Date07/03/2006
JuridictionCour de cassation chambre civile 1
TypeNationale
Résumé

Manque de base légale l'arrêt qui, pour exonérer de leur responsabilité un notaire et un agent immobilier, rédacteurs d'actes relatifs à la cession d'un bail rural et prévoyant le versement par le preneur entrant au preneur sortant d'une somme correspondant à la valeur vénale des fumures et arrière-fumures, retient que cette pratique coutumière du Nord de la France avait été validée par la jurisprudence locale, sans rechercher si, à la date de l'intervention des professionnels, un récent arrêt de la Cour de cassation ne confirmait pas une évolution de sa jurisprudence amorcée par un arrêt antérieur, selon lequel ces fumures et arrière-fumures constituaient des améliorations culturales susceptibles d'une indemnisation par le bailleur, de sorte qu'il incombait à ces professionnels soit de déconseiller l'opération litigieuse, soit d'avertir le preneur sortant des incertitudes de la jurisprudence quant à la validité d'un paiement mis à la charge du preneur entrant.

Mots clésOFFICIERS PUBLICS OU MINISTERIELS, Obligation d'éclairer les parties, Notaire, Responsabilité, Étendue, Détermination, AGENT IMMOBILIER, Responsabilité, Obligation de conseil, Manquement, Caractérisation, Applications diverses
PublicationBull. 2006, I, n° 136, p. 126
Composition

Mme Collomp, président

M. Gillet, conseiller rapporteur

M. Foerst, avocat général

SCP Peignot et Garreau, SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat(s)

Numéro d'affaire04-10101
Textes Appliqués

Code civil 1147, 1382

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en sa seconde branche :

Vu les articles 1147 et 1382 du Code civil ;

Attendu que M. X..., qui exploitait un domaine agricole, en vertu d'un bail rural, ayant décidé d'arrêter son exploitation et de la céder, M. Y..., agent immobilier, a, le 28 mai 1985, rédigé un acte de cession de l'exploitation prévoyant le paiement au preneur sortant par le preneur entrant d'une somme correspondant à l'estimation faite par expert de la valeur vénale des fumures et arrière-fumures en terre ; que, le même jour, M. Z..., notaire, a reçu l'acte authentique constatant la résiliation amiable du bail conclu entre M. X... et le propriétaire et l'acte authentique relatif au bail à ferme conclu entre celui-ci et le nouveau preneur ; que ce dernier ayant obtenu, au terme d'une action en répétition de l'indu exercée à l'encontre de M. X..., sur le fondement des articles L. 411-71 et L. 411-74 du Code rural, la restitution de la somme qu'il avait versée au titre des améliorations culturales, M. X... a assigné l'agent immobilier, M. Y..., et la SCP notariale Z..., Ruault, Levecq et Bouly de Lesdain en responsabilité professionnelle sur le fondement d'un manquement à leur obligation de conseil ;

Attendu que, pour débouter M. X... de ses demandes, l'arrêt retient qu'il résulte des pièces versées aux débats que la pratique d'indemnisation des fumures et arrière-fumures par l'exploitant entrant à l'exploitant cédant correspondait à une pratique coutumière dans le Nord, validée par la pratique jurisprudentielle des tribunaux du Nord, notamment la cour d'appel de Douai, jusqu'à l'arrêt rendu le 27 mars 1985 par la Cour de cassation, interdisant cette pratique au visa de l'article L. 411-71 du Code rural, arrêt qui n'avait été publié qu'en juin 1985, soit postérieurement à la réalisation de l'opération, et qu'ainsi, l'obligation contractuelle tant du notaire que de l'agent immobilier étant une obligation de moyens, il ne pouvait leur être reproché d'avoir agi en fonction et conformément aux données d'usage et de jurisprudence de l'époque ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si, eu égard aux textes applicables, l'état du droit positif existant à l'époque de l'intervention du notaire et de l'agent immobilier, fixé par l'arrêt du 27 mars 1985, ne procédait pas d'une évolution antérieure apparue dès un arrêt de la Cour de cassation du 7 décembre 1983, arrêts selon lesquels les fumures et arrière-fumures constituaient des améliorations culturales susceptibles d'une indemnisation par le seul bailleur, de sorte qu'il leur incombait, soit de déconseiller l'opération litigieuse, soit, à tout le moins, d'avertir le preneur sortant des incertitudes de la jurisprudence quant à la validité d'un paiement mis à la charge du preneur entrant, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 27 février 2003, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Douai, autrement composée ;

Condamne M. Y... et la société civile professionnelle Z..., Ruault, Levecq et Bouly de Lesdain aux dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de M. Y... ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept mars deux mille six.

ImprimerImprimer