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Histoire des institutions jusqu'en 1789

Une société féodale (Xème - XIIème siècles)

La période qui s’ouvre avec la dynastie capétienne est marquée par une très nette évolution des structures politiques : la vassalité transforme profondément les rapports de pouvoir ; de nouveaux centres de pouvoir, seigneuries, villes, parcellisent l’autorité publique, et de nouvelles sources de droit se substituent à celles connues dans le monde carolingien.


L'année 987 est celle de la mutatio regni. Au terme d'une lente dégradation, la dynastie carolingienne s'éteint en Francie occidentale avec la mort accidentelle du jeune Louis V en 987. En juin 987, Hugues Capet est élu à la dignité royale, inaugurant une nouvelle dynastie, celle des Capétiens. Cependant, si l'Histoire a retenu cette date comme symbolique, l'accession d'Hugues a eu peu d'écho chez les contemporains : elle n'était que le résultat du lent déclin de la royauté carolingienne.

Le roi Hugues Capet en majesté. Source : wikipédia - domaine public.



Le monde qui s'ouvre en l'an Mil va être différent des siècles précédents. Les structures politiques, les rapports au pouvoir, les relations économiques et sociales, le poids de l’Église, constituent les éléments d'une nouvelle société.

Cependant, il faut certainement minimiser l'idée d'un changement brutal au passage de l'an Mil et plutôt admettre une évolution des structures politiques et sociales déjà en place chez les Carolingiens. Cette évolution, surtout institutionnelle, se fait au profit des nouveaux centres de pouvoir que sont les seigneuries. En effet, l'autorité centrale va assister impuissante dans un premier temps au morcellement et à la dislocation de l'autorité publique. La seigneurie va donc devenir par excellence le lieu où les rapports de pouvoir vont s'exercer pour les deux premiers siècles capétiens. Ces liens de pouvoir vont se développer dans deux directions : un lien de sujétion à l'égard des manants, paysans qui résident sur le territoire de la seigneurie ; un lien féodovassalique qui va structurer les relations que les Grands vont entretenir entre eux.


Rq.La conception qui voit une brusque transformation des cadres politiques et institutionnels au passage de l'an Mil est dite mutationniste. Certains historiens, notamment les historiens du droit, ont perçu dans ce bouleversement une véritable mutation féodale, notamment à travers la dissociation territoriale due à la multiplication des seigneuries et à travers la faiblesse de l'autorité royale. Pour d'autres, cette mutation féodale n'est qu'un concept historique et n'a pas de véritable réalité. Ils soulignent que les élites dirigeantes n'ont pas été remplacées brusquement mais qu'elles ont adapté leur rapport au pouvoir pour en tirer parti. Ils développent également une lecture critique des documents en rappelant que les textes n'offrent pas toujours une version fidèle de la réalité mais que la narration qu'ils présentent procède de stratégies de pouvoir.
 

1. La dispersion du pouvoir


Durant un siècle et demi, les Capétiens vont voir leur pouvoir royal limité : d'abord géographiquement à leur propre domaine, c'est-à-dire grosso modo l'Ile-de-France. La destination des actes royaux (diplômes) concernent surtout les établissements religieux de cette région, tout comme la portée des ces actes. Ce n'est vraiment qu'à partir de l'ordonnance de Soissons du 10 juin 1155 établissant une paix pour dix ans pour l'ensemble du royaume que le roi commence à renouer avec une prérogative à portée générale. Ensuite, le pouvoir capétien est limité en raison de la multiplicité des centres de pouvoirs : l'apparition des principautés territoriales au cours du Xème siècle annonce la dissociation territoriale des siècles suivants, illustrée par le phénomène seigneurial qui conduit chaque seigneur à user de droits régaliens.

Cette situation de dislocation de l'autorité publique aurait pu conduire à une période d'anarchie féodale. Mais c'est oublier que cette société du Moyen Âge central est structurée par des liens très forts qui concernent tant les rapports entre les puissants que les rapports entre aristocratie et paysannerie qui vont prendre la forme des relations féodo-vassaliques.

Le phénomène vassalique n'est pas propre aux siècles centraux du Moyen Âge, ni au royaume de France. La vassalité existait déjà sous l'empire carolingien : c'est l'exemple du capitulaire de Mersen (847) où l'empereur Charles le Chauve invite les Grands à entrer en vassalité. Elle est également connue à l'échelle européenne, avec quelques variantes.

Le lien féodovassalique se compose de deux éléments : le premier est un lien personnel qui unit le seigneur et le vassal ; le second est un lien réel qui trouve son origine dans le fief concédé.
Pourtant, le lien vassalique qui va se développer sous les Capétiens est original. Peu à peu, le lien réel va devenir l'élément dominant, reléguant le lien personnel au second plan. On s'engage maintenant pour obtenir un fief. Il reste néanmoins que ce lien très fort qui unit un seigneur à son vassal se compose de différentes obligations et qu'il va peser sur l'organisation sociale et politique du royaume de France.



Le lien vassalique est créateur d'une « dépendance honorable » (J-P. Poly, E. Bournazel) entre un seigneur et son vassal. Pour que ce lien de dépendance naisse, il est nécessaire qu'il se constitue selon des étapes formalistes. Deux moments rythment cette naissance.

En premier lieu, le vassal se recommande à son seigneur en lui faisant hommage. Cet hommage (homagium), qui reprend les éléments de l'ancienne commendatio franque, est un véritable rite de soumission du vassal, soumission qui lui permet d'obtenir la protection de son seigneur. Le vassal (vassus) s'agenouille devant son seigneur (senior) et lui donne ses mains (datio manuum). Quelquefois, le seigneur peut relever le vassal et lui donner un baiser de paix (osculum pacis), soulignant ainsi le rapport personnel, quasi-physique, qui unit les deux hommes.

En deuxième lieu, la cérémonie va se doubler d'un rite à caractère religieux. Le vassal doit en effet prêter serment sur les Evangiles ou sur des reliques de saints. Cette cérémonie prend le nom de sacramentum, juramentum, fides. Ce qui est au cœur de ce rite est la foi jurée et le vassal prête ainsi à son seigneur foi et fidélité (fidem et securitatem). Ce serment constitue en quelque sorte une garantie : dans une société médiévale éminemment chrétienne, rompre ce serment religieux revient à faire affront à Dieu et est un véritable parjure.

Il faut enfin souligner que le serment de fidélité ne concerne que le vassal. C'est un acte unilatéral, contrairement à l'hommage, acte bilatéral, qui est créateur d'obligations réciproques entre le seigneur et le vassal. A ce titre, il est un contrat synallagmatique.

Hommage vassalique. Cérémonie de la dation des mains (XIIIème siècle). Archives Départementales de Perpignan. Source : wikipédia - domaine public.


Ex.En 1064-1065, Harold Godwenison prête serment de fidélité au duc de Normandie, Guillaume le Bâtard. Harold s'engage ainsi à aider le duc de Normandie pour la succession au trône d'Angleterre et à être son délégué en Angleterre. De retour en Angleterre en 1066, il se fait désigner par le roi Edouard le Confesseur comme son successeur. Il rompt ainsi son serment prêté sur des reliques et devient parjure. Le 14 octobre 1066, lors de la bataille d'Hastings, Harold paie son parjure de sa mort.

Harold prêtant serment au duc Guillaume, Tapisserie de Bayeux, Ville de Bayeux. Source : Own Work - domaine public.




Le lien féodo-vassalique est un des éléments structurant de la société médiévale. Il compose une hiérarchie sociale qui en assure la cohésion. Cependant, la multiplication des ces liens tisse une toile de relations sociales et politiques. A ce titre, il constitue simultanément un facteur qui limite l'étendue du pouvoir politique : cette limitation est aussi bien présente dans les rapports entre un comte et les seigneurs châtelains à l'échelle d'un comté qu'entre le roi et les titulaires des grands fiefs à l'échelle du royaume. Le roi peut donc apparaître comme un seigneur parmi d'autres.

De plus, dans un premier temps, le lien vassalique n'est pas exclusif : un vassal peut très bien prêter plusieurs hommages à plusieurs seigneurs et multiplier ses engagements vassaliques. On assiste alors à des vassalités multiples, dont le premier exemple est attesté en 895 pour un vassal du comte du Mans qui s'engage également auprès du duc Robert, frère du roi Eudes. Dès lors se pose la question de la priorité des services : à qui le vassal doit assurer en premier le service féodal ? En cas de guerre de deux seigneurs d'un même vassal, à qui le vassal doit-il fournir une aide armée ? Ce casus sera résolu par deux moyens : d'abord, au début du XIème siècle, en utilisant la clause de réserve de fidélité. Ensuite, au milieu du XIème siècle, apparaît la distinction entre un hommage prioritaire, l'hommage lige, et un hommage ordinaire, l'hommage plain.

L'enchevêtrement des rapports féodaux crée une situation favorable aux vassaux qui n'agissent maintenant que pour leur seul profit. Cet aspect transparaît notamment à travers l'importance que revêt le fief, c'est-à-dire en somme l'importance donnée à l'élément foncier. En effet, un vassal détenteur d'un fief a tout intérêt à le conserver et à le transmettre à ses héritiers. La transmission héréditaire va ainsi se mettre peu à peu en place, avec quelques réticences, ce dont témoigne un texte angevin des années 1040 qui lie fief et hérédité (Y. Sassier). Ce principe devient la règle à la fin du XIème siècle pour toutes les régions du royaume et conduit à la patrimonialité des fiefs.

La transmission héréditaire, corrélée au lien féodal, va aussi avoir une conséquence sociale importante. A terme, elle va permettre la création de lignages centrés sur la ligne agnatique de la parenté. Au XIème siècle, les familles princières organisent les successions familiales autour de la figure du fils aîné, tout en limitant le mariage des cadets afin d'éviter une dispersion des patrimoines familiaux. De plus, les lignées principales de ces familles tendent à monopoliser les charges publiques importantes (abbatiat par exemple), ce qui leur permet de consolider leur position hiérarchique au sein de leur propre famille. Citons par exemple le frère du comte Geoffroy Grisegonelle, comte d'Anjou, et son frère Guy, abbé de Saint-Aubin d'Angers, de Cormery, de Villeloin et de Ferrières. De plus, le lien vassalique peut se doubler de liens familiaux qui viennent garantir la paix et la sécurité au sein et pour ces groupes sociaux aristocratiques.

Ex.C'est le cas d'une puissante famille seigneuriale poitevine, celle des vicomtes de Thouars. Vassale des comtes de Poitiers et duc d'Aquitaine, elle s'allie avec elle par mariage au début du XIIème siècle. Le lien vassalique se double donc à partir de cette union d'un lien de parenté. Le vicomte de Thouars Aimery (1123-1127) épouse Agnès, fille du duc d'Aquitaine Guillaume IX (1086-1126). A partir de ce mariage, les noms habituellement donnés dans la famille ducale sont utilisés par la famille de Thouars pour leurs enfants. C'est le cas pour les enfants issus du mariage d'Aimery et d'Agnès qui s'appellent Guillaume, Guy et Geoffroy, en référence à Guy-Geoffroy-Guillaume, duc d'Aquitaine entre 1058 et 1086, leur grand-père.

Les liens familiaux et les liens vassaliques s'entrecroisent ainsi intimement pour garantir la cohésion de la société. L'impression d'anarchie féodale doit donc être rejetée.
Un dernier problème mérite d'être soulevé : celui des rapports de pouvoir dans le cadre du monde féodal. Il se pose à deux échelles : celle du roi, étudiée dans la leçon suivante, et celle des comtes et de leurs châtelains.

Présenter un schéma général des rapports de pouvoir concernant les comtes et leurs seigneurs est quasiment impossible. Il existe en effet autant de situations possibles que de comtés. Néanmoins, quelques tendances peuvent être dégagées pour le XIème siècle. Certains comtés (Flandre, Normandie) ont réussi à empêcher la dislocation de la puissance publique en leur sein. En Flandre, le comte place ses propres agents à partir des années 1030-1040 dans les forteresses qui contrôlent son territoire. Ainsi, les châteaux sont des châteaux comtaux et les préposés de ces châteaux ne sont que des agents locaux du comte. La réussite est encore plus éclatante en Normandie. Dans la première moitié du XIème siècle, le duc normand a conservé en ses mains les prérogatives régaliennes du roi carolingien. Malgré une crise dans les années 1040 au moment de la minorité de Guillaume le Bâtard qui a vu la construction de châteaux adultérins, le duc normand a rapidement repris le contrôle de son territoire à partir des années 1050. La puissance du duc s'explique par plusieurs facteurs : il dispose d'abord d'une richesse foncière importante. De plus, il confie l'administration locale à des vicomtes, véritables délégués du prince, et les contrôle étroitement. Ainsi, les droits régaliens (battre monnaie, construire des châteaux, faire la guerre par exemple) resteront des droits ducaux. Enfin, grâce à ce maintien des droits ducaux, le duc conservera la mission de maintien de la paix publique et se réservera la répression de certains crimes, ce qui lui confère une primauté politique sur tous les seigneurs normands.

Ailleurs (Aquitaine, Bourgogne, Languedoc), les pouvoirs centraux de ces comtés ont bien du mal à contenir la naissance des seigneuries châtelaines. Ces seigneuries participent ainsi au phénomène de dissociation territoriale et de dislocation de l'autorité publique que l'on aperçoit à partir de l'an Mil.

Sy.Le lien vassalique naît d'un contrat qui engage les deux parties, seigneur et vassal. Si le premier doit protection à son vassal, le vassal doit servir fidèlement son seigneur. La société féodale va se construire sur ces liens vassaliques qui, se multipliant, vont créer une véritable pyramide féodale, limitant le pouvoir royal.


L'une des formes de domination que va connaître le monde médiéval est la seigneurie. Elle l'un des centres de pouvoir et l'une des cellules de base de la vie quotidienne. A côté de cette seigneurie, les villes vont peu à peu se développer à partir de la seconde moitié du XIème siècle et devenir des lieux de création juridique.


La seigneurie peut prendre plusieurs formes : elle peut être foncière, banale ou encore ecclésiastique.

La naissance d'une seigneurie est presque toujours liée à l'usurpation d'une charge publique par son détenteur. Ainsi, un ancien vicarius ou un gardien d'une forteresse va s'approprier peu à peu les droits qui découlent de cette charge et les utiliser pour son propre compte. De plus, ces futurs seigneurs disposent généralement d'un patrimoine foncier important qui leur permet de s'assurer la fidélité de l'aristocratie locale et qui leur permet de dominer la paysannerie.

L'évolution de l'apparition des seigneuries n'est pas linéaire : elle dépend surtout du degré de relâchement de l'autorité du comte qui laisse agir ses agents locaux à leur guise. Ainsi, pour la région de Mâcon, les seigneuries se développent dans le premier quart du XIème siècle, au moment où le comte est faible politiquement.

Le pouvoir seigneurial s'établit à partir d'un château et de son district, c'est-à-dire le territoire sur lequel s'étend le pouvoir de contrainte du seigneur (districtio). Le château est symbole de puissance mais également de celui de la justice. En effet, le seigneur dispose du pouvoir de ban (bannum) sur les hommes de sa seigneurie (appelés également les hommes de la poesté). Il exerce ainsi des prérogatives judiciaires et juge l'ensemble des infractions commises sur le territoire de sa seigneurie, notamment les causes majeures qui constituent la haute justice au XIème siècle (rapt, vol, incendie, meurtre), et perçoit les amendes. Une autre source de profits est assurée par les prélèvements, appelés également exactions, que le seigneur lève sur ses hommes. Ce sont par exemple les banalités qui obligent les paysans à utiliser le moulin, le four ou le pressoir seigneurial pour transformer leur récolte et qui sont donc soumises au monopole seigneurial.

Il faut aussi souligner que c'est dans l'étude du cadre seigneurial que le problème des consuetudines a été abordé. Le terme utilisé au pluriel désigne les coutumes, c'est-à-dire dans l'esprit des textes de l'époque des droits d'origine publique (le ban, les droits de justice criminelle, des prélèvements fiscaux comme les tonlieux) mais également des droits d'origine foncière ou domaniale. En somme, ce sont les droits qu'exerce le seigneur pour encadrer les populations. L'étude de ce terme a également permis d'affiner la chronologie concernant les seigneuries et de manière plus générale de mieux comprendre le phénomène de dislocation de l'autorité publique. Jean-François Lemarignier a ainsi remarqué que le terme consuetudines, utilisé dans le sens d'exactions ou de droits seigneuriaux et qualifié de malae consuetudines (mauvaises coutumes), surgit brusquement dans la documentation à partir de 987. Cette rapide apparition, valable pour l'ensemble du royaume dans les années qui suivent l'accession du Capétien à la royauté, serait le signe du développement important de la seigneurie châtelaine, du poids du prélèvement seigneurial sur la paysannerie et, en conséquence, de la disparition de l'autorité publique qui serait en quelque sorte privatisée par les seigneurs. Sans entrer dans un débat qui agite les historiens, il faut tout de même souligner que les textes où les malae consuetudines sont mentionnées concernent des monastères qui ont connu une réforme, sous l'influence de Cluny, qui vise à les soustraire à la puissance des laïcs (abbatiat laïc). Dès lors, la mention des mauvaises coutumes peut entrer dans une stratégie des moines pour reconstituer leur patrimoine en dénonçant des biens ou des droits détenus même depuis longtemps par l'aristocratie.

La tour de Loudun édifiée vers 1040 par le comte d'Anjou Foulques Nerra. Source : Own Work - Licence de documentation libre GNU.

Château à motte, La Haie-Joulain, XIe - XIIIe siècle, Saint-Sylvain d'Anjou. Source : Own work - Licence de documentation libre GNU.



La renaissance des villes est liée au renouveau de l'économie à partir du XIème siècle. A une économie fermée propre au monde carolingien succède une économie d'échanges qui va fait naître une nouvelle classe, celle des marchands. Les communautés urbaines, centres de production et de commerce, ont besoin pour les affaires d'une liberté plus grande. Elles doivent s'organiser mais doivent également définir leurs relations avec l'autorité seigneuriale, voire quelquefois la limiter et la réduire.

Malgré des évolutions différentes entre le nord et le sud du royaume (il n'existe pas de schéma général explicatif), les communautés bénéficient toutes d'une charte qui présente les libertés octroyées soit du propre chef du seigneur, soit après des négociations entre le pouvoir seigneurial et les habitants.

Ex.Un des exemples les plus connus de ces chartes de franchise est celle octroyée par Louis VI pour les habitants de Lorris-en-Gâtinais en 1134. Elle est ensuite confirmée par Louis VII en 1155 et par Philippe-Auguste en 1187 et accorde des libertés personnelles, économiques et fiscales aux habitants. Elle servira par ailleurs de modèles pour d'autres communes du centre de la France.

Que la ville se situe au Nord du royaume – elle est alors une commune - ou au Sud – elle prend le nom de consulat – elle affirme l'existence d'une communauté. Cette notion s'illustre notamment par le serment de paix et d'entraide que se prêtent mutuellement les bourgeois et qui sert à manifester symboliquement la cohésion du groupe social. Dès lors apparaît la notion juridique de communauté qui se dote de la personnalité juridique et que les textes du XIIIème siècle rendent par le terme d' universitas . Les chartes communales vont alors permettre de préciser les privilèges accordés, mais également de définir le fonctionnement de la ville à travers la mise en place d'institutions municipales.

Le gouvernement de la ville est assuré par une assemblée des citoyens qui peut regrouper tous les habitants de la ville ou seulement ceux qui y ont résidence depuis un an et un jour. Les institutions urbaines ne sont donc pas représentatives de tous les habitants et ont tendance généralement à exclure les immigrants. A cette assemblée plénière s'ajoutent des conseils délibératifs, appelés communs conseils comme à Toulouse, dont le rôle consiste à délibérer sur les questions soumises par les magistrats de la ville. Enfin, les villes ont à leur tête un exécutif collégial qui permet de les qualifier soit de commune, soit de consulat. En effet, les communes ont un conseil composé le plus souvent de douze membres (les échevins) dirigé par un maire ou un bourgmestre (Flandre) qui est le premier magistrat de la ville. Les consulats méridionaux présentent un exercice du pouvoir plus collégial : les villes sont dirigées par des consuls égaux dont le nombre varie entre deux et vingt-quatre.

 
Ex.Les Établissements de Rouen, est une charte définissant l'organisation municipale de la ville de Rouen donnée par Henri II Plantagenêt entre 1160 et 1170. Elle sert par la suite de modèle pour de nombreuses villes de l'espace plantagenêt, notamment pour les villes d'Aquitaine. Ainsi, elle organise les villes de La Rochelle et Saintes en 1199, Niort, Poitiers, Angoulême en 1204, Oléron en 1205 ou encore Bayonne en 1215. S'agissant de l'organisation institutionnelle municipale, elle subordonne la désignation du maire au choix du duc, institue douze échevins et douze conseillers.

Les consulats urbains méridionaux ne sont pas non plus de création spontanée. Les institutions consulaires ont souvent une genèse dans le cadre de l'administration seigneuriale : ainsi Toulouse où apparaît pour la première en 1152 un « commun conseil de la cité et du faubourg » issu de l'administration comtale.

 
Le contenu des chartes de franchises est souvent identique : elles présentent des privilèges accordés. Les bourgeois se voient reconnaître une liberté personnelle, illustrées par l'adage « l'air de la ville rend libre ». Les habitants ne sont donc pas soumis aux corvées ou à la taille. De plus, si un serf vient habiter en ville, il devient libre. Cette liberté s'étend également à la pratique du commerce : les marchandises sont affranchies des taxes (tonlieux) et de taxes douanières, ce qui assure la liberté de circulation des marchandises dans les villes.

Les communes et les consulats peuvent aussi, selon le contenu de la charte de franchise, disposer d'un pouvoir de ban leur permettant de fixer les impôts (indirects comme les péages et les tonlieux ou directs comme le droit d'entrée dans la commune par exemple), de surveiller les foires et les marchés ou de percevoir les amendes prononcées par les tribunaux municipaux.

Enfin, un des traits majeurs de ce mouvement communal est la conquête de privilèges judiciaires. Les chartes de franchise vont reconnaître le droit pour tout bourgeois d'être jugé devant ses pairs, c'est-à-dire par le tribunal municipal. Si le principe est communément admis, son application varie selon les régions. Dans certaines communes du Nord et dans certains consulats du Midi, les échevins ou les consuls détiennent la pleine juridiction civile et criminelle. C'est l'exemple de la ville de Lille dont témoigne le Livre Roisin. C'est encore plus vrai pour Tournai qui se voit dotée d'une charte par le roi en 1188. L'indépendance judiciaire est complète, réserve faite des droits du roi : les magistrats tournaisiens connaissent ainsi de la haute, de la moyenne et de la basse justice sur la ville et sur la banlieue. Pour les consulats, on peut citer Castelnaudary (1333) ou encore Grenade (1291), près de Toulouse, et Villasavary (1342), près de Carcassonne. Quelquefois, l'exercice de la compétence criminelle ne s'arrête pas aux seuls bourgeois mais concerne toute personne présente sur le territoire de la ville. Le maire et les jurés de Saint-Quentin étendent ainsi leur juridiction jusqu'aux limites de la banlieue d'après la charte de 1195. La juridiction communale s'exerce donc ratione loci et se substitue complètement à l'ancienne justice territoriale du seigneur. Il existe, parallèlement à cette première situation, de très nombreuses villes où le partage de compétence est la règle.

La justice municipale, dans le cadre d'un partage de compétences avec le seigneur, s'occupe généralement des litiges civils et commerciaux ainsi que des petits délits comme le vol. Le seigneur garde pour lui la connaissance des grands crimes (vol, rapt, meurtre, incendie) en raison du profit qu'il y a à en tirer et en raison de la qualité de crimes de sang. L'exemple est fourni par Saint-Quentin où le seigneur se réserve les cas de haute justice ; à Nîmes, en 1185, le comte de Toulouse peut arrêter les habitants et confisquer leurs biens pour des cas de trahison, de faux et de vol. Dans les villes bourguignonnes comme à Argilly, le seigneur juge l'adultère, le meurtre et le vol comme l'atteste la charte de 1234.

A côté de ces formes d'organisation municipale existe un autre type de ville appelée ville de simple franchise ou de prévôté. Ces communautés ne connaissent pas d'institution communale ou consulaire et restent sous le contrôle du seigneur ou de son représentant, le prévôt. Elles ne bénéficient donc au départ que de franchises accordées. Mais, peu à peu, ces villes se voient reconnaître, à partir de la fin du XIIème siècle, un corps communal composé de jurés élus par les habitants ou élus par le seigneur.

Au final, les villes au Moyen Âge sont encore un phénomène minoritaire. Elles présentent toutefois des caractères novateurs quant à l'exercice traditionnel du pouvoir. Le pouvoir y est collégial et révocable et, même si certaines villes sont dominées par une oligarchie urbaine, elles constituent des laboratoires de la « démocratie ». Elles offrent ainsi des perspectives nouvelles dans la manière de gouverner.

2. Diversité du droit et triomphe de la coutume


Pendant longtemps, le Xème et le XIème siècles ont été perçus comme des périodes où le droit était complètement absent. Ils constituaient des moments de « vide juridique » (Y. Sassier) en lien avec cette impression d'anarchie féodale. En effet, depuis le Vème siècle, le droit romain est en déclin et il est de moins en moins pratiqué. Il faut tout de même prendre garde à l'idée d'une disparition complète : les sources, notamment royales, témoignent encore de la présence, quelquefois très ténue, de formules empruntées aux actes romains. Il reste cependant que la science juridique est en recul.
Cette impression de vide juridique a par ailleurs été accentuée par la disparition, à la fin du IXème siècle, de la législation franque sous la forme des capitulaires. A partir de ce moment, l'autorité royale a cessé d'être considérée comme une source de droit.

Pourtant, cette société médiévale est un monde de normes qui organisent et ordonnent la vie en société. Mais, ces normes ne dépendent pas des sources écrites décrites plus haut. Elles ne s'inscrivent pas obligatoirement dans un acte écrit. Elles peuvent découler de l'organisation familiale ou de la pression du groupe social. C'est pour le Moyen Âge central le règne de la coutume, sans toutefois que les autres sources de droit disparaissent complètement.


Le droit entre le Xème et le XIème siècles apparaît essentiellement sous la forme de la coutume. Le mot consuetudo a deux acceptions : c'est d'abord, au singulier, le sens d'un corps de règles qui s'applique sur un territoire, le détroit de la coutume. Au XIème et XIIème siècles, il est assez difficile de la percevoir. Ensuite, le terme, cette fois pris au pluriel (consuetudines), a le sens de droits publics, essentiellement des droits de justice, et est synonyme de coutumes-exactions. On trouve cette notion sous sa forme négative, les malae consuetudines, les mauvaises coutumes.
Saisir l'apparition de la coutume est difficile. Par définition, la coutume naît de la répétition d'une pratique pendant un temps long (la durée a été fixée à quarante ans). Cette répétition va créer une habitude qui va permettre de conférer un caractère obligatoire à cette pratique pour la transformer en coutume. Deux éléments sont donc nécessaires à la naissance de la coutume : le temps et l'opinio necessitatis.

On le voit la coutume est issue de l'usage. Dès lors, cerner le moment d'apparition d'un usage assez fréquemment répété pour qu'il devienne coutume est difficile car les sources souvent ne prennent pas soin de le mentionner. De plus, la coutume est marquée par son oralité ce qui ne facilité pas son analyse.

Il est toutefois possible, sous réserve de différences locales, d'esquisser une tentative de schéma explicatif. Les coutumes sont nées au sein des groupes aristocratiques. Avec l'apparition de nouvelles solidarités familiales liées à la constitution des familles en lignage, ces groupes ont eu besoin de régler des questions de droit privé (dévolution successorale, mariage des filles), elles-mêmes liées à la question de la conservation du patrimoine et, par conséquence, au maintien de la puissance politique. Leurs pratiques pour résoudre ces questions ont pu, à force d'être répétées, passer en coutume. Par ailleurs, ces groupes familiaux ont également pu avoir recours à des accords, appelés convenientiae , pour trouver des solutions qui, à leur tour utilisées pendant longtemps, sont devenues des règles coutumières.

La consécration en coutume semble nécessiter un autre élément : celle de la puissance de l'autorité publique. On aperçoit en effet que des coutumes ont pu se cristalliser très tôt dans les régions où la puissance politique était restée importante. C'est le cas par exemple pour l'Anjou où dès 1050 deux actes du temps du comte Geoffroy Martel font état d'une coutume dans la région de l'Anjou. Un autre exemple est fourni par le duché de Normandie où l'autorité du duc reste forte : vers 1060, le duc Guillaume le Bâtard promulgue un texte « Consuetudines et Justicie » consacré au respect de la paix ducale. Ce texte concerne davantage l'ordre public mais il permet peu à peu la naissance d'un corps de règles coutumières qui va règlementer les relations féodo-vassaliques. Un autre indice plaide pour l'existence d'une corrélation entre cristallisation coutumière et pouvoir politique : souvent, le détroit des coutumes épouse les frontières d'un comté ou d'un duché. C'est vrai pour la coutume de Normandie ou pour celle de Maine-Anjou qui correspond, peu ou prou, aux limites du comté d'Anjou du XIème siècle.

Marquées par l'oralité, les coutumes souffrent de difficultés pour les connaître et les faire valoir devant les juges. A la fin du XIIème siècle et au début du XIIIème siècle, les coutumes commencent à être mises par écrit. Ces coutumiers restent des recueils privés, œuvres de praticiens locaux qui connaissent bien le droit de leur région. Le premier recueil est une œuvre normande, Le Très Ancien Coutumier de Normandie, rédigé en partie à la fin du XIIème siècle complété par la Summa de legibus Normannie, datée du milieu du XIIIème siècle. Le XIIIème siècle voit de plus en plus le travail de mise par écrit avec les Coutumes de Touraine-Anjou (v. 1246), les Établissements de Saint-Louis (avant 1273) pour l'Orléanais, le Livre de Jostice et Plet (entre 1255 et 1260) également pour l'Orléanais, le Conseil à un ami (avant 1258) de Pierre de Fontaines pour le Vermandois ou encore les Coutumes de Beauvaisis (1283) de Philippe de Beaumanoir. Dépourvus de valeur officielle car œuvres privées, ces coutumiers sont pourtant largement utilisés et exposent fidèlement les règles coutumières.



A partir du Vème siècle, le droit savant commence à décliner. Ce constat est vrai pour le droit romain. Il est d'abord conservé au sein de textes comme le Bréviaire d'Alaric , appelé également Loi romaine des Wisigoths, rédigé en 506 par le roi wisigoth Alaric II. Ce texte est composé à partir des codifications romaines (Code Hermogénien, Code Théodosien) et d'œuvres doctrinales gallo-romaines. Le mérite de ce texte a été de conserver une connaissance du droit romain, comme le prouvent les textes carolingiens qui y font des emprunts. Le droit romain jouit encore d'un grand prestige, ce dont témoigne Sidoine Apollinaire quand il écrit : « le fédéré vêtu de peaux qui dicte aujourd'hui sa loi aux Goths regarde avec respect l'huissier du tribunal à la voix enroué » (P. Ourliac, J-L. Gazzaniga). Néanmoins, ce droit romain est surtout un droit vulgaire, moins technique que le droit classique. Le droit romain est aussi présent dans les recueils formulaires qui fournissent des modèles d'actes aux VIème-VIIIème siècles. Cependant, au fil du temps, la connaissance du droit romain s'amenuise, signe du déclin de la culture juridique et de la capacité amoindrie des juristes à en comprendre les raisonnements. Aux Xème et XIème siècles, si les références au droit romain sont encore perceptibles dans quelques actes, il est certain que ce droit n'est plus compris et que le système juridique romain n'existe plus.

Dans un mouvement identique, la législation royale est elle aussi en déclin. Aux temps mérovingiens, les royautés barbares avaient rédigé des lois nationales telles la Loi salique rédigée pendant le règne de Clovis ou la Loi Gombette (vers 502) mise par écrit par la volonté du roi burgonde Gondebaud. Mais, ces lois, à la fin de la dynastie carolingienne, ne sont plus d'actualité. Les Carolingiens ont eux utilisé les capitulaires. Très nombreux au début de la dynastie carolingienne (on en dénombre plus de deux cents pour les règnes de Charlemagne, Louis le Pieux et Charles le Chauve), les capitulaires diminuent peu à peu, exprimant le déclin de l'autorité royale, pour finalement disparaître à la fin du IXème siècle, le dernier étant daté de 884. Au XIème siècle, les rois capétiens n'édictent pas de règles à portée générale valable pour le royaume. Le roi n'a pas la possibilité de faire la loi. Ce n'est qu'à partir des années 1060 et du règne de Philippe Ier que le roi prétend avoir la capacité à édicter la loi pour le royaume, même si cela reste encore une formule de style. C'est à partir de Louis VI (1108-1137) et surtout sous Louis VII (1137-1180) que cette prétention commence à prendre corps en pratique : le roi n'hésite pas à disposer pour le futur et en général comme en témoigne la charte de 1144 pour les juifs relaps et l'ordonnance de paix de Soissons du 10 juin 1155. A partir du milieu du XIIème siècle, le roi commence à recouvrir sa prérogative édictale et la loi du roi redevient une source de droit.

Si le déclin de la science juridique est certain, il n'est pas synonyme de disparition complète. Comme les siècles précédents, l e XIème siècle connaît une réflexion juridique, œuvre des clercs qui constituent le milieu intellectuel. Certes, leur réflexion est assez sommaire et ne concerne qu'un groupe restreint. Mais, le mérite de cette réflexion a été de conserver des notions clés qui permettent de conserver le prestige de la royauté. Ce milieu intellectuel, proche de la royauté, s'appuie ainsi sur une tradition de culture juridique et en permet la transmission. Les clercs consultent ainsi le Code Théodosien, le Bréviaire d'Alaric, les Etymologies d'Isidore de Séville mais aussi les capitulaires carolingiens et les collections canoniques rédigées sous la dynastie carolingienne. La correspondance de l'évêque Fulbert de Chartres au début du XIème siècle témoigne de sa connaissance des sources juridiques antiques, notamment de Cicéron ; un peu plus tard, les collections canoniques de l'évêque Yves de Chartres, le Décret (1093) et la Panormie (1096), empruntent des éléments au droit de Justinien (70 fragments du Digestes ou des Institutes). Ces œuvres annoncent le renouveau de la culture juridique du XIIème siècle au moment où les compilations justiniennes seront redécouvertes.
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