1. Des origines à la fin de la République
1.1. Le droit archaïque entre ius et fas
Des premiers temps de Rome, les historiens romains nous offrent tous le même récit légendaire : fondée en 753 avant notre ère par Romulus, elle passe ensuite sous l'autorité de six autres rois (Numa, Tullus Hostilius, Ancus Marcius, Tarquin l'Ancien, Servius Tullius et Tarquin le Superbe) jusqu'en 509 avant J.-C., quand la cité renverse la royauté et instaure la République.
Durant ces premiers siècles (de sa fondation jusqu'au début du Vème siècle avant J.-C.), le droit romain reste profondément marqué par ses racines religieuses. La notion de iusse distingue mal de celle de fas.
Fas, en revanche, désigne l'organisation générale du monde, l'harmonie cosmique hors d'atteinte des hommes, ce qui est permis ou défendu aux hommes par les Dieux (étymologiquement, le fas est ce que les Dieux « ont dit »).
En savoir plus
Presque aucun texte de droit romain (textes normatifs comme œuvres doctrinales) ne nous est parvenu dans sa version antique (à l'exception des Institutes de Gaïus). Nous ne connaissons ces textes que de manière indirecte et fragmentaire, soit par des citations d'auteurs postérieurs (juristes ou non) qui ont rapporté dans leurs œuvres l'existence de telle règle de droit ou de telle interprétation jurisprudentielle, soit à travers les extraits qui ont été inclus à la fin de l'Empire dans plusieurs grandes compilations élaborées à partir du découpage des textes d'origine dont seuls certains passages ont été compilés.
Dès le XVIème siècle, des érudits se sont attachés à reconstituer les textes antiques dans des versions les plus proches possibles de leur origine, en collationnant les différentes sources leur donnant accès à ces textes. Cet effort se poursuit encore aujourd'hui. Les versions que nous connaissons des textes de droit romain, fruit de reconstitutions minutieuses, sont donc des hypothèses, et il n'y a pas toujours unanimité des spécialistes pour s'accorder sur une unique version. Il est donc courant que les textes de droit romain existent en plusieurs versions, dont chacune est le résultat d'hypothèses différentes de reconstitution.
1.1.1. Un droit légendaire : les lois royales
Les dispositions les plus archaïques du droit romain manifestent encore cette ambiguïté entre ius et fas.
Il en est ainsi de plusieurs « lois royales ». Les lois royales sont des règles de comportement sociaux remontant aux deux premiers siècles de Rome, et qui pour certaines subsisteront encore sous la République. Elles nous sont connues qu'imparfaitement, de façon fragmentaire, et par le biais d'auteurs de la fin de la République et de l'Empire, qui les ont attribuées fictivement aux sept rois de Rome. A plusieurs occasions, ces lois sanctionnent divers comportement violant les devoirs religieux (abus de puissance paternelle, manque de respect du fils ou de la bru, déplacement des bornes fixant les limites des propriétés, atteintes aux récoltes protégées par la déesse Cérès ...), non en faisant appel à l'autorité publique, mais à une sanction de type religieux : la sacratio. La sacratio est l'élimination sans jugement du coupable, par un lynchage rituel. Ce ne sont pas des hypothèses susceptibles de déboucher sur un jugement : le groupe intervient par l'élimination pour s'assurer que la vengeance divine ne s'abattra pas sur eux ; la violation de ces règles de comportement fait intervenir les dieux, le groupe n'est que l'exécutant.
En savoir plus
Sauf mention contraires, les traductions sont celles de l'édition Belles Lettres.
1. Lois royales attribuées à Romulus
a) Organisation de la division en plébéiens et patriciens : « Il répartit les plébéiens pour former la clientèle des citoyens de haut rang » (Cicéron, De republica, II, 16) ; « Romulus, après avoir distingué les hommes de rang supérieur de ceux de rang inférieur, légiféra à ce sujet et classa les tâches qu'il convenait d'affecter aux uns et aux autres : aux patriciens, d'une part, il accorda l'exercice du sacerdoce, les magistratures et la justice, aux plébéiens, de l'autre, le travail de la terre, l'élevage et la pratique des métiers lucratifs. Il confia et remit les plébéiens aux patriciens, permettant à chacun de choisir le protecteur qu'il désirait ; il donna à cette protection le nom de patronat » (Denys d'Halicarnasse, 2, 9).
b) Répartition des pouvoirs entre roi, sénat et plèbe : « Romulus, après avoir mis en ordre tout cela, décida sur le champ d'instituer des sénateurs pour l'assister dans l'administration des affaires publiques. A cette fin, il choisit cent hommes parmi les patriciens, puis distingua les pouvoirs qu'il voulait que chacun possédât. Au roi, d'une part, il réserva certains privilèges : tout d'abord la primauté dans les cérémonies religieuses et les sacrifices, ensuite la garde des lois et des usages ancestraux, la connaissance personnelle des délits les plus importants (les causes mineures étant confiées aux sénateurs), la réunion du Sénat, la convocation du peuple et le commandement suprême à la guerre. A l'assemblée sénatoriale, d'autre part, il attribua les pouvoirs suivants : délibérer et émettre un vote sur tout ce que le roi lui soumettait. A la masse populaire, enfin, il confia trois attributions : élire les magistrats, approuver les lois et décider de la guerre lorsque le roi s'en remettrait à elle. Elle n'exprimait pas son vote globalement et en un seul temps, mais en fonction de sa convocation préalable par curies » (Denys d'Halicarnasse, 2, 12, 1 et 2, 14, 1-3).
c) Organisation des relations entre patrons et clients : « Il établit alors, au sujet du patronat, ce qui suit : il revenait aux patriciens d'expliquer le droit à leurs clients, d'intenter des poursuites judiciaires au nom de leurs clients lésés et de venir en aide à ceux qui étaient accusés en justice ; il incombait aux clients d'aider les patrons à doter leurs filles prenant mari si les pères manquaient de ressources, de payer les rançons aux ennemis pour leurs patrons si l'un d'eux ou l'un de leurs enfants venait à être pris à la guerre, enfin de payer sur leurs propres ressources les peines pécuniaires infligées à leurs patrons sous forme de condamnation dans des procès privés ou d'amendes publiques. Règle commune, il était contraire aux lois divines et humaines de s'accuser mutuellement en justice, de porter un témoignage ou d'émettre un vote contraires. Si quelqu'un était convaincu de l'avoir fait, il tombait sous le coup de la loi édictée par Romulus, pour trahison, et il était alors licite, pour qui voulait, de tuer le condamné comme une victime consacrée à Jupiter infernal » (Denys d'Halicarnasse, 2, 10, 1-3).
d) Organisation du calendrier : « Romulus décréta que l'année devait se composer de trois cent quatre jours et dix mois. Il disposa les mois de façon que quatre d'entre eux eussent trente et un jours, les six autres trente chacun » (Macr., Sat., 1, 12, 38).
e) Organisation de la puissance maritale : « Des cas suivants les parents connaissaient en accord avec le mari : ceux où il y avait adultère et où la femme avait été découverte après avoir bu du vin. A ces deux cas, Romulus permit d'appliquer la peine de mort » (Denys d'Halicarnasse, 2, 25, 6) ; « Il édicta aussi certaines lois, dont une, particulièrement sévère, qui interdit à une femme de quitter son mari, mais permet à celui-ci de répudier sa femme : pour cause d'empoisonnement des enfants, de falsification des clefs ou d'adultère. Si quelqu'un renvoyait sa femme pour d'autres motifs, la loi prescrivait qu'une partie de ses biens fût attribuée à celle-ci et l'autre consacrée à Déméter ; et qui vendait sa femme devait offrir un sacrifice aux dieux infernaux » (Plutarque, Vie de Romulus, 22, 3).
f) Organisation de la puissance paternelle : « Il donna un entier pouvoir au père sur son fils, pour toute la durée de sa vie, que celui-ci décide de l'emprisonner ou de le battre de verges, de le maintenir enchaîné aux travaux des champs ou de le tuer. Il permit également au père de vendre son fils et lui concéda même d'en tirer profit jusqu'à la troisième vente. Après la troisième vente, le fils était libéré de son père » (Denys d'Halicarnasse, 2, 26, 4 et 2, 27, 1) ; « Il imposa aux citoyens l'obligation d'élever tous leurs enfants mâles et les premières nées de leurs filles, et leur défendit de mettre à mort aucun enfant avant l'âge de trois ans, à moins que ceux-ci ne fussent estropiés ou anormaux depuis le jour même de leur naissance. Ces derniers il n'interdit pas aux parents de les exposer, pourvu qu'ils les montrent d'abord à cinq hommes du proche voisinage et que ceux-ci donnent leur approbation. A l'encontre de ceux qui désobéiraient à cette loi, il fixa divers châtiments dont la confiscation de la moitié des biens » (Denys d'Halicarnasse, 2, 15, 2).
2. Lois royales attribuées à Numa Pompilius
a) Organisation du culte : « C'est encore Pompilius qui, après avoir institué les « auspices majeurs », augmenta de deux le nombre primitif des augures ; il chargea cinq pontifes, choisis parmi les premiers citoyens, de présider les cultes. Grâce à ces lois, qui sont conservées encore dans nos archives, et en établissant un cérémonial religieux, il apaisa des âmes, que brûlaient la pratique constante et la passion de la guerre ; il organisa en outre les Flamines, les Saliens, les Vestales et régla, en leur donnant un caractère tout à fait sacré, tous les détails du culte » (Cicéron, De republica, II, 14, 26) ; « La loi du roi Pompilius, concernant les dépouilles opimes, avait été rédigée en ces termes : celui sous les auspices duquel des dépouilles opimes ont été prises en bataille rangée doit immoler un bœuf à Jupiter Férétrien, et il faut donner trois cents pièces de monnaie à celui qui les a prises ; pour les secondes dépouilles, qu'il immole sur l'autel de Mars, un seul taureau, de l'âge qu'il voudra ; pour les troisièmes dépouilles, qu'il immole un agneau à Janus Quirinus, et qu'il donne cent pièces de monnaie à celui qui les aura prises. Que celui sous les auspices de qui elles auront été prises fasse un sacrifice expiatoire aux dieux » (Festus, De Verborum Significatione, édition Savagner, Paris, 1846, 189, sur « opima »).
b) Organisation de la puissance paternelle : « Il était écrit dans les lois de Numa : si un père autorise son fils à prendre une femme qui, conformément aux lois, lui est associée dans ses biens et ses objets sacrés, que le père n'ait plus le pouvoir de vendre son fils » (Denys d'Halicarnasse, 2, 27, 4).
c) Organisation judiciaire : « On n'appelait pas seulement parricide celui qui avait tué son père ou sa mère, mais encore tout homme en passe d'être jugé. En ce sens, une loi du roi Numa Pompilius était ainsi conçue : si quelqu'un a donné la mort à un homme libre, dolosivement et sciemment, qu'il soit parricide » (Festus, De Verborum Significatione, édition Savagner, Paris, 1846, 221, sur « parrici ») ; « La législation sur les bornes ayant ordonné à chacun de délimiter sa propriété en dressant des pierres sur les bordures, il consacra celles-ci à Jupiter Terminus. Il édicta que si quelqu'un détruisait ou déplaçait les pierres, celui qui aurait fait cela serait consacré au dieu » (Denys d'Halicarnasse, 2, 74, 2).
d) Organisation du calendrier : « Il institua des jours néfastes et fastes, car il pensait que ce serait bien utile de suspendre de temps à autre l'activité politique » (Tite Live, I, 19, 7).
3. Lois royales attribuées à Tullus Hostilius
a) Organisation de la déclaration de guerre : « Il fixa la forme juridique des déclarations de guerre, et cette institution nouvelle, très juste en elle-même, il la sanctionna par le rite des féciaux ; ainsi on considérait comme contraire à la justice et à la religion toute guerre qui n'avait pas été proclamée et déclarée » (Cicéron, De republica, II, 17, 31).
b) Organisation judiciaire : « Il convoqua le peuple et lui annonça : je nomme, en vertu de la loi, des duumvirs pour déclarer Horace coupable d'un crime d'État. L'énoncé de cette loi donnait le frisson : que les duumvirs déclarent l'accusé coupable de crime d'État ; si l'accusé fait appel du jugement des duumvirs, que cet appel ouvre un débat ; si les duumvirs l'emportent, que le bourreau voile la tête de l'accusé ; qu'il le suspende à l'arbre d'infamie ; qu'il le flagelle à l'intérieur de l'enceinte ou à l'extérieur de l'enceinte » (Tite Live, I, 26, 5) ; « Pour les compagnons de Mettius et les complices de sa trahison, le roi établit des tribunaux et, conformément à la loi sur les fuyards et les traîtres, fit exécuter ceux d'entre eux qui furent reconnus coupables » (Denys d'Halicarnasse, 3, 30, 7).
4. Loi royale attribuée à Ancus Marcius
Organisation de la déclaration de guerre : « S'inspirant de l'exemple de Numa qui avait mis à profit la paix pour codifier la vie religieuse, Ancus tint à transmettre des rituels guerriers : d'après lui, il ne fallait pas se contenter de faire la guerre, mais aussi la déclarer selon certaines formes. Aussi reprit-il un procédé juridique en vigueur autrefois chez les Équicoles pour se faire restituer des biens » (Tite Live, I, 32, 5).
5. Lois royales attribuées à Tarquin l'Ancien
a) Organisation du Sénat : « Dès qu'il eut promulgué la loi lui conférant le pouvoir suprême, il commença par doubler le nombre primitif des sénateurs et appela pères des familles de premier rang les anciens qu'il consultait les premiers, tandis que ceux qu'il avait adjoints lui-même au Sénat étaient appelés pères des familles de second rang ». (Cicéron, De republica, II, 20, 35).
b) Organisation des insignes royaux : « Les envoyés des Étrusques portaient les insignes de leur pouvoir, ceux dont ils paraient eux-mêmes leurs rois : une couronne d'or, un siège d'ivoire, un sceptre au chef décoré d'un aigle, une tunique pourpre rehaussée d'or et une toge brodée de couleur pourpre. Mais Tarquin n'usa pas sur le champ de ces honneurs, comme l'écrivent la plupart des historiens romains ; après les avoir recueillis, il s'en remit au jugement du Sénat et du peuple : devant une approbation unanime, il consentit alors à les accepter » (Denys d'Halicarnasse, 3, 61, 1 ; 3, 62, 1).
6. Lois royales attribuées à Servius Tullius
a) Organisation judiciaire : « Servius fit approuver par les curies les lois concernant tant les contrats que les injustices. Il y eut environ une cinquantaine de ces lois » (Denys d'Halicarnasse, 4, 13, 1) ; « Ayant distingué les chefs d'accusation publics et privés, il rendit lui-même les sentences à propos des injustices portant atteinte à l'intérêt commun et décida qu'il y aurait des juges privés pour les litiges privés. Comme normes et règles pour ceux-ci, il imposa les lois qu'il avait rédigées » (Denys d'Halicarnasse, 4, 25, 2).
b) Création des centuries : « En créant à partir du cens les classes et les centuries, Servius établit une hiérarchie aussi bien adaptée à la paix qu'à la guerre » (Tite Live, I, 42, 5).
1.1.2. Un droit caché : le rôle du collège des pontifes
Le caractère sacral du droit des premiers siècles se voit aussi dans le fait que vie juridique et vie religieuse sont contrôlées toutes deux par le même collège corporatif : celui des pontifes.
Si les pontifes interviennent dans la sphère juridique, c'est en raison du caractère sacré du sacramentum (le serment) qui sert à former le droit en prenant les dieux à témoins.
Les pontifes ont ainsi la maîtrise du calendrier judiciaire et politique, en fixant les jours fastes et les jours néfastes.
En savoir plus
Dans les différents calendriers romains qui se succéderont jusqu'à la fin de l'Empire (calendriers lunaires, puis calendrier julien), les jours fastes sont ceux où la tenue des affaires publiques (assemblées politiques ou instances judiciaires) sont autorisées. Les jours néfastes, en revanche, sont ceux réservés aux fêtes religieuses, habituelles ou exceptionnelles, ce qui empêche la tenue des affaires publiques.
Le calendrier romain reconnaît plusieurs catégories de jours fastes (ordinaires ou comitiales) et plusieurs catégories de jours néfastes (selon que la fête religieuse donne ou non lieu à des célébrations publiques). Il existe ainsi des jours où les affaires politiques et judiciaires sont autorisées, des jours où seuls les affaires judiciaires peuvent se tenir, des jours nundines (consacrés aux affaires commerciales touchant à certains produits et n'autorisant que les affaires reliées aux divinités protégeant ce type précis de transactions commerciales), des jours scindés (néfastes le matin mais fastes l'après-midi), des jours entrecoupés (néfastes matin et soir, mais fastes le reste de la journée), des jours funestes consacrés exclusivement au culte des morts, etc.
La tradition attribue la création de la distinction des jours fastes et néfastes au second roi, Numa Pompilius (Tite Live, I, 19, 7, trad. Belles-Lettres : « ce fut lui aussi qui fit des jours fastes et néfastes, jugeant utile de suspendre de temps en temps la vie politique ».
Voici la définition donnée par Varron (116-27 av. J.C.) des jours fastes et néfastes à la fin de la République (Varron, Lingua latina, II, 6, trad. P. Flobert, La langue latine, Paris, Belles-Lettres, 2003, p. 17) : « Les jours fastes sont ceux où il est permis aux préteurs de prononcer toutes les paroles sans s'exposer à une peine religieuse, tandis que les jours contraires, appelés néfastes, sont ceux pendant lesquels il n'est pas permis au préteur de parler et de dire : je donne, je dis, j'attribue. Ainsi, on ne peut plaider ces jours là ».
Les pontifes ont surtout le contrôle de la procédure. Jusqu'au IIème siècle avant notre ère, la procédure civile romaine est celle des « actions de la loi ». C'est une procédure formaliste qui oblige à l'emploi de termes précis pour pouvoir ouvrir une action en justice.
En savoir plus
La procédure des actions de la loi est la procédure en vigueur jusqu'à la moitié du IIème siècle avant J.-C. Le procès y est divisé en deux phases : la phase in iure qui se déroule devant un magistrat et la phase apud iudicem qui se déroule devant le juge.
Durant la première phase, le magistrat (jusqu'au IVème siècle, un consul) examine les questions de droit. Il est doté à cet effet du pouvoir de iurisdictio (le pouvoir de « dire le droit ») qui lui permet d'organiser le procès en nommant un juge, et en fixant les dates et la durée de l'instance. Son rôle est également d'accepter les prétentions du demandeur, c'est-à-dire de constater dans laquelle des cinq procédures d'action existantes le demandeur entend agir, et de vérifier le formalisme par lequel le demandeur introduit l'action. Le magistrat a aussi la possibilité dans certaines circonstances de conclure l'instance sans que ne se déroule la seconde phase (quand l'accusé avoue ou refuse de se défendre). Cette première phase se conclue par un acte appelé litis contestatio.
Durant la seconde phase, le juge (qui est un simple particulier nommé pour une seule affaire, en général un sénateur) examine les faits et les preuves. Les débats qui se déroulent devant lui sont libres et informels, la preuve se fait par tous moyens. Le juge tranche le litige en rendant son jugement, insusceptible d'appel.
Dans cette procédure des actions de la loi, la connaissance du droit reste longtemps le monopole des pontifes (ce que dénonceront les auteurs de la fin de la République et de l'Empire, à l'image de Tite-Live, IX, 46-5 : Ius civile reconditum in penetralibus pontificum « le droit civil était caché dans le sanctuaire des pontifes »).
Les pontifes connaissent la formule exacte des actions, mais aussi la manière de les employer et de les interpréter, pouvoir considérable dans une procédure ritualiste où la moindre erreur dans le prononcé des formules fait perdre le procès. Ce monopole pontifical survit pendant des siècles : même après que le citoyen romain a appris, par l'élaboration de lois nouvelles, quels étaient les droits qu'il peut réclamer en justice, la procédure (actions, calendrier) lui reste obscure, et le recours aux consultations juridiques des pontifes est toujours nécessaire. Les pontifes, recrutés exclusivement parmi les patriciens jusqu'en 254 av. J. C., ont probablement usé de ce monopole pour limiter l'accès des plébéiens à la justice ou entraver les procès qu'ils intentaient aux patriciens.
L'érosion du monopole pontifical est lente : en 304, les formules et le calendrier sont publiés ; en 254, le premier plébéien à devenir grand pontife (Tiberius Coruncanius) décide de rendre ses consultations en public et d'en expliquer le sens à ses auditeurs, qui sont autorisés à prendre des notes.
Dès le début du Vème siècle av. J.-C., les frontières entre droit et religion s'affirment dans la tradition romaine. La laïcisation du droit est clairement visible dans la « Loi des XII Tables » : celle-ci ne conserve plus que de rares traces de sacralité. C'est véritablement à partir de cette loi des XII Tables que se forme progressivement le ius civile.
1.2. La formation du ius civile
En 509 av. J.-C., la royauté est renversée, et apparaît à Rome une République, entièrement aux mains des patriciens, qui seuls peuvent accéder aux nouvelles magistratures républicaines, à commencer par la plus prestigieuse d'entre elles, le consulat.
Mais très rapidement, dès 493, réagissant à son écartement des affaires publiques, la plèbe se dresse contre le patriciat, et ne cesse de réclamer des droits et des garanties judiciaires. Pendant un siècle et demi, plébéiens et patriciens se déchirent, parfois violemment, et en viennent dans les fait à organiser deux Cités, chacune avec ses propres magistrats, jusqu'au compromis « licino-sextien » de 367 par lequel l'élite plébéienne et l'élite patricienne se partage le pouvoir et le gouvernement de Rome.
La période qui va de 509 à 367 est donc une période de profonds bouleversements, dans les institutions romaines comme dans le droit romain, devenu enjeu de luttes politiques de long terme.
En savoir plus
Pomponius, Manuel (Digeste, 1, 2, 2, 16-28) (traduction M. Humbert, Institutions politiques et sociales de l'Antiquité, Paris, 1999, p. 282) :
« Après l'expulsion des rois, on créa deux consuls, et on porta une loi qui leur donna l'autorité souveraine. Cependant, pour qu'ils n'usurpassent pas en tout l'autorité royale, on établit, par une loi, qu'il y aurait appel de leurs jugements, et qu'ils ne pourraient point condamner un citoyen romain à une peine capitale, sans l'ordre du peuple : on leur laissa seulement le droit de corriger les citoyens, et même de les emprisonner. Puis ensuite, comme déjà depuis très longtemps le cens devait être fait, et que les consuls n'y suffisaient pas, des censeurs ont été institués pour cette fonction. Le peuple ayant ensuite augmenté, comme naissaient de fréquentes guerres et que certaines étaient livrées plus âpres par les voisins, de temps en temps, quand l'affaire l'exigeait, il fut décidé d'instituer un magistrat de pouvoir supérieur. Ainsi apparurent les dictateurs, dont il n'y eut pas droit d'appeler, et à qui fut donné même le droit de prononcer la peine capitale. Ce magistrat, puisqu'il avait le pouvoir suprême, il n'était pas permis de le conserver au-delà du sixième mois. Et à ces dictateurs étaient adjoints des maîtres de cavalerie. [...] Dans les mêmes temps, comme la plèbe s'étaient séparées des patriciens, vers la 17e année après l'expulsion des rois, elle s'attribua sur le Mont Sacré des tribuns, qui devaient être des magistrats plébéiens [...] De même, pour avoir des personnes à la tête des temples où la plèbe déposait ses plébiscites, on en institua deux de la plèbe, qui furent appelés aussi édiles. Ensuite, comme le trésor du peuple commençait à s'augmenter, on institua des questeurs pour être à sa tête [...] Il y avait d'autres questeurs qui jugeaient dans les affaires capitales, parce que comme nous l'avons dit les consuls ne pouvaient juger dans ces matières, sans l'ordre du peuple. On les nomma questeurs du meurtre : la loi des douze Tables en fait mention. Ensuite, comme il avait été décidé de créer aussi des consuls plébéiens, ils commencèrent à être institués de l'un et l'autre corps. Alors, pour que les patriciens aient quelque chose de plus, il fut décidé d'instituer deux magistrats du nombre des patriciens. Ainsi furent créés les édiles curules. Les consuls étant souvent éloignés de la ville par les guerres, il ne restait personne à Rome qui pût rendre la justice. On créa un préteur qui fut appelé préteur de ville, parce qu'il exerçait sa juridiction dans la ville. L'affluence des étrangers dans la ville rendit au bout d'un certain temps ce préteur insuffisant. On en nomma un autre, appelé préteur des étrangers, parce qu'il rendait ordinairement la justice aux étrangers ».
1.2.1. La rapide émergence des sources classiques du droit
1.2.1.1. La loi votée par le peuple : Loi des XII Tables, lex rogata et plébiscite
En 451 av. J.-C., la loi des XII Tables surgit de ces graves tensions sociales.
Le point de crispation, selon Tite Live, est la puissance immodérée des consuls, les deux plus hauts magistrats patriciens de la Cité. Il leur est reproché la possibilité dont ils disposent de pouvoir exercer, sans limite, une puissance infinie pouvant aller jusqu'à la condamnation à mort des citoyens. La plèbe, avec à sa tête le tribun de la plèbe, conteste donc le contenu même de l'imperium consulaire, c'est-à-dire le pouvoir suprême de commandement, civil comme militaire, sur l'ensemble de la cité dont sont doté les consuls pour l'année entière de leur magistrature.
La plèbe réclame qu'un collège de magistrats « rédige des lois sur l'imperium consulaire » (Tite Live, III, 31 : legibus de imperio consulari scribendis), qui auraient pour effet de limiter l'arbitraire des consuls, qui désormais ne sanctionneraient plus que le droit découlant de la loi.
En 451, après de longues années de tensions, les patriciens cèdent : le Sénat accepte de suspendre temporairement l'exercice normal des magistratures, le temps qu'un collège de dix membres (les « décemvirs ») rédige une loi encadrant les pouvoirs du consul. En 451, les décemvirs rédigent les dix premières tables, complétées de deux autres l'année suivante.
Sur le fond, la loi des XII Tables se compose de trois grands types de mesures : les tables 1 à 3 organisent le procès (citation à comparaître, procédure d'actions de la loi, jugement et exécution) ; les tables 9 et 10 concernent le droit public, les rites funéraires, le rôle du peuple dans la répression criminelle capitale. Le cœur de la loi se trouve dans les tables 4 à 8 et 11-12 : la totalité des dispositions contenues dans ces tables énoncent des conditions d'ouverture de procès. La loi des XII Tables énumère donc les hypothèses permettant à une victime de saisir le magistrat et de le contraindre à déclencher une procédure. La loi des XII Tables forme ainsi un véritable « code judiciaire » (Michel Humbert), un inventaire des conditions de saisine du magistrat, fixant les cas dans lesquels l'imperium est accessible. Elle garantit à chacun les cas dans lesquels l'accès au tribunal est possible. A chaque situation prévue dans la loi, correspond ainsi une action typique, destinée à sanctionner cette situation précise.
En savoir plus
- Si quelqu'un est cité en justice, qu'il y aille. S'il n'y va pas, que l'on appelle des témoins et qu'ensuite on s'en saisisse.
- Si le défendeur tente de ruser ou de fuir, mets la main sur lui.
- S'il y a maladie, âge ou défaut corporel, fournis-lui une bête de somme. S'il n'en veut pas, ne lui offre pas un véhicule couvert.
- Que pour un propriétaire soit garant un propriétaire. Que pour un prolétaire soit garant un citoyen qui le veut bien. [...]
- Si les deux plaideurs s'accordent, [juge,] proclame-le.
- S'ils ne s'accordent pas, qu'ils exposent leur cause au comice ou au forum avant midi. Pendant l'exposé, que tous deux soient présents.
- Après midi, adjuge l'objet du litige à celui qui est présent.
- Si les deux plaideurs sont là, que le coucher du soleil soit le dernier acte de la procédure.
Par ex., les pontifes ont ainsi étendu aux « vignes » le terme « arbres » contenu dans la loi. Ils ont donc considéré qu'il était nécessaire d'utiliser le terme « arbre » pour dénoncer en justice le fait qu'une vigne avait été coupée, sous peine de perdre son procès.
Gaius, Institutes, 4, 10 : « Les actions que les Anciens utilisaient s'appelaient actions de la loi, soit parce qu'elles avaient été fournies par des lois (comme elles le seront par la suite par les édits du préteur qui ont introduit la plupart des actions d'aujourd'hui et qui n'existaient pas encore), soit parce que ces actions avaient été calquées sur les termes des lois elles-mêmes, et elles étaient alors immuables et devaient être observées comme doivent être observées des lois. C'est pourquoi celui qui avait agit en justice au sujet de vignes coupées, pour avoir parlé de vignes dans son action, perdit son procès car celui qui agissait en justice devait parler d'arbres, du fait que la loi des XII Tables de laquelle découle l'action capable de sanctionner le fait de couper des vignes parle de façon générale du fait de couper des arbres ».
La loi des XII Tables devient rapidement aux yeux des Romains « la source de tout le droit privé et public » (Tite Live, III, 34. 6). En posant un catalogue exhaustif des situations susceptibles d'accrocher une action conduisant à un jugement, elle provoque un véritable bouleversement juridique. Sa longévité est tout à fait exceptionnelle : la loi des XII Tables reste en vigueur pendant dix siècles (jusqu'aux compilations justiniennes en 529 ap. J.-C.).
En savoir plus
Consulter l'ouvrage de référence est : Michel Humbert, La loi des XII Tables. Edition et commentaire, Rome, 2018.
A partir de la rédaction de la loi des XII Tables, le ius est désormais composé de trois éléments, que les Romains ne différencient pas : le texte de la loi, les formules qui donnent vie aux actions (qui restent l'apanage des pontifes jusqu'en 304), l'interprétation donnée par les pontifes.
Plus encore, la loi des XII Tables résulte d'une procédure nouvelle : elle est votée par une assemblée populaire (les comices), marquant ainsi le début de l'intervention du peuple dans le vote de la loi, et l'ascension de la loi sur toutes les autres sources du droit.
Dans la Rome républicaine, la loi est la marque de la souveraineté du peuple, dont elle émane. Elle est votée au sein des comices centuriates, sur proposition d'un magistrat supérieur (consul ou préteur). Il s'agit donc d'une lex rogata, une « loi demandée » par le magistrat. Jusqu'en 339 av. J.C., la proposition votée par le peuple est sanctionnée par le Sénat, qui la recouvre ainsi de son auctoritas. A partir de la loi Publilia en 339, le Sénat n'est plus appelé à sanctionner la proposition votée, mais simplement à donner son avis avant le vote des comices.
La république romaine connaît aussi une forme de législation émanant du « concile de la plèbe », l'assemblée propre à la plèbe. Les plébiscites sont ainsi votés par le concile, sur proposition du tribun de la plèbe, et n'ont vocation à ne s'appliquer qu'aux seuls plébéiens. A partir de 449, les plébiscites peuvent être ratifiés par le Sénat et s'appliquer alors à l'ensemble du peuple romain.
En savoir plus
La lex Aquilia est un plébiscite qui date probablement de -287, adopté dans un contexte très politique, afin de rendre plus efficace la répression des dommages causés par les patriciens aux paysans plébéiens. La lex Aquilia instaure le principe de la responsabilité pour les choses ou personnes que l'on a sous sa garde. Le contenu est rapporté par plusieurs sources (Gaius, Digeste de Justinien, Institutes de Justinien, fragments isolés d'Ulpien).
Voici le contenu de la Lex Aquilia tel que rapporté postérieurement par le juriste Gaïus au milieu du IIe siècle dans son manuel de droit (Institutes de Gaïus, III, 210-219) :
210. L'action pour dommages causés injustement est réglée par la loi Aquilia qui dispose dans son chapitre premier, que celui qui aura tué injustement l'esclave d'autrui ou le quadrupède faisant partie de son bétail soit condamné à donner au maître la valeur maximum qu'a eue la chose dans l'année.
211. Tuer injustement signifie tuer par dol ou par faute ; aucune autre loi ne punit le dommage causé sans injustice ; reste donc impuni qui, sans faute ni dol malicieux, cause un dommage par suite d'un accident.
212. Dans l'action relevant de cette loi, on ne se borne pas à apprécier la valeur du corps de la victime, mais, – et ce à bon droit – si le maître éprouve du fait de la mort de l'esclave un préjudice supérieur au prix même de l'esclave, on évalue aussi ce surplus de préjudice. Exemple : mon esclave institué héritier est tué avant de prendre parti sur mon injonction pour la succession : on évalue non seulement la valeur de l'esclave, mais aussi le montant de la succession qui m'échappe. De même, si, dans un groupe de jumeaux, de comédiens, de musiciens, un individu vient à être tué, on fera l'estimation non seulement de la victime, mais aussi de l'importance de la dépréciation du groupe. Même solution quant au meurtre d'une des mules d'une paire ou d'un des chevaux d'un quadrige.
213. Celui dont l'esclave a été tué peut choisir entre une poursuite criminelle contre le meurtrier ou une action pour dommages de la loi en question.
214. La loi porte que l'indemnité a pour mesure « la valeur maximum qu'aura eue la chose pendant l'année. » Conséquence : on tue un esclave boiteux ou borgne qui dans le courant de l'année était intact ; l'estimation se fera d'après la valeur qu'il a eue, quoique l'indemnité dépasse ainsi parfois le préjudice causé.
215. Chapitre II. Un adstipulant a reçu de l'argent en fraude du stipulant. L'action est donnée contre lui pour un montant équivalent.
216. Il est manifeste que cette action a été introduite dans cette partie de la loi au titre du préjudice. Mais ce n'était pas nécessaire : l'action du mandat suffisait, si ce n'est que par la loi en question celui qui nie est actionné au double.
217. Chapitre III. Ce chapitre traite de toute autre cause de dommage : blessures causées à un esclave ou à un quadrupède considéré comme bétail, meurtre ou blessure d'un autre quadrupède, tel que chien ou bête sauvage ( ours, lion ) ; la réparation du dommage causé sans droit pour tout autre animal ou objets inanimés ressortit aussi à cette partie de la loi. Une action relevant de ce chapitre est en effet ouverte en cas de brûlure, de rupture, de fracture : le terme de rupture couvrirait d'ailleurs tout, car il s'applique à toute espèce de dégât. Il comprend donc non seulement les brûlures ou les fractures, mais aussi les coupures, les brisures, les fuites et toute espèce de détérioration, usure ou moins-value.
218. Les dommages visés par ce chapitre ne donnent pas lieu toutefois à une indemnité calculée sur la valeur de la chose dans l'année, mais sur celle des trente derniers jours. La loi ne spécifie pas : valeur maximum : aussi, selon certains, le juge serait-il libre de choisir dans ce laps de temps soit la valeur maximum soit la valeur minimum. Mais Sabinus a décidé qu'il fallait sous-entendre ici le mot maximum, le législateur ayant jugé suffisant de l'exprimer dans le premier chapitre.
219. Il a été décidé que l'action relevant de cette loi ne s'appliquait qu'aux dommages causés par une action physique, car pour les autres dommages, on donne des actions utiles. Exemples : on enferme l'esclave ou une tête de bétail d'autrui et on les laisse mourir de faim ; on traite si brutalement sa bête de somme qu'elle se brise un membre ; on persuade l'esclave d'autrui de grimper sur un arbre ou de descendre dans un puits et en grimpant ou en descendant il tombe, il se tue ou se blesse ; de même si l'on a précipité l'esclave d'autrui d'un pont ou de la berge dans une rivière et qu'il se soit noyé, quoique il ne soit pas difficile d'admettre que celui-là a causé un dommage par une action physique du fait qu'il l'a précipité.
En savoir plus
Sous la République, le Sénat ne dispose pas de pouvoirs législatif à proprement parler. Il peut cependant adopter des textes, les senatus consulta, mais qui ne sont que des conseils adressés aux magistrats. Puisqu'ils ne sont que des conseils, ces textes n'ont aucune valeur normatif. En revanche, dans la pratique, les Sénatus-Consulte représentent une source indirecte du droit, puiqu'ils sont souvent incorporé dans l'édit d'un magistrat ou la loi votée par les comices, d'autant plus que les magistrats demandent souvent l'avis du Sénat avant de présenter une lex rogata devant les assemblée.
En savoir plus
Le texte du SC nous est connu par une tablette de bronze découverte à Tiriolo (Italie) en 1640 et aujourd'hui conservée au Kunsthistorisches Museum de Vienne.
Traduction du texte : « Les consuls Quintus Marcius, fils de Lucius, et Spurius Postumius, fils de Lucius, consultèrent le Sénat au temple de Bellone, aux nones d'octobre. Marcus Claudius, fils de Marcus, Lucius Valérius, fils de Publius, et Quintus Minucius, fils de Gaius, assistèrent à la rédaction de la résolution.
En ce qui concerne les Bacchanales, les sénateurs proposèrent d'édicter ce qui suit à l'attention de tous ceux qui sont nos alliés : « Aucun d'eux ne doit avoir de lieu de culte dédié à Bacchus ; et si certains prétendent devoir conserver un tel lieu, ils doivent se présenter à Rome devant le préteur ; et lorsque leurs requêtes auront été entendues, notre Sénat prendra une décision à ce sujet, à condition que le quorum soit d'au moins 100 sénateurs lorsque l'affaire sera examinée. Aucun citoyen romain, ni aucune homme ayant le statut de Latin ni aucun de nos alliés ne doit s'associer avec les Bacchantes, à moins de se présenter devant le préteur urbain et d'obtenir de celui-ci son autorisation en accord avec l'avis du Sénat, le quorum étant d'au moins 100 sénateurs présents à la délibération ». La proposition a été adoptée.
« Aucun homme ne doit prendre le titre de prêtre [d'une association du culte de Bacchus], aucun homme ni aucune femme ne doivent tenir la place de sacrificateur [dans les réunions autorisées] ; de même, personne ne doit constituer un fonds commun avec les adorateurs de Bacchus ; de même, il est interdit de désigner un homme ou une femme comme sacrificateur ou comme faisant fonction de sacrificateur [d'une association de ce culte]. La cérémonie terminée, il est interdit aux assistants de se lier par un serment, de faire une promesse ou de s'engager par une stipulation ; personne ne doit se porter garant pour eux ni les accepter comme garants ; personne ne doit accomplir leurs rites en public, en privé ou en dehors de la ville, à moins de se présenter devant le préteur et d'obtenir son autorisation en accord avec l'avis du Sénat, le quorum étant d'au moins 100 sénateurs présents à la délibération ». La proposition a été adoptée.
« Personne ne doit accomplir ces rites en compagnie de plus de 5 hommes et femmes ; dans un tel rassemblement il ne doit y avoir plus de deux hommes ou de trois femmes, à moins que cela ne soit autorisé par le préteur en accord avec l'avis du Sénat, comme il est écrit plus haut ».
Vous ferez connaître ces décisions [à tous les intéressés] en les affichant pendant au moins trois foires, pour que vous sachiez quelle a été la décision du Sénat. Cette décision fut la suivante : « Quiconque agira de manière contraire aux dispositions énoncées plus haut, nous considérons que des poursuites devront être intentées contre le coupable pour qu'il soit puni de la peine capitale ».
Vous ferez graver ces dispositions sur une table de bronze, car le Sénat l'a jugé convenable, et vous prendrez les mesures nécessaires pour que ce texte soit exposé dans un lieu où l'on puisse en prendre facilement connaissance. Et, comme il est prescrit plus haut, vous ferez démolir, dans un délai de dix jours à compter du moment où vous aurez reçu cette lettre, tous les lieux dédiés au culte de Bacchus, si de tels lieux se trouvent chez vous, excepté ceux qui tombent sous la protection du droit sacral.
A afficher à l'Ager Teuranus ».
Parce qu'elle est la communis rei publicae sponsio (« l'engagement commun de la république » Papinien, D. 1. 3. 1.), la loi occupe une place toute particulière parmi les sources du droit romain républicain. Peut-être est-ce ce caractère solennel et son imposante gravité qui expliquent la relative rareté de la loi à Rome : pour toute la période républicaine (près de cinq siècles), on ne connaît que 800 lois environ, dont seulement 26 sont consacrées au droit privé.
1.2.1.2. La norme sécrétée par le groupe : mos maiorum et consuetudo
La loi est certes la source la plus prestigieuse de la période romaine, mais elle n'est pas la source unique. L'essentiel du droit privé est pris en charge par la coutume, tout particulièrement les relations au sein de la famille : dans la Rome républicaine, archaïque puis classique, le père exerce à l'intérieur de sa domus une puissance que la loi ne reconnaît pas et qui échappe presqu'entièrement à la justice publique.
Les premiers siècles romains ont connu la coutume d'abord sous la forme du mos maiorum, les « mœurs des ancêtres », auquel se rattachent les lois royales, ces coutumes immémoriales artificiellement attribuées aux rois de Rome et qui traduisent l'état du droit archaïque, dans lequel la puissance du père de famille reste largement extérieure à la loi : c'est la coutume qui en fixe les contours, c'est une sanction religieuse (la sacratio, par laquelle le groupe social élimine le père et confisque ses biens) qui en sanctionne les abus. Il s'agit donc d'un pouvoir extra-légal, dont la sanction échappe à l'ordre juridictionnel.
A partir du IIIème siècle av. J.-C., Rome étend son emprise sur toute la péninsule italienne, puis conquiert peu à peu le bassin méditerranéen durant le IIème siècle.
Avec l'extension territoriale, la notion de coutume prend un sens nouveau. Apparaît alors le terme consuetudo, pour désigner les consuetudines loci, les coutumes locales que les peuples conquis par Rome sont autorisées par leur vainqueur à conserver, y compris après l'édit de Caracalla en 212 ap. J.-C., qui accorde la citoyenneté romaine à tous les habitants de l'Empire (« Je donne donc à tous les pérégrins qui sont sur la terre le droit de cité romaine, exception faite pour les déditices »).
A partir du IIIème siècle ap. J.-C., la coutume évolue encore : apparaît peu à peu un droit romain dit « vulgaire » constitué d'adaptation ou de création par des praticiens locaux, pour adapter les solutions romaines aux besoins économiques et sociaux localisés du si vaste Empire romain. La coutume persiste ainsi pendant tout l'Empire.
« Dans les cas dans lesquels il n'est pas fait usage de lois écrites, il faut observer ce qui est établi par les mœurs et la coutume. Quand elle fait défaut, il faut observer ce qui existe dans le cas le plus proche. Mais si l'on ne peut rien tirer de cela, il faut alors observer le droit qui est utilisé dans la ville de Rome. §1. Ce n'est pas à tort qu'une coutume ancienne est observée comme une loi : ceci est un droit que l'on doit considérer comme établi par les mœurs. Car, puisque les lois elles-mêmes ne nous obligent que par le seul jugement du peuple qui les a reçues, c'est avec raison que les choses que le peuple a approuvées sans aucun écrit obligent tout le monde. En effet, qu'importe que le peuple ait exprimé sa volonté par un suffrage ou par ses actes et ses faits ? C'est pourquoi il est justement admis que les lois peuvent être abrogées, non seulement par le suffrage du législateur, mais aussi par la désuétude formée par le consentement tacite de tous ».
1.2.2. Les mutations novatrices du IIIème et IIème siècles
Entre le IIIème et le IIème siècle av. J.-C., le droit républicain connaît de profondes mutations et voit se développer de nouvelles sources de droit.
1.2.2.1. L'émergence du droit prétorien
En 367 av. J.-C. est créée la préture, une nouvelle magistrature, dont le titulaire (le préteur), élu pour un an, devient le magistrat devant lequel se déroule désormais la première phase du procès (in iure). La procédure ne change donc pas à cette date, seul le magistrat est différent.
Mais au cours du IIIème siècle, la procédure des actions de la loi et son lourd formalisme apparaissent de plus en plus comme porteurs d'injustice (un procès peut être perdu sur des raisons purement formelles). Surtout, ils paraissent bien inadaptés aux nouveaux besoins sociaux : le commerce et l'économie mercantile qui se développent considérablement à cette époque font naître des situations contentieuses que les actions existantes peinent à prendre en charge ; l'affluence d'étrangers venus commercer à Rome (ce que reflète la création en 242 du « préteur pérégrin » chargé des litiges entre Romains et étrangers) pose avec urgence le problème de l'inapplicabilité aux pérégrins de la procédure des actions de la loi, qui ne concerne que les citoyens romains.
Une nouvelle procédure se met peu à peu en place, qui est sanctionnée par la loi Aebutia (antérieure à 150 av. J.-C.). Le procès reste toujours divisé en deux phases, mais désormais le juge de la seconde phase reçoit du préteur, magistrat de la première phase, une « formule », une instruction écrite précisant, à côté de la nomination du juge, la formulation de la prétention du demandeur et le sens dans lequel trancher le litige en cas d'absence d'action de la loi susceptible de s'appliquer au cas pendant. Cette nouvelle procédure reçoit ainsi le nom de « procédure formulaire ». Le préteur peut ainsi étendre à des cas nouveaux des actions prévues par la loi déjà existantes (actions civiles) ou bien créer de toute pièce de nouvelles actions (actions prétoriennes).
Exemple de formule de revendication d'une somme certaine (d'après Gaius, Institutes, IV. 30 et s.) : Que Caius soit juge. S'il est prouvé que Numerius Negidius doit verser à Aulus Agerius la somme de dix mille sesterces, Juge, condamne Numerius Negidius à dix mille sesterces envers Aulus Agerius ; sinon absous-le.
Exemple de formule de revendication d'une somme certaine (d'après les Tab. pomp.34, datée de 52 ap. JC) : Que Caius Blossius Celadus soit juge. S'il apparaît que Caius Marcius Saturninus doit verser huit mille sesterces à Caius Sulpicius Cinnamus, chose qui fait l'objet du litige, que le juge Caius Blossius Celadus condamne Caius Marcius Saturninus à huit mille sesterces au profit de Caius Sulpicius Cinnamus ; s'il n'apparaît pas, qu'il l'absolve. Publius Cossinius Priscus, duumvir, a commandé de juger. Fait à Puteoli, Faustus Cornelius Sulla l'Heureux et Quintus Marcius Barea de Sora étant consuls.
A partir du IIème siècle av. J.-C., chaque préteur, en entrant en fonction, publie un édit énumérant et cataloguant tous les cas pour lesquels il délivrera une action au cours de l'année à venir. L'édit d'entrée en charge est appelé « édit perpétuel » (car il est valable toute une année, à la différence des edicta repentina, adoptés de manière exceptionnelle pour répondre à des circonstances précises).
Le préteur devient ainsi créateur de droit. Ses innovations constituent le « droit prétorien ». Bien que l'édit soit renouvelé chaque année, et que chaque préteur puisse y ajouter de nouvelles créations, son contenu se cristallise peu à peu et il est souvent reproduit tel quel d'une année sur l'autre. Les contours du droit prétorien se fixent donc, mais sans rien perdre de la possibilité laissée au magistrat de créer de nouveaux droits pour répondre à des besoins nouveaux. Le droit prétorien est ainsi une source particulièrement souple, et parfaitement adapté aux évolutions de la vie économique et juridique.
1.2.2.2. Le développement de la iuris prudentia
La période républicaine connaît encore une autre source du droit avec la jurisprudence, la iuris prudentia, c'est-à-dire la science du droit.
Au cours du IIIème siècle, apparaissent les premiers jurisconsultes laïcs, alors que progressivement les pontifes perdent le monopole de l'interprétation des textes de loi. Au début du IIème siècle av. J.-C., avec les Tripertita de Sextus Aelius Paetus Catus et les Commentarii iuris civilis de Caton, apparaissent deux types de commentaires doctrinaux qui feront florès jusqu'à l'Empire : le commentaire sur la loi des XII Tables et le commentaire des formules.
Mais c'est au milieu du IIème siècle av. J.-C., avec, à en croire la tradition, les trois Veteres (Manlius Manilius, Marcus Junius Brutus, Publius Mucius Scævola) que la science du droit se forme. En réalité, les grandes transformations de la pensée juridique sont d'abord le fruit du travail du fils de ce dernier, Quintus Mucius Scævola. Dès ce moment se cristallisent les deux grandes caractéristiques de la doctrine juridique romaine républicaine :
- En premier lieu, la jurisprudence romaine repose sur l'abstraction.
Partie des commentaires sur les formules, cette volonté d'abstraction gagne tous les champs de la littérature doctrinale : traités de droit civil ou de droit prétorien (digesta), cas pratiques fictifs (quaestiones), consultations juridiques (responsa), manuels d'enseignement du droit (institutiones), lexiques juridiques, recueils de règles (regulae) ou de maximes (sententiae), etc.
- En second lieu, la jurisprudence romaine se nourrit d'un échange permanent entre théorie et pratique. Les jurisconsultes romains sont des praticiens : ils délivrent des consultations juridiques (responsa), ils conseillent et assistent les préteurs dans l'élaboration de nouvelles formules. Leur part active dans la création du droit irrigue directement l'interprétation qu'ils font du droit civil et prétorien, axée vers la recherche de solutions pratiques et applicables.
En savoir plus
-
Début du IIème siècle av. J.-C. :
- Sextus Aelius Paetus Catus
- Caton (Caton le censeur ou son fils, Caton Licinien)
-
Milieu du IIème siècle av. J.-C. :
- Publius Mucius Scævola
- Marcus Junius Brutus
- Manius Manilius
-
Ier siècle av. J.-C. :
- Quintus Mucius Scævola
- Aelius Gallus
- Servius Sulpicius Rufus
- C. Trebatius Testa
- Alfenus Varus
-
Ier siècle ap. J.-C. :
- Marcus Antistius Labéon
- Capiton
-
Du milieu du Ier siècle au milieu du IIème siècle :
- École des Sabiniens (Masurius Sabinus, G. Cassius Longinus, Caelius Sabinus, Ariston, Javolenus, Salvus Julianus [Julien])
- École des Proculiens (Nerva, Proculus, Pegasus, Juventius Celsus le Père, Juventius Celsus le Fils, Neratius)
-
Seconde moitié du IIème siècle :
- Sextus Pedius
- Marc-Aurèle
- Lucius Verus
- Pomponius
- Gaius
- Lucius Volusius Maecianus
- Macrin
- Claudius Saturninus
-
Première moitié du IIIème siècle :
- Papinien
- Paul
- Ulpien
- Callistrate
- Tryphoninus
- Marcien
- Macer
- Modestin