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Le renouveau royal. Les débuts de la souveraineté (XIIIème - XVème siècles)

Avant le XIIIème s. l'idée d'une autorité souveraine supérieure à la féodalité n'a rien de naturelle. Pour toutes les forces politiques en présence, le roi, certes développe son autorité de seigneur, mais il continue d'exercer un pouvoir direct, personnel, né de l'hommage.

Durant le XIIIème s., et notamment son dernier quart, le pouvoir royal change de physionomie. Le développement de la réflexion rationnelle entraîne un progrès de la conscience politique. La nature du pouvoir capétien change et l'autorité royale s'accroit à l'intérieur de la féodalité. Le capétien se mue en souverain (1). Cet épanouissement de l'autorité souveraine va de pair avec l'extension de l'appareil administratif royal, tant central que local (2).

1. Du roi suzerain au roi souverain


Du XIIIème au XVème s., le renouvellement royal s'impose dans les mentalités et triomphe du modèle féodal antérieur. La royauté se dote d'une idéologie et de moyens nouveaux qui lui permettent de passer d'une nature suzeraine, qui la rattache au système politique précédent, à une nature souveraine, qui implique un exercice sans partage du pouvoir, les ordres du souverain devant s'imposer à tous. Ce processus s'opère à l'intérieur du royaume (1.1.) et, avec plus de difficultés, à l'extérieur (1.2.).


Avant le XIIIème s. la doctrine savante fait certes du roi un personnage exceptionnel, notamment par la dimension mystique que lui confère le sacre, mais, pour autant, elle continue de le situer dans l'organigramme politique féodo-vassalique. Le roi est suzerain et, s'il domine la pyramide féodo-vassalique, il n'en contrôle pas cependant la nébuleuse complexe, spécialement les arrières vassaux davantage liés à leur seigneur direct qu'à un roi parfois lointain. On oppose d'ailleurs à ce dernier la maxime « le vassal de mon vassal n'est pas mon vassal ».

C'est depuis l'abbé de Saint-Denis, Suger (1081-1251), qu'un nouveau système politique se substitue progressivement à celui fondé sur la technique du serment personnel. Le concept encore tacite de souveraineté fait son apparition, incarné dans la personne du roi. Celle-ci englobe à elle seule toutes les prérogatives de puissance publique et induit l'obéissance désormais de la communauté des sujets, indépendamment de tout lien personnel de rattachement au roi. Le cheminement fut long pour aboutir à la métamorphose d'une royauté féodale suzeraine à une royauté souveraine, comprise comme un pouvoir unique coiffant l'organisation féodale. Ce processus est le résultat de la conjonction de l'augustinisme politique qui insiste sur la majesté royale, de la nouvelle puissance financière du roi et de l'extension du territoire royal.

La royauté ainsi affirmée (A) tend également à se fixer grâce à l'ébauche d'un statut spécifique, transcendant la personne du roi. Cette royauté stabilisée (B) est représentée par la couronne qui symbolise les principes de continuité et de permanence, nécessaires au développement et au fonctionnement de l'État renaissant sur les décombres de la féodalité.


A partir de la seconde moitié du XIIIème s. les théoriciens du pouvoir s'appliquent à libérer le roi de l'enchevêtrement féodal, en rappelant notamment qu'il ne doit rendre hommage à personne (Suger) et en affirmant avec vigueur qu'il ne tient son pouvoir de personne (Livre de Jostice et de Plet).

Tx.L'abbé Suger rappelle que le roi de France ne doit prêter hommage à personne.

Suger, Mémoire sur son administration abbatiale, iv, éd. M. Bur, La Geste de Louis VI, Paris, 1994, p. 224-225 :

« Le célèbre comté du Vexin, entre Oise et Epte, est, d'après les chartes, un fief propre de l'abbaye de Saint-Denis. Alors que le roi Louis VI, fils de Philippe Ier, allait en hâte s'opposer à l'invasion de l'empereur romain dans le royaume de France, il reconnut en plein chapitre de Saint-Denis le tenir en fief de lui et être tenu à l'hommage, au titre de porte-étendard, s'il n'avait été roi. Ensuite, avec l'aide de Dieu, nous entreprîmes d'y augmenter notre domaine comme suit : ce même roi Louis nous octroya l'église de Cergy et la franchise de cour. À la dédicace de l'église, son fils Louis VII, pour le salut de son âme, la protection de sa personne et du royaume, nous donna avec une générosité royale les droits de passage dans cette seigneurie et tous ses revenus, sauf l'avoine et le vin. De plus, il offrit aux bienheureux martyrs ce qu'il avait à Corneilles, à Osny et à Trappes, sauf le droit de gîte. Pour notre part, nous avons avec un soin continuel et une constante prévoyance poussé la culture des terres et des vignes, réduit la rapacité des maires et des sergents, repoussé les entreprises odieuses d'avoués malhonnêtes, ce qui nous imposa beaucoup de frais au début de notre abbatiat ».

Suger (1081-1251), abbé de Saint-Denis (Vitrail de la basilique de Saint-Denis, Paris). Source : Own Work - Licence libre de documentation GNU.


Tout le travail des juristes de Philippe Auguste et de Louis IX, notamment, est d'imposer l'idée que le roi incarne un pouvoir lui permettant de contrôler tous les échelons de la pyramide féodale. Un cap est désormais franchi par rapport à la période précédente où le droit féodal ne faisait que placer le roi au sommet de la hiérarchie politique (suzeraineté). Sans que le terme de souveraineté s'épanouisse immédiatement, plusieurs phénomènes insistent néanmoins sur son émergence. C'est d'abord par l'action royale, notamment judiciaire et politique, que le roi déploie son autorité. Juge suprême féodal, il n'hésite plus à trancher les conflits féodaux dans le sens qui convient à sa propre politique. Il étend également son action politique directe sur toute une partie de la vassalité du royaume (vassaux, arrières vassaux) et des seigneurs particuliers. Le roi joue ainsi de certains leviers (fief rente, hommage lige) pour restructurer une hiérarchie féodale favorable à ses intérêts. Le charisme royal, l'extension du domaine, le prestige de la justice du roi et sa puissance financière rendent possible le processus de recomposition politique. Mais ce mouvement n'aurait certainement pas été aussi rapide et efficace sans l'outillage conceptuel fournit par le droit normand et le droit romain redécouvert – droits centralisateurs –, au sein desquels les juristes royaux puisent pour forger progressivement le concept de souveraineté. Le jurisconsulte Jean de Blanot (vers 1230-1280) est l'un de ceux là, qui écrit dans son Commentaire au titre IV des Institutes de Justinien que « le roi a l'impérium sur tous les hommes de son royaume ».

Après 1250 le terme de souveraineté est désormais utilisé dans un sens nouveau, qui tend à placer l'ensemble de la communauté politique sous l'autorité du seul roi et à englober ses composantes diffuses dans la notion plus simple et évocatrice de sujets. La formule du juriste et bailli royal Philippe de Rémi seigneur de Beaumanoir (vers 1250 – 7 juin 1296) atteste de ce changement, lorsqu'il affirme dans ses Coutumes de Beauvaisis (1283), que le « roi est souverain par-dessus tous ». Comme on le voit, un processus s'achève durant le XIIIème s., celui de la suzeraineté, et un autre débute, celui de la souveraineté, où le roi ne tient son pouvoir de personne, sinon de Dieu, tandis que les sujets relèvent désormais tous de lui.

Philippe de Beaumanoir remettant ses Coutumes de beauvaisis au Christ et à la Vierge. Source : http://www.remy60.fr/ - Licence libre.


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La suite du texte de Beaumanoir fait en quelque sorte la synthèse de cet épanouissement de l'autorité royale, en ce qu'il insiste déjà sur l'autonomie du roi en matière d'ordre public, de justice et de législation :

« [...] en tous les lieux où le roi n'est pas nommé, nous l'entendons de ceux qui tiennent en baronnie, car chaque baron est souverain en sa baronnie. Cependant, le roi est souverain par dessus tous et a, de plein droit, la garde générale de tout le royaume, par quoi il peut faire tous les établissements qu'il lui plait pour le commun profit et ce qu'il établit doit être tenu. Ainsi, il n'y a nul si grand au dessous de lui qui ne puisse être traduit en sa cour pour déni de justice ou pour faux jugement et pour tous les cas qui touchent le roi. Et parce qu'il est souverain par dessus tous, c'est lui que nous nommons quand nous parlons de cette souveraineté qui n'appartient qu'à lui [...] » (Beaumanoir, Coutumes de Beauvaisis, n° 1043).

Les grandes missions régaliennes apparaissent dans le texte de Beaumanoir, à commencer par le devoir royal de protection du peuple (« garde générale »), duquel le seigneur de Beauvaisis fait découler le pouvoir normatif du prince pour le bien public (« commun profit ») et son statut de justicier suprême.

Protecteur du royaume d'abord, le roi le devient incontestablement après qu'il a substitué sa propre paix (Paix du roi) à celle de l’Église (Paix de Dieu), dès le début du XIIIème s. Dans la continuité de ce mouvement, le roi tend à s'imposer comme le seul garant du maintien de la paix publique et donc comme le protecteur suprême (tuitio).

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Avec le déclin des structures carolingiennes l'exercice du maintien de la sécurité publique échappe à l'autorité. La violence féodale s'installe. Un mouvement d'origine épiscopale se substitue alors à la puissance publique défaillante, dans la seconde moitié du Xème s., et tente de modifier les comportements violents en leur opposant les idéaux de paix. C'est le mouvement de la « paix de Dieu ». Dans le cadre de la restauration de l'autorité royale qui émerge au XIIème s., le roi récupère l'institution de paix à son profit (ordonnance de 1155). Avec sa souveraineté retrouvée, la paix de Dieu se mue en une paix du roi. Le souverain confirme là son intention de d'exercer à nouveau seul le monopole de la protection au sein du royaume.

Pour affermir sa souveraineté en matière de protection (« garde générale du royaume »), le roi dispose de moyens individuels et collectifs (asseurement, quarantaine le roi, sauvegarde, garde royale) ; il s'agit de mesures de paix spéciales, toutes de mieux en mieux acceptées et respectées. Mais c'est avec Louis IX et ses successeurs que se multiplieront les décisions de portée générale visant à contrôler et encadrer les guerres privées, véritable privilège de la noblesse. On sait toutefois qu'au XVème s., encore, le pouvoir royal ne parvient toujours pas à se réserver le monopole de la violence, le monde nobiliaire considérant toujours l'exercice de la guerre comme un attribut de sa condition.

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Durant les temps féodaux les guerres privées sont le droit commun des nobles en matière de résolution des conflits. Le roi n'intervient pas. Mais avec la restauration progressive de son autorité, il n'hésite plus à s'ingérer dans l'ordre seigneurial. La Quarantaine-le-roi participe de cette stratégie. Les guerres privées étant des guerres de lignages, elles entraînent dans leur sillage des éléments qui parfois ignorent tout du litige. La quarantaine est donc instituée pour se préparer au conflit durant une trêve imposée de quarante jours. Toute violation de la trêve est punissable devant la justice royale. Par l'artifice de la quarantaine, le roi affirme ainsi sa souveraineté. Il intervient en effet dans ce qui constitue le cœur de la culture nobiliaire : la guerre.

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L'asseurement consiste, pour deux parties en litige, à passer un pacte de non-agression. Progressivement l'autorité royale récupère cette institution et tente de la contrôler, dans le même esprit que la Quarantaine-le-roi. L'asseurement doit être alors passé devant un représentant de l'autorité royale. La convention peut être ainsi ordonnée par l'officier royal s'il le juge utile et la violation de l'asseurement est, quant à elle, punissable de mort. Comme on le voit par l'asseurement le roi intensifie son rôle de gardien de la paix publique et il affirme, par la même occasion, son autorité.

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Autre moyen efficace permettant au roi d'imposer son statut protecteur : la sauvegarde.  Elle consiste pour le roi à accorder sa protection à des individus ou à des établissements (églises, fondations royales, villes, communautés d'habitants, etc.) Sa violation est considérée comme une injure faite au roi et punissable comme tel (peines arbitraires). Les mesures de sauvegardes se multiplient à partir de Philippe Auguste et constituent donc un bon indicateur du renouveau de l'autorité du roi.

L'ensemble de ces moyens, s'ils peuvent être ponctuellement transgressés, présentent l'avantage d'agir comme un véritable droit royal d'ingérence dans le système féodal. Ils contribuent ainsi à limiter l'effectivité politique et juridique des liens féodaux, au profit du roi et de son administration. La souveraineté émergente s'en trouve renforcée. Le développement d'une véritable armée royale – même si pour l'heure elle n'est pas permanente – participe de cette mission protectrice et exalte, là encore, la souveraineté du roi. L'entretient et le développement de cette armée fondera, du reste, le droit pour le roi de prélever l'impôt, attribut là aussi essentiel de la souveraineté.

Beaumanoir l'exprime de façon limpide par ailleurs : il est dorénavant entendu que le roi, dès le dernier quart du XIIIème s., devient législateur. On sait que le processus de restauration du pouvoir normatif du prince a timidement débuté au milieu du XIIème s., avec notamment la promulgation de l'Ordonnance de Soisson en 1155. La capacité législative royale va alors progressivement s'étendre et après 1250 le roi se permet de légiférer pour l'ensemble du royaume, au risque néanmoins de se heurter à la résistance des grands vassaux du royaume. Pour éviter cet écueil, le roi doit obtenir le consentement des grands du royaume et de son domaine. A la fin du XIIIème s. la loi du roi ne devient pas encore obligatoire et applicable à tous, sur l'ensemble du royaume. Comme le rappelle Beaumanoir, l'acte royal (ordonnances, édits, établissements) doit être fait « par très grand conseil », c'est-à-dire notamment en présence des légistes, pour le « commun profit » (bien public) et en conformité avec la morale divine (« pour raisonnable cause »). Mais force est de constater qu'avec le règne de Philippe IV Le Bel, le roi gagne en autonomie normative. Au début du XIVème s. la loi du prince est de plus en plus perçue comme supérieure au droit existant (coutume), en vertu notamment de la « certaine science » du roi (certa scientia). De l'avis de ses légistes, celui-ci dispose d'une plénitude de puissance en matière législative, contre l'opinion toutefois de certains théologiens (Jean Gerson, Jean Juvénal des Ursins) ou de monarchistes tempérés (Philippe de Mézières). C'est ce tournant dans la nouvelle appréhension de la puissance législative du roi qui l'autorisera par exemple, jusqu'au XVIème s., à intervenir dans le champ normatif coutumier (abolitions, confirmations, rédaction, réformations).

Protecteur assurément, législateur de plus en plus, Beaumanoir n'omet pas enfin de rappeler que le roi est également, par excellence, « justicier suprême ». On écrira d'ailleurs encore, un peu plus tard, sous Charles VI, que « Roi et justice sont frères et ont métier l'un de l'autre, et ne peuvent l'un sans l'autre ». Au cours du XIIIème s. le roi et ses agents font ainsi triompher le principe nouveau selon lequel toute justice émane du roi. Il lui revient donc de contrôler toutes les juridictions du royaume, seigneuriales, municipales et aussi, avec plus de difficultés, ecclésiastiques. L'ensemble de ces justices sont considérées comme subalternes, c'est-à-dire subordonnées aux juridictions royales (Parlement, baillages, sénéchaussées), elles mêmes « déléguées » et soumises en dernier ressort à la « justice retenue » du roi dont elles sont issues. De plus en plus d'affaires sont alors portées à la connaissance des justices royales ou revendiquées par elles, grâce à des moyens procéduraux efficaces (appel, prévention, cas royaux). C'est ainsi que la royauté capétienne renoue avec la principale de ses fonctions régaliennes, celle là même qui avait été usurpée au roi de France durant la période féodale : la justice.

Le mouvement de redressement royal, décrit ici, est en outre renforcé par la stabilisation institutionnelle de l'État monarchique.

C'est au XIIème s. que le terme corona (couronne) dépasse son simple rôle d'emblème de la dignité royale et désigne l'entité abstraite qui transcende la personne du roi. Peu à peu cette fiction juridique devient synonyme de la continuité de l'État et de la fonction royale, dont le roi apparaît à partir du XIVème s. comme le simple dépositaire. Cette corona, symbole de la permanence et de la continuité de l'État royal, nécessite donc des règles de transmission spécifiques (succession) et un statut patrimonial échappant également au droit commun (domaine).

Couronne de France, lors du sacre de Philippe VI (1328) - Extrait d’une miniature tirée de Jean Froissart. Grandes Chroniques de France. Source : BNF - domaine public.


De l'avènement de Hugues Capet (987) au début du XIVème s., la chaîne de transmission du pouvoir capétien ne connaît pas d'interruption ; la fonction royale est toujours transmise au fils aîné du roi défunt. Tous les rois de France durant cette période ont, en effet, un héritier naturel ; on parle du « miracle capétien ». C'est alors qu'à deux reprises, au début du XIVème s., le miracle prend fin. En 1316 la royauté se trouve confrontée à une crise successorale inédite (succession de Louis X Le Hutin), qui pousse l'entourage royal à formuler juridiquement, pour la première fois, le principe de masculinité, principe fondamental dans le système successoral de la monarchie française. Posé en 1316 il rappelle, en droit, que « femme ne succède pas à la couronne de France ». Le principe est par la suite réaffirmé et enrichit en 1328 (succession de Charles IV le Bel), sur fond de rivalité avec l'Angleterre. Il dispose que même les parents par les femmes (princesses du sang royal) sont exclus de la succession au trône (Edouard III d'Angleterre). N'ayant aucun droit à la couronne, il est interdit à ces dernières de la transmettre ; on dit qu'elles ne peuvent faire « pont et planche ».

Cette décision marquera le début de la guerre de Cent ans (conflit avec Edouard III d'Angleterre). Pour contrer les prétentions anglaises, les juristes français ont, pour l'occasion, habilement fondé leur décision en droit, en détournant le contenu de la vieille loi des francs saliens (loi salique) qui écartait les filles de la succession aux immeubles (terre des ancêtres). En vérité les légistes ont volontairement assimilé cette terre des ancêtres (terra salica) au royaume.

Tx.Jean de VENETTE, Chronique, vers 1345-1368, éd. GERAUD, Paris, Société de l'histoire de France, 1843, volume II, p. 83 ; trad. CALMETTE, Textes et documents d'histoire, II, Paris, 1953, p. 193-194. :

« A la mort du Roi Charles, les barons furent convoqués pour traiter de la garde du royaume. En effet, comme la reine était enceinte et que l'on ne pouvait préjuger le sexe de l'enfant à naître, personne n'osait, à titre précaire, assumer les prérogatives royales. Toute la question était de savoir à qui, par droit de proximité, devait être confiée la garde du royaume. Les Anglais déclaraient que leur jeune Roi Edouard était le plus proche parent en tant que fils d'une fille de Philippe le Bel, et par conséquent neveu du feu Roi Charles. Si donc la reine ne mettait pas au monde un enfant mâle, ce prince devrait assumer le gouvernement du royaume plutôt que Philippe, comte de Valois, qui n'était que cousin germain du défunt. Nombre de juristes compétents en droit canon et en droit civil s'accordèrent cependant à déclarer qu'Isabelle, reine d'Angleterre, fille de Philippe le Bel et sœur du feu Roi Charles, était écartée de la garde et de la conduite du royaume, non en raison du degré de parenté mais à cause de son sexe : à supposer qu'elle eût été homme, la garde et le gouvernement du royaume lui eussent été attribués. A cette polémique se liait la question du trône. Les Français n'admettaient pas sans émotion l'idée d'être assujettis à l'Angleterre. Or si le fils d'Isabelle avait quelque droit à alléguer, il tenait ce droit de sa mère. Sa mère n'ayant aucun droit, il en allait de même du fils. Autrement c'eût été admettre que l'accessoire l'emporte sur le principal. Cette sentence ayant été retenue comme la plus sensée et adoptée par les barons, la garde du royaume fut donnée à Philippe, comte de Valois, et il reçu alors le titre de régent du royaume ».

Ces épisodes ont contribué à fixer le contenu de la coutume successorale royale : la couronne de France se transmet de père en fils, par ordre de primogéniture ; les femmes et leurs descendants en sont exclus ; et à défaut de descendant en ligne directe, c'est le parent mâle le plus proche du roi en ligne collatérale qui succède.

Rq.En réalité on observe ici la confirmation juridique d'un trait anthropologique propre au système dynastique français : celui de la tradition mentale consistant à transmettre exclusivement la fonction royale au premier des mâles (primogéniture masculine). La royauté française a en effet adopté le modèle de parenté agnatique (patrilinéaire). Hérité de Rome, ce système successoral assure la maîtrise masculine du pouvoir, notamment en contrôlant sa transmission. Les épisodes de 1316 et 1328 sont donc la confirmation juridique d'une tradition culturelle : le monopole masculin de l'autorité.

Plus tard, au début du XVème s., la stabilisation royale franchit une étape. On admet désormais – là encore sur fond de conflit avec l'Angleterre – que le roi régnant ne peut intervenir dans l'ordre successoral et ne peut donc pas disposer librement de la couronne. Celle-ci est entendue comme une réalité de droit public échappant à la volonté individuelle, y compris celle du prince. Ce principe est formulé par le juriste Jean de Terre Vermeille en 1419, dans son Traité des droits du successeur légitime aux héritages royaux. L'ouvrage est rédigé dans le contexte de la défaite française à Azincourt contre l'Angleterre et des prétentions du roi anglais, Henri V, à la couronne de France. Pour l'auteur, il convient de ne pas confondre les successions ordinaires, de droit privé, et la succession au trône. Celle-ci est réglée par une coutume spéciale que le roi n'a pas le pouvoir de modifier ; il s'agit d'un statut. C'est donc par la doctrine cette fois-ci qu'un nouveau principe de droit public est posé, celui de l'indisponibilité de la couronne. Ici le roi est dans l'incapacité théorique d'instituer un héritier de son choix, car la couronne n'est qu'un dépôt indisponible (Louis XIV tentera de le faire pourtant. Cf. leçon 7). On sait en effet que la fonction royale se transmet automatiquement dès la mort du souverain (ordonnances de 1403 et 1407) à l'héritier désigné par la coutume ; on parle là d'« héritier nécessaire ».

Tx.Le magistrat et jurisconsulte Jean Juvénal des Ursins (XIVème s.) rappelle le statut de l'héritier nécessaire et réaffirme le principe de l'indisponibilité de la couronne : Jean Juvénal des Ursins, Tres crestien, tres hault, tres puissant roy, éd. P. S. Lewis, Écrits politiques de Jean Juvénal des Ursins, t. 2, Paris, 1985, p. 55 sq ; J.-M. Carbasse et G. Leyte, L'État royal, XIIème-XVIIIème siècles. Une anthologie, PUF, Paris, 2004, p. 78. :

« Car même si le roi Charles VI avait disposé d'un bon et sain entendement, et d'une franche et libre volonté, il n'aurait pu transférer son royaume ni faire que son fils en soit exhérédé et qu'il ne soit pas son héritier. Car au regard de la couronne et du royaume, les héritiers mâles du sang sont nécessaires, et le roi ne peut porter préjudice à son héritier descendant de sa chair, ni aliéner ou donner le royaume en une autre main que celle dans laquelle il doit venir par succession héréditaire, à tel point que s'il avait un fils, comme c'est à présent le cas, il ne pourrait faire qu'il ne devienne roi après lui [...]. Et à proprement parler, le roi n'a sur le royaume qu'une manière d'administration et d'usage pour en jouir seulement pendant sa vie ; et quand il a un fils, le fils, durant la vie de son père, en est réputé et censé être seigneur, et le roi son père, ou quelqu'un d'autre, ne peut le priver de ce droit ou le lui ôter, et ce même s'il le voulait et y consentait ; et dans tous les cas, il ne porterait préjudice qu'à lui-même et non pas aux autres du sang pouvant venir à la succession [...]. Et ce serait une chose trop extraordinaire que le roi, qui ne peut aliéner valablement une partie de l'héritage de sa couronne –et il le jure lors de son sacre- pût aliéner sa couronne et son royaume ».

On retrouve le même raisonnement en matière domaniale : c'est-à-dire que les biens qui relèvent de la couronne sont réputés indisponibles et inaliénables. Dans l'ancien droit français, avec l'avènement des Capétiens, s'ouvre une période de longue réflexion juridique relative au statut du domaine, en même temps qu'émerge au XIIème siècle la notion de couronne. Au XIIIème siècle les légistes français, aidés des droits savants, conçoivent peu à peu le domaine comme une personne morale distincte du prince et dotée d'un statut spécifique fondé sur l'affectation de la chose publique. De leur côté les canonistes, interprétant les textes du Décret de Gratien et des décrétales pontificales prohibant la cession des biens ecclésiastiques, préparent les premiers éléments d'une théorie de l'inaliénabilité. Les biens étant liés à la fonction, le prince-administrateur ne peut en disposer librement, ces derniers ne lui appartenant pas en propre. En France la critique des apanages amorcée dès 1318 et son interdiction affirmée successivement en 1329 par Pierre de Cugnière, en 1357 par les États généraux, mais aussi en 1419 par Jean de Terre Vermeille jusqu'à l'édit de Moulins de 1566 (cf. leçon 7), assure définitivement le passage du principe au statut pour l'inaliénabilité du domaine et son indisponibilité, ouvrant ainsi la voie à l'État moderne. L'affirmation juridique des principes d'inaliénabilité et d'indisponibilité suit en France le processus historique de construction du domaine public et contribue à conférer à l'État stabilité et permanence.

Cet ensemble de règles constitue le noyau normatif de ce que l'on nommera, à partir du XVIème s., les « lois fondamentales du royaume » (cf. leçon 7).

Ainsi qu'on le voit, la reconquête des prérogatives royales par le renforcement de la royauté souveraine et sa stabilisation institutionnelle, conforte le statut d'un roi de France princeps (premier) en son royaume. Mais qu'en est-il à l'extérieur, face notamment aux deux pouvoirs à prétention universelle : le pape et l'empereur.


A partir des XIIème et XIIIème s., l'idéal d'une unité occidentale chrétienne s'épuise. L'Europe se mue en une constellation d’États souverains. La France n'échappe pas à ce mouvement, la royauté s'efforçant de bâtir son indépendance tant face à l'Empereur germanique (1.2.1.) que face au pape (1.2.2.), deux pouvoirs qui traditionnellement revendiquent la domination du monde (dominium mundi).


Pour le roi de France, la reconquête de sa souveraineté passe par l'affirmation de son indépendance politique et juridique face au continuateur de la pensée unificatrice carolingienne : l'empereur germanique. Même si à partir du milieu du XIIIème siècle le Saint-Empire entre en déclin, il continue néanmoins d'affirmer ses prétentions hégémoniques sur les royaumes d'Europe. Il faut dire que la redécouverte du droit romain pouvait servir ses intérêts. Parce qu'il est un droit impérial, les légistes de l'empereur d'Allemagne vont l'utiliser dans ce sens dès le milieu du XIIème s. C'est ainsi qu'ils exploitent habilement la distinction entre auctoritas et potestas, attribuant le premier, supérieur en dignité, à l'empereur et le second, dépendant du premier, aux rois. Mais, alors même que les légistes impériaux font des princes occidentaux les subalternes de l'empereur, les théoriciens français du pouvoir affirment de leur côté que « le roi est empereur en son royaume » et qu'il ne se reconnaît « nul supérieur au temporel ». Cette dernière formule est tirée de la décrétale « per venerabilem » de 1202, du pape Innocent III, dont les légistes du roi de France n'ont pas hésité à orienter le contenu dans un sens « indépendantiste », qui n'était certainement pas celui initialement voulu par le pape.

Rq.Comme le remarque Albert Rigaudière, « C'est parce qu'il doit agir pour le bien commun et l'"utilité publique" dont les juristes considèrent que le roi a de plus en plus la charge exclusive que ce même souverain doit se trouver investi de pouvoirs identiques à ceux d'un empereur, dont l'imperium éclaté ne lui permet plus de maintenir, sous son contrôle, les États d'Occident. Face à lui, le roi de France acquiert lentement la qualité de princeps qui l'autorise à revendiquer l'exercice concurrent tout à la fois de l'imperium, de la potestas et de la juridictio » (Olivier Guillot, Albert Rigaudière, Yves Sassier, Pouvoirs et institutions dans la France médiévale. Des temps féodaux aux temps de l'État, t. 2, Paris, Armand Colin, p. 94.).

Au début du XIVème s., l'empereur d'Allemagne Henri IV fait savoir ses prétentions hégémoniques. Le roi de France, Philippe IV le Bel, lui répond fin juillet-début août 1312 en insistant sur l'indépendance naturelle de son royaume vis-à-vis de l'Empire romain-germanique.

Tx.MGH, Constitutiones et acta publica Imperatorum, IV, 2, p. 813-814 ; trad. J.-M. Carbasse et G. Leyte, L'État royal, XIIème-XVIIIème siècles. Une anthologie, PUF, Paris, 2004, p. 31-32. :

« Philippe, par la grâce de Dieu roi de France, à l'illustre prince Henri, par la même grâce empereur des Romains, toujours auguste, son très cher ami, salut, vœux de succès, de prospérité ou de bonheur. — Nous avons reçu les lettres de Votre  Sérénité, par lesquelles vous avez pris soin de nous annoncer votre couronnement et nous rendons grâces et louanges à Celui dont procèdent tous les biens d'avoir voulu honorer votre personne, qui nous a été et nous est, sans aucun doute, toujours chère, d'une telle sublimité. Et nous espérons bien désormais que si, en humble reconnaissance de ses bienfaits, vous veillez à vous engager dans la voie marquée par ses mandataires pour conserver la paix de la Sainte-Église de Dieu et vous occuper de la très pieuse affaire de la Terre Sainte, votre situation s'améliorera de jour en jour. — Nous avons examiné attentivement le préambule de vos lettres et nous avons décidé de faire savoir ouvertement à votre altesse à quel point votre façon de parler a jeté dans un étonnement considérable les grands de notre royaume auxquels vous avez écrit, comme à nous-même, au sujet de votre couronnement. Dans cette préface en effet, vous semblez vouloir dire que, de même que dans la hiérarchie céleste toutes les armées du Ciel militent sous un seul Dieu, de même sur terre tous les hommes répartis dans les différents royaumes et provinces devraient être soumis au seul empereur romain et militer sous son autorité temporelle. — Si vous aviez mieux considéré la situation de notre royaume, qui pourtant vous est assez connue, vous auriez dû le reconnaître comme exempt de cette sujétion générale [que vous revendiquez]. Car il est notoire et généralement connu de tous et partout que depuis l'époque du Christ le royaume de France n'a jamais eu d'autre roi que le sien, placé directement sous Jésus-Christ, Roi des rois et Seigneur des seigneurs... et n'a jamais eu ni reconnu aucun supérieur temporel, quel que fût l'empereur régnant. Telle a été la position de nos ancêtres, telles est aussi notre position et celle de tous les habitants du royaume, telle sera toujours, Dieu aidant, celle de nos successeurs. De cela, votre excellence ne doit pas s'étonner. Car Celui qui habite dans les cieux et qui est attentif aux humbles, Celui dont dépend le salut des rois, le Très Haut Jésus-Christ, trouvant que ce royaume [de France] était, de préférence à tous les autres pays du monde, le fondement stable de la foi et de la sainte religion, considérant le grand dévouement de ce royaume à Lui-même, à son vicaire et à ses ministres, voyant qu'Il y était aimé, craint et honoré bien davantage que partout ailleurs, a voulu à son tour que ce royaume soit distingué, entre tous les autres royaumes et principautés, par quelque prérogative de supériorité, en l'exemptant de toute sujétion temporelle, quelle qu'elle soit et en confirmant son roi, à perpétuité, comme son seul monarque : c'est ce qui est démontré par la narration véridique des vieilles chroniques [...]. Nous ne pensons pas que vous ayez écrit ce qui précède dans un esprit de supériorité ; mais si par hasard – pourvu que ce ne soit pas le cas ! – votre intention venait à l'encontre de la nôtre, cela ne saurait évidemment nous convenir et nous ne pourrions l'accepter. Mais, avec l'aide de Celui pour lequel et au nom duquel nos ancêtres sont bien connus pour avoir versé leur propre sang, nous sommes bien décidés à maintenir et à défendre de toutes nos forces l'excellence de notre liberté ».

Comme on le voit, de Philippe-Auguste à Philippe IV le Bel, l'idée s'impose que le roi de France est un monarque souverain, égal en droit à l'empereur, voire supérieur à lui car on répète, à la mort de saint Louis, que le « royaume des Lys » est « le premier qui soit sous le ciel ». Quant aux rapports entre pape et le roi de France, ils s'avèrent beaucoup plus difficiles.


Depuis la réforme grégorienne de la fin du XIème s., le Saint Siège tente d'imposer la primauté du pape à tous les niveaux : c'est ce que l'on nomme la théocratie pontificale. Mais dès le début du XIIème s., et durant les siècles suivants a fortiori, l'ambition pontificale se heurte à la souveraineté royale renaissante dans les Etats occidentaux. Deux conceptions antagonistes du pouvoir s'affrontent ici, nationale contre universelle, qui créeront des tensions politiques durant tout le Moyen Age. Ce fut le cas avec la querelle opposant Philippe-Auguste à Innocent III (début XIIIème s.), celle opposant Philippe IV le Bel à Boniface VIII (fin XIIIème, début XIVème s.), ainsi que le Grand Schisme de la fin du XIVème s. qui vit l'élection de deux papes rivaux, l'un à Rome l'autre en Avignon.

Tx.L'échange de lettres qui suit entre le pape Boniface VIII et le roi de France Philippe le Bel en décembre 1301, montre la radicalité du conflit qui oppose les deux puissances et la détermination de Philippe à préserver son indépendance.

éd. P. Dupuy, Histoire du différend d'entre le pape Boniface VIII et Philippes le Bel roy de France, Paris, 1655, p. 44 ; trad. J.-M. Carbasse et G. Leyte, L'État royal, XIIème-XVIIIème siècles. Une anthologie, PUF, Paris, 2004, p. 44 :

« Boniface, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à Philippe roi de France. Crains Dieu et observe ses commandements. — Nous voulons que tu saches que tu nous es sujet dans les choses spirituelles et temporelles. La collation des bénéfices et des prébendes ne t'appartient en aucune façon et si tu as la garde de quelques-uns qui sont vacants, réserve leurs fruits aux successeurs ; et si tu en as attribué, nous déclarons qu'une telle collation est nulle et, en tant qu'elle procède de facto, nous la révoquons. Et ceux qui croiront autrement, nous les réputons hérétiques. Donné au Latran, aux nones de décembre, la 7e année de notre pontificat.

Philippe, par la grâce de Dieu roi de France, à Boniface qui se présente comme le souverain Pontife, petite salutation, voire aucune. — Sache ta très grande sottise que nous ne sommes sujet à personne au temporel, que la collation des églises et des prébendes vacantes nous appartient par droit royal et que nous pouvons faire de leurs fruits les nôtres ; que les collations faites par nous, et à faire, sont valables pour le passé et le futur et que nous défendrons leurs possesseurs énergiquement contre tous ; et ceux qui croient différemment, nous les réputons fous et déments. Donné à Paris, etc. ».

Ce long épisode conflictuel qui s'étend sur deux siècles, se solde par l'échec de Rome à imposer la subordination du roi au pape. Le processus d'autonomisation du pouvoir politique laïc a, en effet, mis un terme rapide à la tentative pontificale visant à imposer la stricte supériorité de l'auctoritas du pape sur la potestas des princes. Mais de façon plus dramatique encore pour Rome, le conflit entre Boniface VIII et Philippe le Bel aboutit à l'intégration progressive de l’Église de France dans l'État monarchique. Il résulte en effet de la querelle la négation de la supériorité temporelle du Saint Siège, l'affirmation de l'autonomie politique du roi sur le pape et la soumission temporelle du clergé de France à l'autorité civile. Le processus s'inverse alors à la fin du XIVème s. ; c'est l’Église qui tend à être subordonnée à l'État. Les auteurs français s'emploient d'ailleurs à faire de la monarchie française une monarchie à part, concurrente de Rome, et du roi de France un roi spécial, titulaire d'une mission d'essence divine, qui lui est conférée par son élection directe, c'est-à-dire sans l'intermédiaire du successeur de Saint Pierre. Ce mouvement aboutira bientôt à la notion fameuse de « roi très chrétien ».

Giovanni Villani, arrestation de Boniface VIII par le chancelier de France Guillaume de Nogaret (dit attentat d’Anagni), XIVème siècle. Source : http://www.bonifacio.bananablu.com


L'épisode bonifacien a ainsi jeté les fondements du gallicanisme religieux qui, au XVème s., assurera l'autonomisation du clergé de France sur le Saint Siège (Pragmatique Sanction de Bourges, 1438). Le gallicanisme religieux va ainsi de pair avec le gallicanisme politique décrit plus haut, qui insiste sur la plénitude de puissance du roi de France (plenitudo potestatis).

Rq.En somme le roi de France sort considérablement renforcé de ces trois siècles (XIIème–XIVème) de maturation de l'État royal. Pragmatisme politique, théorisation, succès militaires et puissance financière ont préparé le renouveau de la souveraineté du roi de France, tant en son royaume (sur les princes territoriaux et sur l'église de France) que face aux puissances étrangères concurrentes (empereur et pape). Mais il fallait encore donner une substance à cette souveraineté retrouvée et la doter des structures gouvernementales et administratives suffisantes pour que son titulaire, le roi de France, puisse exercer pleinement sa mission.


2. Les moyens de la royauté : gouverner et administrer le royaume


Au XIIIème s. les « gens du roi » se multiplient. L'administration se déploie. Ce que le pouvoir royal perd en action personnelle et en politique directe, l'État le gagne en autonomie et en efficacité.
Le roi souverain n'est plus celui, simplement suzerain, responsable de tous les actes de son règne, qui conduit son armée au combat et tient seul sa justice. Une lourde machine administrative se met lentement en place qui se substitue à l'action personnelle du capétien. Le processus de désincarnation du pouvoir débute là. L'administration étatique se diffuse sur l'ensemble du territoire, au niveau central (2.1.) comme au niveau local (2.2.).


Les premiers capétiens, comme tous les grands féodaux, sont entourés pour gouverner d'une cour féodale, dominée par les barons de l'Île-de-France. Mais à la fin du XIème s. le roi parvient à se libérer de cette présence encombrante. La structure gouvernementale va dès lors entamer son lent processus de spécialisation. A partir du XIIème s. le gouvernement royal se partage ainsi entre les officiers de l'hôtel-le-roi (2.1.1.) et la cour (2.1.2.).


L'hôtel-le-roi
est composé dès l'origine de serviteurs et de fidèles du roi qui forment son entourage direct et qui sont chargés des tâches domestiques et politiques. Au XIIIème s. l'hôtel est composé des familiers du roi (reine, successeur du roi, princes du sang, famille royale), des domestici (clercs chargés de la rédaction des actes, chevaliers chargés de missions diverses) et des légistes (juristes du roi, techniciens de l'administration). Les légistes vont connaître une ascension exponentielle au point de précipiter la décadence des officiers domestiques et de substituer leur influence à celle des familiers du roi.

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Au début du XIIIème s. l'Hôtel du roi se sépare du reste des services de la curia regis et se spécialise dans l'organisation matérielle de la vie du roi. Les services chargés du service domestique du souverain sont désignés sous le nom d' Hospitium regis. Réorganisé par plusieurs ordonnances royales, dont celle de 1261 prise par Louis IX, l'Hôtel se structure autour de plusieurs « Métiers », appelés « offices » au XIVème s. : la paneterie (fabrication du pain et tenue du linge de table), l'échansonnerie fabrication du vin), la cuisine (préparation des repas), la fruiterie (préparation des fruits, des torches, des chandelles), mais aussi les écuries et la chambre. Sous saint-Louis l'Hôtel compte à peu près 150 serviteurs.

Parmi les grands officiers de l'Hôtel on trouve traditionnellement depuis l'époque carolingienne le connétable, le chancelier, le sénécha l, le chambrier et le bouteiller. Contraints de s'adapter aux réalités nouvelles, seuls les deux premiers se maintiennent avec succès alors que les trois derniers déclinent.

C'est sous le règne de Charles V que la fonction de connétable connaît un véritable essor. Investi d'une mission à l'origine peu gratifiante (garde des écuries royales), il est devenu le chef des armées ce qui lui confère une autorité considérable ; la culture commune a retenu le nom d'un connétable célèbre, Bertrand Du Guesclin. Au début de la période moderne il est toujours un personnage important, symbole de la fonction militaire ; c'est lui du reste qui a la garde de l'épée royale.

Mais c'est toutefois le chancelier qui va connaitre la plus spectaculaire ascension en tant que principal ministre de la monarchie. Il est, de par sa fonction, au cœur du système étatique. Chef des écritures et gardien du sceau en premier lieu, c'est lui qui a la responsabilité de la rédaction des actes royaux et de leur authentification. Or on sait, depuis Beaumanoir, que l'affirmation de la souveraineté va de pair avec le déploiement du pouvoir législatif du roi (cf. supra). Le chancelier s'impose donc comme un administrateur incontournable. Il l'est d'autant qu'il cumule sa mission législative, en second lieu, avec celle de chef de la justice (premier magistrat du royaume) et de chef du gouvernement royal (au XIVème s. il préside le conseil du roi en son absence). L'influence de cet homme d'État exceptionnel sera confirmée durant le premier âge moderne (Cf. infra, leçon 7).

Tx.La chancellerie royale, février 1321.

L'ordonnance royale qui suit date de 1321 et montre le travail des notaires-secrétaires, chargés de rédiger les lettres royaux avec l'aide des clercs. Source : Octave Morel, La grande chancellerie royale, Paris, 1900, P.J. n° 6, p. 491-492. Traduction de l'ancien français :

« Philippe, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, faisons savoir à tous présents et à venir que nous, par notre grand conseil et pour le profit de notre peuple et de nous-mêmes, avons fait sur le port et l'état de notre grand sceau et sur la recette de l'émolument du sceau les ordonnances qui suivent, lesquelles nous voulons qu'elles soient tenues et gardées perpétuellement :

1. Tous nos notaires présents et à venir, seront tenus par leurs serments de mettre par écrit tous les jours toutes les lettres qu'ils auront écrites ou signées tous les jours, et combien il y en aura à double queue, combien à simple queue, combien à héritage et leur provenance.

2. Nous établirons une personne pour être avec celui qui rend les lettres et recevra l'émolument du sceau et il gagnera 60 L. par. de gages par an ; et il sera tenu par son serment d'envoyer ou porter chaque samedi tout l'argent qu'il aura reçu dans la semaine au Trésor.

3. Nos notaires et chacun d'eux devront donner ou envoyer au receveur de l'émolument du sceau les lettres qu'il aura écrites ou signées dans la journée. Et ce receveur écrira de sa main dans une cédule qui devra toujours être conservée par le notaire toutes les lettres qu'il aura reçues de lui, et le nombre de lettres à simple queue, à double queue, à héritage et de quel pays.

4. Chaque notaire devra tous les mois écrire deux écroues des lettres qu'il aura écrites, par type de lettre, comme dessus-dit : il donnera une des écroues au receveur de l'émolument du sceau, et l'autre à la personne qui sera choisie pour recevoir et entendre le compte du receveur de l'émolument du sceau chaque mois.

5. La personne qui sera choisie pour recevoir et entendre le compte du receveur de l'émolument du sceau, comme il est dit ci-dessus, ne comptera pas ou ne mettra pas au compte du receveur de l'émolument une cédule que le notaire lui aurait donnée, sans que le notaire ne l'ait donnée au receveur ; dans ce cas, il mettra le compte en attente de la cédule qu'il n'aura pas reçue, jusqu'au moment où il la recevra du notaire, comme il est dit ci-dessus.

6. Parce que toutes les lettres que les notaires écrivent ou signent ne passent pas toutes par le sceau, notre chancelier devra faire écrire au bas ou au dos de la lettre la raison pour laquelle il ne la scelle pas et il la rendra aussitôt au receveur de l'émolument du sceau ; ainsi quand il fera les comptes, il les mettra en paiement dans son compte et il en donnera copie à celui qui attendra ladite lettre pour la faire récrire, si on le lui demande et s'il voit que c'est bon, et il attendra la lettre refusée au notaire pour la mettre à son compte, comme il est dit ci-dessus.

7. Quand les notaires seront éloignés de Paris, avec nous, avec le chancelier ou d'autres de nos gens qui ont le pouvoir de commander et de faire écrire des lettres, et qu'ils ne pourront dans ce cas remettre chaque mois les cédules des lettres qu'ils auront écrites dans la semaine, comme il est dit ci-dessus, ils devront par serment les remettre le plus tôt possible au receveur.

8. Le receveur de l'émolument des lettres et celui qui sera désigné pour entendre son compte chaque mois, comme il est dit ci-dessus, iront tous deux rendre leurs comptes trois fois par an à la chambre des comptes à Paris, c'est-à-savoir au mois de février pour les mois d'octobre, novembre, décembre et janvier, au mois de juin pour les mois de février, mars, avril, mai et au mois d'octobre pour les mois de juin, juillet, août et septembre.

9. Pour éviter toute malversation, le receveur de l'émolument du sceau et celui qui rendra lesdites lettres, comme il est dit ci-dessus, ne rempliront la tâche de notaire tant qu'ils rempliront cet office. Et celui qui rendra les lettres aura 100 L. de pension par an et ils prendront le parchemin pour faire leurs comptes et faire les copies des cédules à l'endroit où le prennent les notaires.

10. Tous les émoluments de la chancellerie de Champagne, de Navarre et des juifs, seront versés à notre compte, comme la chancellerie de France ; et tous les autres émoluments et droits que le chancelier prenait habituellement sur le sceau nous reviendront. Le chancelier de France aura pour tous gages et droits 1 000 L par. par an.

11. Parce que beaucoup de lettres sont scellées, comme les lettres de grâces plaidées par procureur, ou de paiement de dettes, sans être écrites par les notaires ni signées par eux, mais que des droits sont toutefois payées sur elles, notre chancelier ne passera pas celles-ci, si elles ne sont pas signées par les notaires, afin de supprimer toute présomption que l'on pourrait avoir contre lesdites lettres, et aussi afin que les notaires puissent en rendre compte dans leurs cédules, comme il est dit ci-dessus.

12. Parce qu'il y a beaucoup de lettres qui ne payent aucun droit au sceau, ainsi les lettres pour nous et les gens de notre lignage, qui ne paient rien d'habitude, les notaires les enregistreront à part dans leurs cédules, afin que l'on puisse voir tout le domaine.

13. Parce que certaines lettres, une fois écrites, scellées et rendues, sont laissées quelquefois à l'audience [du sceau], soit par manque d'argent du demandeur, soit à cause d'un retard, les lettres qui demeureront ainsi, parce que les notaires les ont données à enregistrer, seront apportées et reçues au compte du receveur de l'émolument du sceau.

14. On saura à la chambre des comptes quelles lettres doivent être franches et sur celles-ci, on ne prendra aucun droit ; et pour toutes les autres lettres – de cire verte, à double ou simple queue – on connaîtra le tarif établi anciennement et on prendra cette somme et pas plus.
Et pour que ces ordonnances ci-dessus dites soient perpétuellement fermes et assurées, nous avons fait mettre notre sceau du secret en ces présentes lettres. L'an de grâce 1320, au mois de février ».

Guillaume de Dormans, chancelier de France sous Charles V (1371-1373). Château de Versailles. Source : wikipédia - domaine pubic.



A côté des grands officiers de l'hôtel, le roi s'adjoint au XIIIème s. les services de nouveaux serviteurs consciencieux, les maîtres des requêtes et les notaires-secrétaires du roi, véritables chevilles ouvrières de l'administration étatique. Les maîtres des requêtes apparaissent sous le règne de saint Louis. Ils sont chargés de recevoir et d'instruire les plaintes des justiciables (requêtes) présentées au roi et d'assister celui-ci dans l'exercice de sa justice retenue ; à l'époque le roi tient en personne les audiences publiques (plaids de la porte). L'activité des maîtres des requêtes s'accroit à mesure que les plaintes augmentent, signe de l'extension de la justice royale. Bientôt ils ne soumettent au roi que les requêtes présentant une réelle importance et tranchent les autres affaires. Fort de cette fonction de filtre judiciaire, ils sont rapidement perçus comme des personnages de premier rang aux yeux des justiciables. Quant aux notaires-secrétaires du roi, ils sont les ancêtres des secrétaires d'État de la période moderne et de nos actuels ministres. Chargés de mettre en forme les actes commandés personnellement par le roi, cette fonction et cette proximité leur confèrent immédiatement un statut privilégié. Se qualifiant eux-mêmes secrétaire dès le XIVème s., leurs tâches se spécialisent : missions politiques et diplomatiques pour certains (futurs secrétaires des commandements), financières pour d'autres (secrétaires aux finances), militaires (secrétaires sur le fait de la guerre), ou spécifiquement gouvernementales (secrétaire de la main, secrétaires du Conseil). A la fin du Moyen Age les secrétaires du roi occupent une place centrale dans l'organisation gouvernementale de la monarchie.


La cour est une tradition politique féodale ; chaque grand seigneur gère ses affaires (politiques, administratives, judiciaires) entourés d'un certain nombre de conseillers composant une cour. Le roi de France n'échappe pas à cette règle ; il est conseillé et accompagné de la curia regis (cour du roi). A la fin du XIIème s., avec l'extension des prérogatives royales, de son autorité, de son domaine, on passe d'une administration féodale, de type domaniale, à une administration de type gouvernementale. Les vassaux qui composaient initialement la curia sont progressivement remplacés par un personnel compétent et stable qui en forme le noyau dur ; il s'agit de techniciens, clercs ou laïcs, formés au droit. La curia devient ainsi, dès la fin du XIIème s., un organe permanent et qui se spécialise au siècle suivant, en raison de la complexité croissante des tâches gouvernementales. C'est ce l'on nomme le démembrement de la curia regis . La cour se recompose alors autour de trois fonctions majeures (justice, finances, conseil), incarnées par trois grandes formations : curia in parlamento, curia in compotis, curia in consilio.

C'est vers le milieu du XIIIème s. que le parlement ( curia in parlamento) s'individualise. Son apparition a pour objet le traitement des affaires judiciaires, en pleine expansion durant le règne de Louis IX. C'est pourquoi cet organe se stabilise rapidement (organisation d'une session par an, de novembre à août) et se dote d'un personnel permanent (les membres du parlement sont pourvus d'un office au début du XIVème s.). La curia in parlamento est composée de plusieurs chambres :
  • la Grand-chambre (on y plaide les affaires et prononce des arrêts) ;
  • la chambre des requêtes (on y reçoit et examine les requêtes) ;
  • la chambre des enquêtes (on y procède aux jugements) ;
  • et la chambre criminelle ou tournelle, formation plus tardive, fin XIVème s. (on y instruit les affaires pénales et y prépare les projets d'arrêts soumis à la Grand-chambre).
Le parlement concentre, en outre, mission judiciaire et mission normative. En tant que cour de justice suprême d'abord, la curia in parlamento assure le contrôle des justices subalternes (seigneuriales, ecclésiastiques, municipales) et des justices royales inférieures (bailliages, sénéchaussées). Elle fait donc fonction de juridiction d'appel. Mais, à côté, la curia participe à l'élaboration des ordonnances (enregistrement, remontrances) et dispose également d'un pouvoir normatif autonome (arrêts de règlement). Ces importantes prérogatives font de la curia in parlamento un acteur incontournable du gouvernement central, situation qui s'amplifiera du reste pendant la période moderne (cf. leçon 7).


Tx.Ordonnance du Parlement de Paris, 7 janvier 1278.

Cette ordonnance est prise par le roi Philippe III. Elle renseigne sur l'action justicière du roi, aidé de sa cour. Il s'agit de la curia in parlamento, qui fonctionne désormais séparément de la curia regis. La structure du Parlement y apparaît en effet clairement, puisqu'on y voit notamment la chambre des plaids, celle des requêtes et des enquêtes.

P. Guilhiermoz, Enquêtes et procès. Étude sur la procédure et le fonctionnement du Parlement au XVème siècle, Paris, 1892, p. 604-610. Traduction du latin et de l'ancien français :

« CE SONT LES CONSTITUTIONS de notre seigneur le roi de France faites au Parlement, à Paris, l'an de grâce 1277 [en style de Pâques, où l'année changeait à cette date et non le 1er janvier], le lendemain de la Tiphaine [Epiphanie].

1. Il faut prendre garde pour abréger les sessions du Parlement à ce que nulle cause ne soit traitée en Parlement qui pourrait ou devrait l'être devant le bailli.

2. Au terme de chaque bailliage, les plaideurs se présenteront au jour dit de la façon qu'il a été autrefois ordonné.

3. Quand les parties se présenteront le jour de leur bailliage, ils attendront dans la salle, sans entrer en la chambre des plaids avant d'y avoir été appelés.

4. Les clercs des arrêts nommeront les parties ayant causes et les parties seront appelées par l'huissier quand les maîtres donneront l'ordre d'entrer dans la chambre des plaids et il n'entrera alors personne d'autre qui ne soit nécessaire à la cause.

5. Quand les parties seront entrées, le demandeur exposera le plus brièvement possible son fait et de la même façon le défenseur répondra.

6. Après l'exposition des faits et la défense, les maîtres prendront leurs décisions et on les mettra par écrit afin de supprimer la querelle entre les parties.

7. La cause, ainsi mise par écrit, sera envoyée aux auditeurs de la cour octroyés aux parties dans le pays dont ils sont originaires. Et de façon que la cour puisse avoir sous la main les auditeurs qu'elle voudra établir, chacun des baillis devra donner 10 noms par écrit aux clercs des arrêts, de personnes capables de faire correctement ce qui leur sera demandé, et 2 auditeurs seront suffisants pour chaque procès.

8. Les parties qui auront à plaider entreront dans la chambre des plaids par la porte près de la salle et en sortiront par la porte vers le verger quand ils auront plaidé.

9. Les avocats ne doivent pas avoir l'audace de faire référence au droit écrit aux endroits où la coutume est utilisée, mais ils doivent utiliser la coutume.

10. Personne ne doit être entendu en la cour du roi pour plaider pour une autre personne, s'il n'est soumis à la justice séculière par laquelle il puisse être jugé s'il est trouvé en faute, sauf dans le cas où un clerc plaide pour lui-même, pour son église, ou pour des personnes qui lui sont parentes ou proches, pour son seigneur dont il tient son fief et le tiendra après cet acte. Il faut que soient entendus des procureurs et des « contremandeurs ».

11. Aucun avocat ne doit reprendre ce que les avocats qu'il aide aura dit mais il peut ajouter des nouveautés s'il en a.

12. Dans les causes à entendre, seul le bailli de Rouen parlera, sauf s'il arrive que son jugement soit repris.

13. Les conseillers qui seront présents auront à coeur d'étudier et de retenir ce qui est porté devant eux.

14. Aucun conseiller ne doit contredire les parties plaidant mais chacun des plaidants doit écouter paisiblement, sauf si par hasard un éclaircissement ou une question est nécessaire.

15. Les arrêts du jour doivent être réglés le jour même, ou le lendemain au plus tard.

16. Les requêtes doivent être entendues par des maîtres dans la salle et celles qui nécessitent sa grâce doivent être rapportées au roi ; pour les autres, on donnera les ordres nécessaires aux baillis.

17. Les gens habitant en pays de droit écrit seront entendus par certains auditeurs de la cour, ainsi qu'il a été autrefois décidé.

18. Les rapporteurs des enquêtes recevront les enquêtes de certaines personnes de la cour à ceci commises, et les enquêtes seront jugées par eux ensemble, sauf si par hasard certaines enquêtes concernent des choses ou des personnes importantes, auquel cas, à cause de leur importance, il faut les rapporter au commun conseil.

19. Pour prendre conseil, l'un demande et les conseillers répondent aussitôt et celui qui parlera ne doit pas être contredit, et personne ne doit rapporter ce que ses co-conseillers auront dit, mais il doit répondre brièvement à ce qui doit être donné ou enlevé, et le second qui répond peut ajouter seulement de nouvelles raisons aux paroles de son prédécesseur.

20. Les gens d'un bailliage ne seront pas entendus avant que la précédente cause n'ait été terminée.

21. Après que les affaires d'un bailliage sont terminées, personne ne sera entendu sur une nouvelle requête, sauf pour des affaires qui seront apparues après coup.

22. Après que la demande sera faite et que la partie adverse dit qu'elle veut recevoir conseil, qu'elle reçoive aussitôt conseil ou bien, si c'est nécessaire, on l'attendra seulement jusqu'au lendemain, et le lendemain les parties devront venir suffisamment tôt le matin afin que l'affaire soit terminée avant toutes les autres.

23. Personne habitant les pays de droit écrit n'ira en la chambre des plaids mais sera reçu par les auditeurs destinés à cela.

24. Aucun bailli ne doit déposer un procès en Parlement sans commandement spécial du roi ou des maîtres siégeant en la chambre des plaids.

25. Dans la chambre des plaids, il doit toujours y avoir un clerc pour écrire les lettres de sang et un autre clerc pour les autres lettres, si c'est possible.

26. Si quiconque se trouve dans un procès mu par défaut de droit ou appel de faux et mauvais jugement, s'il perd ce procès, il sera puni très gravement.

27. Les chevaliers et les clercs du Conseil doivent avoir à coeur de régler les affaires du Parlement et personne ne doit être absent ; ils doivent tous venir tôt le matin et ne pas s'en aller avant l'heure. [...] »
.

Parlement de Paris (lit de justice vers 1450). Boccace, Des cas des nobles hommes et femmes, enluminure de Jean Fouquet, Munich, Bayerische Staatsbibliotek, Cod. Gall. 6, fol. 2v. Source : Bayerische Staatsbibliothek München - domaine public.



La chambre des comptes (curia in compotis), quant à elle, est compétente en matière fiscale comme son nom l'indique. Créée par une ordonnance de 1320, elle est notamment spécialisée dans la vérification des comptes des agents royaux chargés du maniement des deniers publics, avec droit pour la cour de les juger en cas de malversation. Elle surveille également la gestion du domaine royal et participe à l'élaboration des ordonnances relatives aux finances et au domaine. Aux XIVème et XVème s. la chambre des comptes contrôle l'activité des nouvelles administrations du domaine et du Trésor, et celle de l'impôt. Sa compétence sera toutefois réduite durant la période moderne par la création d'autres chambres financières spéciales.

Puisque les deux cours précédemment décrites tendent à fonctionner de façon autonome, la fonction générale de conseil est confiée à ce qui reste de l'ancienne curia regis. Cette nouvelle institution autonome a pour nom curia in consilio (Conseil du roi). Le roi étant, à partir du XIIIème s. de moins en moins dépendant des forces féodales, la composition de son conseil et la définition de ses attributions dépendent étroitement de sa volonté. On trouve en son sein une double représentation. L'entourage féodal et princier d'abord, qui constitue le noyau dur de la formation et aussi le plus ancien (membres de la famille royale, princes du sang, grands officiers et certains grands vassaux) ; on parle à leur propos de « conseillers nés ». Leur rôle peut dépendre de la politique royale en vigueur, mais il est toujours déterminant durant les périodes de crise (roi faible, captif, malade, mineur, etc.) A côté on trouve le groupe des techniciens du droit et de l'administration, d'extraction plus modeste (clercs, bourgeois, simples chevaliers), mais dont la présence est rendue nécessaire par l'accroissement et la complexité des tâches gouvernementales. Véritables orfèvres anonymes de la monarchie, ces « conseillers faits » ont contribué à forger le droit royal et à affiner les méthodes du gouvernement monarchique. Sur cette base le Conseil du roi évolue sans cesse dans sa structure, du XIIIème au XVème s. (nombre de ses membres, formations). Variables certes, les formations du conseil s'articulent toujours autour de trois missions essentielles de l'action gouvernementale : la politique (toutes décisions importantes, intérieures comme extérieures, aboutissant parfois à des projets d'ordonnances) ; l'administration et les finances (surveillance de la gestion financière du royaume et contrôle de ses principaux agents) ; la justice (cadre d'exercice de la justice retenue du roi).

Les modifications que subit l'administration centrale, tant la structure de l'hôtel-le-roi que celle de la curia regis, sont révélatrices d'un État en pleine construction. Cette métamorphose répond à la restauration de l'autorité royale commencée dès le XIIème s. (cf. supra, 1). Mais ce renouvellement institutionnel ne s'observe pas qu'au niveau du gouvernement central : le territoire, en effet, n'en fait pas l'économie et c'est le royaume dans son ensemble qui se doit d'être administré par la monarchie.

La royauté, dès le XIIIème s., se dote d'un appareil administratif suffisamment efficace pour contrôler le territoire du royaume. Cela est rendu possible grâce à l'action de nouveaux agents royaux, les baillis et les sénéchaux.

C'est déjà à partir du XIIème s. que ces serviteurs du roi se substituent progressivement aux prévôts et aux bayles, affermés jusqu'alors par le roi et chargés de missions très larges, administratives, judiciaires, militaires et surtout fiscales (levée des impôts). Mais prévôts et bayle ne répondent plus, à cette période, aux nouvelles exigences de la royauté et sont de plus en plus perçus comme les vestiges d'une administration révolue. A la différence, sénéchaux et baillis incarnent la modernité. Fidèles agents du roi, ils se révèleront être, en effet, les chevilles ouvrières du déploiement territoriale de l'État en construction jusqu'au XIVème s.

Rq.Albert Rigaudière précise que grâce aux baillis et aux sénéchaux, le roi « trouve un point d'appui pour s'affranchir de la médiatisation féodale, atteindre directement les sujets du royaume en leur faisant parvenir ses ordres, en les jugeant et en les imposant » (A. Rigaudière, Introduction historique à l'étude du droit et des institutions, Paris, Economica, 2001, p. 255).

La répartition géographique diffère entre les deux serviteurs du roi. Les baillis se rencontrent au nord de la France (domaine royal, Nord, Est, Normandie), alors que les sénéchaux occupent le sud (pays de langue d'Oc).

Au XIIIème s. les baillis sont chargés par le roi d'inspecter et gérer une circonscription définie (bailliage), au sein de laquelle rapidement ils résident. De leur côté les sénéchaux ont une origine davantage féodale, mais leurs compétences sont récupérées par le roi au fil des conquêtes du sud de la France. Celui-ci leur conserve alors leur qualité de gestionnaires locaux au sein d'une circonscription propre (sénéchaussée), à la manière des baillis.

Dès le début du XIIIème s. l'histoire des baillis et des sénéchaux se confond. Tous les deux représentent le roi dans la province. A ce titre ils exercent d'importantes fonctions administratives (application du droit royal, gestion de l'ordre, aménagement du territoire, administration de la police économique, religieuse, morale), judiciaires (représentation de la justice royale au niveau local), financières (perception des revenus royaux, gestion des biens, des droits et des revenus du domaine, contrôle des prévôts et des bayles) et militaires (convocation de l'ost royal, sécurité des hommes, du territoire et des villes). Le jurisconsulte Jacques d'Ableiges, auteur du Grand Coutumier de France vers 1385-1389, rappelle que les importantes missions baillivales imposent une stricte déontologie, notamment le refus de toutes formes de corruption.

Tx.Jacques d'Ableiges, Le Grand Coutumier de France (XIVème s.), éd. 1514, chap. VII « Du serment des baillis » (éd. E. Laboulaye et R. Dareste, p. 160-162) :

« Premièrement qu'ils feront et rendront droict à toutes personnes grans et petis, privés ou estrangiers sans acception de personne, garderont les us et coutumes des lieux. – Item qu'ils garderont les droicts royaulx et les droicts du roy entièrement, et ne amenuiseront le droict d'autruy. – Item que par eulx ne par aultre ils ne prendront dons de quelque personne, soit en or ou en argent, en meuble, en héritaige, bénéfices ou aultre chose, excepté choses ordonnées à boire et à manger. Et de ce prendront attrempement selon la condition de chascun, c'est assavoir en telle quantité qu'ils puissent estre despendus en icelluy mesme jour sans faire excès ne gast. Et ne pourront donner bénéfices d'église ne d'aultres à leurs femmes ou leurs enfans, frères, seurs, nepveux, niepces, cousins, conseillers ou privés, ainçois les destourneront et empescheront à leur povoir. Et s'ils les ont receus, ils les contraindront à rendre si tost comme ils en seront advertis. Et ne pourrons recevoir vin sinon en barils ou en pots sans fraude. – Item que d'aucuns de leurs justiciables, ou d'aultres qui auront aucune cause devant eulx, ils ne recepveront par eulx ne par aultres aucun prest oultre la somme de cinquante livres tournois, lesquels ils rendront devans deux moys après ce qu'ils les auront receus, supposé que le créancier les lui voulust bien plus longuement croire, ne aultre prest ne pourront recevoir tant celluy soit payé. – Item qu'ils ne donneront ne envoyeront à nul du conseil du roy, ne à leurs femmes ou enfans, ne à leurs privés, ne à ceulx qui seront envoyés de par le roy en leur jurisdiction pour enquérir de leurs meffaits, fors seullement viandes ou aultres choses ordonnées pour le boire et le mangier, desquelles ils ne pourront passer que une journée. – Item ils n'auront part aux vendanges des bailliages, ne des prévostés, ne d'aultres rentes appartenantes au roy. – Item qu'ils ne soustiendront en leurs erreurs les prévosts ne les aultres officiers qui seront trouvés estre torcionniers, ou exacteurs, ou soupsonneux de usure, ou qui mainent déshonneste vie, ains corrigeront leurs excès en bonne justice. – Item qu'ils n'achèteront, ne feront acheter, par eulx ne par aultres, aucune chose en leur bailliage, tant comme durera leur dicte office ou administration, ne semblablement en aultre par frauduleuse impression. Et s'ils font le contraire, la chose ainsi achetée sera appliquée au roy. – Item que durant l'administration de leur dicts offices ils ne feront mariage de eulx ne leurs enfans, frères, seurs, niepces, cousins, cousines, ne les mettront en religion en leur acquérant bénéfice d'église, ou possession, si ne n'est par grâce du roy. Exceptés ceulx qui ont offices ou administrations ès lieux dont ils sont nés et prins leur nourriture, esquels lieux ils ont maison ou héritaige, lesquels en ce cas se pourront marier et mettre leurs parens et amis en religion, et acheter terres et possessions, mais qu'ils le facent sans maulvaise convoitise et sans fraulde, et que le droict du roy ne l'autruy ne soit blécé. – Item ils ne mettront ne tiendront aucun en prison pour debte, si ce n'est pour la debte du roy, si les personnes ne sont à ce obligées. – Item ils bailleront les fermes du roy à personnes souffisantes selon ainsi qu'il est accoustumé de faire ».

En dépit de l'efficacité de ces agents et de leur fidélité, le roi n'en exerce pas moins sur eux un contrôle strict (mobilité imposée, contrôle de leur administration et de leur gestion, recueil des plaintes des administrés, etc.) Le roi cherchait certainement à éviter toute velléité d'émancipation chez eux, comme cela fut le cas aux temps carolingiens avec les comtes.

Après le premier quart du XIVème s., le rayonnement exceptionnel des baillis et des sénéchaux décline cependant. Certes les désastres de la guerre y sont pour quelque chose. Mais ils sont surtout dépassés par leurs considérables obligations et la multiplication de tâches de plus en plus complexes ; ils sont alors contraints de déléguer leurs attributions à des auxiliaires (lieutenants, receveurs). La royauté tire avantage de cette situation en démultipliant leurs tâches initiales (création de services spéciaux dans l'armée, les finances, la fiscalité), que la concentration dans les mains de ces seuls agents rendait dangereuse pour la monarchie. Bientôt baillis et sénéchaux sont alors subordonnés à des envoyés directs du roi (commissaires réformateurs, lieutenants généraux gouverneurs), voire substitués par eux, et deviennent de simples officiers au XVème s. Cette évolution répond à la volonté de plus en plus centralisatrice du pouvoir royal qui s'accentuera durant toute la période moderne (cf. infra, leçon 7).


Sy.A la fin du Moyen Age l'État en a terminé avec l'improvisation. L'administration rudimentaire des origines a fait place à une lourde machine qui s'est substituée à l'exercice direct et personnel du pouvoir par le roi. Le Capétien est désormais un souverain, dont la majesté est acceptée par l'ensemble de la communauté politique et de la société civile. La féodalité a vécu. Les réseaux féodaux et les solidarités vassaliques sont maintenant étroitement enserrés dans le maillage administratif, central et local. En trois siècles l'ensemble des forces féodales est passé sous la main du souverain. Ce processus est le résultat de la reconquête intellectuelle et institutionnelle de l'autorité royale et celui du développement d'une véritable administration, composée d'agents animés par une mentalité nouvelle, non plus féodale, mais désormais publique. Ce mouvement annonce le triomphe de l'État, caractéristique de la période moderne.
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