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Introduction



1. Passé et présent du droit


Saisir la formation et l'expression du droit mais aussi le sens, la portée et l'évolution des règles juridiques dans la longue période et pour des espaces divers est utile au juriste contemporain. Le droit ne se limite pas à la seule règle. Eclairer le droit par l'histoire permet de mieux comprendre au sein des sociétés, notamment en Europe, la place et le rôle des acteurs juridiques et judiciaires, de la diversité des normes ainsi que leur évolution en lien avec leur contexte.


Depuis fort longtemps, les philosophes et les juristes ont cherché à saisir la notion de droit. Il a fait l'objet d'une étude selon des méthodes particulières et d'une construction savante permettant de former et de formuler un ensemble de connaissances raisonnées et organisées. Une science du droit est apparue. Elle a eu une influence importante à différentes périodes de l'histoire juridique occidentale.

Tenter de définir le droit relève encore aujourd'hui quelque peu de la gageure. Il n’existe pas de définition unique du droit.

Tx.Pour Jean Carbonnier « il y a plus d’une définition dans la maison du droit » (Sociologie juridique, Paris, PUF, 1994, p. 318).

Au début du XXème siècle, le juriste Ullmann dans son ouvrage La définition du droit avait relevé une quinzaine de définitions. D’ordinaire, les étudiants en droit connaissent deux des principales acceptions du droit qui se complètent (Lexique des termes juridiques) :

Df.
  • le droit objectif défini comme l’« ensemble des règles régissant la vie en société et sanctionnées par la puissance publique »,
  • le droit subjectif défini comme la « prérogative attribuée à un individu dans son intérêt lui permettant de jouir d’une chose, d’une valeur ou d’exiger d’autrui une prestation ».

Tx.« Nous vivions sous l’empire du droit : dès la naissance il faut déclarer l’enfant et le nom qu’il portera lui est attribué conformément à certaines règles. D’autres règles ordonneront qu’on l’inscrive à l’école. Quand nous achetons le moindre objet ou prenons l’autobus, c’est en application d’un contrat. Nous nous marions, nous travaillons, nous nous soignons selon le droit. Pourtant quoique conscients de cette omniprésence du droit et capables d’appliquer ou de produire des règles, nous sommes souvent en peine de le définir.
Mais pourquoi faudrait-il le définir ? La recherche d’une définition relève, comme c’est le cas pour d’autres phénomènes, d’une spéculation sur la nature ou l’essence du droit. Mais elle est aussi indispensable au travail même des juristes. On a souvent remarqué que les physiciens ne s’attardent pas à définir la physique ni les chimistes la chimie, tandis que les juristes ne peuvent se passer d’une définition du droit ? Cela tient avant tout à ce que l’on ne peut appliquer une règle avant de l’avoir identifiée comme règle de droit ».

M. Troper, La philosophie du droit, coll. Que-sais-je ?, n° 857, Paris, PUF, 2003, p. 3.


A la notion de droit sont le plus souvent rapprochés les termes de règle et de norme. On parle ainsi de règle de droit (D. de Béchillon, Qu'est-ce qu'une règle de droit ?, Paris, 1997). Elle se caractérise par sa généralité et son impersonnabilité, sa permanence et sa stabilité. Elle est obligatoire et son non-respect appelle une possible sanction. La règle de droit est parfois trop rapidement assimilée à la loi.
De manière plus large et englobante, la norme est une référence plus récemment utilisée notamment par les juristes.

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Le terme norma a été utilisé dans un premier temps en architecture durant l’Antiquité. Il désigne alors une équerre en forme de T. Il est ensuite employé dans la réflexion politique et philosophique avec Cicéron (R. Jacob, « Jus ou la cuisine romaine de la norme », Droit et cultures, 48, 2004, p. 11 sq.). Au XIIIème siècle, les normes font l’objet de l’attention des théologiens (E. Marmursztejn, L’autorité des maîtres. Scolastique, normes et société au XIIIème siècle, Paris, 2007, p. 17). Une diversité de termes existe alors pour qualifier la norme. Elle s’inscrit dans l’analyse de ce qu’il est convenu d’appeler le pluralisme juridique médiéval (A. Rigaudière, Penser et construire l’Etat dans la France du Moyen Âge (XIIIème-XVème siècle), Paris, 2003, p. 10-13). Il faut attendre le XIXème siècle pour que la notion se généralise et qu’elle acquière un sens plus abstrait en relation avec la théorie du droit. En lien avec le positivisme juridique, les normes sont entendues comme des « acte[s] de volonté [qui] n’existent que parce qu’elles sont posées par des autorités habilitées à dire le droit et sanctionnées par l’autorité publique » (B. Deffains, S. Ferey, « Théorie du droit et analyse économique », Droits, 45, 2007, p. 223-254 et plus particulièrement p. 228-230). Cette approche a attirée l’attention sur l’importance de l’interprétation et d’une certaine manière sur le travail de « reconstruction » du juge pour établir la signification de la règle juridique. La proposition a été aussi formulée de concevoir la norme à partir de l’idée de modèle (Voir en ce sens, A. Jeammaud, « La règle de droit comme modèle », D., 1990, chron., p. 199-210 ; D. de Béchillon, Qu’est-ce qu’une règle de droit ?, Paris, 1997) ou de référence (C. Thibierge). Elle devient alors une ligne de conduite qui peut être assimilée et/ou se distinguer de la règle de droit (C. Thibierge, « Au cœur de la norme : le tracé et la mesure. Pour une distinction entre normes et règles de droit », Archives de Philosophie du Droit, 2008, p. 341 sq.). Ainsi relève du champ de la norme pour C. Thibierge « ce qui fournit un modèle, que celui-ci relève de l’obligatoire, modèle imposé, ou simplement du souhaitable ou du possible, modèle proposé » (C. Thibierge, « Le droit souple », Revue trimestrielle de droit civil, 4, 2003, p. 619).
Les XIIIème Journées nationales de l’Association Henri Capitant de la Culture Juridique Française en 2008 ont proposé de renouveler la réflexion sur la normativité et l’effectivité de la règle (Le droit souple, XIIIe Journée nationale de l’Association Henri Capitant de la Culture Juridique Française, Paris, Dalloz, 2009). De récents travaux ont eu pour objet de réflexion le concept de force normative (C. Thibierge et alii, La force normative. Naissance d’un concept, Paris, 2009, voir en particulier « Introduction », p. 33-53, la synthèse proposée, p. 741-811 et les conclusions du même auteur, p. 813-846). Cette réflexion envisage la force normative « comme outil de diagnostic de la force des normes juridiques et s’inscrit dans une théorie ouverte du droit, en reflet de la complexité du droit contemporain et de ses interactions avec la réalité sociale » (C. Thibierge et alii, La force normative…, op. cit., p. 40).

Pour quelques éléments de synthèse : F. Garnier, « Notes pour une possible histoire de la construction de la norme », Les mutations de la norme. Le renouvellement des sources du droit, 43, N. Martial-Braz, J.-Fr. Riffard et M. Behar-Touchais (sous la direction de), Collection Etudes Juridiques (dirigée par N. Molfessis), Economica, Paris, 2011, p. 21-49.


A porter son regard vers le passé et les fondations du droit, on perçoit que les contours du droit ont d'abord été précisés tant à l'égard de la religion que de la morale.
Il a existé ou il existe encore des sociétés et civilisations où un lien étroit est établi entre la religion et le droit. Selon l'expression de Jean Gaudemet le « droit est venu des cieux ». Au cours des siècles, une sécularisation du droit s'est affirmée en certains espaces (par exemple en Europe). Une indépendance a été acquise par le droit à l'égard de la religion. Ce processus est par exemple attesté pour la Rome antique à partir du VIème siècle avant J.-C. Le développement du droit hors des autorités religieuses a eu pour conséquence l'apparition d'une science du droit.
Le droit doit aussi être distingué de la morale. Si l'idée de justice est davantage attachée à la notion de morale, le droit permet en outre d'organiser et d'assurer des relations sociales paisibles. Le respect des règles juridiques est obligatoire et leur inobservation expose alors à une possible sanction.

La définition du droit a intéressé très tôt les juristes et les philosophes. A Rome, sous l’influence de la philosophie grecque, le jurisconsulte Celse, au IIème s. ap. J.-C., associe le bien commun et l’équité. Puis le jurisconsulte Ulpien, au IIIème s. ap. J.-C., « aborde le droit par la justice qu’il définit comme la volonté de rendre à chacun ce qui lui est dû » (J. Hilaire). Ulpien dans le livre premier de ses Institutes (repris au Digeste) précise que le droit est alors un art tendu vers la justice. La science du droit est la science du juste et de l’injuste. (Digeste, 1,1, 10). Il y a un souci de définitions et de classements qui se développe sous l’Empire romain en particulier au Ie et IIe s. ap. J.-C.

Tx.Ulpien, Institutes (repris au Digeste, Livre premier, I. De iustitia et iure) :
« Celui qui s’adonne au droit doit d’abord savoir d’où vient le mot ‘droit’ (ius) ; il vient de ‘justice’. En effet, selon l’élégante définition de Celse, le droit est l’art du bon et de l’équitable. C’est à bon droit que l’on qualifie de prêtres (les juristes), car nous exerçons la justice et nous faisons connaître ce qui est bon et équitable, séparant l’équité de l’iniquité, distinguant le licite de l’illicite, cherchant à procurer le bien non seulement par la menace des châtiments mais aussi par la promesse des récompenses, pratiquant ce qui nous semble la vraie – et non une fausse – philosophie ».

Ulpien, Règles, 2,1 (repris au Digeste 1,1, 10) :
« Les préceptes du droit sont les suivants : vivre honnêtement, ne pas léser autrui, attribuer à chacun son dû. La jurisprudence (c’est-à-dire la science des jurisconsultes) consiste dans une connaissance des choses divines et humaines, dans la science du juste et de l’injuste ».


Après la formation d'une science du droit à Rome, on assiste au Moyen Âge, au sein des universités à la formation d'un « droit scientifique » (J. Krynen). Avant la formation des droits nationaux, il existait des « droits supra-nationaux » (J.-L. Thireau). Il s’agissait du droit romain et du droit canonique qualifiés de « droits universels » qui servaient de « droit commun » médiéval (Jus commune) aux pays européens.

Rq.La détention exclusive du savoir juridique pour les temps anciens reposait sur la capacité de maîtriser l’écrit. Cela était vrai à Rome, au Moyen Age, et jusqu’au XIXe s. L’anthropologue Claude Lévi-Strauss a montré d’une manière plus générale que l’écriture elle-même a accompagné la naissance des sociétés hiérarchisées (Tristes tropiques).

Tx.« L’écriture du droit provoque donc l’apparition ou à tout le moins l’amplification de phénomènes de caste et de monopole. Elle réserve la discussion juridique pertinente au bénéfice de quelques-uns… la forme juridique, à bien des égards, n’est pas autre chose qu’un moyen extrêmement sophistiqué et efficace de mettre en évidence la légitimité du statut de celui qui prétend faire œuvre d’autorité juridique », D. de Béchillon, « Qu’est-ce qu’une règle de droit ? » cité par R. Cabrillac, Les codifications, coll. « Droit, éthique, société », PUF, 2002, p. 139 note 6.


 Des racines communes existent notamment entre les droits européens avant qu’un droit européen ne soit élaboré. Pour Portalis, l’un des quatre rédacteurs du Code civil de 1804, « le droit romain a civilisé l’Europe ».

Tx.I. Zajtay, « La permanence des concepts du droit romain dans les systèmes juridiques continentaux », Revue internationale de droit comparé, 1966, vol. 18, n° 2, p. 353-363.

Comme à d'autres époques antérieures, au XIXème siècle, la science du droit et le renouvellement des méthodes sont tout aussi essentiels, par exemple, à la compréhension de la formation et de l'évolution du droit, des sources ou de la place accordée au juge pour l'interprétation de la loi.

Faire le lien entre passé et présent est indispensable pour mieux comprendre les racines les enjeux et les solutions retenues par les juristes, au sens large, et les forces créatrices du droit au cours du temps.

Tx.Le juriste allemand Gustav Hugo, au XIXème siècle, notait que : « l’histoire forme la moitié de la partie scientifique du droit, c’est-à-dire de celle qui n’est pas purement manuelle ou routinière » (Cité par J.-L. Halpérin, « Histoire du droit », Dictionnaire de la culture juridique, Paris, PUF, coll. « Quadrige. Dicos poche », 2003, p. 784).

Montesquieu, dans l’Esprit des lois (1748), écrivait : « Il faut éclairer l’histoire par les lois et les lois par l’histoire » (XXXI, 2). La formule a été reprise notamment par Emile Chénon (1857-1927) qui recommandait que « le droit éclaire l’histoire et l’histoire éclaire le droit ; tout historien devrait être jurisconsulte, tout jurisconsulte devrait être historien ».

Tx.Emmanuel Cartier, « Histoire et droit : rivalité ou complémentarité ? », Revue française de droit constitutionnel, 2006/3, n° 67, p. 509-534.

Rq.On pourra se reporter au texte de Jean Gaudemet, « Etudes juridiques et culture historique », Archives de philosophie du droit, 1959, p. 11-21.

Par exemple, les adages traduisent ce lien entre passé et présent du droit. Ils sont une expression de la tradition juridique. De manière simple et ramassée, l’adage peut énoncer notamment une règle de droit. Cela peut aussi être le cas avec une maxime énonçant un principe général du droit (« Nul ne peut se faire justice à soi-même », « A l’impossible nul n’est tenu », « Non bis in idem »).


Une approche historique doit permettre de découvrir la formation du droit en France et de notre système juridique. C'est en connaissant d'où viennent le droit et les institutions qu'il est possible de mieux les comprendre mais également de saisir les débats et les évolutions juridiques actuelles tant en France qu'en Europe. Le juriste contemporain peut avoir un double intérêt à porter son regard vers le passé. D'une part, il peut percevoir comment sont nées une règle de droit ou une institution. D'autre part, il peut déceler les fondements, en suivre les évolutions, les disparitions, les renaissances à travers le temps jusqu'à nos jours.

Tx.« … la démarche historique est des plus utiles. Elle donne des idées générales, dans une époque qui en a grand besoin. D’abord parce que nous devons faire face à la disparition des grands systèmes explicatifs. Ensuite en raison d’un effet pervers des techniques modernes de communication : la surinformation peut dégénérer en désinformation. Jamais l’adage ‘Nul n’est censé ignorer la loi’ n’a été aussi fictif. Personne ne sait avec précision combien de lois sont actuellement en vigueur : 100 000 peut-être… mais combien d’appliquées ? Car l’excès de droit conduit à son ineffectivité, même à l’âge des ordinateurs. D’autre part l’histoire ne peut se contenter de décrire le passé. Elle doit aussi tenter d’expliquer les causes des transformations qu’elle constate, ce qui nécessite le recul salutaire que se refusent les positivistes. L’historien du droit constate notamment que le droit n’est pas toujours à la traîne des mœurs, contrairement aux lieux communs. (…) Outre qu’elle permet de tresser certains colliers au droit, la démarche historique conduit à mieux délimiter les contours des enjeux que certains tirent du passé. En effet, il y a plusieurs demeures dans la maison du droit (…) » (Extraits de N. Rouland, Introduction historique au droit, coll. « Droit fondamental », Paris, Puf, 1998, p. 11 et s.).



Les règles applicables à un moment donné de l’histoire sont le fruit d’un contexte politique, économique, moral, religieux et social. Elles se forment souvent par apports successifs mais aussi par emprunts. C’est la recherche de la dimension historique du droit qui doit permettre de prendre conscience de ces phénomènes. 
L'approche historique favorise aussi l'appréhension d'institutions juridiques et le regroupement de droits nationaux, en lien avec des racines communes, en grandes familles juridiques.
Df. Une institution juridique désigne l’ensemble des règles de droit concernant un même objet (par exemple la propriété, le mariage, etc.). Le groupement de ces institutions peut être présenté comme formant un système juridique c’est-à-dire un ensemble de mécanismes et de structures juridiques organisant la conduite des hommes qui vivent au sein d’une société.


Notre système juridique présente des particularités communes avec les différents droits nationaux des pays européens. Le droit français est qualifié de droit romaniste – c’est-à-dire dérivé du droit romain – ou encore de droit écrit, comme peuvent l’être le droit allemand, espagnol ou italien. La notion de système juridique apparaît progressivement et évolue dans le temps sous l'effet des « mondialisations du droit » (J.-L. Halpérin). Différents systèmes sont traditionnellement distingués dans le monde.



Pour les pays européens occidentaux, un premier groupe se caractérise par l’influence du droit romano-germanique (pays latins et germaniques). Un second, avec les îles britanniques, est formé essentiellement à partir des décisions des juges qui a contribué à maintenir un système coutumier (Common law). Au Québec, la double influence du droit français (Coutume de Paris) et du droit anglais est présente selon les domaines (droit civil et droit pénal).


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Depuis la fin des années 1990, quatre économistes – La Porta, Lopez-de-Silances, Shleifer et Vishny (LLSV) – publient différents articles pour expliquer les différences de performances économiques entre les pays. Ils s’intéressent alors aux origines légales pour expliquer de telles différences. Ils définissent l’origine légale comme « une forme de contrôle social de la vie économique et d’autres aspects de la vie ». Leurs travaux se sont intéressés notamment à l’influence de la présence d’un Code civil et ils ont proposé cinq traditions légales. Ils ont en particulier distingué les pays de droit civil des pays de common law. Parmi les facteurs qui agissent sur la croissance, la qualité institutionnelle est retenue pour considérer la garantie des droits de propriété et le respect des contrats. Les pays de common law sont pour eux plus favorables que les pays de tradition civiliste comme la France. Ils considèrent alors la formation de ces deux droits à partir de leurs origines médiévales. L’organisation politique et judiciaire leur apparaît préférable en Angleterre. Ils en concluent une supériorité de la common law. Des conséquences en sont tirées quant au développement des pays qui ont été colonisés soit par la France soit par l’Angleterre et leur développement économique contemporain.

« A central requirement in the design of a legal system is the protection of law enforcers from coercion by litigants through either violence or bribes. The higher the risk of coercion, the greater the need for protection and control of law enforces by the state. This perspective explains why, in the 12th and 13th centuries, the relatively more peaceful England developed trials by jury, while the less peaceful France relied on state-employed judges for both collecting evidence and making decisions. Despite considerable legal evolution, these initial design choices have persisted for centuries (largely because France remained less peaceful than England), and may explain many differences between common and civil law traditions with respect to both the structure of legal systems and the observed social and economic outcomes », Edward L. Glaeser & Andrei Shleifer, 2002. “Legal Origins”, The Quarterly Journal of Economics, MIT Press, vol. 117(4), pages 1193-1229, November.

Cette approche a eu une influence importante, elle a suscité des réactions et des critiques. L’une des formes prises a été la création de la Fondation pour le droit continental en 2006 évoquée pour assurer le rayonnement du droit français selon les propos du Président Jacques Chirac dans son allocution lors du Colloque sur le bicentenaire du Code civil le 11 mars 2004.


On observe aujourd’hui sous l’influence de la construction européenne et de la mondialisation que les systèmes juridiques s’influencent mutuellement. Ce phénomène n’est pas nouveau. Depuis fort longtemps, des règles ou des institutions juridiques sont passées d’une société à une autre, d’un droit à un autre.

Rq.Jean Hilaire, « L’approche historique d’un système juridique, l’enjeu français », Tijdschrift voor Rechtsgeschiedenis, 1994, p. 35-45.

2. Sources et acteurs du droit


Une introduction historique au droit doit permettre de faire découvrir combien sont variés et évolutives les sources du droit mais aussi combien les acteurs du droit participent et influencent la formation de la règle juridique à travers les siècles et les espaces. Les forces créatrices du droit ne se limitent pas au seul législateur. Le pluralisme juridique a marqué la formation du droit français tout comme l’affirmation du légicentrisme depuis le XIXème siècle et l'importance de la codification. Pluralisme juridique et légicentrisme ont alors influencé la conception des sources du droit et leurs contours.

De manière commune, on classe les sources du droit en plusieurs catégories comme par exemple en sources formelles et sources matérielles, sources écrites et sources non écrites ou bien encore sources nationales et sources internationales. La notion de source peut renvoyer à la mise en forme d'une règle existante. Elle peut aussi correspondre à la création d'une prescription juridique.

De manière générale, trois sources du droit sont présentées en droit français (loi, coutume et jurisprudence) auxquelles la doctrine s'ajoute comme autorité. Cette conception n'est pas pleinement partagée par d'autres systèmes juridiques notamment en common law (avec les précédents et l'équité).

Tout d'abord la loi est conçue comme la source du droit qui exprime la volonté du législateur. Au fil du temps, le titulaire de la souveraineté (prince) puis ses représentants (assemblées) ont contribué à renforcer la place de la norme législative au sein de l'ordre juridique interne. Elle a pu être considérée, à certaines périodes, comme la source principale voire exclusive de création du droit (légicentrisme).
Ensuite, la coutume, source des plus anciennes, a été essentielle à la formation de règles juridiques au sein d'un groupe social vivant sur un territoire donné et ayant une force obligatoire en lien avec le sentiment collectif attaché à cet usage consacré par le temps. Elle a été longtemps orale posant alors la question de sa preuve en justice. Elle a aussi fait l'objet d'une mise par écrit, la figeant alors, à l'initiative d'autorités diverses (ville, seigneur, prince...).
Enfin, la jurisprudence est un « ensemble de règles de droit nées de l'activité judiciaire ». Elle pose la question du « droit né de l'interprétation » (P. Deumier) en relation avec les articles 4 et 5 du Code civil et du rôle qu'au cours du temps le juge a joué comme force créatrice du droit.

Tx.Art. 4 Code civil : Le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice.
Art. 5 du Code civil : Il est défendu aux juges de prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises.

Les leçons de ce cours envisagent le droit dans sa formation et son évolution en lien avec le pouvoir et la société qu’il a vocation à régir. A travers diverses sources, la connaissance du contexte de formation de la règle juridique et de son contenu est possible. Elles ont été plus ou moins conservées depuis les temps les plus anciens.
Ce cours souhaite faire ainsi découvrir différentes sources utiles à la connaissance du passé du droit. De plus en plus d’entre elles sont désormais accessibles sur internet quelque soit leur époque tant pour l’Antiquité (par exemple les compilations de l’empereur Justinien), des documents des époques mérovingiennes et carolingiennes (Monumenta Germaniae Historica), les ordonnances des rois de France mais aussi des traités de droit savant, des décisions de justice, de la doctrine des XIXème et XXème siècles ou encore des actes de pratique notariale.


Les sources historiques et juridiques éclairent les détenteurs du pouvoir d’élaborer et de dire le droit. Elles nous renseignent aussi sur le contenu de la règle et son évolution. Elles mettent en lumière la vie du droit.

Tx.Le Doyen Jean Carbonnier s’interrogeait sur le point de savoir « Qui fait les lois ? Les grands législateurs […] ? Ou bien les forces anonymes, à l’œuvre dans l’épaisseur des sociétés » (« Le Code Napoléon en tant que phénomène sociologique », Revue de la recherche juridique, 1981, p. 327-336 repris dans Jean Carbonnier, Ecrits, R. Verdier (textes rassemblés par), Paris, 2008, p. 638).
Jean Gaudemet mentionnait dans l’Avant-propos de la première édition de son manuel, Les naissances du droit. Le temps, le pouvoir et la science au service du droit (1996), le « droit sans juristes… les Législateurs, dont la volonté fait le droit [et les « Orfèvres » avec les] Juristes, praticiens, docteurs, juges, qui le préparent, l’enseignent ou le modèlent » (Paris, 1996, p. VI).
Jean Hilaire s’intéresse enfin à la « vie du droit » avec l’importance de la pratique à partir des décisions judiciaires et l’activité notariale de l’Ancien droit.

A travers l’intérêt porté à la notion de norme, les acteurs de la vie du droit font l’objet d’une attention plus importante et renouvelée. La relation norme juridique et législateur n’est pas suffisante pour appréhender la formation et l’évolution du droit. D’autres acteurs sont à prendre en considération.

Tx.« Le droit est vivant, il suit l’adaptation sans cesse renouvelée des façons d’être, de vivre et de penser des hommes dans un milieu et à une époque déterminée » (R. Besnier, « L’histoire des institutions : pourquoi ? », R.H.D., 1977, p. 627-633).

Georg Jellinek au début du XXème siècle a développé l’idée de « force normative du factuel » en relation avec la conviction populaire (G. Jellinek, L’Etat moderne et son droit. 1ère partie : Théorie générale de l’Etat, 1ère éd. trad. Française, 1911, LGDJ, 2005, p. 544). Il évoquait la formation du droit par des forces en relation avec un « mouvement incessant d’influence et de pénétration réciproque » (p. 196-197). En 1955, Georges Ripert (Les forces créatrices du droit,) affirme que « puisque le droit est construit et non donné, j’entends par là toutes les forces qui peuvent imposer une règle de nature juridique. […] Le pouvoir politique est placé sous la domination des forces qui créent le droit et le droit est obtenu par la lutte de ces forces. Ce qui importe, c’est que toutes les forces sociales puissent s’exercer et que la lutte soit loyale » (Les forces créatrices du droit, Paris, 1955, rééd., 1994, LGDJ, n° 30, p. 84 et 86).
Forces créatrices et forces imaginantes du droit ont été aussi précisées dans leurs contours et leurs relations par Mireille Delmas-Marty.

Tx.« S’agissant de la force normative, ce sont sans doute avant tout les professionnels du droit, émetteurs (le législateur au sens large), récepteurs (les juges au sens large, mais aussi les justiciables et leurs avocats) et commentateurs (la doctrine et plus largement les médias) de normes juridiques. En revanche, les forces créatrices du droit sont exercées par les responsables politiques et les acteurs de la société dite civile, opérateurs économiques et acteurs civiques, sans oublier les acteurs scientifiques (experts). Quant aux forces imaginantes du droit, on peut penser qu’elles associent tout l’ensemble des acteurs sociaux, juristes et non juristes, y compris les médias et même les artistes » (M. Delmas-Marty, « Post-scriptum sur les forces imaginantes du droit », La force normative…, op.cit., p. 850).

Les questionnements relatifs à la norme intéressent les acteurs contemporains en prise avec le droit. Les approches transversales, transdisciplinaires, comparatives et diachroniques sont riches et utiles au juriste.

La formation de la norme juridique est le fruit de l’action de foyers normatifs composés d’individus, de groupes détenteurs de la capacité d’édicter une norme, de l’ériger en modèle mais aussi de contribuer à son application ou encore à son interprétation. 

Rq.Du Moyen Âge au XXème siècle, on décèle l’expression d’une pluralité de foyers normatifs qui cède peu à peu devant la promotion d’une unité aujourd’hui débattue. A porter son regard vers le passé, l’élaboration de la norme se conçoit moins comme un processus isolé relevant d’un seul foyer mais davantage comme une construction partagée. Ce cheminement vers la formulation de la norme emprunte différentes voies dont celle de la coopération de divers foyers. Consultation, concertation voire co-construction entre l’autorité détentrice de la capacité d’édicter la norme et un groupe plus ou moins large de personnes ou d’autorités se révèlent être un mode opératoire ancien.

Au cours du temps, un groupe plus ou moins constitué et influant existe auprès du Législateur. Bien que les juristes ne se laissent pas toujours facilement saisir pour les périodes anciennes, ils ont eu une influence dans le travail de construction de la norme juridique en relation avec la maîtrise de l’écriture du droit mais aussi avec son interprétation correspondant à « toute l’œuvre du juriste » (M. Villey, « Modes classiques de l’interprétation en droit », L’interprétation dans le droit, Archives de philosophie du droit, t. XVII, 1972, p. 71 sq.).
Derrière la figure de l’expert en droit, des groupes divers existent qui développent une science et un art. Des compagnons du droit vivant au quotidien avec la norme et de la norme participent aussi bien à sa construction qu’à sa mutation. Dans l’atelier de création de la norme juridique, l’expert et le compagnon juriste ont à leur disposition divers instruments et procédés qui peuvent participer à la formation et à l’interprétation d’une norme. Une palette d’outils technico-logiques, héritages des temps passés, est à leur disposition, ils peuvent aussi en inventer de nouveaux. Rendre compréhensible, accessible et identifiable la règle est source d’enjeux. La formulation de la norme peut alors renvoyer aussi bien à la langue de la norme qu’à son support ou encore à une symbolique normative. La norme constitue une référence tant par son adaptation et son adéquation aux besoins juridiques à un moment donné que par ses qualités formelles.

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