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Histoire des institutions jusqu'en 1789

Gouverner l’État monarchique (XVIème – XVIIIème siècles)

Du XVIème au XVIIIème le renforcement de l’administration étatique devient une réalité incontournable, tant au niveau central qu’au niveau local. Le rayonnement de l’État monarchique atteint son apogée. L’uniformisation de l’assise territoriale est en voie d’achèvement et aucun secteur n’échappe désormais à sa maîtrise (militaire, financier, législatif, judiciaire).


A partir de François Ier, dans tous les domaines le pouvoir royal semble triompher (militaire, financier, législatif, judiciaire). En dépit des crises et des archaïsmes la période moderne est le moment où le système de gouvernement royal s'impose en France et en Europe.

Avec l'âge moderne la monarchie se dépouille de ses derniers oripeaux médiévaux et adopte la modernité étatique en se dotant d'un important appareil administratif (Section 1) et en assumant des missions de plus en plus complexes (Section 2).

1. L'administration de l'État monarchique


Durant les trois siècles de l'Ancien Régime on observe une emprise croissante de l'État sur la société. Cette mutation nécessite des moyens nouveaux et importants. Un personnel de plus en plus nombreux et qualifié est nécessaire : les agents de la monarchie. Cela nécessite de définir et clarifier le statut des plus nombreux d'entre eux, officiers et commissaires (§1). L'appareil administratif se renforce et se structure autour d'organes centraux (§2) et territoriaux (§3).


Jusqu'à sa chute la monarchie d'Ancien Régime a disposé d'un personnel varié, divisé par de profonds clivages. Il n'existe pas une, mais plusieurs catégories parmi les agents de l'État participant au gouvernement du royaume : nous traiterons essentiellement des officiers (A) et des commissaires (B).


Les officiers sont la catégorie d'agents au service du roi, à la fois la plus ancienne et la plus nombreuse. Ils doivent leur nom au fait qu'ils sont titulaires d'un office, c'est à dire une fonction publique pourvue par le roi (provision), rémunérée par des gages modestes, mais complétée par des taxations attachées à la plupart des opérations qu'ils accomplissent (épices et vacations des officiers de judicature par exemple).

Df.Au XVIIème s. le juriste Charles Loyseau définit l'office comme une « dignité ordinaire avec fonction publique ». Il existe dignité parce qu'il y a participation au pouvoir royal et fonction publique parce qu'il s'agit de fournir service au roi et à l'État.

A l'origine l'office est un don gratuit du roi contre versement d'un prêt par l'officier, moyennant le versement de gages modestes qui sont comme les intérêts du prêt. En général il s'agit d'une charge inamovible. L'office est donc perpétuel et toujours pourvu par le roi par lettres patentes de provision, puisque l'office reste la propriété de la couronne. L'officier n'en est donc que le détenteur précaire, ce qui renvoie à la distinction classique dans l'ancien droit des biens entre domaine éminent et domaine utile. A ce titre l'officier n'est censé jouir que des utilités de sa charge.
On observe une grande diversité d'offices. L'office peut ainsi être éminent (magistrat de cours souveraine, maître des requêtes), de moindre importance (officiers des présidiaux et bailliages, sénéchaussées, etc.), voire très modeste (huissiers, sergents, etc.). Dignité, honneurs, titre et fonction sont les composantes de l'office qui procure à son titulaire un « état », c'est-à-dire un rang dans la société d'Ancien Régime.

L'originalité de l'office tient au fait que son statut va évoluer au début du XVIème s. Sa vente se généralise sous le règne de François Ier à un point tel que l'office tend à se transformer en un véritable objet de commerce et de transaction. Il devient l'objet d'un véritable droit de propriété. On parle ainsi de vénalité de l'office lorsque son détenteur en obtient la propriété. Sans que cela soit systématique – dérogation à la vénalité institutionnelle pour les offices du gouvernement domestique par exemple (maison du roi, armée, marine) –, le pouvoir royal s'autorise donc désormais à vendre des offices (justice, finance) et à reconnaitre à leurs acquéreurs le droit de les vendre. On constate là un double moyen pour le roi de renflouer les caisses du trésor royal et de fidéliser certaines personnes.

Vénaux, les offices sont également, sous certaines réserves, transmissibles pour cause de mort ; c'est l'institutionnalisation de l'hérédité des offices.
En savoir plus : La transmission des offices

Le roi, au XVIème s., admet la désignation par un officier (le résignant) de son successeur (le résignataire). La réserve consiste dans le fait que, pour être effective, la résignation doit être faite du vivant du résignant en faveur du résignataire, au moins quarante jours avant l'expédition des lettres de provision. Dans le cas contraire l'office fait immédiatement retour à la couronne, ce qui présente le risque majeur d'appauvrir les patrimoines. Au début du siècle suivant un aménagement décisif est alors apporté au système par Henri IV. La dispense de la clause de quarante jours est accordée aux officiers à la condition, pour ces derniers, de verser annuellement au trésor royal une somme (droit annuel), s'élevant au soixantième de la valeur de l'office ; cette taxe est appelée « paulette » en écho au nom de l'inventeur du système en 1604, le financier Charles Paulet. Les officiers s'acquittant de cette taxe peuvent librement disposer désormais de leur office, en le vendant ou le transmettant à un héritier.
Entre 1600 et 1633 le produit des offices représente jusqu'à 45 % du total des recettes royales ; les historiens parlent d'ailleurs des offices comme de « la banque de la monarchie ». Le pouvoir royal n'hésite pas, en effet, à utiliser l'office comme un levier purement fiscal. Au gré des besoins, souvent liés au financement des guerres (guerre de la Ligue d'Augsbourg de 1688 à 1697, guerre de succession d'Espagne de 1701 à 1714), on constate la création massive d'offices qui se révèlent souvent être de véritables sinécures. On peut comparer cette pratique à l'émission de véritables emprunts, permettant d'apporter de l'argent frais. Mais les conséquences à long terme se révèlent redoutables : les gages perçus par les officiers grèvent lourdement le trésor royal, le roi perd le contrôle sur les officiers et le prix de l'office tend à s'effondrer au XVIIIème s., sauf rares exceptions (office de secrétaire du roi). L'office est donc l'objet de critiques au dernier siècle de la monarchie, dont celles de Montesquieu qui, à cause de la patrimonialisation, le considère comme « un métier de famille ». Le gouvernement tend à lui préférer le système de la commission.

Cette catégorie d'agents de la monarchie est très différente de la précédente.

Df.Les commissaires sont investis d'une mission particulière par des lettres de commission qui définissent l'étendue de leurs attributions et de leurs pouvoirs. Ces agents ne disposent en principe d'aucun droit sur leurs fonctions. Le roi les choisit librement et il les déplace et révoque à sa guise.

La technique de la commission devient une pratique courante à compter du XVIIème s. Gardes des sceaux, ambassadeurs, certains membres du conseil, gouverneurs, intendants (v. infra 1.3.2) sont des commissaires et exercent leur fonction à ce titre. Mais par rapport au vaste groupe des officiers, l'effectif des commissaires est beaucoup plus réduit. Il offre pourtant à la monarchie l'avantage de la souplesse (amovibilité, révocabilité, donc fidélité) et constitue ainsi l'instrument le mieux adapté à la réalisation de ses projets.
La commission est révélatrice de l'émergence d'une conception renouvelée de la fonction publique et qui se superpose à l'ancienne. Ainsi, les officiers incarnent le visage ancien de la monarchie – celui où la royauté était assimilée à la justice – alors qu'au contraire, les commissaires, sont les nouveaux serviteurs de la monarchie administrative.


À l'époque moderne les tâches de l'État se multiplient. Le gouvernement royal se dote d'un personnel de plus en plus spécialisé, les ministres (A) et d'une structure administrative de plus en plus sophistiquée, le conseil (B).
Dans le principe il s'agit toujours d'un gouvernement par conseil, car le roi n'est pas tenu par les avis qu'il sollicite. Pour autant, dès le règne de Louis XV, beaucoup de décisions revêtues de l'autorité du roi sont prises par les ministres ou leurs chefs de service, consacrant ainsi le passage à une monarchie de type administrative.


Le terme ministre ici est employé dans son sens contemporain, à savoir le chef d'un secteur particulier de l'activité gouvernementale doté d'une administration (commis, bureaux) qui lui est spécialement préposée. Dans cette acception, et en schématisant à l'extrême l'histoire administrative ici, le roi compte environ six ministres depuis la fin du XVIème s. Le chancelier de France d'abord, principal personnage de l'État, grand officier de la couronne (1). A côté de lui on trouve quatre secrétaires d'État (2), entre lesquels sont répartis les différents départements ministériels (guerre, marine, affaires étrangères, maison du roi) et le surintendant des finances puis contrôleur général des finances, à partir de 1665 (3). Chacun d'eux est responsable d'un département ministériel.


Tx.Le célèbre dictionnaire du juriste Claude-Joseph de Ferrière nous livre de précieux renseignements sur les « secrétaires d'états ».

Claude-Joseph De Ferrière, Dictionnaire de droit et de pratique, t. II, Paris, 1740, v° Secrétaires d'État.

« Les secrétaires d'État, sont des Secrétaires du Roi, et de ses Commandements, à cause du secret et des affaires importantes qui leur sont communiquées. Ils sont aussi appelés Notaires du Prince Souverain, parce que leurs fonctions approchent de celles des Notaires, en donnant foi et autorité aux actes du Prince, qu'ils contresignent pour lui, en sorte qu'ils ont la même autorité que s'ils étoient signés de sa main.
Ils expédient les dépêches de Sa Majesté, ses Letters de cachet, ses Brevêts, les Arrêts du Conseil d'en Haut, et les provisions qu'ils signent en commandement. Ils gardent et signent les minutes des Traités de paix, des contrats de mariage passés en présence du Roi, et des autres affaires importantes de la Couronne. Enfin, ils expédient les dons et les grâces que Sa Majesté accorde pendant les mois qui leur sont assignés.
[...] Ils étoient autrefois qualifiés de Secrétaires des Finances, et étoient tirés du corps des Secrétaires du Roi [...] Jusqu'en 1588, ils avoient prêté serment entre les mains du Chancelier, ou du Garde des Sceaux ; mais Henri III voulut qu'un nouveau pourvû de cette charge, prêtât le serment immédiatement entre ses mains ; ce qui a toujours été observé depuis. Louis XIII par un Règlement du 11 mars 1626 fixa les départements des quatre Secrétaires d'État [...] Ils conduisent les Députés des Parlements, des Etats, des Provinces, etc. à l'audience de Sa Majesté, chacun suivant le département dans lequel ces Compagnies sont situées. Toutes les lettres qui sont écrites au Roi, doivent aussi être adressées à celui des Secrétaires d'État, dans le département duquel elles sont tombées.
Ils se trouvent ordinairement au lever du Roi, et par tout où Sa Majesté l'ordonne, pour être à portée de ses ordres ».

En savoir plus : Principal ministre

A cet organigramme de base, certains rois n'hésitent pas à ajouter un « principal ministre » : Richelieu sous le règne de Louis XIII (1624-1642), Mazarin sous celui Louis XIII et de Louis XIV (1643-1661), le duc de Bourbon sous celui de Louis XV (1723-1726), Loménie de Brienne, enfin, sous le règne de Louis XVI (1787-1788). Dotés de pouvoirs importants et aux contours imprécis, ces ministres particuliers conduisent l'action des six ministres sans nécessairement diriger de département particulier. Mais le tableau ne serait pas complet sans les membres appelés à siéger dans les conseils de gouvernement qui portent le titre de ministres d'État (v. infra 1.2.2.1) et certains grands décideurs, dépourvus du titre de ministre mais disposant de la confiance du roi (le directeur général des bâtiments, sorte de ministre des beaux-arts ; le lieutenant général de police de Paris ; le prélat chargé de la feuille des bénéfices, chargé de la nominations aux évêchés et aux grandes abbayes ; le surintendant des postes ; le directeur général des fortifications ; et encore les intendants des finances et du commerce).

Personnage de premier plan dès le Moyen Age, le chancelier jouit durant le premier âge moderne d'un important prestige, notamment par les prérogatives considérables qui lui sont assignées et les énormes gages et appointements qui en découlent. Bien que nommé par le roi (sauf entre 1372 et 1441 où il est élu) et que son office ne soit ni vénal ni transmissible, le chancelier jouit d'une grande indépendance. Le roi ne peut par exemple s'en séparer que si le chancelier est condamné pour forfaiture (cas du chancelier Poyet en 1545). Censé incarner la continuité de l'État, le chancelier est le seul personnage du royaume, avec le jeune roi, à ne pas porter le deuil au moment de la mort du roi. Ses importantes attributions (chef du Conseil en l'absence du roi, chef de la justice, gardien du sceau royal, contrôleur de la librairie, etc.) lui ont d'ailleurs values le qualificatif de vice roi. Seront ici seulement évoquées ses compétences en matière de contrôle des actes royaux (1.1) et de justice (1.2).

Habillement du Chancelier (Patas, Charles Emmanuel : 1744-1802, Graveur). Source : BNF - domaine public.



Le chancelier dirige les services de la chancellerie
. À cet égard il est chargé du service des écriture, de l'apposition du sceau, puis de l'expédition de tous les actes législatifs. Il peut à ce titre prendre des initiatives législatives, pour la bonne administration de la justice. En tant que gardien des sceaux il est chargé de contrôler l'authenticité et le contenu des lois du roi. C'est à l'occasion d'une cérémonie publique rituelle et suggestive, l'audience du sceau, que le chancelier procède au scellement des actes royaux, après que la lecture d'un rapport sur les lettres à sceller lui a été faite.

Édit de Louis XIV portant révocation de l'édit de Nantes, Fontainebleau, octobre 1685. Cahier de parchemin - Grand sceau de cire verte sur lacs de soie rouge et verte, représentant le roi en majesté. Source : Archives nationales, musée de l'Histoire de France, AEII 887, supplément du Trésor des Chartes.


Le chancelier a ainsi la possibilité d'exercer un véritable contrôle des décisions royales. Il peut refuser de faire sceller les actes qui ne lui paraissent pas conforme à la justice et à l'équité, aux décisions du Conseil et à l'intérêt du royaume. Il peut ainsi s'opposer au roi, mais cela reste rare. Si le roi refuse de suivre l'avis du chancelier, ce dernier n'est pas tenu de sceller les lettres. Le roi n'en a pas moins le dernier mot, car il peut sceller lui-même les actes ou nommer un commissaire révocable auquel il confie la garde des sceaux : le simple garde des sceaux, suppléant du chancelier. Entre 1551 et 1790, 24 gardes des sceaux vont ainsi se substituer à dix-sept chanceliers résistants.

Tx.Le serment du chancelier à son entrée en charge. Début XVIème s. (extrait). Cité dans P. Viollet, Le roi et ses ministres, Paris, 1912, p. 176.

« Quand on vous apportera à sceller quelque lettre signée par le commandement du roi, si elle n'est de justice et de raison, ne la scellerez point, encore que ledit seigneur le commandât par une ou deux fois, mais viendrez par devers icelui seigneur et lui remontrerez tous les points par lesquels ladite lettre n'est pas raisonnable. Et après qu'aura entendu lesdits points, s'il vous commande de la sceller, la scellerez, car alors le péché sera sur ledit seigneur et non sur vous. Et ferez tous actes concernant l'état et qui conviennent être faits par un bon et loyal chancelier, comme ledit seigneur a en vous sa parfaite fiance , et ainsi jurez et promettez ».

Pour mener à bien sa mission le chancelier dispose des services de la Grande Chancellerie. La chancellerie s'étoffera progressivement et se dotera d'un personnel permanent et spécialisé (maîtres des requêtes, audienciers, contrôleurs).

Le chancelier est le premier magistrat du royaume ; à ce titre il est le chef de l'administration de la justice. Second symbole de la « monarchie justicière », après le roi, il lui revient d'être le porte parole du roi auprès des cours. Il peut donc présider les cours souveraines (les parlements notamment), les états généraux et les assemblées de notables ; on dit de lui, du reste, qu'il est la bouche du roi. Il a droit d'entrée et de présidence dans tous les tribunaux et cours du royaume. Il supervise aussi l'organisation et le bon fonctionnement des cours de justice inférieures (royales, seigneuriales, municipales). Cela le situe au sommet de la hiérarchie des officiers du royaume. C'est la raison pour laquelle il délivre les lettres de provision d'offices et reçoit le serment des nouveaux officiers. Au XVIIème s., et particulièrement à partir de Mazarin, le rôle du chancelier décline. Ses pouvoirs sont considérés comme trop importants et il se heurte également à l'ascension des secrétaires d'État qui tendent à occuper les premières places. Ce glissement illustre le passage de l'État de justice, que le chancelier incarne, à l'État de finance (monarchie administrative).


L'origine des secrétaires d'État remonte au Moyen Age. Ils ne sont alors pas qualifiés secrétaires, mais davantage notaires attachés à la personne du roi. Leur tâche consiste pour l'essentiel à mettre en forme les actes royaux et rédiger les procès verbaux des conseils du secret. C'est de là qu'ils tirent leur appellation de clercs du secret, d'où vient celle de secrétaire. Ils forment rapidement une sorte d'élite intellectuelle au service du roi qui les distingue de leurs collègues notaires. Ces secrétaires se spécialisent dans certaines activités au XVème s. (commandement, finances, guerre, Conseil, etc.), activités monopolisées au XVIème s. par trois à cinq d'entre eux que le roi associe de plus en plus étroitement aux tâches gouvernementales. C'est Henri II qui fixe leur nombre à quatre, par un règlement du 1er avril 1547 ; ils sont alors qualifiés de secrétaires des commandements et finances. Durant la seconde moitié du XVIème s. l'appellation secrétaire d'État apparaît officiellement pour la première fois, avec la nomination à ce titre le 1er septembre 1558 de Florimond Robertet de Fresnes. Par la suite le roi confie officiellement la direction des grands services publics à ces hommes de confiance qui prennent définitivement le nom de secrétaires d'État.
Habillement d'un Secrétaire d'État assistant (Charles Emmanuel Patas, graveur, 1775). Source : BNF - domaine pubic.


Statutairement ils sont des officiers, propriétaires de leur charge, et le roi leur accorde souvent de la transmettre à un survivancier . Cette tendance viagère favorise la création de véritables dynasties de secrétaires d'État, dont l'une des plus fameuse est celle des Phélipeaux qui occupe des charges de secrétaire d'État sans discontinuer de 1610 à 1775. Si jusqu'à la fin du règne de Louis XIV ils sont surtout choisis dans la robe, avec la réaction aristocratique de la Régence, à partir de 1715, le recrutement des secrétaires d'État tend à privilégier le milieu de la haute noblesse. Véritables gestionnaires de l'État, administrateurs professionnels, ils illustrent le changement de visage de la monarchie qui se détourne désormais des juristes (légistes) qui lui avaient donné son assise.

Personnages désormais incontournables dans la composition du gouvernement, leur réunion auprès du roi constitue le ministère. Une série de règlements (15 sept. 1588, 5 févr. 1624, 11 mars 1626) et de décisions royales contribuent à affiner leurs attributions et accentuent la spécialisation thématique. On parle alors de départements, terme qui est l'origine de nos actuels départements ministériels. La physionomie de l'organigramme de ces départements a évolué avec le temps. L'effort de synthèse est donc difficile et altère la précision. L'érudition historique n'a pour autant pas lieu d'être ici. On retiendra donc une répartition standard, à partir de laquelle certains aménagements ont été opérés au fil des différents règnes, mais cette répartition était néanmoins celle en vigueur sous Louis XIV : affaires étrangères ; guerre ; religion prétendue réformée ; maison du roi, clergé et marine. Si à l'origine les attributions des secrétariats d'État sont géographiques, la logique thématique s'impose progressivement, laissant l'administration de l'essentiel des provinces du royaume à deux départements à la fin du XVIIIème s. : celui de la guerre (pour les provinces frontières) et celui de la maison du roi pour les autres (là encore de nombreuses modifications eurent lieu au cours de la période).

On comprend par cette évolution que les secrétaires d'État incarnent le processus de rationalisation de l'action gouvernementale, processus renforcé du reste par l'étendue de leurs moyens d'action.

Les secrétaires d'État ont pour mission première de consigner par écrit les ordres du roi et d'en assurer l'expédition. Ils exercent donc un rôle capital au sein du Conseil du roi (v. infra 2). Ce sont eux en effet qui notifient aux agents du roi (intendants, gouverneurs, généraux d'armée, ambassadeurs, etc.) les décisions prises lors des séances du Conseil et des audiences particulières ; il s'agit des actes en commandement (lettres patentes, lettres closes, lettres missives, lettres de cachet, ordres du roi, ordonnances sans adresse ni sceau, règlements, arrêts du Conseil, etc.) Le plus souvent les secrétaires d'État contresignent ces actes du roi, dans un souci d'authentification notamment, car le roi prend l'habitude de ne pas signer toutes les lettres de sa main.

Les secrétaires d'État disposent d'une marge de manœuvre suffisante, leur permettant d'interpréter les ordres officiels du roi, afin d'en faire comprendre le contenu aux agents de celui-ci. C'est ainsi que les secrétaires d'État rédigent des directives en leur nom propre à destination des agents de la monarchie, dans le cadre de leur département. Ils improvisent d'ailleurs parfois, ce qui est encouragé par Louis XIV notamment. Ils participent ainsi, avec le souverain, aux tâches administratives, car ils sont en outre les destinataires de l'ensemble de la correspondance adressée au roi.

Jusqu'en 1661, c'est le surintendant des finances qui fait figure de ministre des finances, aux pouvoirs exorbitants. Il était l'ordonnateur direct des dépenses de l'État. Mais à cause de la trop grande personnalisation de la fonction et du pouvoir considérable de ce ministre, Louis XIV supprime la surintendance et en 1665 lui substitue le contrôleur général des finances. Le contrôleur, désormais, doit contrôler les finances en visant toutes les pièces de recettes et de dépenses, mais il n'a plus le droit d'ordonnancer seul les dépenses de l'État : le roi est l'ordonnateur. Le contrôleur est un commissaire aux doubles pouvoirs : il assure la direction et la coordination de tous les agents publics ayant des compétences financières et il assure aussi la préparation du budget. Directeur de l'économie enfin, il assure dans ce domaine toute la responsabilité. Comme au XVIIème s. toute l'économie passe sous le contrôle de l'État, cette situation fait du contrôleur général des finances un personnage de premier plan (ce fut le cas de Colbert).
Après l'évolution constatée des secrétaires d'État, celle du contrôleur général atteste la transformation d'un État de justice en un État administratif et gestionnaire. La structure du Conseil du roi révèle la même évolution.


Le Conseil du roi est issu du démembrement de la curia regis médiévale (cf. leçon 6). Selon la tradition monarchique le roi pour gouverner doit prendre conseil et s'entourer d'avis, ce qui constitue un refuge contre l'arbitraire (le roi n'est cependant pas tenu par ces avis). Gouverner par conseil constitue donc un principe de bon gouvernement.

Le Conseil est un organe de gouvernement en ce qu'il conseille le roi, mais c'est aussi un organe de justice au sein duquel le roi exerce sa justice retenue. Malgré l'apparition de formations de plus en plus spécialisées depuis le règne d'Henri II, l'u nicité du Conseil demeure un dogme monarchique. Parce que les différentes sections du conseil expriment toujours la volonté du roi, le Conseil reste unique dans son principe ; d'où l'adage, « un roi un conseil ». Fort de cette unité le Conseil peut délibérer sans contradiction sur toutes les affaires, car sa compétence n'a pas de limites (justice, administration, législation, finances, affaires étrangères, guerre et affaires politiques délicates.) A partir des années 1660 le Conseil du roi devient d'ailleurs « l'organe suprême de décision politique, administrative et judiciaire, le centre nerveux du gouvernement » (Barbiche). On sait du reste que c'est en son sein que sont pris les ordres et les instructions transmis par les secrétaires d'État aux agents de la monarchie (v. supra 2).

Louis XIV tenant les sceaux en présence des conseillers d’État et des maîtres des requêtes, vers 1670, huile sur toile, 110 x 128 cm, Versailles. Source : Ressources pédagogiques du Château de Versailles - domaine public.


L'organisation de son activité et la répartition des formations spécialisées ont été régulièrement modifiées par des règlements nombreux et détaillés, et ce dès le règne d'Henri II. La structuration du Conseil a été lente et empirique, parfois irréfléchie, ce qui n'en facilite pas la synthèse. De 1550 à 1650 environ, différents conseils apparaissent, progressivement détachés de l'organe central qu'est le Conseil d'État. Il s'agit des conseils politiques (Conseil des affaires et plus tard du Conseil des dépêches) dans lesquels sont traitées les affaires d'État les plus importantes (politique étrangère et intérieure, guerre, affaires de finances importantes), des conseils pour les finances (Conseil d'État et des finances et Conseil de direction des finances), enfin d'un conseil aux fonctions proprement judiciaires (Conseil privé ou Conseil des parties).
C'est là la physionomie du Conseil au tout début de la décennie 1660. Après cette date l'organe va être remanié par Louis XIV. Le Conseil se stabilise alors et se perfectionne. L'une des réformes du Conseil en effet parmi les plus marquante, fut celle opérée par le règlement du 15 septembre 1661.
En savoir plus :  1661, le roi devient son propre principal ministre

Au lendemain de la mort du cardinal Mazarin (8 mars 1661) le roi avait d'ailleurs déjà fait connaître ses intentions à ses ministres : « Jusqu'à présent, j'ai bien voulu laisser gouverner mes affaires ; je serai, à l'avenir, mon premier ministre. Vous m'aiderez de vos conseils quand je vous le demanderai. Je vous prie et je vous ordonne de ne rien sceller que par mes ordres, de ne rien signer sans mon consentement ». Louis XIV, tout jeune roi, manifestait là sa volonté de gouverner personnellement. Les États généraux n'étant à l'époque plus convoqués, le Conseil devient alors le seul organe de consultation.
À partir de cette date on distingue deux grandes formes de réunion du Conseil, celles présidées par le roi et celles présidées par le Chancelier. Dans les formations où le roi est présent les affaires les plus importantes y sont débattues. Ce sont les conseils politiques, dits de gouvernement, présidés par le roi en personne (1). Ils réunissent pour la plupart les six ministres et éventuellement d'autres personnalités sollicités par le roi soit à titre personnel, soit pour leurs compétences. D'autres conseils ne sont présidés que théoriquement par le roi, cette tâche revenant au Chancelier. Il s'agit des formations contentieuses, les conseils de justice et d'administration (Conseil d'État privé, finances et direction). Ils sont chargés de trancher les affaires judiciaires au moyen d'arrêt simples (2).


On trouve pour l'essentiel trois formations au sein des conseils de gouvernement.


Le Conseil d'en Haut (initialement Conseil des affaires avant la seconde moitié du XVIIème s., puis Conseil d'État au XVIIIème s.) dispose d'une compétence universelle. Toutefois, avec le temps, il se consacrera essentiellement à la politique générale, intérieure comme internationale (diplomatie, guerre, politique étrangère).
Le nombre de ministres appelés dans ce conseil est restreint (de 3 à 5) et ils portent le nom de ministres d'État. Nommés par le roi, il s'agit généralement de secrétaires d'État (ceux des affaires étrangères, de la guerre et de la marine) et du contrôleur général des finances. Il se réunit de deux à trois fois par semaine et tient par ailleurs des séances extraordinaires.

Le roi Louis XIV dans son conseil, arbitre de la paix et de la guerre (Henri Noblin et Pierre Lepautre, graveurs, 1682). Source : BNF - domaine public.

Dans le Conseil des dépêches sont traitées les affaires intérieures. Cette formation s'occupe essentiellement des affaires d'administration générale, de police, de justice, religieuses, de librairie et d'affaires contentieuses importantes. Ce conseil doit son nom au fait qu'on y lit toute la correspondance (dépêches) des autorités provinciales (intendants, commandants en chef).
Sa composition, plus large que celle du Conseil d'en Haut, compte environ 12 membres (ministres d'État, chancelier, secrétaires d'État, contrôleur général des finances, chef du Conseil royal des finances, deux ou trois conseillers d'État) et on y entre soit par nomination spéciale, soit en vertu de l'exercice de certaines fonctions.
Le Conseil royal des finances est chargé quant à lui de la politique financière et économique du royaume. Le contrôleur général des finances y joue à ce titre un rôle considérable (v. infra 2.3.2.1), même si il est accompagné dans cette formation du chancelier, du chef du Conseil royal des finances, d'un ou deux conseillers d'État et de un à trois intendants des finances. Le conseil fixe notamment le montant de la taille exigée dans chaque généralité et il est également compétent pour toutes les questions touchant au domaine, aux emprunts royaux et à la monnaie. C'est également en son sein que le gouvernement détermine la politique économique du royaume. Le roi y signe l'ensemble des pièces comptables et tous les ordres de paiement.

Les décisions adoptées dans ces conseils prennent souvent la forme d'arrêts en commandement, contresignés par un secrétaire d'État (lettres patentes, édits, ordonnances, déclarations, lettres closes, missives, brevets, arrêts du Conseil).
Pour être complet, il convient d'ajouter la création ponctuelle et temporaire d'autres conseils de gouvernement, répondants aux exigences du moment (un Conseil de guerre en 1643, un Conseil de conscience de 1643 à environ 1670, un Conseil des affaires ecclésiastiques de 1720 à 1733, un Conseil de religion créé pour la première fois en 1684 et réapparaissant épisodiquement, un Conseil de santé en 1721, un Conseil de régence enfin créé après la mort de Louis XIV).
A côté de ces conseils de gouvernement (conseils restreints), on trouve des conseils en formation plénière (composés principalement de conseillers d'État et de maîtres des requêtes), compétents en matière contentieuse.

Cette appellation globale – Conseil d'État privé, finances et direction – désigne les réunions du Conseil où sont traitées des affaires de justice et d'administration. Ce n'est plus un conseil de gouvernement, dans le sens où il n'est plus présidé physiquement par le roi mais par le chancelier qui le représente. Cette formation s'apparente à une cour suprême de justice.

Dès le début du gouvernement personnel de Louis XIV, ce conseil se réunit tantôt comme Conseil des parties ou Conseil privé (2.1), tantôt comme Conseil d'État et des finances (2.2). Ces formations sont dotées d'un personnel stabilisé et professionnel (environ trente conseillers d'État et quatre-vingt maîtres des requêtes) et se limitent à une fonction contentieuse.
Véritable organe de la justice retenue, le conseil privé contrôle les cours de justice. Y siègent ordinairement de nombreux conseillers d'État et maîtres des requêtes et plus extraordinairement les intendants des finances, les secrétaires d'État, le contrôleur général des finances, les princes du sang, les ducs et pairs et les cardinaux.
Ce conseil est compétent pour casser les décisions des cours souveraines (pour les différents entre particuliers ou en matière de police), se saisir avant jugement d'une affaire relevant normalement d'une autre cour (évocation), ou encore pour régler les conflits de compétences entre juridictions et réviser des décisions en matière criminelle. Il exerce donc une vraie tutelle sur l'appareil juridictionnel de l'État.
Le Conseil d'État et des finances a quant à lui pour mission de régler les problèmes concernant l'administration et le contentieux financier ne présentant pas de difficultés. Il a ainsi en charge de vider le contentieux de l'administration et du fisc qui n'est pas tranché par le Conseil royal des finances ou le conseil des dépêches. Cette concurrence des conseils de gouvernement va progressivement réduire l'activité de ce conseil qui disparaît définitivement à la toute fin du XVIIème s.
Ces conseils contentieux sont les ancêtres des futurs cours suprêmes, Tribunal de cassation (1791) puis cour de cassation, et Conseil d'État (1872).

Durant la période moderne le territoire du royaume de France s'étend considérablement (achats, conquêtes). Les grandes distances, l'importance de la densité de population, la forte diversité culturelle font obstacle à la centralisation et à l'uniformité. On distingue ainsi une France du centre, relativement centralisée et uniformisée, correspondant aux pays d'élections, et une France de la périphérie, correspondant aux pays d'états et aux pays d'imposition ou pays conquis.

Le cadre administratif local se distingue par sa complexité. Il est constitué, en effet, de différentes circonscriptions d'envergure régionale (provinces, gouvernements, généralités, intendances), le plus souvent placées sous l'autorité soit d'un gouverneur (1.3.1), soit d'un intendant (1.3.2). Ces autorités ne résument pas à elles seules, pour autant, l'administration locale d'Ancien Régime. Si gouverneurs et intendants assurent la représentation royale en province, il faut également compter avec une administration locale décentralisée (assemblées d’États et assemblées provinciales) et une administration locale sous tutelle (villes et communautés rurales). Nous ne traiterons toutefois ici que des gouverneurs et des intendants.

Les gouverneurs sont des agents du roi qui, depuis le milieu du XIVème s., ont reçu mission de représenter le souverain auprès des autorités locales, d'agir en son nom et de veiller au maintien de l'ordre. A ce titre ils sont toujours choisis parmi la haute noblesse et disposent de larges attributions militaires et civiles. Le statut des gouverneur est hybride ; leur fonction, en effet, s'apparente tant à l'office (provision par lettres patentes) qu'à la commission (révocabilité théorique). Leur charge a donc un statut propre. Les lettres patentes nommant le gouverneur sont toujours assez vagues concernant les pouvoirs qui sont les siens. Cela s'explique par le fait que la représentation, ici, consiste en une sorte de délégation générale de l'autorité royale.

Mais cette compétence d'ordre politique, lui permettant d'exiger l'obéissance des sujets et des officiers royaux, n'en est pas moins limitée, en matière judiciaire et financière. Mais en dépit de ces restrictions, les gouverneurs disposent de pouvoirs très étendus et sont assistés de nombreux auxiliaires : un lieutenant général chargé de le représenter en cas d'absence, des conseillers en matière judiciaire, administrative et financière, dont l'intendant, et formant un Conseil d'État, et aussi des collaborateurs subalternes (secrétaires).

L'institution des gouverneur atteint son apogée entre le milieu du XVIème et le milieu du XVIIème siècle. Vers le début du XVIIème s., à la faveur des guerres de religion, on observe une mutation du statut des gouverneurs. La révocabilité tend ainsi à décliner au profit de la permanence, doublée d'une tendance à la patrimonialisation et donc à la transmission du titre au sein des familles. Rébellions, trahisons et défaillances marquent l'institution de 1550 à 1650, ce qui pousse Richelieu à faire de l'abaissement du pouvoir des gouverneurs un des principaux objectifs de sa politique. La monarchie leur reproche de constituer une véritable féodalité administrative d'un autre temps, incapable de se couler dans le moule de l'administration. C'est pourquoi le règne de Louis XIV marque un tournant dans l'histoire des gouverneurs (1661), leur statut étant désormais plus strictement encadré (limitation de la durée de la charge, contrôle des déplacements et obligation de résidence à la cour, multiplication des auxiliaires). Il n'empêche que l'institution ne décline pas pour autant et elle connait même un certain renouveau sous Louis XV et Louis XVI. Mais il leur faut néanmoins compter désormais avec la présence de cet administrateur permanent qu'est l'intendant.

Homme du roi, l'intendant fut, à partir du XVIIème s., l'instrument le plus actif de la politique de centralisation mise en œuvre par la monarchie. Du XVIIème au XVIIIème s., la pratique va modeler son statut (1.3.2.1) et forger ses larges pouvoirs (1.3.2.2).
L'institution connaît ses contours définitifs aux alentours des années 1650, alors qu'elle apparaît sous le règne d'Henri II, au sein des conseils des gouverneurs. A l'origine ils sont des commissaires issus du conseil du gouverneur, chargés de la justice et des finances, ce qui n'empêcha pas le roi de créer des intendants, dès le XVIème s., indépendamment de la charge de gouverneur.

Df.Les intendants sont des commissaires et, à ce titre, ils sont librement révocables par le roi. Ils sont nommés par le souverain ou son conseil, sur proposition du ministre compétent (contrôleur général des finances ou secrétaire d'État à la guerre ou à la marine) Le roi nomme l'intendant par lettre patente de commission et il est maître de son contenu, même si la lettre est délivrée à l'intendant par la Grande Chancellerie. La lettre de commission assigne toujours à celui qui la reçoit des objectifs et des buts précis, qui peuvent parfois être limités dans le temps. Concédée sans limitation de temps, elle permet à son bénéficiaire de rester parfois plusieurs dizaine d'années en fonction dans une même généralité. La généralité forme le ressort sur lequel s'exerce le plus souvent l'autorité des intendants. Elle porte le nom de la ville où siège le bureau des finances. La généralité doit ainsi sa délimitation territoriale et administrative à l'organisation du système fiscal. Aux XVIIème-XVIIIème s., les termes de généralité et d'intendance deviennent synonymes.

L'ascension des intendants est liée aux troubles religieux de la fin du XVIème s. qui nécessitent un personnel fidèle, capable d'assurer l'application des lois du roi. Elle est également due à une politique favorable menée sous Henri IV. Mais c'est sous Louis XIII que l'institution se généralise, à la suite de la révolte des Grands qui favorise la multiplication de ces agents. Leur maintien est consolidé lors de la décennie 1630, période à partir de laquelle les intendants s'imposent comme l'indispensable instrument de la réorganisation de l'administration fiscale ; ils ont notamment en charge de trouver des ressources nouvelles pour soutenir l'action militaire du royaume. Mais c'est la déclaration royale du 16 avril 1643 qui confirme véritablement leur assise. Elle les dote en effet d'une circonscription propre (province, généralité) et elle insiste sur leurs compétences fiscales, notamment au regard de la taille (détermination de l'assiette, compétence judiciaire en matière de levée).

A partir de cette période environ trente-cinq intendants se déploient sur l'ensemble du territoire de façon définitive, exception faite de l'épisode de la Fronde (1648-1652) qui contraint Anne d'Autriche et Mazarin à rappeler temporairement les intendants sous la pression des officiers. Leur activité et leurs attributions s'étendent encore à la fin du XVIIème s., notamment en matière fiscale, en particulier grâce à Colbert ; dès le début des années 1680 ils contrôlent les finances des villes, permettant ainsi à l'État d'exercer une véritable tutelle sur celle-ci. Au XVIIIème s. ils sont solidement établis et apparaissent désormais comme les hommes à tout faire de la monarchie.

Comme on sait, l'intendant tient ses pouvoirs de la lettre de commission qui le nomme. Cette lettre est modulable dans son contenu et elle est personnelle à chaque intendant. Elle permet de faire varier les pouvoirs qui lui sont conférés.
Le système de la commission facilite une certaine adaptation aux nécessités locales. La lettre fixe ainsi clairement les missions de l'intendant : justice, police, économie et finances.
Juriste de formation souvent (Maître des requêtes) l'intendant est apte à connaître des problèmes judiciaires, tant comme tuteur des juridictions ordinaires que comme juge du contentieux.

Il exerce ainsi un contrôle sur les justices seigneuriales, les tribunaux royaux inférieurs et les parlements et cours souveraines ; il dispose du droit d'entrée, de présidence et de parole dans tous les tribunaux royaux de sa circonscription. Après la mort de Louis XIV cependant, les intendants n'interviennent presque plus dans l'exercice de la justice parlementaire.

L'intendant est par ailleurs le juge d'un contentieux autonome (pénal et administratif) ; il est en effet délégataire de la justice du roi. En matière de justice pénale, il est le garant de la sûreté de l'État au niveau local. Il a compétence pour poursuivre et réprimer tous les crimes contre l'État (assemblées illicites, séditions, rébellions, entreprises contre le roi, l'État et ses agents). Il dispose alors de moyens comme la maréchaussée. Dans le même sens il est compétent pour lutter contre la contrebande, les détournements de fond, les crimes de péculat et de concussion. Pour juger ces affaires, l'intendant peut créer un tribunal distinct statuant en premier et dernier ressort, avec compétence pour prononcer la peine de mort. Il a en outre la possibilité de soustraire une affaire aux juges ordinaires, c'est l'on nomme l'évocation. En matière de contentieux administratif l'intendant est avant tout juge du contentieux qui découle de l'application de sa propre législation. Il exerce par ailleurs une tutelle administrative sur toutes les collectivités (villes, paroisses, universités...) ; il en vérifie par exemple les comptes. Il se fait également juge administratif (contentieux des travaux publics, contentieux fiscal). Enfin, tous les jugements rendus par l'intendant sont susceptibles d'appel devant le conseil du roi. De plus en plus la justice administrative apparaît, au XVIIIème s., de la compétence exclusive des intendants ; les parlements en sont écartés. Ainsi se dessine le début d'une séparation des pouvoirs administratif et judiciaire.
La mission de police de l'intendant est très générale. Elle concerne tant l'administration générale que l'état moral de la société. L'intendant a pour mission de maintenir l'ordre, exercer la tutelle des communautés et des villes, administrer les forces militaires, assurer le développement local et contrôler l'action du clergé.
L'intendant doit avant tout veiller à la sûreté et la tranquillité publique dans sa circonscription. Pour mener à bien sa mission il peut se substituer aux anciennes justices municipales et aux autres cours inférieures. Il est ainsi chargé de la police des mendiants et des vagabonds et il assume en outre la surveillance des étrangers. La police de la librairie relève également de ses attributions ; il doit interdire les libelles politiques et veiller que les ouvrages imprimés aient bien reçu l'autorisation préalable de la chancellerie. C'est lui qui veille également à l'expédition et l'exécution des lettres de cachet.
Tuteur des communautés et des villes par ailleurs, l'intendant contrôle tant la vie politique locale, notamment en surveillant la composition des assemblées (opérations électorales), que les finances publiques, puisqu'il intervient dans la préparation et la gestion du budget municipal.
Quant à l'administration militaire, le rôle de l'intendant y apparaît déterminant car c'est lui qui veille aux opérations de recrutement et qui a en charge la discipline des troupes (répression des délits militaires).
La police de la voirie et les attributions en matière d'urbanisme font par ailleurs de l'intendant le principal agent de développement local (embellissement des villes, aménagement des réseaux, etc.), surtout au XVIIIème s. grâce à l'appui technique du corps des ponts et chaussées. L'œuvre de l'intendant Tourny, à Bordeaux, est emblématique à cet égard.
En savoir plus : Louis de Tourny

Louis de Tourny, intendant de Bordeaux, capitale de la Guyenne, de 1743 à 1757, succède à cette charge à Claude Boucher (1720-1743). Tourny recherche la « commodité » urbaine. Il s'attelle d'abord aux routes et au tour de ville. Il s'occupe ainsi de la réfection des « grands chemins » qui mènent de Bordeaux à Paris, Limoges, Toulouse. C'est à cette occasion qu'il créé les fameuses « routes à Platanes ». Véritable aménageur urbain, il décompense le vieux tissu urbain médiéval en créant de l'espace qu'il garnit de maisons neuves, de jardins, de promenades. Il fait également paver et éclairer les rues. Faute toutefois de pouvoir remodeler tout le centre, il aménage le tour de ville et lance les avenues droites qui prendront son nom (ci-dessous), et qui relient les faubourgs jusqu'au cœur la cité. Il remplace alors les anciennes portes médiévales par des portes à l'antique, dans le plus pur style néoclassique alors à la mode, et conçoit des façades régulières côté fleuve, ainsi que de vastes places, dont la magnifique place royale. Cette entreprise lui permet d'offrir une nouvelle dimension à la ville, à la hauteur de ses ambitions
La mission de l'intendant implique également une forte dimension sociale puisque l'assistance publique, jusqu'alors du ressort exclusif du clergé régulier et séculier, relève désormais de sa compétence ; il est notamment mandaté pour contrôler les bureaux de charités chargés d'aider les pauvres (déclaration de 1764 sur le vagabondage et la mendicité) et aussi les enfants trouvés.
Les intendants ont en outre dans leurs compétences les questions d'administration générale comme la police des cultes (surveillance des nouveaux convertis, arbitrage des conflits entre curés et paroissiens, contrôle de la discipline ecclésiastique) ou encore la surveillance de l'hygiène publique dans la généralité (rapports sur l'état sanitaire de la circonscription).
C'est souvent en matière de police économique que l'intendant déploie souvent le plus d'énergie. Il lui incombe en effet de prendre toutes mesures visant au développement de l'agriculture, du commerce et de l'industrie. Dans une vision de plus en plus utilitariste et productiviste de l'agriculture (XVIIIème s.), les intendants cherchent à améliorer les techniques agricoles, à favoriser le reboisement dans certains secteurs, à défricher et assécher les marais dans d'autres et aussi à introduire de nouvelles cultures, pour accroitre les rendements. Ils veillent également à stimuler le commerce et l'industrie, mais toujours en respectant les monopoles et les privilèges des corps de métiers (exception avec Turgot en Limousin).

Anne Robert Jacques Turgot (1727-1781) Gravure d’après Charles-Nicolas Cochin, 1763. Source : Numéro d'inventaire ENSBA : PC 12127 ; Legs : Gatteaux.


Au XVIIIème s. l'intendant apparaît comme l'agent financier de la monarchie au niveau local. On attend de lui qu'il fasse entrer un maximum d'impôts, en dépit souvent de la résistance des états, des villes et des communautés. Sans négliger les profondes variantes entre les provinces et les généralités, l'intendant est chargé en général de l'administration des impôts anciens comme la taille (fixation de l'assiette, perception, contentieux) et de la perception des impôts nouveaux (capitation, dixième, cinquantième, vingtième) (v. infra 2.3 sur la question de la fiscalité). Il dispose en la matière d'un personnel (commissaires aux tailles, contrôleurs, arpenteurs) placé sous son autorité.

Les prérogatives de l'intendant apparaissent clairement dans la lettre de commission donnée en 1653 à François Sarron de Champigny :
Tx.Commission d'Intendant de la justice, police et finances en Lyonnais, Foretz et Beaujollois pour le sieur de Sarron Champigny (éd. G. Godard, Les pouvoirs des intendants..., Paris, 1901, p. 455 sq. Texte légèrement modernisé) :

« Du 15 octobre 1653 à Soissons
Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre à notre aimé et fidèle conseiller ordinaire en nos conseils d'État privé et finances le sieur de Sarron Champigny, salut.
Ayant considéré combien il est important et nécessaire à notre service et au bien et soulagement de nos sujets de pourvoir à la bonne administration de la justice et police et des finances en notre ville de Lyon, pays de Lyonnais, Forez et Beaujolais..., nous vous ordonnons et députons par ces présentes signées de notre main Intendant de la justice, police et finances pour, en cette qualité : assister le gouverneur et notre lieutenant général en ladite province de vos bons avis sur toutes les affaires et vous trouver aux Conseils qui seront tenus par eux ; entendre les plaintes et doléances de nos sujets de notre ville et pays, vous enquérir soigneusement si la justice est bien et sincèrement administrée à nos sujets, reconnaitre si nos officiers de judicature [juges judiciaires] font le devoir de leurs charges selon nos édits et ordonnances, entrer et présider aux tribunaux ordinaires et royaux dudit pays toutes les fois que besoin sera et que vous le jugerez à propos, connaitre des différends entre nos officiers de judicature et les régler par provision [avance] jusqu'à ce qu'il en soit autrement ordonné ; vous enquérir aussi de l'ordre et état de la police et administration des villes et communautés de ladite province, et en cas de plainte ou désordre y pourvoir ou faire pourvoir par les juges des lieux et ainsi que vous aviserez, entrer, présider et assister à cet effet aux assemblées des villes, y faire observer les règlements et l'ordre requis ; avoir l'œil qu'il ne se fasse dans ladite province aucune assemblée illicite et sédition [révolte] sur nos places contre notre autorité, ni aucune levée de gens de guerre [soldats] sans nos commissions dument expédiées, amas ou transport d'armes, et s'il s'en faisait, en informer ou faire informer rapidement, décréter contre les coupables et procéder contre eux avec les juges ordinaires conformément à nos ordonnances, ordonner et enjoindre aux officiers de ladite province ce que vous verrez être à faire pour le bien de la justice et police ; avoir l'œil à la levée et administration de nos deniers et finances en ladite généralité de Lyonnais, vous enquérir soigneusement s'il se commet quelque abus par nos officiers ou autres en ladite levée et administration, vous faire présenter les états de toutes levées et impositions, entrer et présider toutes les fois que vous le jugerez nécessaire au Bureau de nos finances établit à Lyon, empêcher qu'il ne soit fait aucune levée de deniers sur nos sujets autrement qu'en vertu de nos commissions, informer ou faire informer par les juges des lieux de toutes exactions et malversations et procéder avec nos officiers ordinaires contre les coupables selon la forme et la rigueur de nos ordonnances ; empêcher qu'il n'arrive aucune folle oppression, ni désordre de la part de nos gens de guerre au préjudice de nos sujets de notre province, faire observer nos règlements et ordonnances militaires par tous nos gens de guerre ; vous informer de tout ce qui concerne l'observation de nos édits, règlements et ordonnances, veiller a ce qu'ils soient inviolablement observés, et en cas de contravention notable à laquelle vous ne puissiez remédier sur place, en dresser vos procès-verbaux et nous les envoyer en notre dit Conseil pour y être par nous pourvu selon l'exigence des cas.
Et généralement pour ce qui appartient à ladite Intendance, tout ce que vous jugerez être nécessaire et à propos pour elle, nous vous donnons pouvoir, commission, autorité et mandement spécial pour ces présentes. Nous ordonnons au gouverneur et notre lieutenant général en ladite province, aux gouverneurs particuliers de nos villes, places et châteaux de vous assister et donner main forte s'ils sont requis par vous. Car tel est notre plaisir ».

Sy.Durant les trois siècles de l'Ancien Régime le gouvernement central connait une mutation fondamentale. Les moyens de l'État monarchique s'accroissent. Les structures de gouvernement deviennent plus stables et plus indépendantes des personnes. Un personnel d'exécution de plus en plus nombreux et spécialisé (conseillers d'État, maîtres des requêtes, commis, secrétaires, avocats, huissiers) assiste les membres du Conseil.

A partir du règne de Louis XIV une bureaucratie se développe et se maintient. Durant le règne de Louis XV un glissement s'opère. Beaucoup de décisions revêtues de l'autorité du roi tendent à être prises par ses serviteurs les plus compétents, les ministres ou leurs chefs de service. Cette transition consacre le glissement vers une monarchie désormais administrative. Le réseau administratif partout se resserre favorisant un meilleur contrôle du territoire, tout en conservant sa spécificité à la société française d'Ancien Régime (libertés et particularismes préservés par le roi) ; c'est toute l'action des administrateurs locaux gouverneurs et surtout intendants de la deuxième moitié du XVIIème s. à la fin du XVIIIème s..

Ce puissant appareil administratif permet à l'État de remplir pleinement sa mission dans ses domaines privilégiés d'intervention : la justice, les cultes, les finances.


2. Les grandes missions de l’État monarchique


L'État de l'âge moderne étend sa sphère d'action. Les moyens dont il dispose lui permettent d'être plus interventionniste. Il n'est toutefois pas question ici d'être exhaustif au regard du déploiement administratif de l'État ; ni la police économique pourtant en pleine extension, ni l'administration militaire, déterminante à maints égards, ne seront abordées. Nous nous limiterons à l'analyse de trois grandes missions monarchiques : la justice (2.1), les cultes (2.2) et les finances (2.3).


A l'époque moderne le roi reste symboliquement, politiquement et juridiquement la source de toute justice. Un adage célèbre exprime parfaitement cette représentation : « Toute justice émane du roi ». La main de justice reste l'une des principales regalia.

Sceptre et main de justice. Source : BNF - domaine public.


D'un point de vue fonctionnel cependant, on comprend bien qu'il est impossible au roi de rendre personnellement la justice à tous ses sujets. Une partie de celle-ci est donc déléguée à un personnel spécialisé, tout en étant exercée au nom du roi. Cette justice déléguée est confiée à des magistrats professionnels formant une pyramide de juridictions, des tribunaux supérieurs au sommet (cours souveraines, parlements), aux tribunaux inférieurs à la base (prévôtés, vicomtés, châtellenies), en passant par les tribunaux intermédiaires (baillages, sénéchaussées, présidiaux). En marge de ces juridictions royales il existe des juridictions spécialisées, compétentes dans des domaines réservés (juridictions fiscales, maîtrises des eaux et forêts, prévôts des maréchaux, sièges d'amirautés, juridictions consulaires et commerciales, etc.)

Enfin, à côté de cette justice déléguée, la justice retenue du roi lui conserve la possibilité d'intervenir, avec son Conseil, dans le cours normal de la justice ordinaire.
En savoir plus : La justice retenue du roi

Jusqu'à la Révolution française, le roi se réserve la possibilité d'intervenir dans le cours normal de la justice ordinaire en vertu de sa justice retenue. Le plus souvent le roi est assisté, en la matière, de ses ministres et de
ses conseillers. C'est le cas par exemple du lit de justice, séance solennelle du Parlement au cours de laquelle le roi, présent, est assis sur un trône rehaussé d'un large coussin (d'où l'expression « lit de justice »), placé sous un dais semé de fleurs de lys d'or et situé dans un angle de la Grand-Chambre. Cette « cérémonie institutionnelle », soigneusement codifiée, est en principe réservée à l'entérinement d'actes à valeur constitutionnelle (enregistrement de lois, déclaration de régence, etc.). Mais elle sert également au roi à réaffirmer son autorité (v. supra à propos de la crise parlementaire). Conformément à l'adage adveniente principe cessat magistratus, la justice déléguée par le roi aux magistrats est suspendue ; le roi prononce alors seul le jugement, entouré de l'ensemble de l'appareil judiciaire. Le Parlement, simple organe de conseil, doit obéir.
Parmi les autres moyens à la disposition du roi lui permettant d'exercer la justice retenue, il en est des plus courants comme les lettres de cachet. Cette technique permet au roi de se substituer à la justice ordinaire en faisant incarcérer rapidement et discrètement des individus, pour éviter notamment que ne soit donné trop de publicité à certaines affaires. Mais il convient de préciser que ces actes ne résultent pas de décisions purement arbitraires et solitaires, puisque le roi est le plus souvent assisté ici par le lieutenant général de police ou les intendants, ainsi qu'un secrétaire d'État chargé de contresigner et expédier les lettres.
Prérogative régalienne participant également pleinement de sa justice retenue, le roi, dans un effort constant de rapprochement avec la figure du Christ, pardonne. Il accorde ainsi des actes particuliers comme les lettres de rémission (permettant d'excuser la légitime défense), ou encore les lettres de pardon, d'abolition, de commutation de peine, de rappel de ban (remise de bannissement), voire de rappel de galère.
Le roi peut en outre dispenser des privilèges de juridiction (droit d'accorder à certaines personnes d'être jugées par des juridictions spéciales). Il lui arrive également de créer des juridictions exceptionnelles temporaires, comme par exemple les chambres de justice, instituées pour juger les financiers soupçonnés de malversations.
Le roi délègue aussi des gens du Parlement pour aller juger sur place en cas de besoin ; cette forme de justice porte le nom de Grands Jours et elle permet de remédier aux lenteurs de la justice provinciale.
Enfin la justice retenue du roi est exercée de façon permanente par le Conseil du roi. Celui-ci peut, au nom du roi, casser les arrêts rendus par une cours souveraine, évoquer des procès ou encore trancher des conflits de compétence entre juridictions différentes.

Comme on le voit, la complexité de l'organisation judiciaire d'Ancien Régime tient au fait que le principe de l'unicité de la justice du roi se heurte à l'exercice concret de la justice ; celle-ci est en réalité double, ordinaire d'une part (exercée au nom du roi) et extraordinaire de l'autre (retenue ou exercée au nom du roi mais qui concerne les affaires de l'État).

La complexité s'accroit lorsque l'on saisit que la monarchie ne dispose pas du monopole de la justice publique. On observe en effet à côté des juridictions royales, d'autres juridictions héritées du Moyen Age (seigneuriales, municipales, ecclésiastiques). Mais ce « partage » n'est qu'apparent, car dès le Moyen Age les légistes du roi ont développé la théorie selon laquelle tous les seigneurs du royaume, comme les villes, tenaient leurs pouvoirs de justice du roi. Officiellement donc, ces juridictions non royales rendent la justice au nom du roi, par délégation.

Avec l'affermissement de l'État monarchique les compétences de ces juridictions se réduisent progressivement (v. leçon 6). Tout un arsenal technique et procédural est d'ailleurs créé dans ce sens, pour l'essentiel déjà au Moyen Age. Il s'agit de contrôler l'exécution de la justice et de veiller à la bonne application de la législation royale. C'est ainsi qu'est par exemple élargie la technique déjà ancienne des cas royaux, permettant de réserver à la justice déléguée certaines affaires considérées comme particulièrement importantes pour l'ordre public. Cette théorie soutient le principe qu'aucune cause intéressant la souveraineté royale ne doit échapper à la justice du roi. On trouve dans la liste des cas royaux, les attentats contre la personne du roi (lèse majesté), les atteintes diverses à la souveraineté (le crime de fausse monnaie), les entreprises contre la religion (sacrilèges, hérésie), certaines infractions à l'ordre public (sédition, rapt, rébellion, concussion). La compétence des juridictions non royales, municipales et seigneuriales est aussi éventuellement limitée par l'exercice de l'appel porté devant les tribunaux royaux. L'évocation également est utilisée, pour défaut de jugement, permettant ainsi aux agents du roi d'intervenir dans les justices privées. La procédure de la prévention permet, quant à elle, au juge royal de « prévenir » le juge inférieur, c'est-à-dire de venir avant ce dernier pour accélérer la décision de justice. Les juridictions ecclésiastiques (officialités) n'échappent pas à ce mouvement de maîtrise des juridictions concurrentes. Avec l'appel comme d'abus le juge royal intervient lorsqu'un ecclésiastique commet un excès de pouvoir ou contrevient, dans l'exercice de ses fonctions, aux lois du royaume.

Il n'est pas dans le projet de la monarchie d'installer une justice unitaire dans le royaume. Jusqu'à la Révolution la justice d'Ancien Régime conservera donc cette apparence mosaïque. Elle est le produit d'un héritage assumé : la société d'ordre, le legs médiéval, le pluralisme juridique, etc. Pour autant tout rappel que c'est le roi, incarnation de l'État, qui dispose du monopole de la justice. Le roi est le juge suprême car sa première vertu est la justice. Elle chapeaute en effet l'ensemble du complexe édifice judiciaire de l'Ancien Régime.


Durant les trois siècles de l'Ancien Régime les affaires du clergé tendent à passer dans le champ de compétence du gouvernement royal et le rôle du Pape se limite aux questions purement spirituelles.

Le clergé de France a vu ses libertés proclamées au XVIème s.. Les libertés gallicanes sont depuis lors sanctionnées par les parlements grâce à la procédure de l'appel comme d'abus (les décisions épiscopales contraires aux libertés sont cassées en cas d'abus).

Un système se met en place visant à assurer au roi la maîtrise des affaires du clergé. Sous couvert de protéger l’Église gallicane, l'État monarchique peut ainsi exercer un contrôle sur ses finances, le culte (doctrines) et ses fonctions (assistance, instruction). Le roi intervient donc dans le recrutement, comme dans l'organisation du clergé (régale).

Rq.Le recrutement du haut clergé est en effet un enjeu majeur pour la monarchie ; les évêques, notamment, sont des acteurs centraux de la vie sociale et politique, il est donc vital pour le roi d'avoir en partie la main sur leur nomination.

Le roi contrôle par ailleurs la juridiction ecclésiastique et surveille son patrimoine ; le clergé doit en effet participer aux charges de l'État. C'est le rôle de l'Assemblée générale du clergé, chargée de voter le don gratuit (v. infra 2.3). La formule de l'avocat Pierre Pithou (1539-1596) insiste sur cette ingérence royale : « Les rois de France ont le droit de faire des lois et règlements sur les matières ecclésiastiques ». En somme le souverain exerce la direction temporelle du clergé de France, il est « l'évêque du dehors » (cf. arrêt du Conseil, 24 mai 1766).

Plan de la séance de l'Assemblée du clergé en 1680 (Recueil. Collection Michel Hennin. Estampes relatives à l'Histoire de France. Tome 57, Pièces 5016-5084, période : 1680). Source : BNF - domaine public.


Cet interventionnisme prend encore de l'ampleur au XVIIIème s.. Le secrétaire d'État de la maison du roi est en effet chargé depuis 1749 de l'ensemble des questions religieuses. Sorte de proto-ministre des cultes, il surveille les doctrines, la conduite des ecclésiastiques et intervient dans les élections (clergé inférieur). Il est par ailleurs chargé des relations entre le gouvernement et le clergé. Ce dernier dispose toutefois d'un certain nombre de privilèges politiques. Il règle les problèmes d'ordre interne, les questions théologiques et vote le don gratuit au roi (contribution financière) ; il dispose à cet effet de sa propre administration financière.

Mais « l'administration » des cultes ne se limite pas à la religion majoritaire (catholique), dont le roi défend les intérêts et la primauté. Les affaires de la « religion prétendue réformée » intéressent particulièrement la monarchie. Un département ministériel est d'ailleurs pleinement consacré à cette question (création 1598). Les attributions du secrétaire d'État qui a ce département en charge vont varier en fonction de la politique adoptée à l'égard des protestants (v. supra 1.2.1.1.1, l'édit de Fontainebleau d'octobre 1685 portant révocation de l'édit de Nantes).
Comme on le voit, le domaine religieux n'échappe pas au contrôle du gouvernement royal. En effet « la religion, par la complexité des rapports qu'elle instaure, les tensions sociales qu'elle exprime, la puissance d'incitation collective dont elle dispose, est affaire publique » (Legendre). Elle entre donc pleinement dans le champ des missions de l'État monarchique.


Les finances sous l'Ancien Régime forment un système complexe, largement héritier de la période précédente. La monarchie de l'Ancien Régime n'a pas le monopole de la fiscalité : l’Église, les provinces, les villes, les seigneurs (dont le roi qui doit « vivre du sien », c'est-à-dire des revenus de son domaine), disposent aussi de ressources fiscales propres. Cependant, dès le premier âge moderne, l'État est le premier acteur en la matière. La fiscalité croît, notamment parce que les missions de l'État se multiplient et que les guerres, dispendieuses, sont plus fréquentes. L'impôt devient permanent, ce qu'il n'était pas au Moyen Age, et dans le même mouvement il perd son caractère consensuel originel (consentement à l'impôt).

Mais les finances apparaissent comme le point faible de l'État monarchique, ainsi que tend à le montrer la complexité la complexité de son administration (2.3.2). L'archaïsme des finances, leur complexité confuse, l'empirisme budgétaire, le recours trop fréquent à l'emprunt en font une institution en crise constante, tant au regard des finances ordinaires que des finances extraordinaires (2.3.1).


Les finances ordinaires ont un rapport avec les revenus domaniaux. Elles sont constituées à la fois des ressources issues du domaine royal (revenus fonciers, droits de mutation), des droits régaliens (droits de déshérence, d'aubaine, etc.), des droits de juridiction (droits perçus sur l'émission d'actes juridiques, produit des amendes, confiscations pénales, etc.), des droits d'amortissement (taxes perçues sur possession des personnes morales), des droits de franc-fief (taxes payées par les roturiers possesseurs de biens nobles), du dixième des mines (taxes perçues sur le produit des extractions minières) et encore nombreux droits nouveaux créés à partir du XVIème s. On parle là de droits et non d'impôts, car le lien avec le domaine doit être avéré même si ce n'est pas toujours évident. Très nombreux, ces droits rapportent néanmoins assez peu à l'État (moins de 10% des recettes globales sous Louis XIV).
Au sein des finances extraordinaires on distingue les impôts directs et les impôts indirects.
Les impôts directs sont payés par les roturiers et une partie de la noblesse. La taille est le plus connu de ces impôts. Elle devient permanente en 1439, exclusivement versée au roi et, le plus souvent, payable par les seuls roturiers (si les nobles sont exemptés dans le Nord, ce n'est pas le cas dans le Sud).
En savoir plus : La taille

La taille est un impôt de répartition dont le montant est décidé en conseil royal des Finances, chaque année. Elle est répartie par provinces, communautés, élections ou diocèses. Dans le Nord de la France c'est le statut des personnes qui conditionne son paiement (taille personnelle), alors que dans le Sud ce sont les biens figurant dans le cadastre (taille réelle). Alors que les pays d'État en discutent le prix et en assurent la répartition et la perception (rôle des états provinciaux), que les pays conquis ont sa seule perception, elle est directement répartie par les officiers royaux et les élus dans les pays d'élection. Dans les communautés, la taille est répartie et collectée par des habitants désignés par l'Assemblée et responsables sur leurs biens. A la fin du XVIIème s., les intendants en deviennent les administrateurs.
En 1695 est créée la capitation, sans le consentement des contribuables et payable par tous (universalité). Cet impôt nouveau doit servir, en partie, à financer la guerre de la ligue d'Augsbourg (supprimée en 1697, la capitation est définitivement rétablit en 1701).

Tx.Déclaration contenant règlement pour l'établissement de la capitation, 18 janvier 1695 (Isambert, Recueil général des anciennes lois françaises, vol. 20, Paris, 1830, p. 381.) :

« Louis, etc. Depuis que la gloire de notre État et les prospérités dont le ciel a béni notre règne ont excité contre nous l'envie d'une partie des puissances de l'Europe et les ont engagées à se liguer entre elles pour nous faire injustement la guerre, la sincérité de nos intentions et les avantages que nous avons remportés d'année en année nous faisant toujours espérer une paix prochaine, nous avons tâché de n'employer, pour nous mettre en état de repousser les efforts des États ligués contre nous, que les moyens qui étaient le moins à charge à nos sujets. Nous avons pour cet effet aliéné des rentes, dont nous avons assigné le payement sur nos revenus ordinaires, et créé des charges, dont les gages sont employés sur les états de nos finances. Et, si dans la suite nous avons été obligé de pratiquer quelques autres moyens qui ont été plus à charge à nos peuples, ce n'a été que par la nécessité de nous assurer dans des termes fixes les fonds convenables au bien de notre État. Mais, l'endurcissement de nos ennemis, qui paraissaient insensibles à leurs pertes, et qui, loin d'être touchés de la misère des peuples, semblent même tirer avantage de l'inclination que nous témoignons pour la paix, nous faisant prévoir la continuation de la guerre et nous obligeant à nous y préparer, nous espérons faire connaître à toute l'Europe que les forces de la France sont inépuisables, quand elles sont bien ménagées, et que nous avons des ressources certaines dans le cœur de nos sujets et dans le zèle qu'ils ont pour le service de leur Roi et pour la gloire de la nation française. Dans cette confiance, nous avons résolu, pour nous mettre en état de soutenir les dépenses de guerre aussi longtemps que l'aveuglement de nos ennemis les portera à refuser la paix, d'établir une capitation générale, payable pendant le temps de la guerre seulement, par tous nos sujets, sans aucune distinction [...] A ces causes, et autres considérations à ce mouvant, de notre certaine science, pleine puissance et autorité royale, nous avons, par ces présentes signées de notre main, dit et déclaré, disons et déclarons, voulons et nous plaît qu'à compter du premier jour de ce mois, il soit établi, imposé et levé, dans toute l'étendue de notre royaume, pays, terres et seigneuries de notre obéissance, même dans les pays et villes que nous avons conquis depuis la déclaration de la présente guerre, une capitation générale par feux ou familles, payable d'année en année, pendant la durée de la présente guerre, sans qu'elle puisse être continuée ni exigée, sous quelque prétexte que ce soit, trois mois après que Dieu nous aura donné la paix [...] Si donnons en mandement à nos aimés et féaux conseillers les gens tenant notre Cour de Parlement. Chambre des comptes et Cour des aydes à Paris, que ces présentes ils aient à faire lire, publier et registrer, et le contenu en icelles garder et exécuter soigneusement et exactement, selon leur forme et teneur, cessant et faisant cesser tous troubles et empêchements à ce contraires. Voulons qu'aux copies des présentes, collationnées par l'un de nos aimés et féaux conseillers et secrétaires, foi soit ajoutée comme à l'original. Car tel est notre plaisir. En témoin de quoi nous avons fait mettre notre scele à cesdites présentes.
Donné à Versailles, le dix-huitième du mois de Janvier, l'an de grâce mil six centre quatre vingt quinze, et de notre règne le cinquante-deuxième.
Louis

Par le Roi, Phélypeaux
Acte scellé du grand sceau de cire jaune
».
 
D'autres impôts directs universels sont par la suite créés durant le XVIIIème s. (le dixième, le cinquantième et le vingtième).
Les impôts indirects sont des impôts très inégalitaires, qui font souvent l'objet d'exemptions et qui frappent surtout les denrées alimentaires et les marchandises. On trouve la gabelle (sel), les aides (viandes, boissons, marchandises, etc.), les traites (entrées et sorties hors des provinces et du royaume). Avec l'époque moderne, ni l'impôt du sang que la noblesse paye par principe, ni le fait que l'église prie pour le salut des âmes et assure enseignement et assistance, ne justifient une exemption fiscale complète. Les deux ordres privilégiés sont soumis à la fiscalité extraordinaire. La noblesse est soumise à la capitation, puis aux dixième, cinquantième et vingtième ; mais il existe de nombreuses dispenses, sources de crispations. Quant à l'Eglise elle verse le « don gratuit » depuis 1561.

Rq.La formule « don gratuit » insiste sur un certain volontarisme non contraint. A l'origine, pourtant, la subvention avait été négociée, de façon forcée, entre les commissaires du roi et une assemblée générale de clercs (future Assemblée générale du clergé), pour participer à la lutte contre l'hérésie protestante. Le système perdurera par la suite, l'Assemblée devant se réunir tous les dix ans pour renégocier le « don gratuit ».

Extrait de lettres patentes qui confirme le don gratuit (Lettres patentes qui confirment et autorisent les délibérations de l'Assemblée générale du clergé, au sujet de la somme de 12 millions de l. de don gratuit, accordé à S. M. par ladite Assemblée... Registrées en Parlement, 1765). Source : BNF - domaine public.


Il faut distinguer ici entre l'administration centrale des finances (2.3.2.1) et leur gestion locale (2.3.2.2).


Depuis le Moyen Age l'administration centrale des finances est de la compétence des trésoriers de France (finances ordinaires) et des généraux de Finance (finances extraordinaires) pour ce qui concerne la gestion du domaine. Mais à partir du règne de François Ier cette administration est réformée en profondeur. Différents trésors sont créés, comme le trésor de l’Épargne (1527), chargé de financer les dépenses de la cour et du gouvernement (diplomatie, armée, maison du roi), le trésor des recettes et encore celui des parties casuelles. Ils sont administrés par des trésoriers placés sous l'autorité hiérarchique des contrôleurs généraux et intendants des finances après 1527, du surintendant des finances après 1561 et du contrôleur général des finances à partir de 1665.
En savoir plus : Le chef de l'administration financière

Après la disgrâce du surintendant des finances Nicolas Fouquet (1661), Louis XIV supprime la charge de surintendant et créé celle de contrôleur général des finances en 1665, qu'il confie à Colbert. Le contrôleur générale est le membre du gouvernement qui dispose des attributions les plus importantes et du plus vaste département ministériel, ce qui vaut à ce poste d'être particulièrement instable (révocabilité). Choisi parmi les gens de robe (intendants des finances, maîtres des requêtes), le contrôleur est membre de droit des conseils de gouvernement (v. supra 1.2.2.1.3) chargés de l'administration intérieure du royaume et des affaires économiques et financières. Il dispose d'une compétence quasi universelle. Sa première mission consiste à diriger l'administration financière : le trésor royal, l'établissement du budget, la gestion et la perception des impôts et des recettes extraordinaires (parties casuelles, etc.), la gestion du domaine royal, la monnaie. La ferme générale (v. infra dans ce paragraphe), par ailleurs, est placée sous sa tutelle et il contrôle aussi l'activité Économique (ponts et chaussées, eaux et forêts, commerce, agriculture, haras, mines, urbanisme, santé publique, etc.). C'est lui enfin qui nomme la plupart des intendants (v. supra 1.3.2).

Quant à la gestion locale des finances, elle incombe aux officiers du roi et des états, ou encore aux particuliers. Après 1650 les intendants récupèrent l'essentiel de la gestion fiscale au niveau local (répartition et collecte de l'impôt, paiement des dépenses locales). Les contributions indirectes sont quant à elles affermées à des particuliers ; des financiers privés avancent au roi les sommes escomptées et perçoivent ensuite les indirects avec leur propre personnel. À l'instigation de Colbert le système du bail unique est adopté en 1681, pour l'ensemble des revenus domaniaux et des impôts indirects du royaume : c'est la Ferme générale.

Comme on le voit le système fiscal d'Ancien Régime est complexe, tant dans son administration que dans l'extrême diversité des impôts réclamés. Ces difficultés ajoutées aux critiques souvent excessives des esprits éclairés, au recours trop fréquent à l'emprunt et à la mise en échec systématique par les parlements des tentatives gouvernementales de modernisation des finances (Necker, Calonne, Loménie de Brienne) précipiteront la fin de la Monarchie. Bientôt la critique se fera systématique, comme le prouve la caricature révolutionnaire ci-dessous montrant un humble paysan écrasé par le fardeau fiscal que lui imposait clergé et noblesse.

Le Temps passé les plus utiles étaient foulés aux pieds : taille, impôts et corvées (Recueil. Collection Michel Hennin. Estampes relatives à l'Histoire de France. Tome 120, Pièces 10490-10613, période : 1789). Source : BNF - domaine public.


Sy.Les trois siècles de l'âge moderne en France (XVIème – XVIIIème s.) voient s'épanouir une nouvelle organisation politique qui préside au triomphe de l'État.

La modernisation et la stabilisation étatique sont certes le résultat d'une nouvelle réflexion politique (leçon 7), mais peut-être davantage de l'enrichissement des institutions et du développement de l'administration. Cette affirmation de la puissance étatique autorise le gouvernement monarchique a étendre son champ d'action, tout en renforçant ses missions traditionnellement régaliennes.

A la fin du XVIIIème siècle l'État possède un appareil administratif et une armature institutionnelle suffisamment solides et souples pour franchir sans dommage l'épisode révolutionnaire. Grand gagnant de la rupture politique et sociale de 1789, l'État initialement monarchique se muera sans difficultés en État républicain.
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