc au patriciat, ont droit d'enchaîner, de vendre comme esclave ou encore de mettre à mort les débiteurs. Or l'armée romaine est composée de citoyens, majoritairement plébéiens. La plèbe refuse de se mobiliser et pour faire face à la menace des Volsques, les consuls doivent lui promettre de réformer la législation. Cependant, une fois les ennemis vaincus et l'armée démobilisée, les consuls n'honorent pas leur promesse. Les soldats, exaspérés, se retirent en armes sur le Mons Sacer (mont sacré). Devant cette sédition, les patriciens cèdent. La Plèbe obtient la création de la magistrature du Tribunat de la Plèbe, interdite aux patriciens, chargée de défendre son intérêt. Les tribuns de la plèbe sont inviolables. Ils peuvent s'opposer à n'importe quelle loi proposée par les autres magistrats : c'est l’intercessio. Les tribuns de la plèbe gagnent du pouvoir petit à petit. Par la Lex Publilia Voleronis, les plébéiens s’organisent par tribu, se rendant politiquement indépendants des patriciens.
Ensuite, ils réclament la mise par écrit des lois, par l'intermédiaire du projet de la Lex Terentilia, autour duquel Rome se déchire pendant une décennie, jusqu'à ce qu'une commission extraordinaire, les décemvirs, soit établie pour rédiger des lois écrites. La loi des Douze Tables est rédigée en deux fois. Elle constitue le premier corpus de lois romaines écrites. Leur rédaction est l'acte fondateur du droit romain, des institutions de la République romaine et du mos maiorum (le mode de vie et le système des valeurs ancestrales).
La contestation sociale connaît un nouvel épisode important avec les Gracques. Tiberius et Caius Gracchus vont tenter de mettre en place une réforme agraire. En effet, les grandes familles se sont constitué d'immenses domaines, les latifundia, où sont installés des paysans non propriétaires, les colons, et de nombreux esclaves. Elles forment la nobilitas, la noblesse qui accapare les magistratures et remplit le Sénat. À côté de cette noblesse foncière, apparaît une nouvelle classe d'hommes d'affaires qui s'enrichissent dans le commerce, la banque et le crédit. En ville, en revanche, le chômage s'accroît, la main-d’œuvre salariée est concurrencée par la masse des esclaves apportés par les conquêtes. Les réformes proposées par les Gracques visent à réduire l'étendue de terre pouvant être possédée par une même famille et à redistribuer aux pauvres les terres ainsi confisquées aux riches. Évidemment, les riches citoyens s'opposent à cette loi et les deux frères sont massacrés tour à tour et leurs réformes abandonnées.
Les tensions sociales ne sont pas l'apanage de Rome, elles sont présentes, avec plus ou moins de violence et de réussite à toutes les époques.
Au Moyen Âge, dans les conditions difficiles de la guerre de Cent Ans, la contestation sociale se développe. C'est ainsi que la Jacquerie apparaît. Au-delà de la pression fiscale, due au versement de la rançon du roi, la mévente des productions agricoles place les paysans dans une situation intolérable qu'aggravent les exigences des seigneurs qui cherchent à compenser l'effondrement de leurs revenus. Les Jacques reprochent aux nobles de ne plus savoir défendre le royaume et de vivre à leurs crochets. Il ne s’agit pas d’une révolte de la misère mais d’une révolte de paysans « aisés » qui, payant pour tout, supportent mal le joug nobiliaire. Écrasé dans le sang, le mouvement s’éteint et d’autres contestations apparaissent. C’est ainsi que le Tuchinat désigne originellement un mouvement de révolte de paysans pauvres et armés originaires de la haute Auvergne. Les Tuchins désignent également des bandes armées composées de paysans et d'artisans, soutenues par certains grands seigneurs et par l'élite urbaine du Languedoc. Ils s’opposent aux prélèvements fiscaux, à la présence de mercenaires et à l'attitude royale qui veut museler la bourgeoisie. Les chefs du Tuchinat sont expulsés en 1383 et les derniers Tuchins sont chassés.
Sous l'Ancien Régime, les dernières années du règne de Louis XIII sont marquées par des révoltes antifiscales, dont la plus célèbre est celle des Croquants (surnom méprisant donné aux paysans), en 1637 (d'autres révoltes de Croquants, moins importantes, avaient déjà secoué la France dès le règne d'Henri IV, père de Louis XIII). La France est en guerre contre l'Espagne depuis 1635 et elle intervient dans la guerre de Trente Ans. Exaspérée par la création de nouvelles taxes et par la présence de troupes dans les campagnes, auxquelles une ordonnance contraint de fournir des rations de blé, une partie de la population du Périgord se soulève en 1637. Dirigés par un gentilhomme, La Mothe-La-Forest, les insurgés s'attaquent aux collecteurs d'impôts et forment une armée de 8 000 hommes. La rébellion s'étend, atteint le Haut-Quercy, entre Lot et Dordogne. Pas moins de 3 000 hommes de l'armée royale sont obligés d'abandonner la surveillance de la frontière espagnole pour venir mater le soulèvement, au prix d'un millier de victimes.
Les chefs des Croquants sont condamnés à mort, au bannissement ou aux galères mais la masse des paysans et villageois est traitée avec plus de mansuétude. Le cardinal de Richelieu, accorde une large amnistie, ayant besoin de toutes ses forces pour combattre l'Espagne. Pour rétablir le calme, quelques impôts sont supprimés et quelques gabeleurs, chargés de la perception de la gabelle et de la surveillance de la contrebande du sel, trop zélés, sont condamnés.
Quelques années plus tard, en 1639, un autre mouvement prend vie, celui des va-nu-pieds, en Normandie. C'est encore une fois la pression fiscale, forte en Normandie, puisqu'il s'agit d'une des plus riches provinces du royaume, qui va mettre le feu aux poudres. La décision d'introduire la gabelle en Normandie, alors que de nombreux paysans vivent de la production de sel autour du Mont Saint-Michel, déclenche l'insurrection. Le 16 juillet 1639, Charles Le Poupinel, chargé de collecter les impôts, est assassiné par la population d’Avranches. Les troubles se répandent rapidement dans l’ensemble de la région, jusqu’à Caen, Rouen et Bayeux. Le général des insurgés, Jean Quetil, prend le nom de Jean Nu-Pied. Cette révolte regroupe presque toutes les catégories sociales : les paysans (manouvriers, sauniers…), des laboureurs, des clercs, des gentilshommes, (souvent appauvris), qui se chargent de l’exercice militaire, mais aussi des petits robins qui sont jaloux des officiers de gabelle qui ont réussi. Sur ordre de Richelieu qui veut faire un exemple, cette sédition est férocement réprimée. Les responsables sont jugés et les villes normandes perdent leurs privilèges.
Toutes ces révoltes, certes graves et sanglantes, n'ont pas fait trembler l'autorité centrale. Il en va différemment de la fronde qui va faire vaciller la monarchie.
La Fronde est un mouvement bourgeois qui réussit à récupérer la colère populaire, elle conteste l’absolutisme royal sur fond, encore une fois, de contestation fiscale et de guerre contre l'Espagne. Le Parlement de Paris entreprend de réformer ce qu'il estime être les abus de l'État. À l'initiative du conseiller Pierre Broussel, il constitue une Chambre qui aura à décider de la réforme de l'État. En juillet 1648, cette Chambre impose à Anne d'Autriche une charte de 27 articles contenant des réformes (suppression des intendants, enregistrement des édits fiscaux par les Cours, etc.) et donne au Parlement le droit de valider tout impôt nouveau. La régente, forte d'une victoire sur l’Espagne, fait arrêter plusieurs parlementaires, y compris Pierre Broussel, auquel son intégrité vaut une immense popularité. À cette annonce, Paris se soulève au cours d'une «journée des Barricades». La régente libère ses prisonniers mais s'enfuit à Saint-Germain-en-Laye avec Mazarin, le jeune roi Louis XIV et son frère Philippe. Pendant ce temps, l'armée royale, commandée par Condé, organise le siège de Paris. Craignant l'agitation populaire, le parlement négocie la paix de Rueil (11 mars) avec la régente, dont il obtient le pardon moyennant l'abandon de ses prétentions politiques. À cette fronde des Parlements succède une fronde des Princes, plus politique et moins sociale. Elle sera elle aussi vaincue par la royauté.
La Révolution de 1789 est aussi une contestation sociale, elle renverse l’ordre établi à partir, encore une fois, d'une question fiscale, l'exemption des couches favorisées mais aussi la pression fiscale exercée par un État à la limite de la banqueroute. Ainsi, à côté de la révolution politique a lieu, en juillet 1789, une révolte sociale symbolisée par la prise de la Bastille et surtout par la Grande Peur, révolte des paysans dans un contexte de rumeurs et de crainte d’un complot aristocratique. Ceci aboutit à l’abolition des privilèges dans la nuit du 4 août 1789. De même, en octobre 1789, la Marche des femmes (plusieurs milliers de femmes, guidées par des marchandes parisiennes, marchent sur Versailles et demandent au roi des réformes) provoque le retour du roi à Paris et le prive de l’indépendance qui lui restait.
La Révolution met fin à la monarchie absolue. Cependant, après l'épisode de la Terreur, le Directoire et le régime Napoléonien musellent les revendications sociales au profit de l'ordre et de la stabilité.
§2. Les contestations sociales à partir du XIXème siècle
Les contestations ouvrières se développent au XIXème siècle, qui est un siècle très agité socialement et politiquement. Elles sont liées à la révolution industrielle qui a permis l’émergence des ouvriers ainsi que le développement des idées socialistes dans un contexte de libéralisation de l'économie. Le luddisme fait son apparition (il s'agit de la destruction des machines par les ouvriers qui considèrent qu’elles menacent leur emploi). Désormais, les conflits sociaux se déroulent principalement dans le cadre des relations de travail.
Les premières associations se créent pour répondre à la précarité dans laquelle beaucoup d’ouvriers sont plongés, ce sont des sociétés de secours mutuel. Cependant, si l’ouvrier était secouru en cas de maladie, son travail n’était pas protégé et son salaire se réduisait. Ces sociétés se transforment donc en société de résistance, dont le but est de s’opposer collectivement aux employeurs et de soutenir les grèves et mobilisations, en particulier sur le plan financier.
Dans les années 1830, Lyon fait figure de ville pionnière pour les révoltes ouvrières. En 1831, les canuts (ouvriers tisserands de la soie sur les machines à tisser) s’opposent à une baisse constante des salaires et au refus de certains patrons de leur garantir un salaire minimal. Ils obtiennent un accord fixant un tarif minimum grâce à l'intervention du Préfet. Cette intervention est mal vue d'une partie des fabricants qui considèrent cet accord comme une marque de faiblesse, et qui refusent de l'appliquer. Les canuts se soulèvent en novembre 1831. Au terme d'une bataille rangée, ils sont maîtres de la ville, mais les chefs de l'insurrection, ne s'étant soulevés que pour obtenir l'application de l'accord, ne savent que faire de leur victoire. Ils reprennent rapidement le travail, pensant avoir obtenu l'application de l'accord. Cependant, à Paris, la nouvelle de l’émeute et de la prise de contrôle de la deuxième ville de France par les insurgés provoquent stupeur et consternation. Pour Casimir Perier, Président du Conseil, « Il faut que les ouvriers sachent bien qu’il n’y a de remède pour eux que la patience et la résignation ». Une armée de 20 000 hommes, conduite par le Duc d'Orléans, fils aîné de Louis-Philippe, entre dans la ville sans effusion de sang. Le préfet est révoqué et 90 ouvriers sont arrêtés, dont 11 qui seront poursuivis en justice et qui seront acquittés en juin 1832. En 1833, les tensions ressurgissent. Le patronat juge que la bonne conjoncture économique a fait augmenter de manière excessive les salaires des ouvriers et prétend leur imposer une baisse. En résultent un conflit, des grèves, dont les meneurs sont arrêtés et traduits en justice. Les Républicains profitent de ce conflit salarial pour déclencher un soulèvement qui est réprimé dans le sang par Adolphe Thiers. Quelques années plus tard a lieu l'insurrection des Voraces (société de canuts lyonnais) en 1848 et 1849.
La situation ouvrière change lors de la période libérale du Second Empire. En effet, si en 1791, la loi Le Chapelier interdit les coalitions de métier et les grèves, en 1864, Napoléon III fait voter une loi qui abroge le délit de coalition ouvrière mais qui interdit l’atteinte au libre exercice de l’industrie ou du travail. Cette loi reconnaît le droit de grève. Toujours en 1864 apparaît le Manifeste des 60. Il s'agit du premier véritable programme d’un mouvement ouvrier français. Les ouvriers affirment qu’ils constituent une classe sociale de citoyens. Ils revendiquent des instances représentatives et veulent se poser comme les interlocuteurs du régime. La Première Internationale est fondée en 1864 et se déroule à Londres, avec la participation des ouvriers français.
En 1884, une loi autorise la formation des syndicats professionnels, ce qui légalise les associations précédemment constituées. De puissantes associations professionnelles se créent alors. La Bourse du travail, centre de renseignement sur l’emploi et l’embauche se crée à Paris en 1887. Une loi de 1892 est relative à la conciliation et à l’arbitrage facultatif en matière de différends collectifs entre patrons et ouvriers ou employés. C'est une tentative de mettre sur pied des procédures de règlement pacifique des conflits collectifs du travail.