Df.La vie privée recouvre tous les éléments non publics relatifs à une personne, qui ne peuvent être exposés sans son consentement.
En France, l’article 9 du Code civil protège le respect de la vie privée depuis la loi n° 70-643 du 17 juillet 1970. Le droit au respect de la vie privée a un fondement constitutionnel. En effet, par un arrêt en date du 23 juillet 1999, le Conseil Constitutionnel a donné au droit à la vie privée valeur constitutionnelle sur le fondement de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Les composantes de la vie privée n'ont pas fait l'objet d'une définition ou d'une énumération afin d'éviter de limiter la protection aux seules prévisions légales. Les tribunaux ont appliqué le principe de cette protection au droit à la vie sentimentale et à la vie familiale, au secret relatif à la santé, au secret de la résidence et du domicile, aux opinions personnelles et au droit à l'image.
En France, l’article 9 du Code civil protège le respect de la vie privée depuis la loi n° 70-643 du 17 juillet 1970. Le droit au respect de la vie privée a un fondement constitutionnel. En effet, par un arrêt en date du 23 juillet 1999, le Conseil Constitutionnel a donné au droit à la vie privée valeur constitutionnelle sur le fondement de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Les composantes de la vie privée n'ont pas fait l'objet d'une définition ou d'une énumération afin d'éviter de limiter la protection aux seules prévisions légales. Les tribunaux ont appliqué le principe de cette protection au droit à la vie sentimentale et à la vie familiale, au secret relatif à la santé, au secret de la résidence et du domicile, aux opinions personnelles et au droit à l'image.
Section 1 : La marche vers la vie privée
Ce qui est considéré comme privé diffère selon les groupes, les cultures et les individus, selon les coutumes et les traditions bien qu'il existe toujours un certain tronc commun. La différenciation entre ce qui relève du public et ce qui relève du privé n'est jamais figée et a évolué au fil des époques.
§1. La difficile affirmation de la vie privée
Au temps de la Grèce antique, il y a, très schématiquement, une distinction privé /public de l’espace : au privé le monde de l’oikos, monde de l’économie familiale et au public le monde de la polis, monde du politique. Bien entendu, il existe des lieux intermédiaires, mi public mi privé (comme le banquet par exemple). Cette distinction se retrouve chez Périclès qui affirme qu’ « Étant libres dans ce qui concerne la vie publique, nous le sommes également dans les relations quotidiennes. Chacun peut se livrer à ses plaisirs sans encourir de blâme ou des regards blessants, quand même ils ne causent pas de mal. Malgré cette tolérance dans notre vie privée, nous nous efforçons de ne rien faire d’illégal dans notre vie publique ». En revanche, à Sparte, la vie privée des citoyens est strictement contrôlée et tout luxe est interdit.
À Rome, ces principes se retrouvent, mais il n’existe pas de protection, de garantie propre à protéger la vie privée. Au contraire, les élites dominantes ont fait de la transparence et de l’ouverture un trait dominant de leur société. L’aménagement interne des riches demeures patriciennes romaines est d’ailleurs conçu de façon telle que les espaces publics ou semi-publics occupent une place primordiale. Même dans les pièces les plus privées le riche romain vit constamment sous le regard des esclaves et serviteurs. Les classes dominées et particulièrement celle des esclaves, pourtant responsables d’une grande partie de la production de la richesse, n’ont pas du tout de vie privée. En effet, l’aménagement des espaces qui leur sont dévolus, surtout dans les vastes latifundia, ne laisse généralement aucune place à l’intimité (l’approche casernière qui prédomine ne permettant pas la protection de la moindre parcelle de vie privée). Par ailleurs, les esclaves sont aussi confinés dans la sphère de la vie privée du maître, puisque la participation à toute activité publique à titre personnel leur est interdite. Le pater familias omnipotent impose sa loi à tous les membres de sa maisonnée et à sa famille.
Le Moyen Âge est caractérisé par une certaine confusion entre le public et le privé, l’individu étant soumis à une surveillance à peu près continue de son entourage. Les solidarités collectives, féodales et communautaires encadrent et limitent l’individu. Malgré tout, c’est au Moyen Âge que le privé apparaît, il devient ce qui n’est pas public, c’est-à-dire ce qui ne relève pas de l’État. La diversification et l’augmentation des échanges marchands qui relèvent d’intérêts privés participent au mouvement de spécification du public et du privé. La vie bourgeoise dessine alors une distinction entre public et privé ; cette distinction recoupe alors celle nature/culture. L’individu est en représentation dans le domaine public, il est naturel dans le domaine privé.
À la Renaissance, un grand mouvement d'affirmation des individualités débute et voit l’individu s’émanciper de ses anciennes attaches globales, (il ne s'estime plus absorbé dans un grand ensemble tel que la cité de Dieu ou le Cosmos), pour donner libre cours à un souci de soi inédit. Cette période marque les débuts de la conquête de l’intimité individuelle. Il y a un affinement de la sensibilité, de la pudeur qui conduit certains actes (se moucher, déféquer, avoir des relations sexuelles), autrefois accomplis en public, à se privatiser. Néanmoins, au XVIème siècle, dans les châteaux, des pratiques dites aujourd’hui privées (recevoir des amis, s’occuper des enfants, se détendre...) se déroulent encore dans la salle d’apparat. Les gentilshommes et le roi sont en perpétuelle représentation ; non pas qu’ils manquent de moyen pour construire des espaces privés, mais ils n’en ressentent pas la nécessité et on attend d'eux que l'ensemble de leur vie se déroule au grand jour. La vie privée est quasi inexistante pour tous les individus publics, notamment pour le roi. L’enfant royal est un enfant public dont la naissance est offerte en spectacle à ses futurs sujets. Quelques années plus tard, on arrange pour lui l’union la plus utile à la dynastie sans égards pour ses inclinations. Pour La Bruyère, il ne « manque rien à un roi que les douceurs d'une vie privée ». Tous les gestes quotidiens se font en effet en public : se lever, se coucher, manger, se divertir.
C’est au XVIIIème siècle qu’un basculement s’opère. Il s’incarne d’abord dans une concentration sur la famille comme espace devenu plus privatif, moins ouvert. Le corps lui-même se privatise avec l’apparition de lieux consacrés à l’hygiène. Si, jusqu’à Louis XIV, le roi recevait sur sa chaise percée (et si son opération de la fistule en 1686 a lieu avec des invités), la salle de bain fait, à cette époque, son apparition dans quelques demeures princières tandis que la privatisation des toilettes est acquise au cours du XVIIIème siècle. À travers ces lieux d’intimité, on assiste également à la constitution d’une intimité psychique. Arrivée à Versailles à 15 ans, Marie-Antoinette, l’épouse du futur roi Louis XVI, trouve pesantes ces règles de la vie à la Cour et cette observation constante. Devenue reine en 1774, elle ne cessera de revendiquer son droit à la vie privée. Elle s’invente un style personnel pour affirmer sa singularité en investissant un espace privé, le Trianon, soigneusement protégé des regards importuns et qui devient d’ailleurs rapidement suspect aux yeux de ceux qui n’y ont pas accès. Marie-Antoinette ne s’en préoccupe pas. Jusqu’à la Révolution, sa conduite reflète sa volonté de se soustraire autant que possible à l’emploi du temps royal. Ainsi, la reine a-t-elle pu devenir pour la postérité un porte-drapeau des droits du privé. Néanmoins, jusqu’au XIXème siècle au moins, ces distinctions tardent à pénétrer le monde paysan et ouvrier.
Le Petit Trianon, domaine du parc du château de Versailles, dans les Yvelines, en France. Source : https://www.chateauversailles.fr
La montée en importance de la lecture et de l’écriture, grâce à l’invention de l’imprimerie permet un développement de l’intime, du privé. La lecture silencieuse s’impose ; elle traduit et provoque une individualisation plus poussée. La lecture publique ou la lecture à haute voix devient réservée soit aux classes pauvres qui ne savent pas lire, soit aux soirées de l’élite culturelle où, entre amis choisis, les aristocrates se font la lecture. La pratique de la lecture à haute voix en famille constitue aussi une pratique qui se développe et permet de resserrer les liens familiaux. Mais le savoir-lire ou écrire permet aussi de nouveaux modes de relations avec les autres, et avec le pouvoir. Sa diffusion façonne des sociabilités inédites et sous-tend la construction de l’État moderne qui appuie sur l’écrit sa manière nouvelle de dire la justice et de régler la société. D’ailleurs, à ces transformations correspondent aussi de nouvelles formes littéraires (le journal, la correspondance, l’autobiographie…). L’espace profondément public de la littérature médiévale (chansons de geste, théâtre…) devient alors plus intimiste dans son propos et dans ses formes. Le goût de la solitude et l’importance accrue de l’amitié entre personnes de même sexe traduisent ces sensibilités nouvelles.
Avec la Révolution, l’État, le public, entrent davantage dans la sphère familiale, sécularisant le mariage, prenant en charge l’éducation. La famille, la maison qui évolue (avec notamment la séparation des chambres des parents et des enfants) deviennent alors des refuges dans lesquels peut se développer la vie privée, loin des regards de l’État.
À la fin du XVIIIème siècle, le philosophe utilitariste Jeremy Bentham et son frère, Samuel imaginent le panoptique. Il s’agit d’un type d'architecture dont l'objectif est de permettre à un gardien, logé dans une tour centrale, d'observer tous les prisonniers, enfermés dans des cellules individuelles autour de la tour, sans que ceux-ci puissent savoir s'ils sont observés. L'idée de Bentham est inspirée par des plans d'usine mis au point pour une surveillance et une coordination efficace des ouvriers. Ces plans sont imaginés dans l'objectif de simplifier la prise en charge d'un grand nombre de travailleurs. Le philosophe et historien Michel Foucault, dans Surveiller et punir (1975), en fait le modèle abstrait d'une société disciplinaire, axée sur le contrôle social. Dans ce modèle, la vie privée disparaît totalement au profit d'une surveillance ressentie en permanence.
Plan du panoptique de Jeremy Bentham, 1791. Source : domaine public.
La prison de Stateville, en Illinois, est un exemple de panoptique. Source : https://ici.radio-canada.ca
§2. L'essor de la vie privée
Le XIXème siècle constitue l’âge d’or du privé. Cette privatisation concerne d’abord la famille. Dans la bourgeoisie, la vie privée coïncide assez exactement avec la cellule familiale qui tend à devenir une entité affective et un refuge des individus contre les agressions de la société. Parallèlement, le processus d’individualisation se poursuit grâce aux progrès de l’hygiène et de la médecine. Se déshabiller ou se laver en public devient peu à peu honteux jusque dans les classes populaires, et les premières salles de bains bourgeoises apparaissent à la fin du siècle. D’importantes différences subsistent néanmoins selon les classes sociales. Si dans les milieux bourgeois, l’habitation se caractérise par une séparation marquée entre les pièces de réception et les autres, les conditions d’existence des paysans ou des ouvriers ne leur permettent pas de mettre ainsi à l’abri des regards une partie de leur vie. Les éléments culturels comme le goût, les arts de la Table, l’aménagement interne des maisons deviennent des éléments de distinction au sein des classes dominantes et traduisent l’individualisation des mœurs. La vie privée atteint même le monde carcéral puisque dès 1875, une loi a posé le principe de l'emprisonnement individuel dans les établissements pénitentiaires sans que celui-ci soit jamais totalement respecté.
Un mouvement inverse s’opère : la resocialisation de fonctions autrefois privées. L’État puis les associations prennent peu à peu en charge une partie des questions d’éducation, de santé, d’alimentation, d’hygiène, d’entretien physique, tous ces aspects de la vie personnelle demeurés jusqu’alors l’apanage de choix individuels.
Cet intérêt pour la vie privée est présent dans le débat politique et constitue même une des composantes de la nouvelle conception de la liberté. C’est ainsi qu’au XIXème siècle, Benjamin Constant distingue la liberté des Anciens de celle des Modernes. Selon lui, les Modernes ont une conception toute différente de la liberté : « La liberté est, pour chacun, le droit de n'être soumis qu'aux lois, de ne pouvoir être arrêté, ni détenu, ni mis à mort, ni maltraité par la volonté arbitraire d'un ou de plusieurs individus. C'est, pour chacun, le droit de dire son opinion, de choisir son industrie et de l'exercer, de disposer de sa propriété, d'aller, de venir, sans en obtenir la permission et sans rendre compte de ses motifs. C'est, pour chacun, le droit de se réunir à d'autres individus, pour conférer sur ses intérêts, pour professer un culte, ou simplement pour remplir ses jours et ses heures d'une manière conforme à ses inclinations. Enfin, c'est le droit, pour chacun, d'influer sur l'administration du Gouvernement, soit par la nomination de fonctionnaires, soit par des représentations, des pétitions, des demandes, que l'autorité est plus ou moins obligée de prendre en considération ».
Selon Constant, pour les Anciens, la liberté était conçue comme la liberté politique, comme la participation effective et directe des citoyens au pouvoir. Pour les Modernes, la liberté est « la jouissance paisible de l'indépendance privée et la sécurité dans les jouissances privées. Le peuple ... tient à sa liberté surtout, parce qu'il y aperçoit la garantie de ses jouissances ».
Le XXème siècle voit la lente généralisation d’une organisation de l’existence autour de la distinction entre public et privé. L’histoire de la vie privée pour cette période est celle de sa démocratisation. L’élévation du niveau de vie offre la possibilité aux membres d’une famille d’épanouir leur vie privée à l’abri du regard des proches. De plus, cette vie privée se dédouble peu à peu : au sein de la vie privée familiale émerge celle de l’individu. Le lit commun puis la chambre commune disparaissent, l’écoute individuelle du transistor se substitue à celle collective de la télégraphie sans fil, l’introspection et les loisirs solitaires se banalisent. À partir des années 60, la scolarisation des filles, le mouvement féministe et le développement du travail salarié des femmes leur permettent d’accéder à leur tour à une vie privée indépendamment de leur famille et de leur mari et enfants. Enfin, l’investissement de la vie privée par l’État se poursuit. L’école, l’hôpital, la médecine, les organismes sociaux, enlèvent au monopole des familles la définition des normes, l’encadrement des comportements et l’acquisition des apprentissages sur de nombreuses questions touchant aux savoirs, aux mœurs et à la vie hors du travail.