Dans cette leçon d'introduction, il est nécessaire de revenir brièvement sur la rencontre de plusieurs cultures et traditions juridiques qui forment le soubassement des institutions occidentales.
Le cours couvre une période allant du Vème siècle à la Révolution française. Pour qu'il soit bien compris, il faut au préalable donner quelques repères et remonter à la période antique durant laquelle ces différentes cultures naissent, évoluent et se rencontrent, bien avant la fin de l'Empire romain d'Occident en 476.
L'Occident recueille ainsi au Vème siècle un triple legs : romain, chrétien et germanique. Ces trois courants ont charrié avec eux des modèles politiques et juridiques très féconds et dont il faut rappeler de façon concise les origines. C'est l'objet des trois sections suivantes, respectivement consacrées à l'empreinte de la romanité, à l'héritage chrétien et à la tradition barbare.
1. L'empreinte de la romanité
La culture romaine ne se volatilise pas en 476 avec la disparition officielle de l'Empire romain d'Occident, lorsque les insignes impériaux sont renvoyés à Constantinople. Elle s'est pendant cinq siècles profondément ancrée dans la société gauloise ; la langue latine en témoigne à elle seule.
S'il est ici hors de propos de passer en revue les institutions de l'Antiquité, il est cependant indispensable de rappeler quelques concepts majeurs souvent invoqués, voire, utilisés, au-delà du Vème.
1.1. Les modèles politiques hérités de Rome
Sans oublier tout l'apport de l'époque royale (753 av. J.-C - 509 av. J.-C), il faut ici se concentrer sur les institutions de la Rome républicaine. En effet, ses réminiscences sont par la suite fréquentes (et même bien au-delà du Moyen Âge ; la terminologie romaine est bien présente dans les systèmes démocratiques occidentaux). Les institutions impériales, à leur tour source d'inspiration pour les royautés lui ayant succédé, sont elles aussi caractéristiques.
1.1.1. Bref aperçu des institutions de la République (509 av. J.-C. – 27 av. J.-C.)
Selon une répartition déjà connue dans le monde grec, le pouvoir politique dans le système républicain romain est réparti entre trois entités majeures dont l'implication réelle varie au gré des circonstances politiques.
Citons tout d'abord le Sénat (terme dérivé de senex, le vieillard), assemblée composée des chefs des grandes familles romaines (les pères, patres) et des anciens magistrats. On les considère comme les descendants des compagnons de Romulus, le fondateur de la ville. Le Sénat détient l'auctoritas : ce terme est difficile à traduire (« autorité » est trop réducteur) : il est bâti sur la même racine, aug-, que le verbe augere, « augmenter » ou que l'augurium, « l'augure ». Son contenu est également difficile à cerner car aucun texte ne délimite franchement les attributions sénatoriales. Retenons ici simplement que les sénateurs jouissent depuis l'époque royale d'une supériorité sur tous les autres organes politiques dont le fondement est religieux. Cette auctoritas patrum est en effet le souvenir du pouvoir auspicial des Patres, seuls capables d'interpréter les signes divins qui guidaient leurs décisions. Notons par exemple que cette auctoritas leur permettaient de confirmer et de donner force aux lois votées par les assemblées.
Voilà justement le deuxième pilier du régime républicain : assemblées de citoyens symbolisant l'élément populaire de la République, les comices (curiates, centuriates ou tributes) complètent le système. Présidées par un magistrat, elles votent les lois que ce dernier propose, suivant lui-même les avis (senatus-consultes) du Sénat revêtus de l'auctoritas. Détentrice en théorie du pouvoir législatif mais en réalité de plus en plus dominées par les autres corps du système, leur rôle s'apparente finalement à une simple ratification.
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Cette devise de la République romaine résume et légitime en quelques mots le cœur du système politique. Employée ainsi ou abrégée sous la forme de l'acronyme SPQR, on la retrouve notamment sur les édifices publics. Vidée de son sens, elle est encore utilisée durant l'époque impériale comme moyen de légitimer le pouvoir en place.
Pensées comme un modèle d'équilibre assurant une juste répartition du pouvoir, les institutions républicaines, à l'origine conçues pour un territoire relativement réduit (Rome et le Latium), n'ont pas résisté aux contraintes imposées par l'expansion territoriale et aux crises politiques successives.
Au premier siècle av. J.-C., s'opère une transition vers un modèle appelé également à une grande postérité : l'Empire.
1.1.2. Le modèle impérial
Plusieurs tentatives échouèrent pour adapter les institutions républicaines incapables de diriger un territoire et des peuples aussi variés que le sont les rives de la Méditerranée. Bousculant l'idéal républicain, abusant des magistratures et de prérogatives extraordinaires, soupçonnés de vouloir restaurer un modèle royal honni, plusieurs hommes payèrent cher cette audace, tel Jules César.
Fin politique, militaire efficace, Octave, fils adoptif de César, sut se présenter dans une situation critique comme le sauveur des institutions républicaines. Le 16 janvier de l'an 27 av. J.-C., le Sénat finit par lui attribuer le titre d'Auguste, c'est-à-dire le porteur de l'auctoritas. Pour la première fois un homme bénéficiait de cette prérogative que seul jusqu'ici détenait le Sénat de façon collective.
Cette auctoritas principis n'a pas de véritable fondement institutionnel et procède en fait de la reconnaissance d'un charisme certain. En tout cas, cette dévolution, accompagnée d'un cumul de fonctions jamais vu jusque là, offre à Octave un pouvoir incomparable et marque la naissance de l'Empire, plus précisément du Principat. Un texte majeur, les Res Gestae divi Augusti (« Actes du divin Auguste »), sorte de testament politique témoignent parfaitement de cette concentration.
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Cette transition vers l'Empire a mis fin aux caractéristiques les plus essentielles de République : collégialité, annalité et non-réitération des fonctions. Bâti sur l'audace et le charisme politique, le pouvoir impérial, tout en ménageant les organes traditionnels d'une république moribonde, s'est peu à peu imposé.
La période impériale s'accompagne de la mise en place de cadres politiques et d'un découpage territorial en provinces et cités marquant durablement le territoire, bien au-delà du Vème. Les recherches historiques et archéologiques portant sur les époques antérieures nous montrent toutefois que les structures développées plus nettement à partir d'Auguste ne sont pas créées ex nihilo : elles reposent sur des cadres et des identités plus anciens, auxquels les circonscriptions ultérieures (administratives, politiques ou religieuses) ont jusqu'à nos jours témoigné une certaine fidélité.
L'Empire a cependant ses failles. La fusion des peuples compris dans cet espace paraît illusoire, étant donné la grande variété culturelle et l'éloignement. La concurrence en outre est rude ; tenir militairement toutes les frontières devient impossible. A son tour, l'Empire souffre de ses structures de moins en moins adaptées. Le Bas-Empire (à partir du règne de Dioclétien, soit 285 ap. J.-C.) est marqué par une tentative pour instaurer un système de tétrarchie répartissant le pouvoir entre Occident et Orient, chaque partie étant pourvue d'un Auguste et d'un César. Cette nouvelle répartition ne survit guère à son instigateur, Dioclétien, pas plus que le procédé défini au départ : les Césars sont adoptés par les Augustes, chaque César succède théoriquement à son Auguste et désigne un nouveau César. La tétrarchie résiste mal aux velléités des différents empereurs en conflit les uns contre les autres. Le fossé se creuse irrémédiablement entre Orient et Occident.
La figure de l'empereur change également en s'orientalisant ; l'origine des titulaires des IVème et Vème siècles suffit à l'expliquer, tout comme le déplacement du centre de gravité de l'Empire, glissant progressivement de Rome à Constantinople. Le Principat cède la place au Dominat. L'empereur n'est en effet plus un princeps, premier de tous les citoyens, mais un dominus, un maître associé au divin et régnant sur le monde.
L'absolutisme s'installe, appuyé sur l'action militaire mais également justifié par la religion chrétienne que l'Empire adopte au IVème siècle. Ministre de Dieu, l'empereur profite personnellement d'une divinisation du pouvoir. S'ajoute à cela un cérémonial organisé autour de l'empereur, personnalité au comportement hiératique dont les apparitions sont désormais rares et solennelles. Au IVème siècle, Constantin en est un exemple qui inspire par la suite les médiévaux.
Toutefois, cette concentration des pouvoirs ne suppriment pas les problèmes structurels profonds condamnant l'Empire. Les causes sont multiples : sociales, économiques et politiques. La bureaucratie dont s'est doté le régime s'avère par ailleurs trop lourde et complexe pour répondre aux besoins. Les pressions extérieures ne laissent pas de répit ; les attaques fréquentes touchent le cœur même de l'Empire, Rome (prise en 410 par Alaric, roi des Wisigoths). Enfin, rappelons que l'entourage impérial ne facilite pas la situation : gravitent autour de l'empereur (souvent jeune) famille, militaires, sénateurs dont le poids est considérable sur l'orientation politique.
L'Empire ne survit qu'en Orient, autour de Constantinople. La fascination qu'il exerce tout au long du Moyen âge sur les élites occidentales est remarquable. A commencer par Odoacre, ce roi barbare qui dépose en 476 le dernier empereur d'Occident, le jeune Romulus Augustule : il prend le soin de renvoyer les insignes impériaux à Zénon, empereur d'Orient. Clovis, nous le verrons plus loin, s'enorgueillit de recevoir d'Orient la distinction consulaire. L'Empire oriental, en dépit de ces faiblesses reste jusqu'en 1453, une sorte de référence politique pour les rois d'Occident.
1.2. Les pratiques juridiques héritées de Rome
Sans négliger l'apport des systèmes précédents (ceux de Mésopotamie, d’Égypte, de Grèce, voire de Chine), il convient d'accorder une place particulière au droit romain et à ses techniciens capables de le conceptualiser.S'est en effet développée à Rome, essentiellement durant l'époque classique (IIème av. J.-C. –IIIème ap. J.-C.), une véritable science juridique exercée par une classe de professionnels, les jurisconsultes. S'inspirant de la casuistique, ils ont ainsi dégagé plusieurs principes qui survivront à l'Empire.
1.2.1. Une tradition juridique
Les jurisconsultes, pétris de rhétorique et de grammaire, ont avant tout légué l'art des définitions. En témoignent la qualité et la précision des formules de l'époque classique.
Les juristes romains, fondateurs de la jurisprudence au sens premier du terme (la jurisprudentia étant la science du droit), ont également développé et transmis un certain talent pour les classifications. A la manière des naturalistes, les jurisconsultes détaillent le droit en grands ensembles et sous-ensembles. Cicéron évoque ainsi les genres et espèces. Gaius distingue le jus commune des iura propria, et retient un plan tripartite pour ses Institutes, abordant successivement les personnes, les choses, les actions (un ordre repris ensuite par les fondateurs du Code civil, à la distinction près que les actions ont laissé la place aux « Différentes manières dont on acquiert la propriété »). Ulpien s'efforce de distinguer droit privé et droit public, de différencier droit naturel, droit des gens et droit civil. Ses définitions feront florès par la suite.
« 2. L'étude du droit a deux domaines : le droit public et le droit privé. Le droit public envisage tout ce qui a rapport à l’État romain, le droit privé ce qui concerne les intérêts privés. Il faut en effet distinguer l'intérêt public des intérêts privés. Le droit public a pour objet les choses sacrées, les prêtres, les magistrats. Le droit privé est tripartite : il vient en effet des règles du droit naturel, du droit des gens et du droit civil.
3. Le droit naturel réside dans ce que la nature enseigne à tout être animé. En effet, ce droit n'est pas particulier aux hommes, mais il est commun à tous les êtres animés qui vivent sur terre et dans la mer, ainsi qu'aux oiseaux. C'est de là que vient l'union des couples que nous appelons mariage, la procréation des enfants, leur éducation. Nous voyons tous les animaux, y compris les bêtes féroces, pénétrés de ce droit.
4. Le droit des gens est celui dont usent tous les peuples. Il est facile de comprendre en quoi le droit des gens se distingue du droit naturel : celui-ci est commun à tous les êtres animés tandis que celui-là appartient seulement aux hommes.
6. Le droit civil n'est pas radicalement différent du droit naturel ou du droit des gens, mais il en diffère sur quelques points : car ajouter ou retrancher quelque chose au droit commun (juri communi), c'est faire un droit particulier (jus proprium), c'est-à-dire du droit civil ».
Il faut tout de même préciser que ces classifications poussées ne sont pas le fruit d'une réflexion intellectuelle de juristes coupés du monde ; bien au contraire, elles émanent d'une exploitation casuistique et de la pratique juridique. Le jurisconsulte doit observer le droit tel qu'il est.
La règle, déclarative et non prescriptive se dégage a posteriori (contrairement à la loi du Prince) : les faits précèdent le droit.
« L'essence de la règle c'est d'énoncer brièvement une chose préexistante. Il ne faut pas que le droit soit tiré de la règle, mais que du droit qui préexiste soit tirée la règle ».
1.2.2. Les pouvoirs du prince
Sous la République les sources du droit sont variées : les lois votées par les comices, l'édit du prêteur (dans les derniers siècles de ce régime), les senatus-consultes (décisions du Sénat) et la jurisprudence par l'influence qu'elle exerce. Sous l'Empire, ce panorama se réduit rapidement.
Ces sources traditionnelles se figent alors que l'Empereur, fort de l'auctoritas dont sont revêtues ses décisions, investit fortement le domaine du droit. Il y parvient en pesant sur l'activité des jurisconsultes, accordant aux plus illustres ou aux plus conciliants d'entre eux le fameux ius respondendi ex auctoritate Augusti, c'est-à-dire « le droit de réponse de l'auctoritas d'Auguste », sorte de caution impériale à l'exercice de leur activité. Il y parvient également en comptant sur la docilité d'un Sénat dont il contrôle le recrutement ; les senatus-consultes, pourvus de l'auctoritas patrum, constituent donc un vecteur de choix pour la politique impériale.
Plus encore, en vertu de la lex de imperio, loi d'investiture votée à l'avènement de chaque nouvel empereur (elle l'est effectivement jusqu'au Ier siècle de notre ère avant de céder la place à une fiction juridique), ce dernier a « le droit et la potestas » de prendre tous les actes nécessaires à la sauvegarde de la Res publica. Comme le pouvoir de commandement, le pouvoir législatif lui appartient et le décline sous différentes formes d'actes ayant valeur législative, plus communément appelés constitutions impériales : les édits (à portée générale), les mandats (forme d'ordres donnés à des agents délégués), les rescrits (forme de réponse à une consultation), les décrets (jugements).
Les jurisconsultes ont bien compris cette concentration, résumée en quelques maximes célèbres remployés ensuite à l'envie. Ainsi pour Ulpien (IIIème siècle), « ce qui a plu au prince a force de loi » (« Quod principi placuit legis habet vigorem »), en vertu de la délégation permise par la lex de imperio. Un autre passage emprunté au même Ulpien, souligne la domination de l'empereur sur l'ordre juridique : « princeps legibus solutus est », le prince est délié des lois.
« Ce qui plaît au Prince a force de loi (Quod principi placuit legis vigorem habet) ; en effet, en vertu de la loi royale (lex regia) qui a été portée au sujet du pouvoir suprême (imperium), le peuple lui a conféré tout son imperium et toute sa puissance (potestas) ».
Ulpien, D. 1, 3, 31, ibidem : « Le prince n'est pas lié par les lois (Princeps legibus solutus). Quant à l'impératrice, bien qu'elle soit en principe soumise aux lois, les empereurs lui attribuent cependant tous les privilèges dont ils jouissent eux-mêmes ».
Si de telles constructions théoriques composent évidemment avec les circonstances politiques et sociales, elles n'en signalent pas moins une volonté politique de centralisation.
Cette prérogative en matière juridique est plus éclatante encore au Bas-Empire. Nulle équivoque possible, toutes les constitutions impériales sont qualifiées de leges, de lois. L'empereur lui-même est « lex animata », « loi vivante » sous Justinien (empereur d'Orient de 527 à 565). Cette domination contraste avec l'essoufflement des autres sources du droit, en particulier de la jurisprudence. Passé le IIIème siècle, peu d'œuvres se distinguent, en dépit du dynamisme aux IVème et Vème siècles de grands centres d'études du droit telles que les écoles de Beyrouth, de Constantinople et bien sûr de Rome.
Pour remédier à ce manque de vitalité du droit et à sa méconnaissance croissante, l'heure est aux recueils et aux compilations. Sentences de Paul, Règles d'Ulpien, Loi des Citations (loi de Valentinien III de 426, obligeant les juges à recourir exclusivement à cinq jurisprudents) rappellent la qualité des œuvres de l'époque classique que la science juridique du Bas-Empire n'a pas su dépasser.
« Les empereurs Théodose et Valentinien, Augustes, au Sénat de la ville de Rome, salut.
Nous confirmons l'ensemble des écrits de Papinien, Paul, Ulpien, Gaius et Modestin de telle sorte que l'autorité qui est attachée à Paul, Ulpien et autres soit aussi attachée à Gaius, et que puissent être cités des passages tirés de toute leur oeuvre. Nous ordonnons encore que soit confirmée la science de ceux dont tous les susnommés ont joint à leurs propres ouvrages des traités et des opinions, ainsi de Scaevola, de Sabinus, de Julien, de Marcellus et de tous ceux que ceux-là ont cités ; si toutefois - à raison de l'incertitude tenant à l'ancienneté - leurs fragments d'ouvrages sont confirmés par la comparaison avec les textes intégraux. Lorsque des opinions différentes sont alléguées, que le plus grand nombre des auteurs l'emporte, ou, si le nombre est égal, que domine l'autorité du groupe dans lequel culmine Papinien, homme de remarquable esprit ; de sorte que celui-ci l'emporte sur chacun, mais le cède à deux. Quant aux notes faites par Paul et Ulpien sur l'œuvre de Papinien, nous ordonnons - comme il en a été décidé précédemment - qu'elles soient dépourvues de valeur.
Lorsque sont produites en nombre égal les opinions de ceux dont l'autorité est supposée égale, que la prudence du juge détermine ceux qu'il doit suivre. Nous ordonnons encore que les Sentences de Paul aient valeur à jamais ; etc. ».
Donné le 7 des ides de novembre à Ravenne, étant consuls Nos Seigneurs Théodose pour la douzième fois et Valentinien pour la deuxième fois.
Cette fascination du passé s'exerce sur les empereurs eux-mêmes et les incitent à ordonner à leur tour des compilations juridiques. Deux monuments doivent être mentionnés ici, tant ils marquèrent les pratiques juridiques des siècles à venir. Théodose II promulgue en 438 pour l'ensemble de l'Empire romain (tant à l'Est qu'à l'Ouest) un recueil des constitutions impériales produites depuis le règne de Constantin. Cette œuvre, appelée communément le Code théodosien servira à composer en 506 le Bréviaire d'Alaric, appelé à son tour à une postérité insoupçonnée.
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Appelée aussi depuis l'époque moderne Bréviaire d'Alaric, la loi romaine des Wisigoths fut rédigée au début du VIème siècle sur l'ordre du roi wisigoth Alaric II, à l'attention des sujets gallo-romains habitant l'Aquitaine conquise auparavant.
C'est un témoin important de la pratique du droit en Gaule. Y sont essentiellement rassemblés des extraits des œuvres des jurisprudents (Gaïus et Paul) et surtout de nombreuses constitutions impériales empruntées au Code théodosien, et accompagnées d'un commentaire (une interpretatio). Témoignage à la fois d'une dégradation de la technique juridique et d'une adaptation aux besoins sociaux (certaines distinctions fines du droit romain n'ont au VIème siècle plus de sens), cette compilation va être utilisée, même après le départ de Gaule des Wisigoths, consécutif à leur défaite face aux Francs de Clovis en 507. Appliquée jusque dans le Nord de la Gaule, elle acquiert rapidement une très grande autorité, ce qui explique, peut être, que les Francs ne jugent pas utile de procéder à une nouvelle rédaction du droit romain pour leurs sujets gallo-romains.
Entre le VIe et la fin du XIème siècle, on ne connaît en Occident du droit romain que ce que le Code théodosien, par l'intermédiaire du Bréviaire d'Alaric, a véhiculé. Durant ce temps, l'œuvre de Justinien n'apparaît plus, ou à de très rares exceptions près.
Il faut attendre la fin du XIème siècle et plus sûrement le XIIème siècle pour que le droit romain, celui de la compilation justinienne, soit réutilisé et enseigné en Italie septentrionale. En effet Bologne et ses maîtres sont à l'origine d'une science juridique qui va se répandre dans les pays alentour, notamment en Provence et le long de la vallée du Rhône.
A consulter : M. Rouche, B. Dumézil (dir.), Le Bréviaire d'Alaric. Aux origines du Code civil, Paris, 2009.
« L'empereur César, Flavius, Justinien, pieux, heureux, glorieux, vainqueur et triomphateur, toujours auguste à Tribonien son questeur, salut.
Gouvernant avec l'aide de Dieu notre empire, qui nous a été confié par la majesté céleste, nous avons mené à leur terme les guerres, nous ornons la paix et nous soutenons l'état ; nous avons en notre âme une telle confiance dans l'aide du Dieu tout-puissant, que nous ne nous fions ni à nos armes, ni à nos soldats, ni à nos chefs de guerre, ni à notre génie, mais nous mettons tout notre espoir en la seule providence de la suprême Trinité. C'est d'elle que procèdent les principes du monde entier et c'est elle qui a fixé leur organisation sur toute la terre.
1. Comme rien n'est plus digne d'étude que l'autorité des lois, qui disposent au mieux les choses divines et humaines et bannissent toute iniquité, nous avons remarqué que la suite des lois, depuis la fondation de Rome et les temps de Romulus, était dans une telle confusion qu'elle s'étendait à l'infini, et ne pouvait être embrassée par la compréhension d'aucun être humain. Notre premier soin fut de prendre comme point de départ les constitutions des très sacrés empereurs, nos prédécesseurs, de les amender et de les transmettre suivant une voie très claire, afin que, rassemblées en un seul Code, débarrassées de toute similitude superflue, de toute contradiction - source majeure d'injustice - elles offrent à tous les hommes le secours de leur sincérité.
2. Cette tâche réalisée, les constitutions ayant été recueillies en un seul ouvrage resplendissant de notre nom, libérés de ces tâches modestes, nous entreprîmes la révision complète du droit, rassemblant et amendant toute la jurisprudence romaine en un seul recueil présentant les œuvres éparses de tant d'auteurs. Ce que personne n'avait osé espérer ni même souhaiter, nous apparaissait au plus haut point difficile, et même impossible ; mais ayant dressé nos mains vers le ciel et ayant invoqué le secours de l'éternel, nous nous sommes encore chargés de ce travail, confiants en Dieu, qui peut accorder encore les choses les plus désespérées, et les mener à bien par l'immensité de sa puissance.
3. Et nous nous sommes tournés vers les excellents offices de ta Sincérité : nous t'avons d'abord confié cette œuvre, ayant déjà reçu des témoignages de ta capacité d'esprit, par la composition de notre Code : et nous t'avons prescrit d'associer à cette œuvre ceux que tu choisirais, tant parmi les très éloquents professeurs de droit, que parmi les très diserts avocats auprès du tribunal de notre suprême juridiction. Ceux-ci, réunis de la sorte, introduits dans notre palais, et agréés par nous sur ton témoignage, nous avons permis d'accomplir l'ensemble de l'œuvre ; à condition que tout le travail fut exécuté sous la direction de ton vigilant esprit.
4. Nous vous ordonnons en conséquence de lire et de corriger les ouvrages de droit romain des anciens prudents auxquels les très anciens empereurs ont accordé le pouvoir de composer et d'interpréter les lois : afin que l'ensemble de la matière tirée de ces ouvrages soit réunie, sans que subsiste, dans la mesure du possible, ni similitude, ni contradiction, mais que, à partir de ces ouvrages, en soit composé un seul qui supplée à tous. Attendu que d'autres encore ont rédigé des ouvrages se rapportant au droit, mais que leurs écrits n'ont été reçus par personne, ni acceptés par l'usage, nous non plus ne jugeons par leurs œuvres dignes de notre ratification.
5. Et lorsque tous ces matériaux auront été réunis grâce à l'immense générosité de notre puissance, il faudra édifier une œuvre très belle, et consacrer comme un temple particulier et très saint, à la justice. Vous diviserez tout le droit en cinquante livres et en un certain nombre de titres déterminés, non seulement d'après l'ordre de notre Code, mais encore à l'imitation de l'édit perpétuel, comme cela vous apparaîtra le plus commode ; en sorte que rien ne puisse être laissé en dehors de cette collection, mais que dans ces cinquante livres l'ensemble du droit ancien, confondu au cours de presque mille quatre cents ans, mais par nous épuré, soit comme retranché derrière un mur, ne laissant rien en dehors. Tous les auteurs de droit auront une égale dignité, sans nulle prérogative réservée à aucun : parce qu'ils sont meilleurs ou inférieurs, non tous pour l'ensemble, mais certains pour certains passages de leurs écrits.
6. Et ne jugez pas ce qui est le meilleur et le plus conforme à l'équité d'après le nombre des auteurs, car il peut se faire que l'opinion d'un seul, même médiocre, surpasse en quelque point des (auteurs ) nombreux et considérables. Aussi ne rejetez pas sans examen les notes ajoutées à Aemilius Papinien par Ulpien, Paul et Marcien, qui précédemment n'avaient aucune valeur à raison de la considération due au brillant Papinien. Si vous découvrez dans ces notes quelque chose qui vous semble nécessaire pour compléter ou interpréter les travaux du très savant Papinien, n'hésitez pas à le recueillir comme ayant force de loi ; en sorte que tous les grands prudents dont les décisions seront rapportées dans ce recueil jouissent de la même autorité que si leurs travaux étaient issus des constitutions impériales, et proférés par notre divine bouche. Car, avec raison, nous faisons nôtre ce travail, puisque toute autorité vient de nous : celui qui corrige une œuvre médiocre est plus digne de louanges que celui qui l'a le premier imaginée.
7. Nous voulons aussi que ceci vous soit objet de zèle : si vous trouvez dans les ouvrages anciens quelque chose qui soit mal placé, inutile ou imparfait, supprimez les longueurs inutiles, complétez ce qui est insuffisant, et livrez une œuvre équilibrée et aussi harmonieuse que possible. Il vous faudra également observer ceci : si vous trouvez dans les vieilles lois ou dans les constitutions insérées par les anciens dans leurs ouvrages, quelque transcription infidèle, corrigez-la elle aussi, et livrez la remise en ordre : en sorte que paraisse véritable, sincère et bon ce qui aura été par vous choisi et retenu. Et personne n'aura l'audace de prétendre que votre transcription est vicieuse sur la base d'une comparaison avec un ouvrage ancien. Étant donné, de fait, que par une loi du temps jadis, dite loi « royale », tout droit et toute puissance du peuple romain étaient transférés en la puissance impériale, nous ne fragmentons pas l'ensemble du droit, d'après tel ou tel groupe de ses créateurs, mais nous voulons qu'il soit tout entier nôtre : en quoi l'ancienneté pourrait-elle abroger nos lois ? Nous voulons que tout ce qui figure dans ce recueil soit observé sous la forme où il sera mis, au point que même si elles avaient été différemment transcrites chez les anciens, et qu'elles se présentent d'une manière opposée dans le recueil, il ne faudrait faire reproche d'aucun crime de faux en écritures, mais bien attribuer cette différence à notre choix délibéré.
8. Qu'il n'y ait donc dans aucune partie dudit recueil une antinomie (comme l'on dit en usant d'un vieux mot grec), mais que règne, sans nulle opposition, une harmonie unique, un enchaînement unitaire.... ».
Donné à Constantinople, le 11 des calendes de décembre, sous le troisième consulat de l'empereur Justinien, toujours Auguste.
Ce détour par l'Antiquité était nécessaire pour comprendre l'impact de la science juridique, très aboutie à la fin de la période impériale. Elle véhiculait tous les instruments capables de légitimer dès le Moyen Âge un pouvoir absolu fort. Nous verrons dans les leçons suivantes si les circonstances politiques l'ont permis.