1. La codification instrument du légalisme
L’idée de réunir en un même ensemble différents textes juridiques est connue depuis l’Antiquité. Elle a pu prendre des formes variées et poursuivre des buts différents selon que l’on cherche simplement à réunir des règles anciennes (codification-compilation) ou bien que l’on envisage l’intégration directe de règles nouvelles au sein d’un code (codification-innovation). Il s’agit dans le premier cas, de reformer et rappeler le droit et, dans le second cas, de réformer le droit.
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1.1. Le temps des compilations et codifications royales
Avec le développement du pouvoir normatif royal et l'affirmation de la place de la loi comme principale marque de souveraineté, une attention plus particulière s'est manifestée pour réunir différentes ordonnances royales dans le but de compiler et rappeler diverses dispositions. La monarchie a aussi cherché à ordonner en certains domaines le fond du droit. Dans d’autres royaumes, le droit pénal a fait l’objet de premières codifications.
1.1.1. Les ordonnances royales
Deux voies ont été empruntées par la monarchie française avec les ordonnances de réformation (XVIe-XVIIe s.) et les ordonnances de codification (XVIIème-XVIIIème s.).
Les ordonnances de réformation entre 1539 et 1629 regroupent sans ordre rigoureux des règles antérieures dans le but de les rappeler. Elles s’intéressent à des domaines divers (justice, finance, police, domaine, armée, clergé, noblesse…). L’idée de compilation se manifeste dans l’ordonnance de janvier 1629, longue de 461 articles, préparée par le Garde des Sceaux Michel de Marillac (1560-1632).
Avec le règne de Louis XIV et l’action de son contrôleur général Jean-Baptiste Colbert (1619-1683), le travail de codification porte sur un domaine précis pour l’ordonner de manière plus rationnelle, le rendre plus clair et unifier le droit. Six ordonnances sont rédigées entre 1667 et 1685, notamment en matière de procédure (civile et criminelle), de commerce ou pour la marine.
Ce travail a été complété, pendant le règne de Louis XV par trois grandes ordonnances en matière de droit privé du chancelier Henri-François d'Aguesseau (1717-1750) dans des domaines où les interprétations jurisprudentielles étaient divergentes. Ces ordonnances de codification ont favorisé l'uniformisation voire l'unification du droit en certains domaines. Le travail accompli par Colbert et d’Aguesseau a ouvert la voie à la codification napoléonienne.
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Contenu
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1539 | Ord. de Villers-Cotterêts | Compétence de la juridiction ecclésiastique restreinte, ordonne tenue registres de l’état civil. | |
1560 | Edit « sur les secondes noces » | Protection des enfants du premier li, limitation des libéralités accordées au second époux. | |
1561 | Ord. d'Orléans | Michel de l'Hospital | Réforme judiciaire, ecclésiastiques et finances municipales. |
1563 | Ord. de Roussillon | Michel de l'Hospital | Fait commencer l'année au 1er janvier au lieu de Pâques. |
1566 | Ord. de Moulins | Michel de l'Hospital | Limitation du droit de remontrance des Parlements ; impose la preuve écrite pour les contrats de plus de 100 livres. |
1566 | Ord. de Moulins | Inaliénabilité du domaine de la Couronne. | |
1567 | Edit « des mères » | Limitation du droit des mères à venir à la succession de leur enfant. | |
1579 | Ord. de Blois | Célébration du mariage et tenue de registres de mariage. | |
1629 | « Code Michau » | Michel de Marillac | Nombreuses matières mais pas appliquée. |
1667 | Ord. sur la procédure civile | Jean-Baptiste Colbert (et Henri Pussort) | |
1669 | Ord. sur les Eaux et Forêts | ||
1670 | Ord. sur la procédure criminelle | Jean-Baptiste Colbert (et Henri Pussort) | Procédure secrète et écrite. |
1673 | Ord. sur le Commerce de terre | Jacques Savary | Régularise et unifie les règlements et usages. |
1681 | Ord. sur la marine | Jean-Baptiste Colbert | |
1685 | « Code Noir » | Statut des esclaves. | |
1731 | Ord. sur les donations | Henri d'Aguesseau | Unification des règles pour le royaume. |
1735 | Ord. sur les testaments | Henri d'Aguesseau | Etablit une législation double pour les pays coutumiers et de droit écrit. |
1747 | Ord. sur les substitutions | Henri d'Aguesseau |
1.1.2. La codification pénale
Monarques et princes en Europe, à la recherche d’une plus grande unification juridique et d’une consolidation de l’État, ont emprunté la voie de la codification pénale à partir du XVIème siècle. Ils ont ouvert la voie aux entreprises modernes de codification.
- A. Laingui, « La doctrine européenne de droit pénal à l’époque moderne (XVIème–XVIIIème siècle) », Revue d’histoire des Facultés de droit et de la science juridique, Paris, 1992, n° 13, p. 75-89.
- R. Martinage, « La doctrine pénale en Europe au XVIème siècle », Actes du colloque Tiberio Deciani (1509-1582), un grande giurista del Friuli, alle origini del pensiero juridico moderno, éd. Forum, Udine, 2004.
Après différentes tentatives en Espagne et au Portugal à partir du Moyen Âge, c’est véritablement avec Charles Quint qu’une première codification s’impose. La Constitutio criminalis Carolina (dite « Caroline ») est promulguée le 27 janvier 1532 pour le Saint Empire germanique. Elle renferme 76 articles concernant le droit pénal sur les 219 du texte. Elle renvoie notamment à l’arbitraire du juge, la procédure inquisitoire et affirme la rigueur des peines. Les qualités juridiques de ce texte ont contribué à ce que la « Caroline » soit diffusée et reprise en Autriche (la « Ferdinande » en 1656 avec Ferdinand II) et en Pologne.
En France, les diverses dispositions contenues dans les ordonnances royales (Blois, 1498 et Villers-Cotterets, 1539) sont lacunaires et critiquées. L’ordonnance du 26 août 1670 ou « Code Louis » intéresse la procédure criminelle. Elle se caractérise par les évolutions du droit de la procédure, un effort de simplification et de systématisation.
Avec le XVIIIème siècle, le développement des valeurs et des principes portés par les philosophes des Lumières influence des projets inachevés (Russie, Espagne, Portugal) et des codifications pénales (Bavière en 1751, Autriche en 1768, Toscane en 1786). Le code pénal français de 1791 est le premier à émaner d’une assemblée souveraine.
1.2. La France révolutionnaire
La réflexion sur la loi et l'organe dont elle émane a été développée par Montesquieu dans L’esprit des lois (1748). Il analyse les institutions anglaises (chapitre 6 du livre XI). S’inspirant de ce modèle, il prône que la « puissance législative » soit exercée par une assemblée et le monarque. Tous deux sont des organes partiels de la fonction législative. Il est ainsi permis d’instaurer une balance des pouvoirs pour éviter tout despotisme (c’est-à-dire la confusion des pouvoirs entre les mains d’un seul homme ou d’un organe). Sa réflexion a nourri le débat au cours de la Révolution pour organiser le pouvoir législatif.
L’importance accordée à la loi comme expression de la volonté souveraine contribue à développer le légiscentrisme. La codification apparaît comme l’instrument du légalisme.
1.2.1. La loi vénérée
La loi est l’expression de la volonté du souverain. Le primat de la loi est développé notamment au XVIIIème siècle sous l’influence des Lumières.
1.2.1.1. L’influence des Lumières
Rousseau dans le Contrat social (1762) envisage les hommes comme égaux par nature et prône qu’ils le soient également sur le plan politique et juridique. Aussi ils doivent se mettre « sous la suprême direction de la volonté générale ». Par cette égalité politique, la communauté souveraine peut seule exprimer la volonté générale. La loi est l’expression de la volonté générale.
Le pluralisme juridique est mis en question. La diversité coutumière est critiquée tout comme les privilèges (privatae leges). Ces lois particulières vont à l’encontre de la rationalité juridique et de l’uniformisation du droit, d’une loi la même pour tous, « l’unité des lois » (Mirabeau). Elle doit présenter un certain nombre de caractères, d’unité, de clarté voire dans une certaine mesure de perfection. Les philosophes des Lumières cultivent l’amour de la loi (nomophilie).
1.2.1.2. Le primat de la loi
La loi est omniprésente dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789. La définition rousseauiste est reprise à l’article 6 : « La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont le droit de concourir personnellement…, à sa formation » mais la formule « ou par leurs représentants » vient limiter cette position en consacrant le régime représentatif.
La loi devient un moyen de transformation de la société et de régénération de l’homme. Avec l’abolition des privilèges et l’affirmation de l’égalité juridique, un même droit doit trouver à s’appliquer à tous les citoyens. Cette volonté est relayée par l’uniformisation et la rationalisation des structures administratives du pays.
Expression du légalisme, la codification est annoncée par l’Assemblée nationale constituante. Ainsi la loi du 5 juillet 1790 précise qu’« il sera fait un Code général de lois simples, claires et appropriées à la Constitution ». La loi des 16 et 24 août 1790 relative à l’organisation judiciaire dispose, en son article 19, que « les lois civiles seront revues et réformées par les législateurs et il sera fait un code général de lois simples, claires et appropriées à la Constitution ». Enfin, la Constitution des 3 et 14 septembre 1791 reprend dans son titre premier cette idée avec la formule « Il sera fait un Code de lois civiles communes à tout le Royaume ».
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Au début de la Révolution, l’initiative de la loi est reconnue à l’Assemblée constituante en excluant toute intervention du pouvoir monarchique (art. 1, section I, chap. III de la Constitution de 1791). L’Assemblée a la maîtrise de l’élaboration de la loi par l’intermédiaire du Comité de législation. Avant de pouvoir être voté, le texte doit faire l’objet de trois lectures successives à huit jours au moins d’intervalle. Les décisions adoptées après un vote de l’Assemblée sont désignées par le vocable « décret ». Le décret ne devient une loi qu’après avoir été revêtu de la sanction royale prévue par la Constitution de 1791 avec le mécanisme du véto suspensif (« Lorsque les deux législatures qui suivront celle qui aura présenté le décret auront successivement représenté le même décret dans les mêmes termes, le roi sera censé avoir donné la sanction »).
Les lois sont expédiées aux tribunaux et à partir de l’an II sont publiées dans le Bulletin des lois.
1.2.2. La codification inaboutie
Les cahiers de doléances rédigés à l’occasion de la convocation des Etats généraux peuvent exprimer le souhait d’un code commun. Pendant la Révolution, plusieurs codes sont élaborés mais pour le droit civil, les différents projets de codification échouent.
1.2.2.1. Les réalisations
La Révolution française a permis la codification de la matière pénale et dans le domaine des sûretés.
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Ces critiques sont formulées par les philosophes des Lumières. Érigée en modèle, la procédure anglaise est saluée notamment par Montesquieu pour ses caractères. Elle est accusatoire, orale et publique. Elle connaît aussi la présence d’un jury composé de magistrats non professionnels (Esprit des Lois, XI, 6).
L’influence de l’Habeas Corpus Act de 1679 est aussi importante.
Cesare Beccaria (1738-1794) en 1764 dans Des délits et des peines dénonce des peines imprécises et imprévisibles. Il préconise des peines légales et fixes. Il évoque plusieurs principes toujours connus du droit pénal contemporain : légalité des incriminations et des peines, non rétroactivité de la loi pénale, présomption d’innocence.
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Conception qui limite l'office du juge, elle est défendue par Montesquieu (Esprits des lois, VI, 3) mais aussi par Beccaria :le juge doit « examiner si tel homme a commis ou non un acte contraire aux lois. En présence de tout délit, le juge doit former un syllogisme parfait : la majeure doit être la loi générale, la mineure l'acte conforme ou non à la loi, la conclusion étant l'acquittement ou la condamnation » (Des délits et des peines, IV).
En France, Voltaire se livre aussi dans son combat contre l’intolérance et le fanatisme religieux à une critique de la législation et de la procédure criminelle à l’occasion d’affaires entre 1762 et 1766 devenues célèbres (Calas, Sirven, La Barre).
Art. 7. Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la Loi, et selon les formes qu'elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis ; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la Loi doit obéir à l'instant : il se rend coupable par la résistance.
Art. 8. La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée.
Art. 9. Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi.
Le comité de législation criminelle de la Constituante travaille à l’élaboration du premier Code pénal français adopté avec la loi des 25 sept.- 6 oct. 1791. Il réduit les incriminations en excluant les anciens délits religieux mais il accroît les infractions politiques. Les peines, égales pour tous, sont désormais fixes. Le rôle du juge est plus limité. La conception utilitariste de la peine est défendue notamment par Le Pelletier de Saint-Fargeau dans son Rapport sur le projet de Code pénal. La peine capitale est conservée (« La peine de mort consistera dans la simple privation de la vie, sans qu’il puisse jamais être exercé aucune torture envers les condamnés », Titre 1, art. 2).
La période révolutionnaire voit aussi l’adoption d’un « code » hypothécaire résultant de la loi du 9 messidor an III et de la loi 11 brumaire an VII (1795 et 1798). La première prévoit en matière de publicité que les hypothèques, qui sont des gages sans dépossession immédiate du débiteur (droit réel et accessoire sur la chose d’autrui), doivent être inscrites à la Conservation des hypothèques. La seconde loi renferme notamment le principe de la spécialité relatif à l’assiette de l’hypothèque en réaction à l’hypothèque générale connue dans l’Ancien droit.
- Arrêt Leymaris C. Pautrier, 2 décembre 1819, Recueil général des lois et des arrêts en matière civile, criminelle, commerciale et de droit public, Sirey, 1821, t. XXI, I, p. 1-5.
- Arrêt Broussous c. Ignon, 16 juillet 1821, Recueil général des lois et des arrêts en matière civile, criminelle, commerciale et de droit public, Sirey, 1821, t. XXI, I, p. 361-367.
1.2.2.2. Les échecs
Différents projets de Code civil ont échoué. Cambacérès a proposé trois projets en 1793, 1794 et 1796. Il existe aussi le projet Target (1733-1806) et un projet « privé » élaboré par Jacqueminot (1754-1813) proposant la réalisation progressive d’un code par parties.
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Le premier projet (719 articles) est rédigé sous sa direction par le Comité de législation. Présenté à l’assemblée en août 1793, il est discuté durant trois mois. Il se caractérise par l’évolution du droit des personnes et de la famille avec par exemple la confirmation de la loi sur le divorce, l’abolition de la puissance paternelle, l’égalité successorale… L’idée d’un Code civil n’est plus une priorité en novembre 1793 après l’instauration de la terreur et du gouvernement révolutionnaire.
Le deuxième projet Cambacérès en 1794 est proche du premier bien que plus court avec 297 articles. Il énonce quelques grands principes. Le projet est à peine discuté en raison de la réaction thermidorienne.
Le troisième et dernier projet est présenté en juin 1796. Long de 1104 articles, il apparaît en retrait par rapport aux précédents quant à la conception égalitaire qu’ils défendaient pour les rapports patrimoniaux entre époux et la situation successorale des enfants. Début 1797, seulement 2 articles sont adoptés.
J.-L. Halpérin a précisé que l’échec des projets révolutionnaires « n’est pas le résultat d’une incapacité des assemblées à élaborer et à voter des textes juridiques de grande envergure ; il résulte bien plutôt de la rapide évolution des opinions et du décalage fréquent entre l’esprit des projets et le climat politique dominant au moment de leur discussion » (L’impossible Code civil, PUF, 1992, p. 18).