Dans l'environnement de la royauté mérovingienne, émerge dès le VIIème siècle une aristocratie puissante occupant les postes-clés de commandement et de gouvernement. Gagnant la mairie du Palais d'Austrasie et étendant progressivement son influence aux autres royaumes, la puissante famille des Pépinides (Pépin étant un nom récurrent dans ce groupe) annonce le changement de dynastie qui survient au milieu du VIIIème siècle. Pépin de Herstal (v. 645-714) puis son fils Charles Martel (690-741) parviennent à redonner de l'unité au regnum francorum, par la conquête et grâce un solide réseau de fidélités.
Comme le démontrent ses talents militaires et son influence, Charles Martel va exercer réellement le pouvoir, tenant à bout de bras une royauté mérovingienne moribonde. Les titres ambigus de dux francorum, princeps francorum qu'il revendique ne font cependant pas de lui un roi en droit.
Son fils Pépin le Bref est l'homme par qui le changement dynastique se produit. Il prend en effet le pouvoir au tout début des années 750, profitant de sa supériorité et du soutien de la papauté qui en retour espère son aide.
Cette rupture s'accompagne de profonds changements institutionnels. Le sacre notamment permet de gagner en légitimité et de sceller l'alliance entre la nouvelle royauté et l'Eglise. Le couronnement impérial à partir de Charlemagne laisse espérer le retour à l'unité. Cette politique toutefois ne gomme pas complètement les défauts quasi congénitaux du système franc de gouvernement. Reposant très largement sur les liens (versatiles) de vassalité, n'ayant pas réussi à imposer l'idée d'une nouvelle Res publica, le gouvernement carolingien souffre finalement des mêmes défauts que le précédent.
Deux sections vont permettre de comprendre cette ascension puis les raisons de l'échec du pouvoir carolingien.
1. Bases doctrinales et moyens du pouvoir carolingien
Les Carolingiens ont d'abord élaboré une doctrine politique leur permettant d'une part de légitimer leur accession au pouvoir, d'autre part de s'y maintenir. Ils se sont par ailleurs dotés de moyens de gouvernement puissants mais à terme difficilement contrôlables.
1.1. Le roi carolingien, nouveau David et nouveau César
Deux procédés vont permettre de légitimer la rupture dynastique : d'abord le sacre, complété à partir de Charlemagne du couronnement impérial.
1.1.1. Recours au sacre
1.1.1.1. Les origines bibliques
Référence fortement symbolique, ce passage va permettre à Pépin le Bref (715-768), fils de Charles Martel, de faire accepter dès 751 le changement dynastique et d'inscrire dans la durée la nouvelle famille royale. Si l'entourage des rois wisigoths d'Espagne recourt déjà à ce procédé au VIIème siècle, son intention est moins de stabiliser le régime que de rappeler au roi sa mission divine, sous le contrôle de l’Église.
L'approche ici est différente : telle qu'elle est comprise par Pépin et ses proches, la royauté biblique doit surtout offrir au nouveau monarque une véritable inviolabilité. C'est ainsi qu'est interprétée l’Écriture (Psaumes, 115, 15 : « Ne touchez pas à mes oints »). Elu de Dieu, le roi devient son messager privilégié sur Terre pour guider les hommes.
1.1.1.2. Un contexte politique favorable
Fort de cette recommandation, Pépin fut donc élu roi par le peuple (comprenons, sa frange aristocratique) et consacré par les évêques lors d'une cérémonie tenue à Soissons en 751. Il reçoit la fameuse onction faisant de lui un être à part.
Burchard, évêque de Wurzbourg, et Fulrard, chapelain, furent envoyés auprès du pape Zacharie, pour lui poser la question, au sujet des rois qui, à cette époque en France, n'avaient aucune autorité royale, si cela était bien ou non. Et le pape Zacharie fit savoir à Pépin qu'il valait mieux que fût appelé roi celui qui en avait la puissance, plutôt que celui qui était dénué du pouvoir royal ; pour que l'ordre ne fût pas troublé, il ordonna par autorité apostolique de faire Pépin roi.
Pépin suivant l'usage des Francs fut élu roi, oint par la main de l'archevêque Boniface de sainte mémoire et élevé au trône par les Francs à Soissons. Quant à Childéric, appelé faux roi, il fut tonsuré et envoyé dans un monastère.
Cette cérémonie est complétée en 754 par une seconde, véritablement fondatrice de la dynastie carolingienne. La scène se déroule cette fois-ci au sein de l'abbaye Saint-Denis, autre lieu fort du pouvoir. Le pape en personne, Etienne II (Zacharie étant mort en 752), sacre non seulement Pépin mais aussi ses fils : tous portent désormais le titre de roi et de patrice romain. Plus important : injonction est faite aux grands de ne jamais élire un roi « issu d'autres reins » (nouvelle allusion à l'Ancien Testament, Gn, 35, 11). C'est assurer les premiers Carolingiens contre des manœuvres qui leur ont permis eux-mêmes d'accéder au pouvoir ! Évidemment, Pépin fait en retour la promesse de défendre l'Eglise de Rome, toujours en délicatesse avec le peuple des Lombards.
L'entourage intellectuel se charge ensuite d'enrober de légitimité le changement dynastique à l'instar d'Eginhard (v. 770-840), biographe de Charlemagne, qui, forçant le trait sur l'incompétence des derniers mérovingiens, justifie a posteriori le passage en force de Pépin, père de Charlemagne. La mauvaise réputation des rois fainéants naît à ce moment-là.
« 1. La famille des Mérovingiens, dans laquelle les Francs avaient coutume de choisir leurs rois, est réputée avoir régné jusqu'à Childéric, qui, sur l'ordre du pontife romain Etienne, fut déposé, eut les cheveux coupés et fut enfermé dans un monastère. Mais, si elle semble en effet n'avoir fini qu'avec lui, elle avait depuis longtemps déjà perdu toute vigueur et ne se distinguait plus que par ce vain titre de roi. La fortune et la puissance publiques étaient aux mains des chefs de sa maison, qu'on appelât maîtres du palais et à qui appartenait le pouvoir suprême. Le roi n'avait plus, en dehors de son titre, que la satisfaction de siéger sur son trône, avec sa longue chevelure et sa barbe pendante, d'y faire figure de souverain, d'y donner audience aux ambassadeurs des divers pays et de les charger, quand ils s'en retournaient, de transmettre en son nom les réponses qu'on lui avait suggérées ou même dictées. Sauf ce titre royal, devenu inutile, et les précaires moyens d'existence que lui accordait à sa guise le maire du palais, il ne possédait en propre qu'un unique domaine, de très faible rapport, avec une maison et quelques serviteurs, en petit nombre, à sa disposition pour lui fournir le nécessaire. Quand il avait à se déplacer, il montait dans une voiture attelée de bœufs, qu'un bouvier conduisait à la mode rustique : c'est dans cet équipage qu'il avait accoutumé d'aller au palais, de se rendre à l'assemblée publique de son peuple, réunie annuellement pour traiter des affaires du royaume, et de regagner ensuite sa demeure. L'administration et toutes les décisions et mesures à prendre, tant à l'intérieur qu'au dehors, étaient du ressort exclusif du maire du palais.
2. Cette charge, à l'époque où Childéric fut déposé, était remplie par Pépin, père du roi Charles, en vertu d'un droit déjà presque héréditaire. Elle avait été en effet brillamment exercée avant lui par cet autre Charles dont il était le fils et qui se signala en abattant les tyrans, dont le pouvoir cherchait à s'implanter partout en France, et en forçant les Sarrasins par deux grandes victoires - l'une en Aquitaine, à Poitiers, l'autre près de Narbonne - à renoncer à l'occupation de la Gaule et à se replier en Espagne ; et celui-ci l'avait lui-même reçue des mains de son propre père, également nommé Pépin ; car le peuple avait coutume de ne la confier qu'à ceux qui l'emportaient par l'éclat de leur naissance et l'étendue de leurs richesses ».
Pépin, « oint du seigneur » (« christus domini »), devient un nouveau David, cette fois-ci roi et prophète, responsable du peuple chrétien. Se met alors en place une authentique théocratie royale dont les traits se précisent sous le règne de Charlemagne (768-814).
Le parallèle entre David et Charlemagne est récurrent sous la plume des partisans du roi. Il est ministre de Dieu, rex et sacerdos (roi et prêtre), d'après les évêques réunis en concile à Francfort en 794. Alcuin, abbé de Saint-Martin de Tours et conseiller de Charlemagne, insiste en effet sur la figure du guide. Les actes de la chancellerie sont également imprégnés de cette idéologie servant à justifier la politique menée. La façon dont Charlemagne intervient directement en matière de dogme chrétien suffit à démontrer cette fusion des domaines spirituel et temporel.
L'argument retenu par le roi est cependant à double tranchant : à partir du règne de Louis le Pieux (778-840), c'est précisément en insistant sur cette mission chrétienne que l'épiscopat veut rappeler au roi sa responsabilité et les comptes qu'il doit rendre devant l’Église. Comme nous le verrons plus loin, s'ensuit notamment une interminable interprétation de la doctrine gélasienne.
1.1.2. Nouvelles prétentions à l'universalité : la renovatio imperii
Charlemagne (Carolus magnus, littéralement Charles le Grand) se montre digne de ses prédécesseurs en poursuivant les conquêtes militaires. Durant son long règne (768-814), il soumet tour à tour la Bavière, la Bohème, la Saxe, l'Italie lombarde et s'assure la fidélité des peuples limitrophes. Cette expansion rapide sur une grande partie de l'Occident fait renaître une notion universelle dépassant celle du simple royaume : l'Empire.
L'entourage intellectuel de Charlemagne trouve les arguments nécessaires. Alcuin en particulier, l'un de ses plus proches conseillers, sait justifier la nécessité d'un couronnement impérial. Dans une lettre célèbre adressée à Charles en 799, il lui expose sa vision du monde dans lequel selon lui se distinguent trois personnes : le pape, l'empereur d'Orient et le roi franc. Le procédé lui permet de faire rayonner son favori puisqu'il constate d'abord que le pape Léon III subit à Rome les assauts de l'aristocratie. Il souligne ensuite que l'Empereur d'Orient Constantin VI n'est à Byzance guère mieux loti, puisque sa mère lui a fait crever les yeux pour le renverser...
Dans ce contexte, Alcuin met en valeur la dignité royale qu'exerce Charlemagne et « qui l'emporte sur les deux autres, les éclipse en sagesse et les surpasse ». Le roi franc s'avère donc être le seul capable de présider aux destinées du monde chrétien et d'accéder à l'Empire.
Le couronnement a lieu à la Noël 800, au sein de la basilique Saint-Pierre de Rome, en présence de Léon III. Non sans malentendu sur les formes juridiques de la cérémonie, d'après le biographe de Charlemagne, Eginhard, rapportant les faits une trentaine d'années plus tard. Pour ranimer le couronnement impérial, il fallut recourir au rituel byzantin,le seul connu à cette date (lui-même hérité du rituel suivi par les empereurs romains). Il montre que, finalement, l'acclamation de la foule « fait » l'empereur. A cette phase constitutive succède le couronnement des mains du patriarche, puis la prosternation (ou proskynèse) de ce dernier devant le nouvel empereur. Or Léon III adapta ce rituel oriental à son avantage: au moment où Charlemagne s'agenouilla devant le tombeau de saint Pierre, le pape le couronna et seulement ensuite eut lieu l'acclamation du peuple serré dans la basilique. On ne sait si la prosternation eut lieu. Qu'importe: le pape avait pris l'avantage en constituant l'empereur. D'après Eginhard, Charlemagne sortit furieux de cette cérémonie qui fit date. Si Charlemagne essaya de restaurer l'équilibre des pouvoirs en couronnant lui-même son fils à Aix en 813, par la suite tous les empereurs en devenir durent se rendre à Rome pour être couronnés des mains du pape.
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On ne peut s'empêcher de faire le lien avec un autre couronnement : celui de Napoléon Ier, attentif aux symboles politiques et prenant soin de se couronner lui-même, ainsi que son épouse. Un dessin du peintre David le rappelle très bien :
Se pose rapidement la question de la pérennité de ces institutions hybrides. Avec la succession de Charlemagne, les premiers problèmes surviennent. Lui-même prévoit en 806 le partage entre ses trois fils de l'Empire, sans évoquer la transmission du titre impérial lui-même. Les institutions carolingiennes sont encore profondément irriguées par une conception traditionnelle du pouvoir basée sur le partage. L'unité et l'universalité de l'Empire ne résistent pas à la patrimonialité franque.
Si la survie d'un seul fils légitime, Louis, héritier de l'Empire en 814, permet d'éluder un temps cette question, les difficultés ne tardent pas à ressurgir.
1.2. Méthodes de gouvernement
1.2.1. L'administration du palais
Dès le règne de Pépin le Bref, le palais connaît une nouvelle organisation visant d'une part à pallier les problèmes de l'époque précédente, d'autre part à adapter sa structure aux dimensions d'un royaume (puis d'un Empire) en pleine expansion.
Ce palais, sans renoncer à l'itinérance imposé par les conquêtes constantes, se fixe à Aix-la-Chapelle. Cette cité, placée au cœur de l'Austrasie où les Francs ont leurs racines, va devenir sous Charlemagne la capitale de l'Empire, et faire ainsi face à Rome et Byzance.
Au sein du palais carolingien, les officiers de l'époque mérovingienne sont maintenus : sénéchal, maréchal et comte du palais existent toujours, avec des attributions plus précises. Une fonction a, dans la transition, disparu : celle de maire du palais, jugée menaçante pour l'autorité royale. C'est en effet la charge par laquelle les Pépinides sont parvenus à prendre le pouvoir...
Le cœur du palais est constitué par la chapelle palatine, dirigée par un personnage-clé, l'archichapelain. Dans l'édification d'un régime théocratique, on peut comprendre la part prise au gouvernement par les clercs de la chapelle. Cette dernière sert d'ailleurs de vivier à la chancellerie dont l'activité progresse considérablement (en témoigne le nombre de diplômes et de capitulaires expédiés, surtout au début de l'époque carolingienne) sous la direction d'un autre personnage important dans l'entourage royal, l'archichancelier.
Mais le palais est également le lieu où se croisent les intellectuels au service du royaume. L'école palatine, développée par Charlemagne, joue un grand rôle.
1.2.2. Les relais de la royauté
1.2.2.1. Renforcement de la fonction comtale
Au niveau local, au sein du pagus, est à la fois maintenue et développée la fonction comtale, qui est un honor (une charge). Les compétences du comte, sont assez larges, comme à l'époque précédente : judiciaires, fiscales, militaires. Le comte agit par délégation et ses compétences sont le reflet de la potestas royale. Dès lors, toutes les constructions théoriques visant à renforcer cette dernière profitent également au comte. On voit en lui un minister rei publicae, à l'image du roi.
D'où l'intérêt de bien choisir le personnel comtal : ces hommes, provenant de l'élite aristocratique ont souvent fréquenté le palais en tant que nutriti par exemple (ceux entretenus à Aix et « nourris » par l'enseignement des lettrés palatins).
D'où la nécessité également de s'assurer de leur loyauté à l'égard d'un pouvoir central parfois lointain. Le cœur de l'Empire pose moins de problèmes ; mais les régions récemment conquises ou frontalières sont placées sous le contrôle de princes (ducs, marquis) intermédiaires entre le roi et les comtes. Reposant en théorie sur la notion de délégation, cette hiérarchie reste néanmoins dangereuse. On exige alors des différents titulaires d'honores, reçus à titre de bénéfice (beneficium), de s'engager dans une relation de vassalité, plus exigeante qu'une simple fidélité jurée.
Mais encore une fois, le pouvoir royal, doit, dans la mise en place d'une hiérarchie laïque idéale, composer avec les réseaux aristocratiques locaux. Sa puissance sur l'ensemble du royaume puis de l'Empire, n'est pas telle qu'il puisse toujours imposer ses favoris.
1.2.2.2. Les missi dominici, garants de la cohésion
Pour renforcer le système, est activée une autre institution caractéristique de l'époque carolingienne : les missi dominici (littéralement « les envoyés du maître »). Imaginé par les Mérovingiens, on doit toutefois à Charlemagne d'avoir développé ce procédé qui consiste à envoyer, quatre fois par an deux personnes (un laïc et un ecclésiastique) en tournée d'inspection au sein d'un ressort déterminé regroupant plusieurs comtés, le missaticum.
Assurant la liaison entre le palais et le reste du royaume, les missi ont pour rôle de transmettre la législation royale et de vérifier son application. Dans le même esprit, ils inspectent la gestion comtale et recueillent les plaintes déposées contre les comtes. Leur compétence est également judiciaire, puisque leur passage est l'occasion de vider des contentieux que l'autorité comtale ne parvenait pas à éliminer.
Ce dispositif, en théorie facteur de cohésion, suppose pour être efficace une capacité d'action libérée de toute pression. S'il est bien utilisé par Charlemagne lui-même, très vite la compétence et l'utilité même des missi se trouvent bridées par les forces de résistance exercées sur place. Il n'est en outre pas rare que les missi soient recrutés dans leur propre missaticum, phénomène qui évidemment condamne le procédé...
1.2.2.3. Intégration de la hiérarchie ecclésiastique
La hiérarchie ecclésiastique fait l'objet de la même attention. En 789, l'admonitio generalis (« exhortation générale », sorte de grand document programmatique) de Charlemagne, pour ne citer que ce texte-là, révèle de quelle manière l’Église est associée à la politique carolingienne et ce que l'on attend de ses cadres.
Le rôle et l'autorité du métropolitain à la tête de la province ecclésiastique, sont affirmés ; début IXème siècle, il est désormais appelé archevêque. Des efforts sont également entrepris pour multiplier au sein du diocèse les relais, depuis l'évêque jusqu'au prêtre rural. Ce dernier fait dans la législation l'objet d'une grande attention car finalement ce clerc est au plus près de la population et son implication s'avère cruciale.
L'évêque quant à lui joue un rôle capital dans la logique carolingienne. Sa fonction d'encadrement religieux dépasse la simple mission pastorale pour constituer un véritable moyen de gouvernement. Le choix des évêques est aussi stratégique que celui des comtes : proches du roi, en général passés par la cour d'Aix, il s'agit de fidèles capables de relayer au sein des diocèses la politique royale. Ce sont des hommes de confiance auxquels est confiée l'administration d'un patrimoine foncier considérable. Leur puissance s'apprécie aussi au réseau de parents et de fidèles qu'ils sont capables de mobiliser autour d'eux.
Dans la logique théocratique, une collaboration est souhaitée par le pouvoir carolingien entre le comte et l'évêque dont les rôles sont théoriquement complémentaires. Collaboration qui sur le terrain devient concurrence, tant les prérogatives de l'un et de l'autre s'entremêlent, sur fonds de rivalités locales et familiales. C'est notamment le cas en matière judiciaire : le tribunal épiscopal peut connaître d'affaires relevant tout autant du mallus comtal. Mais l'évêque peut aussi mobiliser l'ost (l'armée, tout comme les abbés d'ailleurs) ou bien encore lever un impôt au nom du roi.
En savoir plus
Consulter :
- Imbert J., Les temps carolingiens (741-891), L'Eglise : les institutions, Paris, 1994.
- Jégou L., L'évêque, juge de paix. L'autorité épiscopale et le règlement des conflits (VIIIème-XIème siècle), Turnhout, 2011.
1.2.3. Exploitation de la vassalité
Depuis le VIIème siècle, l'aristocratie a construit des réseaux de fidélité complexes, que les premiers Carolingiens vont s'efforcer de maîtriser ; malgré leurs victoires, ils n'ont pas éliminé tout risque de complots et il devient pour eux nécessaire de « lisser » ces rapports à leur profit. Remise au goût du jour, la vassalité, pensée de façon pyramidale, devait le permettre.
Son principe existe déjà à l'époque mérovingienne, lointain héritier du compagnonnage germanique (le comitatus). Les Carolingiens vont en préciser les contours pour en faire un instrument politique efficace. La vassalité doit agir comme une courroie de transmission reliant le roi au dernier de ses hommes ; chaque vassal direct du roi est ainsi tenu de s'assurer de la fidélité au roi de ses propres vassaux.
La vassalité repose sur une commendatio revivifiée à partir du VIIIème siècle, comme en témoigne celle de Tassilon, duc de Bavière, envers Pépin le Bref en 757. Cet exemple est célèbre, tout comme la trahison de ce vassal, nous montrant la fragilité du système...
Le rituel de commendatio traduit parfaitement le rapport que le roi entend instaurer : en présence de témoins, le vassal agenouillé devant son seigneur lui donne ses mains. Il prête ensuite serment de fidélité qui, prononcé sur des Evangiles ou sur des reliques, engage également le vassal envers Dieu. La relation ainsi établie suppose des obligations mutuelles : le vassal doit un dévouement complet à son seigneur qui en contrepartie doit le protéger. Ce dernier lui concède aussi, le temps de son engagement et à titre personnel, un bénéfice (beneficium) au titre des services rendus.
Les rois carolingiens ont ainsi voulu constituer autour d'eux un réseau de vassi dominici (les vassaux du maître) ou vassi regales (vassaux royaux) composant une élite militaire au service du pouvoir royal : comtes, ducs, évêques et abbés se trouvent engagés dans ce type de relations constituant le soubassement de la politique carolingienne. A condition toutefois de contrôler efficacement tous ces vassaux...
Un autre moyen est employé. Un serment de fidélité général, dépassant le modèle mérovingien du leudesamium, va être exigé cette fois-ci de tous les hommes libres. Charlemagne, envoie ainsi à partir de 789 ses hommes recueillir de tous les sujets ce serment. Serment qui d'ailleurs devient plus précis en 802, alors que l'Empire vient d'être restauré : « Moi, ... je serai fidèle au seigneur Charles, très pieux empereur, dans un esprit pur, sans fraude ni mal engin, pour son royaume et pour son droit, tout comme par droit doit être un homme à l'égard de son seigneur » (Y. Sassier, F. Saint-Bonnet op. cit., p. 87). Le serment de fidélité témoigne du rapport qu'on entend imposer : une soumission de tous à un seul seigneur, Charlemagne. Mais dépassant les formes précédentes, émerge également une notion de fidélité publique puisque l'on s'engage non plus seulement envers un maître mais envers un royaume.
Efficaces sous un régime autoritaire et en pleine expansion, ces moyens de gouvernement supposent un formidable élan que les successeurs de Charlemagne peinent à entretenir. Les dissensions qui naissent dès sa mort montrent les failles de la politique carolingienne.