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Construction juridique et politique de l’État au Moyen Âge


1. L’institution royale


L’affaiblissement progressif du pouvoir royal au Xème s. favorise l’émergence de principautés territoriales. Les premiers rois capétiens ne contrôlent directement que l’Ile de France et l’Orléanais. A l’intérieur des comtés, le pouvoir est de plus en plus accaparé par de simples possesseurs de châteaux. A la fin du XIème s., les seigneuries prennent le relais de l’autorité publique défaillante. Elles marquent l’appropriation privée de la puissance publique. L’organisation seigneuriale ou féodale se développe. Elle repose sur les relations féodo-vassaliques.

Au cours des siècles suivants, on assiste de manière plus ou moins rapide à l’affermissement de la monarchie et à la construction progressive de l’État au sens moderne du terme en lien avec la souveraineté. À une première période d’essor au XIIIème s., succèdent deux siècles de difficultés qui contribueront malgré tout à renforcer la fonction royale. Le développement territorial du domaine, l’affirmation du pouvoir royal sur la féodalité, la formation de nouvelles institutions et l’influence des juristes marquent les règnes de Philippe Auguste, de saint Louis et de Philippe le Bel.

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Du XIIème s. au XVème s., le roi capétien s’affirme, en utilisant les règles du droit féodal, comme le suzerain au sommet de la pyramide féodale. La suzeraineté illustre les rapports personnels entre vassaux et seigneurs alors que le concept de droit public de souveraineté repose sur l’idée abstraite d’un pouvoir qui s’exerce sur un territoire.


Avec la période féodale, l’autorité publique s’est émiettée passant du niveau royal à celui des princes territoriaux puis des seigneurs. Des liens personnels entre le seigneur et son vassal sont établis, ils sont générateurs de droits et d’obligations réciproques.

Df.Les relations féodo-vassaliques correspondent à « un ensemble d’institutions créant et régissant des obligations d’obéissance et de service de la part d’un homme libre (vassal) envers un homme libre (seigneur) et des obligations de protection et d’entretien de la part du seigneur à l’égard du vassal ; l’obligation d’entretien ayant le plus souvent pour effet la concession par le seigneur au vassal d’un bien dit fief » (F.-L. Ganshof).

Rq.L’aide financière, le service armé et le conseil du vassal sont remplis moyennant la concession particulière par le seigneur d’un fief (en général une terre). Le vassal est ainsi investi de prérogatives de fonctions publiques. L’exercice de la justice par exemple n’est plus une fonction déléguée à un agent du roi mais elle est concédée dans le cadre d’un contrat de fief. Ce système de relations privées se développe et il s’enrichit du fait de l’hérédité des fiefs.


La notion de suzeraineté royale se forme à partir de rapports doubles dans le cadre de la hiérarchie féodale. Le roi va être reconnu comme « grand fieffeux du royaume ». Il ne tient son royaume de personne : « le roi ne tient de nelui, fors de Dieu et de soi » (Établissements de saint Louis, II, 14).
En premier lieu, le roi est placé au sommet de la pyramide féodale juste au-dessus des princes territoriaux. Ceux-ci doivent alors l’hommage au roi (hommage-lige). Le roi va lutter et s’imposer en utilisant les règles du droit féodal pour reconquérir l’ensemble des droits et pouvoirs attachés à la royauté. Il utilise une  sanction, la commise, et les règles du droit privé féodal. L

La commise est la confiscation du fief par le seigneur. Elle est utilisée avec succès par le roi à partir du début du XIIIème s. Le plus important conflit se déroule entre Philippe Auguste et Jean sans Terre (1167-1216), le dernier fils d’Henri II (1154-1189) et d’Aliénor d’Aquitaine (1122-1204).

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Jean sans Terre en conflit avec l’un de ses vassaux en Aquitaine avait enlevé un château et la fiancée du vassal. Le vassal se plaint alors à son suzerain le roi de France. Celui-ci cite à comparaître Jean sans Terre en tant que duc d’Aquitaine. Ce dernier refuse. Il rétorque qu’étant également duc de Normandie, il a le privilège de rencontrer le roi qu’à la frontière du royaume. Le roi le condamne par défaut à la commise des fiefs. Il exécute la décision en conquérant la Normandie, le Maine et l’Anjou. Jean sans Terre suscite une coalition contre le roi de France. Elle est vaincue à Bouvines en 1214. La haute féodalité est ainsi battue par le roi de France. Jean sans Terre perd alors tous ses fiefs français.


Le roi de France a également utilisé les règles de droit privé pour réunir de grands fiefs à son domaine (patrimonialité des fiefs et succession, mariage, donation). Les rois de France ont ainsi considérablement accru le domaine depuis Philippe Auguste jusqu’à l’intégration de la dernière grande principauté avec la Bretagne en 1488.

Ex.
La France en 1270 à la mort de saint Louis :
Léon Mirot, Manuel de géographie historique de la France, Paris, A. & J. Picard, 1947.


Source : edmaps logo - Mirot - domaine public.



Les acquisitions de Philippe III et Philippe IV :


La France en 1314 d'après Léon Mirot, Manuel de géographie historique de la France, Paris, A. et J. Picard, 1947 - Source : edmaps.com - Christian Ionita - Licence libre de documentation GNU.



En second lieu, s’il est reconnu que le roi ne doit l’hommage à personne, il a cherché à instaurer des liens avec les degrés inférieurs de la pyramide féodale pour renverser l’adage « le vassal de mon vassal n’est pas mon vassal ». La royauté a réussi à affermir sa suzeraineté sur les arrières vassaux par l’utilisation du droit féodal.

Lorsque l’un de ses vassaux au second degré se plaint de son seigneur – vassal direct du roi -, l’affaire peut être portée devant le suprême suzerain. Tel avait été le cas avec la commise des fiefs de Jean sans Terre.
Le roi cherche aussi à multiplier les vassaux directs lors de la réunion de grands fiefs à son domaine, par des fiefs-rentes (le roi s’attache directement un châtelain moyennant un fief dont l’objet consiste en une rente annuelle) ou finalement par sa capacité à attirer de nouveaux vassaux en raison de son pouvoir.

A la fin du XIIIème s., sous l’action des juristes, le principe « le vassal de mon vassal n’est pas mon vassal » est renversé. On a d’abord admis qu’un arrière-vassal du roi ne puisse pas, en cas de guerre entre son seigneur et le roi, faire la guerre au roi sans s’être assuré que le monarque füt vraiment dans son tort. En 1260, le Livre de Jostice et de Plet affirme que tous les membres de la hiérarchie féodale sont soumis à l’emprise royale.
En définitive, le roi placé au sommet de la pyramide féodale ne peut être en aucun cas être atteint par le jeu des rapports privés des membres de cette hiérarchie.

La supériorité féodale et plus largement celle qui s’applique à tous les habitants du royaume s’exprime également par l’autorité du suzerain pour qui « tous sont sous la main du roi » (Livre de Jostice et de Plet). Elle a été affirmée tant vis-à-vis d’autres puissances extérieures qu’à l’intérieur du royaume.

Df.La souveraineté royale peut être définie comme la « supériorité du roi dans le royaume à l’encontre de tous et à laquelle tous sont soumis ; elle a le caractère d’une puissance suprême ne se limitant pas au monde des vassaux mais s’étendant à tous les habitants du royaume » (J.-Fr. Lemarignier).

L’idée de souveraineté a été édifiée avec les matériaux fournis par le droit romain redécouverts au XIIème s., et le droit canon. Le droit impérial romain précisait les attributs du prince en distinguant l’auctoritas et la potestas. La première désignait l’autorité politique et juridique suprême et l’autre la puissance administrative.

Les juristes dans l’entourage du pouvoir royal en France affirment sa souveraineté ou encore la « plénitude de la puissance » royale face à l’Empereur puis à la papauté. Ces légistes contribuent à la construction politique et juridique de l’indépendance du roi de France.


Dans la lutte d’influence entre les papes et les empereurs, le premier conflit connu est la Querelle des Investitures. Dans son prolongement Marsile de Padoue (v. 1275 - v. 1342) dans le Defensor pacis de 1324 attaque le rôle politique du pape Jean XXII (1316-1334). Docteur de l’université de Paris, il prend le parti de l’empereur Louis de Bavière (v. 1286-1347) et appelle des réformes en vue d’accorder aux laïcs une participation dans les décisions ecclésiastiques. Ces idées contribuent à distinguer l’Église et de l’État.

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Conflit entre la papauté et le Saint Empire entre 1075 et 1122 à propos de la nomination d’évêques et d’abbés. Depuis le IXème siècle, ces ecclésiastiques étaient pourvus de fiefs d’Empire et les suzerains les nommaient. Ils conféraient l’investiture temporelle mais aussi spirituelle. Cela fut combattu par le pape Grégoire VII (1073-1085). Un compromis a été trouvé avec le concordat de Worms (1122) par lequel l’empereur renonce à l’investiture des fonctions spirituelles.

Les juristes impériaux du Saint Empire revendiquent également ces attributs à partir d’un texte du jurisconsulte romain Ulpien « Ce qui a plu au prince à la vigueur de la loi » (Digeste, I, 4, 1 et Institutes 1, 2, 6). Ils attribuent l’auctoritas à l’empereur alors que la potestas est exercée par les rois.

La position impériale a suscité une réaction des rois d’Angleterre puis de France. Utilisant les écrits juridiques romains, les juristes au service du roi (légistes) affirment son indépendance. Ainsi Guillaume de Plaisians s'exprime en ce sens par la formule « Le roi de France est empereur en son royaume ». Contre la prétention de l’Empereur, Philippe Auguste al’appui du pape. Le pape Innocent III (1198-1216) prend position en sa faveur par la décrétale Per venerabilem (1202) affirmant que « le roi de France n'a pas de supérieur au temporel ».

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Le légiste désigne celui qui enseigne ou étudie les lois c-à-d le droit romain. Les historiens du XIXème s. tel Michelet (1798-1874) dans son Histoire de France (1833-1844) a évoqué ces personnages. A propos du règne de Philippe le Bel, il écrit que « La France est alors un légiste en cuirasse, un procureur bardé de fer ; elle emploie la force féodale à faire exécuter les sentences du droit romain et canonique ». Il dénonce ces chevaliers en droit qui sont aussi des serviteurs du pouvoir, qui mobilisent le droit romain au profit du roi pour lui faire reconnaître les principes de la souveraineté impériale. Ils sont présents au sein du Conseil du roi, leur influence s’accroît et les critiques se font jour. Avec le règne de Philippe le Bel, ils jouent un rôle politique important dans le gouvernement du royaume. Charles V avouait qu’il gouvernait « principalement » par le conseil des juristes. On peut citer les noms des chanceliers Pierre Flote, Pierre de Belleperche, Guillaume de Nogaret, qu’ils soient originaires du Midi ou bien du Nord du royaume. Mais ces légistes ne sont pas seulement « politiques », ils sont également des administrateurs. Leur action s’inscrit dans la formation de l’État royal.

J. Krynen, « Les légistes ‘idiots politiques’ sur l’hostilité des théologiens à l’égard des juristes, en France, au temps de Charles V », Théologie et droit dans la science politique de l’État moderne. Actes de la table ronde de Rome (12-14 novembre 1987), École française de Rome, 1991, p. 171-198


Les papes ont recueilli aussi l’héritage politique et juridique romain en revendiquant l’auctoritas et affirmant qu’ils ont délégué la potestas aux princes. Contre le pontife, les juristes royaux affirment qu’à l’origine l’auctoritas s’appliquait à l’empereur et non au pape.
Le conflit est à son paroxysme avec Philippe le Bel et Boniface VIII de 1294 à 1303. Le roi de France impose que la papauté ne s’ingère plus dans les affaires temporelles du royaume. Deux conflits apparaissent, le premier à propos de l'imposition des décimes, le second avec l’arrestation de l’évêque de Pamiers. Ces différends ont été l’occasion de préciser les rapports entre pouvoir temporel et pouvoir spirituel dans des bulles pontificales (Ausculta filii le 5 décembre 1301 ; Unam sanctam du 18 novembre 1302).

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La première affaire est liée à la levée d’une taxe ou décime par le roi sur le clergé, non plus pour la croisade, mais pour la guerre en Flandre, à propos de laquelle il a omis de consulter le pape comme il était coutume. Le pape réplique dans une bulle pontificale de 1296 qui réclame la consultation de la curie romaine. La réponse de Philippe le Bel et de ses légistes est double. Ils s’inspirent de la philosophie d’Aristote et du droit romain pour affirmer l’antériorité du pouvoir politique par rapport au sacerdoce. Ils légitiment aussi la souveraineté royale avec le recours « Rendez à César ce qui est à César » (Matthieu 22, 21). Le roi décrète l’interdiction de la sortie du royaume des armes, chevaux, or et argent. Il vise ainsi indirectement les banquiers florentins qui opéraient pour le compte du pape et transféraient de l’argent des églises de France vers l’Italie. Boniface VIII doit céder. Le roi pourra ainsi lever des décimes sur les églises. Le conflit s’apaise au cours de l’année 1297.

Un second conflit tient à l’arrestation de l’évêque de Pamiers en 1301 qui a publiquement souhaité la révolte du Midi contre le roi et qui a regretté la canonisation de saint Louis. L’arrestation et le procès de l’évêque Saisset se font au mépris des privilèges ecclésiastiques. Le pape adresse la bulle Ausculta fili au roi de France. Il s’adresse au roi en tant que « père », et en « maître qui tient sur terre la place de celui qui est seul maître et seigneur ». Le pape convoque à Rome pour 1302 un concile de l’Église de France. Le roi convoque en 1302 à Paris une assemblée de prélats, docteurs, barons, représentants des villes. Une lettre est rédigée pour demander au pape de révoquer la convocation du concile. Le pape refuse d’autant que le roi est en position de faiblesse militaire après sa défaite de Courtrai en 1302. Au cours du concile, où se rendent des prélats français, le pape publie la bulle Unam Sanctam qui repose sur trois éléments qui sont l’expression de la théocratie pontificale : « L’Église est une et hors d’elle il n’y a point de salut. Le pape a pouvoir sur toute l’Église. L’Église est au-dessus des princes ». Le roi de France avec l’appui des légistes va alors agir. Il le fait tout d’abord en décidant de réunir un concile où le pape doit être jugé au chef d’hérésie, sodomie, idolâtrie et népotisme. Le pape informé se prépare alors à délier les sujets du roi de France de leur serment de fidélité. Mais la seconde action intervient à Anagni où un légiste de Philippe le Bel, Guillaume Nogaret, envoyé pour signifier sa convocation au pape le fait avec force. Le pape rentre à Rome mais il meurt quelques jours plus tard. Les successeurs de Boniface VIII, dont plusieurs seront français, vont abolir ses mesures et sceller la victoire du roi de France.


L’indépendance du roi de France au temporel est confortée par ce conflit et lui a permis d’intervenir dans la vie interne de l’Église de France. Au début de XIVème siècle, le gallicanisme royal s’affirme. Il s'agit de la défense des libertés de l'Eglise du royaume de France. Cette doctrine se rencontre dans le Songe du vergier (1376-1378).

Rq.Cet ouvrage politique important au Moyen Âge a été rédigé à la demande de Charles V. Il a été rédigé par Evrart de Trémaugon (mort en 1386). L’œuvre a été écrite en latin (1376) puis traduite en français (1378). Il s’agit d’une fiction qui développe le thème des rapports entre l’Église et l’État. Cette fiction repose sur un dialogue entre un clerc et un chevalier. Elle prend appui sur une compilation avec de nombreuses citations notamment « savantes ». Il défend l’idée de l’indépendance des deux pouvoirs.

L’affirmation et la reconnaissance de la souveraineté royale dans tout le royaume sont développées avec l’idée de fonction royale. Les Capétiens s’inscrivent dans une continuité avec l’idée de ministerium regis c’est-à-dire l’exercice d’une fonction au service de la res publica, du « commun profit » ou encore du « bien commun ».

La fonction royale s’affirme en lien avec le caractère religieux et divin lié au sacre. Il poursuit plusieurs objectifs. Tout d’abord, il marque une étape nécessaire puis essentielle dans l’accession à la fonction royale (« c’est le sacre qui fait le roi »). Cette conception médiévale a évolué. Michel de l'Hospital, chancelier en 1561, déclare lors du sacre de Charles IX que « Jamais le Royaume n'est vacant, ainsi il y a continuation de Roi en Roi et que dès que le Roy à l'œil clos, aussi tôt nous avons Roy ... sans attendre couronnement, onction ni sacre ». Il correspond aussi à la manifestation d’un équilibre entre le pouvoir royal et le pouvoir ecclésiastique. Il vise ensuite à réunir en un système rituel, en les faisant collaborer l’abbé de Saint-Denis, l’abbé de Saint-Rémi de Reims et l’archevêque de Reims. Enfin, il permet d’exprimer l’indépendance de la monarchie française et sa supériorité sur les autres rois chrétiens. Le rituel du sacre est réglé par l’ordo c’est-à-dire un recueil d’oraisons et d’hymnes liturgiques accompagnés de brèves indications sur le déroulement de la cérémonie.

Tx.Ordo, pour l’onction et le couronnement du roi entre 1230 et 1274 :

« Le roi doit se rendre à l’église avec les archevêques, les évêques, les barons et autres personnes qu’il lui a plu de faire entrer. Auparavant, ont été posés sur l’autel la couronne royale, l’épée dans sa gaine, les éperons d’or, le sceptre doré et la baquette, longue d’une coudée ou plus, surmontée d’une main d’ivoire : de même les chausses de soie violette brodée de lys et la tunique de la même couleur et du même dessin et enfin le surcot également de la même couleur, qui ressemble à une sorte de chape. L’archevêque prend la couronne royale sur l’autel et, à lui seul, la pose sur la tête du roi. Une fois qu’elle a été posée, tous les pairs du royaume, tant clercs que laïcs, portent la main à la couronne et la soutiennent de toutes parts. Alors l’archevêque, avec ses pairs, conduit le roi ainsi décoré jusqu’au trône qui lui a été préparé, couvert et orné de soieries, où il l’installe sur un étage élevé, d’où il peut être vu de tous ».

La cérémonie du sacre.

Les ordines des XIIIème et XIVème siècles éclairent cette cérémonie et la présence des regalia (insignes royaux).

Sacre royal et regalia


Insignes du pouvoir

Origine

Symbole

Signification

L'épée, les éperonsChevaleresqueLa force militaireLe roi protège l'Eglise
Le manteau du sacreAncien Testament
(habit sacerdotal)
Le service envers l'EgliseLe roi appartient à l'Eglise
L'anneau d'orPareil à celui de l'évêque
(anneau sacerdotal)
L'unionLe roi relie par sa personne Dieu et le peuple
Le sceptre dans la main droiteAncien Testament (Moïse)L'origine divine du pouvoir royaLe roi exerce l'autorité politique et militaire
La main de justice dans la main gaucheAncien Testament (le roi David)La Paix, le BienLe roi exerce l'autorité judiciaire
La couronneRite byzantinL'autorité suprêmeLe roi est souverain


Le comportement moral pour faire régner la paix et la justice est important. Le prince doit être informé et développer des vertus utiles au « métier de roi ». Cet enseignement se trouve dans les « miroirs des princes ».

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La rédaction d’écrits pour présenter la conduite que les princes chrétiens doivent observer date du IVe et Ve s. après J.-C. Puis avec l’époque carolingienne, des ouvrages spécifiques sont destinés à conseiller les princes. Les conseillers ecclésiastiques des rois comme Jonas d’Orléans ou encore l’archevêque de Lyon Agobard écrivent de tels « miroirs ». Mais c’est à partir de la fin du XIe s. que ce genre politique se développe. Ils mettent en avant l’importance de l’éducation pour exercer la fonction royale. Des manuels de gouvernement sont rédigés à la cour des rois d’Angleterre et de France. Parmi ces traités d’éducation, il y a le Policraticus de Jean Salisbury (1155) ou encore le De regimine principium (Du gouvernement des princes et sa version française Li livres du gouvernement des rois). C’est un traité écrit par Gilles de Rome pour Philippe IV le Bel à l’époque où celui-ci était prince héritier. Cet ouvrage a connu un très grand succès. Il se construit autour de trois livres renvoyant à l’éthique, l’économie et le politique. Le premier étudie le gouvernant sous l’angle de la personne (avec l’acquisition des vertus, la domination des passions, les bonnes et mauvaises mœurs), le deuxième l’appréhende comme chef d’une famille (les relations avec son épouse, l’éducation des enfants, l’organisation de son hôtel) et le troisième comme chef de la communauté politique (opinions des anciens philosophes sur la cité et le meilleur régime). Le but de cet ouvrage est d’enseigner au futur gouvernant à gouverner conformément à la raison et à la loi (divine et naturelle). « Seul l’homme d’intelligence peut maîtriser les passions et s’imposer comme chef naturel » (J. Krynen). Avec le bas Moyen Âge, le contenu est précisé sur certains points pour parfaire l’apprentissage du pouvoir par le futur monarque.
Les miroirs du prince des XIVe et XVe s. traduisent l’importance des prérogatives du roi et le caractère toujours plus complexe de sa fonction de gouvernant. C’est en particulier le cas pour l’administration de la justice. Son apprentissage du pouvoir repose sur des exemples concrets comme par exemple l’action de Philippe Auguste à propos d’une pauvre veuve spoliée de son héritage par un bailli.
D’autres ouvrages ont le même objet avec les « songes » politiques tels le Songe du vergier (1378) ou le Songe du vieil pèlerin (1389) développant une présentation de la société française pour préconiser les réformes en particulier dans le gouvernement des grands princes, les officiers et l’administration. Ce miroir est alors un traité d’éthique royale et un guide concret de gouvernement.

J. Krynen, L’empire du roi. Idées et croyances politiques en France XIIIème-XVème siècle, coll. « Bibliothèque des histoires », Paris, 1993, p. 170-204.


Les légistes affirment que « toute justice émane du roi en fief ou en arrière-fief ». Son autorité progressivement se diffuse au cours des XIIème et XIIIème siècles. Elle avance de manière plus lente hors de son domaine pour son activité normative. Elle s’affirme de manière plus assurée aux XIVème et XVème siècles. Elle a été formulée aux XIIIème et XIVème siècles notamment par Philippe de Beaumanoir (v. 1252-1296) et Jean de Blanot (v. 1230-v. 1280).
Beaumanoir précise dans les Coutumes de Beauvaisis (§ 33) que « le roi est souverain par-dessus tous et a de son droit la générale garde de tout son royaume, par quoi il peut faire tous établissements comme il lui plaît pour le commun profit, et ce qu’il établit doit être tenu. Et il n’y a nul si grand au-dessus de lui qui ne peut être attrait en sa cour pour défaut de droit ou pour faux jugement et pour tous les cas qui touchent le roi ».
Blanot écrit que « le roi a l’imperium sur tous les hommes de son royaume, car, de même que tout relève de l’empereur quant à la juridiction puisqu’il est dominus mundi, ainsi tout ce qui est dans le royaume relève de lu roi quant à la juridiction » (Tractatus super feudis et hommagiis). On y trouve aussi la formule « le roi de France est empereur en son royaume, car il ne se reconnaît pas de supérieur en matière temporelle ».

Un processus politique et juridique favorise le détachement de l’institution royale à la fois de la personne physique du roi et des règles qui régissent les choses privées. Cette évolution à partir du XIIème siècle intéresse la Couronne et le Domaine.


Une dépersonnalisation du pouvoir se produit au profit de la Corona. Au terme de cette évolution médiévale, elle revêt un caractère abstrait distinct de la chose matérielle en lien avec le sacre. La Couronne devient un ensemble de biens et de droits. Elle est un élément immatériel et invisible comme l’établit le juriste Balde (1327-1406) à propos de la couronne impériale. Son analyse vaut également pour les monarchies d’Europe. La dissociation entre ces deux caractères permet alors d’assimiler la Corona à l’État.
Ce processus est observable en Angleterre dans la première moitié du XIIème s. puis dans le royaume de France. Dès 1150, les grands du royaume doivent prêter serment non pas au roi mais regno et coronae. L’association régulière de ces deux mots permet à la couronne d’acquérir un sens particulier en tant qu’entité qui transcende la personne du roi. Elle devient le « support de pouvoir, symbole de puissance et assise de droits » (A. Rigaudière). Cette affirmation se développe au moment où le roi de France est en lutte avec les grands féodaux contribuant à reconnaître une notion supérieure à la personne physique du roi. Il est le gestionnaire des biens, des droits et des prérogatives qui sont rattachés à la couronne.
Elle est placée hors de la volonté du roi qui ne peut pas en disposer. La règle est posée d’interdire au roi tout acte de disposition à l’égard de la couronne. Elle est affirmée par le juriste Jean de Terre Vermeille au service du dauphin Charles. Ce juriste du Midi a rédigé en 1419 le Traité des droits du successeur légitime aux héritages royaux.

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Le Traité de Troyes est rédigé cinq ans après la défaite d’Azincourt. Charles VI frappé de folie intermittente depuis 1392 signe ce traité avec le roi Henri V d’Angleterre. Par ce traité, il opère un changement dynastique. Il exhérède son fils, le dauphin Charles, au profit du roi anglais à qui il donne également sa fille en mariage. Henri V est de plus adopté par Charles VI qui « retenu et empêché la plupart du temps » confie le pouvoir de gouverner et d’ordonner la « chose publique » à Henri V.
Jean de Terre Vermeille affirme que la Couronne n’est pas un bien patrimonial et qu’elle obéit à une coutume spéciale. La Couronne est indisponible, l’héritier légitime a un droit acquis. II est affirmé que le roi régnant ne peut librement disposer de la couronne et du royaume. Il ne peut pas non plus exhéréder celui que la coutume appelle à lui succéder. Le Traité de Troyes apparaît donc comme nul et non avenu. Cette réflexion sur la couronne est étendue aux biens et droits qui lui étaient rattachés c’est-à-dire le domaine.

La succession à la couronne de France ne peut être soumise aux règles de droit privé. Cette question est réglée avec la notion de dignité royale permettant de distinguer « les deux corps du roi ».

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A la notion de corona est souvent associée une autre formule dans le vocabulaire politique du Moyen Âge. C’est celle de dignitas regia. Les canonistes vont établir une distinction en lien avec le principe de transsubstantiation (l’eucharistie est le corpus verum Christi alors que la société chrétienne incarne le corpus mysticum Christi avec à sa tête le pape). Cette dualité est reprise avec l’idée de corpus naturale regis correspondant au corps physique, mortel et privé du roi distingué du corpus mysticum. Il correspond au corps immortel et public du roi à travers l’État qu’il représente et la dignitas qu’il anime. On conçoit alors que « la dignité ne périt jamais, même si les individus meurent chaque jour ». L’adage Dignitas non moritur repris par les juristes permet de dépersonnaliser le pouvoir et de lui conférer le caractère de la perpétuité. La transmission de la dignité au successeur du roi défunt se doit d’être immédiate. Les juristes ont alors recours à un adage coutumier : « le mort saisit le vif ». Présente dans un arrêt du Parlement en 1259, cette règle a pour fonction d’assurer à l’héritier de droit privé appelé par la coutume à succéder, une situation identique à celle du de cujus au moment de son décès. Il bénéfice ainsi de la transmission immédiate de la succession au moment même de la mort sans avoir à accomplir une formalité. Cet adage est présent dans les écrits politiques du dernier quart du XIVème s. ainsi que dans des ordonnances de 1374, de 1403 et de 1407. L’application de cette règle met fin à la valeur constitutive du sacre. Le sacre ne fait plus le roi en France en raison de la règle d’instantanéité de la succession. L’adage « Le roi est mort ! Vive le roi ! » prend tout son sens à la mort de Louis XII (1515).

J. Krynen, « Le mort saisit le vif. Genèse médiévale du principe d’instantanéité de la succession royale française », Journal des savants, vol. 3, n° 1, 1984, p. 187-221 : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jds_0021-8103_1984_num_3_1_1482


Une dépatrimonialisation du pouvoir est à l’œuvre en lien avec le Domaine. Un ensemble de biens et de droits rattachés à la couronne n’est plus considéré comme une composante du patrimoine privé du roi. Ils sont qualifiés par les expressions « patrimoine de la couronne de France » puis « domaine de la couronne de France ».
Il existe, depuis le XIIIème s., la pratique des apanages c’est-à-dire l’habitude prise par le roi de doter ses fils puînés pour tenir leur rang de biens provenant du domaine.

Ex.C’est l’exemple avec le duché de Bourgogne en 1363 qui a permis l’instauration d’une principauté indépendante avant qu’elle ne soit réintégrée en 1447 au domaine royal.

A partir du XIVème s., les rois procèdent à la révocation d’aliénations pour protéger le domaine. L’Assemblée de Vincennes (1329) a évoqué le caractère inaliénable du domaine. L’idée est reprise en 1357 par une ordonnance de réforme qui est imposée au dauphin après la capture de son père Jean II le Bon. Elle établit par une prescription générale l’interdiction des aliénations. Les juristes et les théoriciens vont alors parvenir au XIVème s. et au XVème s. à dégager trois principes. Le domaine de la couronne devient alors un ensemble de biens inaliénables, indisponibles et imprescriptibles. Le souverain s’engage alors de manière solennelle à ne pas aliéner certaines provinces rattachées à la couronne. Une nouvelle clause est insérée dans le serment du sacre avec Charles V : « Je conserverai inviolablement la supériorité, les droits et les prérogatives de la couronne de France et jamais je ne les aliénerai, ni les céderai ».

2. L’administration du royaume


Le roi capétien à la fin du Xème s. s’appuie sur la cour féodale. Elle évolue pour s’affirmer comme un organe de gouvernement et se spécialise pour assurer les prérogatives reconnues et reconquises par la royauté souveraine. La monarchie développe des structures administratives dégagées progressivement de tout lien féodal et recruter des agents royaux à son service. Avec le règne de Philippe Auguste (1180-1223), une réorganisation progressive des institutions de l’administration centrale et locale est à l’œuvre.


A partir de l’élément féodal, une administration centrale royale s’organise. Alors qu’elle était itinérante accompagnant le monarque, à partir de la fin du XIIème s., elle est fixée à Paris au Palais de la Cité. A l’ancien personnel féodal se substitue progressivement un personnel technique et spécialisé favorisant une continuité dans l’exercice des fonctions.

Ex.
Source : UNJF - CC BY NC ND.



Des officiers domestiques et des officiers ordinaires sont au service du roi. Le point de départ est constitué par la cour féodale qui est réunie pour l’aide et le conseil des « barons » et des prélats qui participent à la prise de décisions royales et qui sont associés à leur application.
Il existe aussi de manière mal différenciée jusqu’à la fin du XIIIème siècle un personnel permanent dans l’entourage royal, « maison du roi » puis « l’hôtel-le-roi », qui va se distinguer de la curia regis.
Parmi les fonctions et charges héritées du Palais de la royauté carolingienne, on trouve de grands officiers qui exercent de moins en moins des fonctions domestiques pour assurer davantage un rôle dans les domaines de la justice, de l’administration des biens, de l’écriture des actes royaux, de l’armée… Certains perdent de leur importance (chambrier, bouteiller, sénéchal), d’autres occupent une place de plus en plus essentielle (connétable et chancelier).
D’autres officiers ordinaires interviennent au sein de l’hôtel, parmi eux certains participent plus étroitement au gouvernement du royaume en lien avec le chancelier. Des spécialistes du droit romain et du droit canonique sont plus présents et participent à l’affirmation de l’État royal. Parmi les officiers ordinaires, les maîtres des requêtes de l’hôtel et les notaires-secrétaires du roi interviennent dans le domaine de la justice et de l’écriture des actes royaux.

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Le phénomène observable en France a été le même plus précocement en Angleterre. Les premiers services administratifs spécialisés ont été directement démembrés de la Cour. L’Échiquier apparaît dès le début du XIIème siècle. Ses structures sont fixées de façon durable dès le milieu du XIIème s. Tous les procès qui intéressaient les revenus du roi étaient traités à l’intérieur de l’Échiquier par la Cour de l’Échiquier qui regroupait des barons. D’autre part, en matière de justice, elle était rendue pour le roi soit par des juges itinérants soit par le moyen de deux Cours qui vont s’affirmer. Il s’agit de la Cour des plaids communs (Court of Common Pleas, 1215) qui va se détacher de la personne royale et se fixer à Westminster. Elle juge en principe les contestations qui opposaient deux particuliers sur le plan civil. La seconde juridiction est le Banc du roi (King’s Bench) qui connaît des affaires dans lesquelles le roi était partie avec les procès criminels où l’accusé avait enfreint la paix du roi. A la fin du Moyen Âge, ces trois cours forment un ensemble judiciaire complexe. Chaque tribunal a sa compétence propre puis elles pourront connaître de l’ensemble des causes portées devant les juridictions royales.
La particularité de ces trois cours c’est de juger selon la Lex communis, la Common Law c’est-à-dire la loi traditionnellement appliquée à tout le royaume par les tribunaux royaux. Il s’agit de la vieille coutume, enrichie au XIIIème s. par des décisions des juges, mise en forme par Bracton (juge royal mort en 1268) et fixée par les grands statuts d’Édouard Ier (1272-1307).
Les États d’Occident ont suivi l’Angleterre et la France dans l’évolution qui a vu des administrations spécialisées se dégager de la Cour royale. On doit noter que ce phénomène est en général plus tardif et moins complexe. En 1348, en Flandre, une Cour de justice appelée Audience apparaît de manière distincte du Conseil du comte. C’est la même chose qui se passe en Castille à la fin du XIVème siècle. Il faut attendre un siècle plus tard pour que les principautés allemandes s’engagent dans l’organisation d’une Cour suprême de justice qui soit complètement distincte du Conseil.


La curia regis a bénéficié de l’apparition de charges plus spécialisées et stables permettant d’assurer une continuité dans la gestion des affaires du royaume. Pendant le règne de Louis IX, des démembrements de cette cour existent pour confier à des organes de gouvernement spécialisés une fonction gouvernementale. Un semblable phénomène est observable dans d’autres royaumes en Europe. A partir d’une matrice commune, la Cour du Roi, différents organes apparaissent. Elle est la « mère de l’administration du royaume » (A. Castaldo). Cette individualisation au sein de la Cour du roi donne naissance à différentes formations : la curia in parlamento (Parlement), la curia in compoto (Chambre des comptes) et la curia in consilio (Conseil du roi ; états généraux).

C’est en 1239 que les termes parlamentum et curia in parlamento sont employés pour la première fois pour désigner une session judiciaire. Au milieu du XIIIème s. la Cour du roi ne jugeait qu’en première instance les procès portés devant elle par les établissements ecclésiastiques royaux, les vassaux du roi et les communes du domaine royal.
Avec le règne de Louis IX, quatre sessions sont tenues chaque année pour connaître des affaires judiciaires qui sont de plus en plus nombreuses à être portées à la connaissance de la justice royale. La justice du roi s’impose face aux justices seigneuriales et ecclésiastiques. Elle attire à elle un contentieux croissant notamment en raison de l’évolution de la procédure prévue par l’ordonnance de 1258 (« bonnes preuves et loyaux » seulement admises, procédure d’enquête). Elle interdit dans le domaine royal le duel judiciaire en matière civile et pénale reprenant l’ordonnance de 1254.
Au sein de ces sessions, un personnel de spécialistes versés dans le droit est appelé d’une session à l’autre pour compléter l’élément féodal.
En 1263, un des maîtres de la Cour décide de conserver la trace des arrêts les plus importants prononcés. Il remonte jusqu’en 1254. Ces premiers arrêts correspondent aux Olim. L’importance de l’activité de la Cour requiert en 1278 de rédiger un règlement pour organiser son travail judiciaire.

Df.Olim : Les registres du Parlement consignent les arrêts dès 1254 et en 1258 des registres d’enquêtes sont tenus. Ces recueils sont dénommés Olim en référence au premier arrêt qui débute par l’expression Olim homines… Ils ont été publiés par le comte Beugnot en 1839 renfermant le texte des arrêts de 1254 à 1275 et des enquêtes de 1255 à 1272.

Une session unique annuelle est organisée par l’ordonnance du 11 mars 1345. Elle définit le statut de ce nouvel organe, établit de manière fixe au Palais de la Cité, qui s’est ainsi détaché de la curia regis. Son personnel est précisé avec des personnes, juristes de formation (clercs et laïcs), qui acquièrent la qualité d’officier royal. Le Parlement se structure avec la Grand’Chambre (ou « chambre des plaids »), la Chambre des requêtes, la Chambre des enquêtes puis la Tournelle.

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Les diverses chambres du Parlement apparaissent avec la Grand’Chambre qui rend des arrêts sur plaidoiries ; la Chambre des Enquêtes qui travaille sur enquêtes et rend des jugés que la Grand’Chambre transforme en arrêts. La Chambre des requêtes entend les requêtes des plaideurs. Une chambre instruit les affaires criminelles par délégation de la Grand’Chambre, la Tournelle apparaît ainsi à la fin du XIVe s. et elle est composée uniquement de laïcs (les clercs ne peuvent pas juger les causes de sang). A la fin du XIIIème s., deux présidents sont désignés pour remplacer le roi à la tête de la Cour. Les juges du siège et les gens du roi (parquet) sont distingués. L’ordonnance du 11 mars 1345 fixe le nombre des juges professionnels instaurant ainsi un personnel stable. En 1360, le mot « Parlement » désigne non plus une session de la Cour du roi mais la Cour de justice elle-même issue du Conseil royal.
Un statut particulier pour les officiers se précise avec l’affermissement de l’institution. Ils bénéficient du versement de gages fixes en numéraire mais aussi en nature (les « épices » correspondent aux dons faits au juge par les justiciables). Les membres du parlement jouissent de privilèges fiscaux (exemption d’impôts), canoniques (exemption de la décime pour les clercs) mais aussi de privilèges judiciaires comme le privilège de committimus (pouvoir porter leurs affaires devant une juridiction particulière, le Conseil du roi).

Le Parlement a une compétence judiciaire mais aussi normative par ses « arrêts de règlement » (valeur générale qui s’impose à tous) et par sa participation à l’entrée en vigueur de l’ordonnance royale (procédure d’enregistrement et de publication).

Ex.
Lit de Justice de 1458  :


Miniature de Jean Fouquet en frontispice de l’ouvrage de Boccace De cas de nobles hommes et femmes, Munich, Bayerische Staatsbibliothek, Ms. Gallicus 369. Source : wikimedia commons - domaine public.



La carte judiciaire de la France médiévale va voir apparaître à côté du Parlement (de Paris), le parlement de Poitiers (1418, qui ne durera pas), de Toulouse (1420-1428 puis 1443), de Bordeaux (1462), de Dijon (1477), d’Aix (1501), de Rouen (1515) et de Rennes (1554).

La curia in compoto est un autre démembrement de la Curia regis dont l’organisation se précise au début du XIVe s. Comme en d’autres royaumes, la connaissance et la vérification des comptes est portée devant la cour du roi au sein d’une commission de plus en plus spécialisée.

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L’idée et l’apparition d’une juridiction des comptes se rencontrent et en premier lieu avec les Normands qui l’ont adapté en Angleterre. L’Échiquier reproduit ainsi le modèle présent à Caen. Ils sont aussi à l’origine de son implantation en Sicile. Cette institution de contrôle des comptes a influencé la Grand’Cour des maîtres des comptes du royaume des Deux-Siciles (Naples). Une commission de cette Grand’Cour a été installée dans le comté de Provence pour devenir la Cour des comptes, aides et finances d’Aix.

Registre des titres et privilèges de la Chambre : miniature représentant une séance de vérification des comptes, début XVIème siècle :


Source : Archives Nationales, AE II 634.



Le développement d’une Chambre des comptes dans le royaume de France connaît trois phases :

1) A partir du milieu du XIIIème s., le roi et la majorité des membres de la Cour du roi n’ont plus la compétence technique pour assurer eux-mêmes la gestion et le contrôle des comptes devenus plus complexes. L’exercice permanent d’attributions financières est confié à des personnes spécialisées à la fin du XIIIème s. au sein d’une  curia in compotis rattachée à la Cour du roi. Elle doit assurer la conservation des titres qui fondent les droits du souverain sur le domaine, mais aussi les documents, comptes et papiers de l’administration financière ainsi que la surveillance des monnaies. L’ ordonnance de janvier 1320 de Vivier-en-Brie prévoit l’organisation et le fonctionnement de la Chambre des comptes avec la fixation d’un nombre limité de personnes.

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Une réglementation de l’exercice des fonctions du personnel est précisée quant à leur organisation du travail (répartition entre services, établissement d’un calendrier, discipline avec un règlement intérieur). Son fonctionnement repose sur cinq principes : autorité et indépendance des gens des comptes ; possibilité d’agir directement sans ordre préalable de la Curia pour l’ordonnancement des dépenses ; veiller aux causes de dilapidation financières excessives ; droit de regard sur le travail de la chancellerie ; pouvoir de donner au nom du roi les mandements administratifs ayant une portée financière.

2) Les compétences de la Chambre des comptes s’accroissent entre 1320 et 1357. Elle connaît des affaires relatives aux revenus ordinaires (domaine) et extraordinaires (impôt).

3) Du milieu du XIVème siècle au milieu du XVème siècle, ses attributions sont précisées en matière financière et monétaire. De nouvelles institutions plus spécialisées apparaissent (chambre des Monnaies, chambre du Trésor, Cour des Aides, Table de Marbre) et d’autres chambres des comptes sont créées en province.
Sa composition se fixe avec 26 officiers des comptes dont deux présidents (un clerc et un laïc), des maîtres des comptes, des correcteurs et des clercs des comptes ainsi que des officiers subalternes et des gens du roi en marge de la hiérarchie du personnel de la chambre.

La curia in consilio ou le Conseil forme le troisième élément de la curia regis médiévale. Il renvoie à la pratique du gouvernement par conseil tel que l’affirme notamment Philippe de Beaumanoir. Il devient un organe permanent dont la composition et les attributions relèvent du roi. A côté des princes du sang, des grands vassaux et des grands officiers dont le chancelier, il peut appeler à siéger toute personne utile pour connaître des affaires soumises au Conseil du roi. Ce sont en particulier les légistes qui occupent une place de plus en plus prééminente au détriment de l’élément féodal notamment dans le cadre de conseils restreints (« conseil secret » ou « conseil étroit »). Le Conseil du roi est consulté pour les affaires générales du royaume (paix, guerre, législation, nomination…) mais aussi dans le cadre de la justice retenue (le nombre croissant des affaires portées à sa connaissance a favorisé un démembrement avec le « Grand Conseil » institutionnalisé en 1497-1498). Ainsi éclairé, le roi prend seul la décision.

Le gouvernement par conseil au Moyen Âge prend d’autres formes. Le roi consulte aussi les « bonnes villes » du royaume à partir du XIIème siècle notamment pour les questions monétaires. Il convoque aussi des assemblées politiques réunissant les trois ordres à partir des débuts du XIVème siècle. La première d’entre elles est réunie en 1302 alors que Philippe IV le Bel est en conflit avec le pape Boniface VIII. Qualifiée généralement de première réunion des « États généraux », une telle assemblée ne peut être considérée comme telle qu’à partir de 1468 en lien avec le principe de représentation du clergé, de la noblesse et du tiers-état. Il est généralisé en 1484. Ces assemblées sont convoquées pour apporter aide et conseil au monarque. Il sollicite leur soutien politique mais aussi leur consentement à l’impôt en raison de la nécessité et de l’utilité publique en particulier pour assurer la défense du royaume.

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Cette expression est relativement tardive en ce qu’elle est utilisée pour désigner une assemblée ordinaire de la noblesse, du clergé et du tiers état. Cela fut fait en 1468 pour les Etats généraux convoqués par Louis XI. Toutefois on a longtemps considéré que leur première assemblée datait de 1302 sous le règne de Philippe le Bel au moment du conflit avec Boniface VIII. C’est dans un but de légitimation et de soutien au pouvoir royal que cette assemblée s’est tenue. Pour la première fois, elle réunit de nombreux députés élus du tiers état. Les membres de la noblesse et du clergé sont convoqués de manière individuelle par le monarque. Il faut attendre 1484 pour que les Etats soient composés de membres élus des trois ordres avec une élection dans le cadre des bailliages et sénéchaussées. C’est cette procédure qui sera retenue par la suite jusqu’en 1789.
La convocation des États généraux relève du seul roi. Pourtant les états ont cherché à imposer au roi une périodicité régulière au milieu du XIVe s. Ils y ont réussi de manière éphémère en 1357. Les Etats doivent au roi auxilium et consilium. Le roi les convoque pour qu’ils consentent à l’impôt pour financer ses guerres. A partir de 1484, les Etats ne sont plus convoqués, le droit royal d’imposer, sans requérir le consentement, s’applique.
Ils ont aussi une fonction de conseil destinée à éclairer le choix du monarque. Le dialogue ainsi noué dépend de rapports de force entre le roi et les états. Lorsque le roi est fort, les États sont utilisés pour légitimer son action et obtenir leur consentement. En revanche quand la monarchie est faible les États tentent d’imposer des réformes.

Ex.
Tenue des États de Tours de 1484, Musée Dobrée, Conseil général de Loire-Atlantique, Nantes, Inv. Ms. XVIII, f° 66 v°. :


Source : Cliché Musée Dobrée, Conseil général de Loire-Atlantique, Nantes.


L’organisation de l’administration locale accompagne le mouvement général d'affirmation du pouvoir royal et de l’État.


L’organisation de l’administration locale repose sur différents agents. La monarchie prend appui tout d’abord sur les prévôts pour l’administration de son domaine. Ils sont placés sous le contrôle des baillis et des sénéchaux aux XIIIème et XIVème siècles.
Les prévôts placés à la tête d’une châtellenie royale exercent des fonctions judiciaires et assurent la gestion et la perception des revenus royaux. Avec le règne de Louis VII, leur charge fait l’objet d’une adjudication pour éviter une transmission héréditaire. Les conséquences de ce système de la ferme ont conduit la monarchie à préférer une procédure de désignation et de révocation directe par le roi (système de la garde).
Au XIIIème s., on distingue les baillis et les sénéchaux en raison d’une répartition géographique distincte en partie liée à une origine différente. On rencontre le bailli au Nord, à l’Est et en Normandie alors que le sénéchal est présent en Languedoc, Limousin, Poitou et Anjou. Désigné par le roi, le bailli ou le sénéchal ne peut être nommé dans une circonscription dont il est originaire.

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Le bailli apparaît en Normandie dans les zones d’influence anglo-normande. Il correspond aux agents des souverains Plantagenêt. Dans le domaine royal, c’est une ordonnance de 1190 de Philippe Auguste qui mentionne le bailli. Il ne créé pas l’institution du bailli mais il en précise les missions de surveillance. Il généralise une institution aux régions où cet agent était absent dans le but de contrôler les prévôts. Il s’agit au départ de plusieurs agents itinérants. Ils n’ont pas encore une circonscription géographique déterminée. Ce sont des commissaires du roi. A partir des années 1230, les baillis cessent leurs tournées collectives. L’institution est fixée dans une circonscription (bailliage). Ils deviennent des officiers royaux.
Le sénéchal est en général un ancien agent féodal de grands princes territoriaux. A partir du XIIème s. avec la réunion à la Couronne de différentes seigneuries (par exemple le Poitou), ces agents sont maintenus en place. Ils deviennent ainsi des officiers royaux.

Le bailli et le sénéchal sont le prolongement de la personne du roi. Ils assurent la défense de ses droits. Ils ont une fonction de représentation auprès de la population, des autres agents chargés de la gestion du domaine royal ou encore des vassaux du roi. Il a également des compétences militaires. C’est enfin un agent financier assurant la centralisation des revenus des fermes liées aux prévôtés. N’ayant pas de fonctions spécialisées, il assure des tournées régulières. Puis avec l’accroissement de ces missions, l'institution se fixe. Il agit avec des collaborateurs (lieutenant, procureur, avocat du roi, receveurs, élus).

Tx.Acte du bailli de Bourges (26 octobre 1298) : autorisation de percement dans la muraille accordée par le bailli aux Templiers à Issoudun.

Il existe deux grandes catégories d'agents royaux. On distingue les officiers des commissaires. La notion d'office (officium) correspond à l'idée de service mais aussi à celle de fonction et de devoir. Les officiers à partir du Moyen Âge sont désignés soit par voie d'impétration (requête adressée au roi pour obtenir des lettres de provision d'office qui sont publiées après sa réception au sein de l'institution qui reçoit un nouvel officier, par exemple dans le cadre du parlement) soit par voie de l'élection. Il s'agit d'un choix sans que cela n'implique une technique particulière (vote par exemple). Le recours à l'élection se développe sous le règne du Charles V pour désigner de grands officiers (chancelier en 1372) mais aussi les baillis et sénéchaux (ordonnance du 5 février 1389). Les ordonnances de réformation à la fin du XIVème siècle et au début du XVème siècle rappellent l'importance du recours à l'élection des officiers royaux (par exemple ordonnance du 25 mai 1413 relative à la "Police générale du Royaume" dite ordonnance cabochienne dans un contexte troublé).
Les commissaires sont désignés par le roi qui les choisit librement pour une mission déterminée. Ils sont librement révocables par lui.


Les pouvoirs des baillis et sénéchaux sont contrôlés. Le pouvoir royal a recours à des commissaires. Il s’agit des enquêteurs-réformateurs dès le milieu du XIIIème s. qui effectuent des tournées d’inspection pour rechercher les abus commis par les baillis avec pouvoir de sanction.

Le recours aux enquêtes se développe dans le royaume de France à partir du XIIIème siècle. Différentes formes sont distinguées. Au temps de saint Louis, il s'agit d'enquête de "réparation", qualifiée ainsi par l'historienne Marie Dejoux. le but poursuivi est de "sauver son âme" en demandant avoir connaissance des injustices commises dans le royaume pour ainsi les réparer. A son retour de la croisade, le roi souhaite « purifier le royaume et instituer l’ordre chrétien » (Cl. Gauvard).

Tx.Ordonnance de réformation de décembre 1254, Extrait de J.-M. Carbasse et G. Leyte, L’Etat royal XIIème-XVIIIème siècles. Une anthologie, coll. Léviathan, Paris, Puf, 2004, p. 192-194.

« Louis, par la grâce de Dieu roi de France, à tous ceux qui verront le présent écrit, Salut. C’est pour nous un devoir de la puissance royale que de rechercher de tout notre cœur la paix et la tranquillité de nos sujets, dans lesquels nous trouvons nous-même notre repos ; et plein du zèle de l’indignation contre les hommes malhonnêtes et malfaisants qui viennent troubler cette paix et ce repos, nous avons donnés les ordres suivants pour en finir avec les injustices et pour réformer l’état du royaume, au mieux pour le temps présent.

I. Afin de supprimer, autant que possible, les prélèvements illicites effectués par les baillis et les autres officiers, nous avons ordonné que nos sénéchaux et autres officiers des bailliages de Beaucaire et de Carcassonne seront astreints à prêter le serment qui suit, ceux qui le transgresseraient étant punis sur leurs biens ou même, si le cas l’exige, sur leurs personnes, selon notre appréciation ou celle de nos envoyés.

II. Les sénéchaux des deux bailliages jureront que, tout le temps qu’ils tiendront le bailliage que nous leur avons confié, ils feront droit également aux grands et aux humbles, aux petits et aux étrangers, à ceux qui sont nés dans le pays et à nos autres sujets, selon les droits, usages et coutumes approuvés dans chaque lieu.

III. Ils jureront aussi de rechercher de bonne foi et de conserver nos droits et, quant aux droits des autres, de ne pas chercher sciemment à les diminuer ou à en empêcher l’exercice (…)

VI. On ajoutera à ce serment qu’ils n’enverront ou ne donneront rien à aucun membre de notre conseil, ni à leurs épouses, enfants, ou familiers, et rien non plus à ceux qui sont chargés de vérifier leurs comptes ou à ceux que nous envoyons pour visiter leur terre ou enquêter sur leur administration (…)

XIII. Et nous interdisons strictement à nos baillis susdits, pour toute la durée de leur administration, d’acheter des biens dans leur bailliage soit directement soit par un intermédiaire, ou par quelque procédé frauduleux sans notre permission ; s’ils le font, nous voulons que l’achat soit nul et que les biens ainsi acquis soient, s’il nous plaît, appliqués à notre fisc (…)

XXXI. Nous voulons que tous nos baillis, grands et petits, lorsque leur charge prendra fin, restent encore pendant cinquante jours dans leur bailliage, ou du moins qu’ils y laissent un procureur suffisant, afin qu’ils puissent répondre aux plaintes de leurs administrés devant ceux qui seront commis à cet effet (…) ».


Une deuxième forme d'enquête poursuit une finalité de "correction". Tel est le cas avec les enquêtes dites générales menées par Alphonse de Poitiers, frère de saint Louis. Elles visent à punir les méfaits des officiers mais aussi, et de plus en plus, à corriger le "droit du prince".

Enfin, une troisième forme, à partir des années 1310, tend davantage à dresser l'inventaire des droits d'un prince, de les connaître, de les récupérer et de les accroître.

De manière générale, la réformation repose sur la notion de bien commun sous l'influence de la redécouverte des écrits d'Aristote et la réflexion de Thomas d'Aquin. Ainsi aux XIVème et XVème siècle se développent les idées que le bien suprême est le bien de la communauté ; la fin des législateurs est l'utilité commune ; la fin de la cité est le souverain bien.

La réformation est un thème politique et un programme de gouvernement développé par la monarchie à partir du début XIVe siècle. Ainsi, une ordonnance de 1303, s'inspirant de celle de 1254, vise davantage à la réforme organisationnelle et institutionnelle. Pour répondre à une requête ou une « rumeur », le roi envoie des enquêteurs-réformateurs. Ils sont dotés de pouvoirs larges : juridique, financier, militaire qui permettent de se substituer à tous les agents royaux et de réformer. Enfin, le roi élabore une ordonnance.

L'ordonnance de 1303 sert de modèle, elle est répétée plus de 20 fois en l'espace d'une soixantaine d'années. Des ordonnances de réformation sont rédigées en insistant sur la nécessité de réformer l'organisation administrative trop pesante tout en permettant de mieux asseoir l’État. La publication des ordonnances de réforme est généralement liée aux moments importants de la contestation politique 1315-1319, 1355-1357, 1389-1392, 1400-1413. Ainsi de telles ordonnances touchant au gouvernement du royaume, à la justice, à la fiscalité, au Domaine, aux baillis et sénéchaux sont adoptées de février à mai 1389 sous l'impulsion de conseillers proches de Charles VI, les Marmousets.

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Claude Gauvard précise que « la réformation se présente (…) comme une re-création de l’ordre établi, au moins de deux manières. En mettant en cause les officiers royaux dont la gestion est critiquée, le pouvoir crée, en accord avec l’opinion, une série de victimes émissaires génératrices d’une unanimité et d’une complicité entre le roi et son peuple. En développant une relation symbolique avec les ancêtres, le texte secrète une conformité qui permet d’accepter l’ordre établi. D’une certaine façon, l’ordonnance de réforme est un acte de contestation rituelle du pouvoir au terme duquel la place du roi et les institutions sortent renforcés. Certes, leur contenu cherche à limiter le nombre des officiers, à définir leurs qualités et leur mode de choix, mais en même temps ces agents du pouvoir sont énumérés, ces institutions sont nommées, et, à long terme, par sa répétition même, la réforme fonde l’État en l’installant dans la pureté et le sacré » (Dictionnaire du Moyen Âge, coll. Quadrige, Puf, Paris, 2002, p. 1188).

  • Ph. Contamine, « Réformation : un mot, une idée », Des pouvoirs en France, 1300-1500, Paris, 1992, p. 37-47.
  • Cl. Gauvard, « Ordonnance de réforme et pouvoir législatif en France au XIVème siècle (1303-1413) », Renaissance du pouvoir législatif et genèse de l’État, A. Gouron et A. Rigaudière, éd., Paris, 1988, p. 89-98.

3. Le gouvernement du royaume


La souveraineté royale et son exercice s’expriment dans le domaine de la justice, de sa capacité normative et dans le champ fiscal.


C’est par la justice que le roi a accru son emprise dans le royaume. Sur le chemin de l’affirmation de la souveraineté royale, la lutte contre des justices concurrentes est engagée. L’organisation de la justice du roi devient plus perfectionnée.


Pour affirmer sa justice, le roi, avec ses officiers, combat les juridictions laïques (seigneuriales, urbaines) mais aussi ecclésiastiques. C’est tout d’abord au XIIIème s. et en particulier dans la seconde moitié de ce siècle que la justice royale s’impose face aux justices seigneuriales. Il faut attendre les XIVème s. et XVème s. pour que la lutte contre les justices ecclésiastiques se développe.

La lutte contre les justices laïques, en particulier seigneuriales, intervient en premier alors que la royauté est engagée contre la féodalité. Ces justices seigneuriales offrent un caractère rudimentaire tant du point de vue de leur organisation que de celui de la procédure observée. Ces cours ne sont pas composées de juristes professionnels mais de vassaux. Les modes de preuves sont anciens avec le recours au jugement de Dieu ou encore le duel judiciaire. L’appel n’est pas possible hormis le cas où le juge féodal s’est mal acquitté de sa tâche (déni de justice ou défaute de droit).

La justice royale en pleine expansion entre en lutte avec des justices seigneuriales archaïques. Utilisant le droit féodal, le roi ne supprime pas ces justices mais les vide de leur compétence pour les insérer dans l’organisation de la justice royale. Trois voies vont être suivies avec l’idée de subordination par la voie de l’appel, l’idée de concurrence avec le recours à la prévention et enfin l’idée de réserver les procès qui intéressent le roi ou ses intérêts avec les cas royaux.

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Il y a en premier lieu l’idée de subordination de la justice seigneuriale à la justice royale avec le développement de l’appel. Dans la structure pyramidale de la hiérarchie féodale, cette idée de l’appel hiérarchique de degré en degré va trouver à s’appliquer. Le succès de l’appel dans la procédure romano-canonique observée par l’Église, l’influence du droit romain ou encore la volonté des justiciables de pouvoir bénéficier de la justice du roi vont concourir à son succès.

La prévention : on dit que le juge royal peut « prévenir » la justice seigneuriale c’est-à-dire qu’il connaît de l’affaire avant elle. La prévention est alors fondée sur le caractère supérieur puis souverain du roi justifiant ainsi que sa justice vienne avant la juridiction normalement compétente. Cette prévention peut intervenir d’office lorsque le juge royal se saisit lui-même. C’est le cas par exemple lorsque le juge seigneurial n’a pas agi contre un criminel qui relève de sa compétence. La prévention peut avoir lieu dans un second cas lorsque le juge royal est saisi par une partie en premier. La prévention a un effet relatif. Si le juge seigneurial réclame l’affaire avant la sentence, le juge royal s’en dessaisit. La prévention a un effet absolu, dans certaines affaires. Le juge royal reste saisi.

Les cas royaux : l’idée est que les procès qui intéressent le roi doivent être réservés aux juges royaux. Il y a un lien établi avec la souveraineté. Cela a pour conséquence de rendre non limitative la liste des cas royaux. On peut citer, par exemple, les affaires relatives à la personne du roi, au domaine royal, les personnes placées sous la protection du roi, le non respect des ordonnances royales.

Au terme de l’évolution médiévale, la justice royale sort victorieuse de sa lutte contre les justices seigneuriales. La théorie de l’abus de justice l’illustre. Le roi peut retirer à un seigneur sa justice s’il juge mal et en abuse. Le souverain justicier est fondé à interdire dans son royaume l’exercice de mauvaises justices. Cette théorie se développe au XVe s. à un moment où le roi est aussi engagé dans la lutte contre les justices ecclésiastiques et qu’il dispose d’armes similaires élaborées par ses juristes.

L’opposition de la justice royale à la justice ecclésiastique intervient au XIVème et XVème s. en raison de son caractère plus perfectionné. Les justices ecclésiastiques se développent au XIIème s. et elles connaissent leur apogée au XIIIème siècle. Elles reposent sur les officialités. Il s’agit d’une délégation des fonctions judiciaires de l’évêque à l’official. Cette cour bien organisée se caractérise par sa spécialisation. On distingue juridiction gracieuse et juridiction contentieuse. On distingue aussi la fonction de juge de celle de ministère public. On distingue enfin différents degrés d’officialités reliées entre elles par l’appel hiérarchique.

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Elle a une large compétence. Ratione personae, cette compétence s’étend aux veuves, orphelins, pauvres et aux clercs (miserabile personae). Ils disposent du privilège de for. Il est absolu en matière criminelle (jugement mais exécution par le bras séculier). Il est relatif en matière civile pour la matière personnelle et s’applique en matière mobilière en lien avec le principe « meubles suivent la personne ». Ratione materiae, la compétence de l’Église est exclusive pour les crimes contre la religion (hérésie, sorcellerie, sacrilège), contre les sacrements (mariage), contre les biens de l’Église. La compétence est concurrente avec les juridictions laïques en matière de testament, de contrat et des rapports pécuniaires entre époux.

Tout aussi perfectionnée et précise, la procédure romano-canonique est suivie devant les cours d’Église pour les affaires civiles. En matière criminelle, la procédure inquisitoire est observée au XIIIème siècle. Ces caractères ont été précisés : le juge agit d’office ; secret des témoignages ; absence du ministère d’avocat ou encore recours à la question.

Les progrès de la souveraineté royale et surtout la formation de l’idée gallicane (Songe du vergier ; Pragmatique sanction de Bourges de 1438) vont contribuer à la victoire de la justice royale. Elle repose sur trois combats. Le premier intervient au début du XIVème s. sous le règne de Philippe le Bel au regard de l’inquisition en matière d’hérésie. Dans un deuxième temps, la justice royale cherche de manière plus générale à réduire la compétence de la justice ecclésiastique avec la théorie des cas privilégiés. En lien avec le développement de la souveraineté royale, il s'agit des mêmes domaines d'application que la théorie des cas royaux mais pour des crimes commis par les clercs. Enfin, un dernier terrain d’affrontement tient à la subordination de la justice d’Église à celle du roi.

Une voie de recours est instaurée. L’appel comme d’abus permet de déférer au Conseil du roi ou à une de ces juridictions (Parlement) un acte abusif de l’autorité ecclésiastique. L’objectif est de le faire annuler. Il est reconnu de pouvoir former un recours contre toute décision judiciaire mais également tout acte administratif.

Les progrès de la justice royale ne se limitent pas à la lutte victorieuse menée contre les justices concurrentes mais aussi par le fait que l’organisation de la justice du roi se perfectionne.

Les progrès de la justice royale sont perceptibles par son développement, les nouveaux caractères de la procédure observée mais encore avec la formation de nouvelles voies de recours.

Les juridictions royales se développent. Elles s’affermissent en lien avec leur lutte contre les justices concurrentes. En premier lieu, c’est avec le Parlement et en son sein qu’une première évolution est notable. Une spécialisation est à l’œuvre pour connaître des affaires civiles et criminelles. Les juridictions royales se développent aussi dans l’ensemble du royaume. Elles attirent à elle un contentieux de plus en plus important. Cet attrait est le fruit pour partie d’une évolution de la procédure. Elle distingue les justices royales des justices seigneuriales. On passe d’une procédure accusatoire à une procédure plus empreinte d’inquisitoire. Dans un premier temps la procédure suivie se caractérise par l’absence de représentation pour les parties au procès. Sous l’influence de la procédure observée par l’Église, l’inquisitoire va être observé dans les juridictions royales. Par l’action du Parlement et avec la mise en place du ministère public au XIVe s., la procédure d’enquête se développe.

Le régime des preuves évolue avec les ordonnances de 1254 et de 1258 de saint Louis qui intéressent les affaires civiles et criminelles dans le domaine royal. La preuve irrationnelle du duel judiciaire est remplacée par la preuve testimoniale. Elle est privilégiée mais le recours à la preuve écrite est aussi admis. Il étend la procédure d’enquête à l’ensemble des juridictions royales. Elle se présente comme une procédure contradictoire.

La formation de nouvelles voies de recours permet de renforcer la hiérarchisation dans l’organisation des juridictions royales. Il y a d’une part l’introduction de l’appel devant le Parlement des affaires jugées par les juridictions royales inférieures (tribunaux des bailliages et sénéchaussées). Il y a d’autre part la possibilité d’exercer un recours auprès de la personne du roi pour un arrêt rendu par le Parlement. Au XIVème s., la « proposition d’erreur » apparaît. Le justiciable saisit le roi d’une requête pour lui demander de dire en son Conseil qu’il y a eu erreur de son parlement et de « casser » l’arrêt par lettres patentes. C’est l’origine de la cassation. Le roi en son Conseil prend l’habitude de casser l’arrêt sans juger l’affaire au fond et de renvoyer l’affaire devant le parlement pour qu’il statue de nouveau.


L’affirmation de la capacité normative royale va se faire au détriment d’autres pouvoirs. La reconnaissance et l’exercice du pouvoir royal d’édicter des normes pour l’ensemble du royaume se développent dans le cadre du pluralisme juridique médiéval.


Le roi est investi depuis les temps carolingiens de la tuitio regni (garde générale du royaume) qui fait que le monarque doit protéger ses sujets par de bonnes lois. Deux conceptions vont prévaloir au Moyen Age.
Dans un premier temps, c’est l’idée de la préservation et de la conservation de l’ordre juridique préexistant qui domine jusqu’à la fin du XIIème siècle. Le roi doit « conserver à chacun son droit ». Dans un second temps, on reconnaît au roi le pouvoir de créer un nouvel ordre juridique. A l’idée d’« antériorité du droit par rapport à l’État » s’est substituée celle de « primauté de l’État sur le droit » (A. Rigaudière).
Les auteurs médiévaux ont alors pu affirmer que le roi peut « faire loys ou constitucions toutes nouvelles entre ses subjés » (Songe du Vergier,) ou encore que « le Roy de France qui est Empereur en son royaume, peut faire ordonnance qui tiennent et vaillent loy, ordonner et constituer toutes constitutions » (Jean Boutiller).

Le pouvoir normatif royal repose sur plusieurs éléments : droit féodal, droits savants et souveraineté. Dans le cadre féodal, chaque seigneur peut librement édicter des normes dans sa seigneurie. Le pouvoir royal cherche à imposer progressivement ses décisions à l’ensemble du royaume. Dans le cadre de l’obligation de conseil, le roi associe les seigneurs à la norme. En dehors du domaine royal, il doit légiférer avec l’assentiment des « barons » : « le roi ne peut mettre ban en la terre du baron sans son assentement » (Etablissements de saint Louis). Leur volonté est un gage d’adhésion et d’application plus effective de la norme royale.

Les auteurs médiévaux reconnaissent au roi une capacité normative pleine et entière chaque fois que le commun profit et l’utilité publique l’exigent. Philippe de Beaumanoir dans les Coutumes de Beauvaisis consacre quelques chapitres, notamment le 49ème, à ce problème du pouvoir de faire la loi (§ 1043, 1512-1513-1515). Le roi doit agir toujours pour le commun profit et fonder sur lui ses décisions. La notion de commun profit n’est pas définie, elle doit être entendue comme la recherche du bien commun des sujets. Cette notion doit beaucoup à la philosophie d’Aristote reprise par saint Thomas d’Aquin. D’autres notions apparaissent pour fonder le droit royal comme l’utilitas publica.

Les droits savants contribuent à mieux asseoir la capacité normative du souverain. Au milieu du XIIIème siècle, le roi est reconnu comme l’un des principaux héritiers des prérogatives impériales. Investi de la potestas, le roi de France s’affirme alors, du moins en théorie, comme autonome et indépendant dans le domaine édictal. Profitant de cette situation, les juristes des années 1250 et suivantes vont à partir des éléments fournis par le droit romain investir le roi de France des mêmes prérogatives et pouvoirs que l’empereur. Les légistes royaux font usage des notions d’imperium, d’auctoritas et de potestas. Ils en tirent la conclusion que le roi, à l’image des empereurs romains, doit être l’entier et unique dépositaire du pouvoir législatif. Il apparaît comme le seul détenteur dans son royaume de la capacité normative.
Par assimilation avec l’Empereur romain, le roi est qualifié de lex animata. Les juristes emploient les formules Princeps legibus solutus est (le prince est délié des lois) ou encore la clause ex certa sciencia empruntée à la chancellerie pontificale. Les auteurs français reprennent dans leur œuvre ces expressions. Pierre de Fontaines (XIIIème s.) écrit dans Le Conseil à un ami (rédigé en 1253 et 1259) que « ce qui plest au prince a force de loi ». Dans le Livre de Jostice et de Plet, il est affirmé que « ce que plest au prince vaut loi ». A la fin du XIVe s., Bouteillier (1340-1396), lieutenant du bailli de Vermandois, écrit « que le roi de France qui est empereur en son royaume, peut faire ordonnance qui tienne et vaille loi, ordonner et constituer toute constitution ».



Sur la base des progrès de la réflexion juridique médiévale, et mettant fin aux hésitations et incertitudes, les Temps Modernes par l’intermédiaire des chanceliers, notamment Michel de l’Hospital (v. 1505-1573), affirmeront de manière plus nette l’importance du rôle de la volonté du souverain législateur. On affirme « Si veut le roi, si veut la loi ». Cela permet d’élaborer le pouvoir exclusif du roi de faire ordonnance et de donner ainsi de manière progressive vie à un nouvel ordre juridique essentiellement fondé sur la loi de l’État.

Si la capacité normative exclusive du roi est affirmée, la pratique de l’exercice de ce pouvoir normatif doit être nuancée au Moyen Âge notamment quant aux domaines de son intervention. Les modalités de la prise de décision traduisent l’affermissement progressif du pouvoir royal tant dans l’étendue territoriale des mesures royales que dans le développement de la chancellerie.

Du règne de saint Louis à celui de Louis XI les domaines soumis à l’autorité de la loi n’ont cessé d’augmenter en fonction de l’autorité croissante de la monarchie. L’essentiel de la législation royale a été consacré au droit public avec les matières touchant à l’organisation de la justice, de la procédure, de l’administration, de la police, de l’armée, des finances et de la fiscalité.

Les interventions directes pour la matière du droit privé sont exceptionnelles. Il n'y a pas d'affirmation au Moyen Âge d'un « principe de non-immixtion » de la royauté ce domaine. Il est bien intervenu avant l'ordonnance de 1556 en matière matrimoniale. Il le fait du premier quart du XIIème siècle à la première moitié du XIIIème siècle dans le silence des coutumes. Alors que le principe du respect des coutumes raisonnables s’impose ensuite au roi, il trouve des voies pour agir sur les coutumes qui ne seraient pas « raisonnables ». Son action et ses relations avec les coutumes sont diverses. Il intervient pour confirmer les coutumes. Il veille à leur bonne application. S’il doit ne pas intervenir pour en modifier le contenu, il peut le faire lorsqu’il s’agit d’une mauvaise coutume. Il en ordonne enfin à partir de la deuxième moitié du XVème siècle la rédaction avec l’ordonnance de Montils-lès-Tours en 1454.

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Le roi intervient tout d’abord pour confirmer les coutumes. Il peut ainsi intervenir tout en respectant le principe selon lequel le roi doit respecter la coutume raisonnable. Elle présente les caractères d’ancienneté, elle est bonne, juste et légitime. Son action est particulièrement sensible dans le domaine du droit pénal à tel point qu’on a mentionné le « naufrage » du droit pénal coutumier (B. Schnapper) dès le XIIIème siècle dans le Midi.
Il veille également à leur bonne application. L’ordonnance de réformation de 1254 sous le règne de saint Louis précise l’obligation de ses agents locaux, les baillis, de juger « selon les droits, usages et coutumes approuvés dans chaque lieu ». Une ordonnance de 1302 prescrit l’observation des coutumes dans leur détroit. L’ordonnance de Philippe le Bel de réformation du royaume (23 mars 1303) a le souci d’assurer la justice en faisant respecter les « bonnes coutumes ».
Il doit ne pas intervenir pour en modifier le contenu de manière unilatérale si elle est « raisonnable » et conforme au bien commun. Selon l’opinion commune, les coutumes font partie du patrimoine des provinces du royaume. Il s’agit d’une obligation formulée dans le serment du sacre : « Entretenir… bonnes lois et coutumes anciennes ». Le roi est ainsi gardien et censeur des coutumes. Philippe de Beaumanoir évoque dans ses Coutumes de Beauvaisis que le roi est « tenu de garder et de faire garder les coutumes de son royaume » (n° 683).
Le roi doit alors lutter contre les « mauvaises coutumes ». Les premières manifestations de son intervention datent de 1051 par Henri Ier pour une redevance « impie ». L’expression de mala consuetudo apparaît vers l’an Mil pour qualifier un usage injuste. La justification de ce pouvoir est recherchée dans les attributs de l’empereur romain (potestas et jurisdictio). Philippe le Bel en 1302 affirme son droit à abolir les mauvaises coutumes dans tout le royaume en sa qualité de justicier. Les notions d’équité, d’ordre moral et des motifs religieux justifient son intervention.

Les actes des premiers Capétiens ont une portée limitée. Il s’agit de diplômes c’est-à-dire des privilèges pour quelques particuliers laïques ou ecclésiastiques. Les diplômes de Philippe Ier ont la prétention sans réelle efficacité de s’imposer dans tout le royaume. L’activité normative royale progresse de manière significative à partir du règne de Louis VII et devient importante avec celui de Philippe IV le Bel.

A partir du règne de Louis VI et jusqu’au milieu du XIIIème s., lorsque le roi à l’intention de prendre une mesure à portée générale pour l’ensemble du royaume, il doit convoquer à la cour du roi les grands vassaux. Ils sont réunis pour être associés à la prise de décision et assurer l’application de la mesure royale. Leur consentement exprès est requis. L’une des premières ordonnances véritable (1144) est prise par le roi pour instaurer une paix de 10 ans.
Avec le règne de saint Louis, l’extension du domaine royal et le progrès de la législation royale sont liés. Le roi cherche à obtenir l’assentiment de la majorité des grands du royaume qui sont réunis au sein de la curia regis.
Les progrès de l’exercice du pouvoir normatif royal sont davantage affirmés avec Philippe le Bel. Beaumanoir précise les modalités de la procédure normative. En période normale, trois conditions doivent être réunies (§° 1499). Le Conseil réuni doit éclairer la décision du souverain, elle doit répondre au « commun profit » et être prise pour une « raisonnable cause » (pas contre Dieu ni les bonnes mœurs). En cas de circonstances exceptionnelles (§° 1510), la consultation du conseil n’est pas requise.

La chancellerie royale se développe avec les progrès du pouvoir royal normatif. Parmi les normes émanant du monarque, on trouve les lettres royaux qui intéressent une personne ou un groupe de personnes. Une seconde catégorie a une portée plus générale. La terminologie employée pour qualifier ce type d’acte est fluctuante. On parle d'edictum, de constitutio puis à partir du XIIIème siècle de stabilimentum et d’établissement et au XIVème siècle d’ordonnance.

« Le roi doit vivre du sien ». Tel est le principe médiéval qui cantonne le roi à financer ses dépenses par les seules ressources de son domaine. Pour faire face à des dépenses croissantes en raison de la guerre et des besoins de l’État, le roi va avoir recours à l’impôt.


Les ressources royales jusqu’au XIVème s. reposent essentiellement sur le domaine. Il y en a qui tirent leur origine des temps féodaux avec les taxes ou redevances de nature foncière, rentes, droits tirés de l’exploitation des forêts ; droits de justice, péages sur les routes mais aussi des droits de nature féodale avec l’aide des vassaux.
Dans le cadre féodal, l’aide financière fait partie des obligations du vassal. Cette aide féodale est personnelle et n’implique pas de négociation ni un quelconque consentement. La capacité royale d’action est limitée à quatre cas (entrée en chevalerie du fils aîné, mariage de la fille aînée, capture du seigneur, croisade) et elle n’est obligatoire que pour les vassaux directs. Philippe le Bel a tenté de désigner sous le nom de croisade des guerres qui ne l’étaient pas. Il a tenté également d’étendre cette obligation féodale aux arrière-vassaux. La volonté est affichée d’imposer le prélèvement fiscal à l’ensemble du territoire.
Un second type de ressources domaniales se développe à partir de la fin du XIIIème s. Il s’agit des droits tirés de l’exercice de la souveraineté royale (lettres royaux), de la justice royale, de la frappe des monnaies ou encore de l’exploitation économique du domaine (mines).
L’ensemble de ces éléments pendant le règne de Philippe le Bel se révèle insuffisant. La part des revenus du domaine par rapport aux recettes extraordinaires est de 80 % au début du XIIIème s., elle est de 50 % en 1330 et seulement de 2 % à partir de la seconde moitié du XVème s.


La monarchie doit avoir recours à l’impôt dont elle va chercher à justifier le prélèvement. Les auteurs médiévaux prirent position pour déterminer quels étaient les détenteurs du pouvoir d’imposer. Cet attribut de la summa potestas est reconnu à l’empereur qui jouissait ainsi du droit de lever toutes catégories de taxes. Il pouvait également investir d’autres autorités sous la forme d’un privilège. Des pouvoirs subordonnés ne disposaient en principe de la faculté de lever des impositions qu’en vertu d’une délégation ou d’une concession. La question de savoir si les rois, les seigneurs territoriaux et les cités possédaient le même droit d’imposer a suscité davantage de commentaires. L’impôt est sujet à débat à la Faculté de théologie de Paris à la fin du XIIIème et au début du XIVème siècle.

A partir du début du XIIIème s., les rois de France développent des justifications pour fonder la participation de tous aux charges de l’État avec les notions de necessitas publica, d’utilitas publica ou de defensio regni . Le prélèvement de l’impôt est justifié moins dans l’intérêt du roi qu’au profit « d’un nouveau bénéficiaire, l’État » (A. Rigaudière). L’essor de la fiscalité royale est perceptible du règne de Philippe le Bel (1285-1314) à celui de Philippe VI (1328-1350). On passe d’un prélèvement occasionnel et limité aussi bien dans le temps que l’objet en impôt que la monarchie va faire devenir permanent et lever d’autorité après l’avoir négocié et obtenu le consentement des assemblées politiques réunies à cet effet. La mise en place d’une administration pour les finances extraordinaires repose sur l’action des États généraux de 1355 puis à une administration d’État.

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L’argument de la nécessité permet de justifier l’intervention extraordinaire du roi. Philippe de Beaumanoir, aux chapitres 49 et 50 des Coutumes de Beauvaisis, précise ce qu’il faut entendre par ce terme : « Aussi comme nous avons parlé du tans de nécessité qui vient par famine, entendons nous que l’en se puet aidier de tout en tans d’autres necessités : si comme il avient qu’il convient fere communs ouvrages, si comme eglises, ou chauciees, ou puis, ou fermetés pour doute de guerre ». La nécessité est en principe non permanente, or le roi va réussir à assurer la régularité de l’impôt. Elle sert à désigner la défense du royaume pour le bien commun. La nécessité tend à devenir de plus en plus ordinaire et habituelle pour couvrir les besoins généraux de l’État.

L. Scordia, « Le bien commun, argument pro et contra de la fiscalité royale dans la France de la fin du Moyen Âge », Pouvoir d’un seul et bien commun (VIème –XVIème siècles), Revue Française d’Histoire des Idées Politiques, 32, 2010, p. 293-309.

Les formes d’imposition sont variées. Elles peuvent être indirectes portant alors sur la circulation, la consommation et la commercialisation de marchandises. On trouve ainsi l’aide qui devient un impôt frappant la circulation et la vente de vins, de bétail ; la gabelle (sel) ; et les traites qui sont des droits frappant la circulation des denrées. L’autre forme d’imposition est directe. Elle est prélevée en raison de la personne (impôt personnel), de ses revenus et de ses biens (impôt réel) ou des deux (impôt mixte).

 

Sy.La justice est un attribut du ministère royal. Rendre la justice est une "dette" du roi envers ses sujets. Il doit leur assurer et leur garantir la paix. La justice a participé à la reconstruction de l’État en faisant du roi, le justicier placé au sommet de la pyramide judiciaire. Le roi souverain justicier s’affirme notamment en matière de grâce ou de rémission des crimes. Le droit pénal et la procédure sont utilisés par la monarchie dans sa construction toujours plus centralisée de l’appareil judiciaire. C’est vrai en particulier grâce à l’action du Parlement de Paris.

Pour la capacité normative, la question posée est celle de savoir à partir de quand et dans quelle circonstance le roi de France a pu de manière progressive récupérer, face à des pouvoirs concurrents, cet attribut. L’émergence et le développement d’un droit royal, à l’époque médiévale, posent la question de ses rapports avec l’existence d’autres ordres juridiques. A côté d’un ordre juridique royal qui se construit, résultant du droit de plus en plus exclusif du prince de légiférer, l’ordre juridique coutumier subsiste. Il résiste à l’avancée de la loi royale, en particulier en matière de droit privé, comme il résiste aux solutions jurisprudentielles élaborées par les tribunaux du royaume.

C’est à cet effort de tendre vers un État plus fort et de lui en donner les moyens, que le développement de l’impôt royal va contribuer. Au monarque, s’impose la nécessité de dépasser les ressources que pouvaient lui procurer l’application du droit féodal ou les revenus domaniaux. Dans un contexte de guerre, pour assurer sa défense et son développement, la monarchie va développer une fiscalité extraordinaire reposant sur l’impôt. L’émergence d’un droit royal d’imposer, le dialogue fiscal instauré avec les populations dans le cadre des États généraux et provinciaux ont conduit à la mise en place d’une fiscalité d’État.


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