Le terme de droit judiciaire privé nécessite d'être précisé. Nous commencerons donc par présenter la matière elle-même, avant de poursuivre par une étude des caractéristiques et du régime général des règles de droit judiciaire privé.
Section 1. La notion de droit judiciaire privé
§ 1. Définition et contenu
A. Distinctions
- La procédure se définit comme un ensemble d'actes ou de formalités dont l'accomplissement permet à une juridiction de trancher un problème juridique. Pour résumer les choses, on peut dire que c'est la manière de faire avancer un procès.
- Le droit judiciaire privé est le droit de la solution des litiges. Il regroupe l'ensemble des règles permettant au titulaire d'un droit de faire respecter ses prérogatives en recourant aux juridictions civiles : le procès est un mécanisme de solution des litiges par application des règles de droit qui se concrétise par un jugement, lequel est un acte juridictionnel, sauf quand il y a jugement en équité.
Le droit judiciaire privé concerne la réalisation contentieuse des droits privés, ce qui permet de l'opposer aux règles permettant la sanction juridictionnelle des infractions à la loi pénale (la procédure pénale) ou aux dispositions du droit public (le contentieux administratif).
La notion de droit judiciaire est plus large que le terme technique de "procédure". Celui-ci n'est d'ailleurs pas propre au procès car l'expression peut viser toute démarche à suivre pour obtenir une décision, un avantage, devant une autorité, administrative ou non. En outre, cette dénomination ne vise que les formalités relatives à l'engagement, au déroulement du procès, et à la manière d'agir en justice.
Rq.Controverses doctrinales : tous les auteurs n'adhèrent pas à la qualification de « droit judiciaire privé », faute de transposition du concept au contentieux pénal ou administratif: Jean Vincent et Serge Guinchard ont ainsi proposé l'expression de « droit procédural », Loïc Cadiet celle de « droit judiciaire civil » (expression suggérée par Morel). Les titres des manuels reflètent cette discussion.
- Le Droit processuel consiste en l'étude comparative des procédures civile, pénale et administrative. Les interférences entre ces différentes procédures avaient déjà été envisagées, il y a plusieurs années, par Motulsky.
L'existence d'un droit commun, fondamental, du (des) procès s'est trouvée renforcée par :- la création de procédures hybrides, notamment en droit économique (contentieux de la Bourse, de la concurrence...),
- l'application à tous les contentieux des dispositions procédurales de,
- le rayonnement des principes généraux du droit,
- et le respect nécessaire des dispositions constitutionnelles.
B. Contenu du droit judiciaire privé et contenu du cours
En font partie l'étude :
- des institutions et de l'organisation judiciaire, ainsi que des questions liées à la compétence, regroupées sous le vocable de "juridiction".
- des conditions pour agir et obtenir du juge des décisions : c'est ce qu'on appelle "l'action".
- des conditions de déroulement du procès et d'exercice des voies de recours : c'est la procédure civile, stricto sensu.
Confronté au contenu des cours dispensés en Faculté, le terme de droit judiciaire apparaît néanmoins trop large en ce que ne sont en général pas abordées les procédures spéciales propres à certains contentieux, ni les voies d'exécution, qui pourtant en font partie mais donnent lieu à un enseignement distinct.
- L'action
- La juridiction
- L'instance
- L'arbitrage
- Le droit judiciaire international
En savoir plus
L'enseignement du droit judiciaire fait à Rennes l'objet de deux cours semestriels. L'un est un cours dispensé aux étudiants de licence, intitulé « Institutions et principes fondamentaux du procès civil ». Il s'agit d'appréhender les institutions judiciaires civiles et les grandes théories qui sous-tendent le procès civil, et constituent en quelque sorte le « droit fondamental » du procès civil. L'autre est un cours de master dans lequel sont présentées et approfondies des dispositions complémentaires ou plus techniques de procédure civile afférant au déroulement de l'instance.
Les développements qui vont suivre correspondent au premier de ces deux cours.
Tableau récapitulatif : Définition et contenu du droit judiciaire privé
§ 2. Fonction du droit judiciaire privé
Dans la plupart des cas les règles de droit sont (heureusement) exécutées de manière spontanée et non contentieuse. Mais lorsqu'un litige advient, son règlement au regard du droit objectif est en général assuré par le juge dans le cadre d'un procès.
La Justice apparaît comme un instrument de paix sociale permettant de vérifier la régularité des situations juridiques et d'assurer la réalisation concrète des droits. Faire respecter les règles édictées par les pouvoirs législatif et réglementaire est l'une des missions de l'Etat, justifiant l'existence de l'autorité judiciaire.
Ceci explique que la Justice soit publique et non privée.
Mais il convient aussi de signaler, à côté de l'intervention du service public de la Justice et de la mise en œuvre de la fonction juridictionnelle, l'existence de moyens non contentieux de réalisation des droits. Il s'agit par exemple de l'usage de techniques issues du droit des obligations ou des contrats (droit de rétention, clauses pénales, transaction...) ou du recours à des commissions (commission des clauses abusives, commission de conciliation des locataires, commission de surendettement des ménages et des particuliers...).
A par ailleurs été affirmée, à partir de 1995, la volonté de favoriser les règlements amiables, à l'initiative ou sous le contrôle du juge. Cela s'est notamment traduit par le développement des procédures de conciliation et de médiation judiciaires. La création des juges de proximité a témoigné aussi d'une certaine volonté de réintroduire des « juges de paix».
En savoir plus
- L'implication dans le règlement conventionnel des différends concerne aussi les avocats : la loi n° 1609-2010 du 22 décembre 2010 a introduit dans le code civil la convention de procédure participative qui permet, par leur intermédiaire, un règlement amiable des litiges relatifs aux droits dont les personnes ont la libre disposition (H. Poivey-Leclercq, La Convention de procédure participative « Un pacte de non agression à durée déterminée », JCP 2011, Fasc. 4 n° 70 - E. BONNET, La convention de procédure participative, Procédures n° 3, Mars 2011, alerte 11 ; S. Amarani Mekki, La convention de procédure participative, D 2011 3007).
- Par ailleurs, l’ordonnance n° 2011-1540 du 16 novembre 2011, portant transposition de la directive 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale a modifié les dispositions de la loi du 8 février 1995. La médiation s’entend désormais de tout processus structuré, quelle qu’en soit la dénomination, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l’aide d’un tiers, le médiateur, choisi par elles ou désigné, avec leur accord, par le juge saisi du litige.
- Enfin, le décret n° 2012-66 du 20 janvier 2012, pris en application de cette ordonnance, a créé dans le Code de procédure civile un Livre V relatif à la résolution amiable des diffférends et encadrant les procédures de ce type faisant intervenir un tiers.
Il ne peut par ailleurs être fait abstraction des liens existant entre la procédure et le fond du droit.
Ces liens sont dans la nature même de la procédure, qui ne peut exister en dehors d'un procès mettant en cause des droits substantiels.
Ensuite, certaines dispositions procédurales assortissant les textes, traduisent la volonté du législateur d'influer par ce biais sur le fond du droit et ses conditions de mise en oeuvre (délais, qualité pour agir...).
Enfin, l'interprétation des textes par les juridictions, selon son caractère restrictif ou libéral, a une incidence directe sur les droits subjectifs.
Les juridictions et le droit judiciaire peuvent aussi jouer un rôle préventif, lié à une certaine crainte de la sanction : la menace ou l'initiative d'une assignation suffisent parfois à débloquer une situation et à permettre d'ouvrir des négociations...
§ 3. Caractères du droit judiciaire privé
A. Caractère formaliste
Un formalisme excessif et le mauvais fonctionnement du système risquent de générer divers inconvénients et d'apparaître comme des sources potentielles de perturbations : coût, complexité, durée excessive des procédures, difficultés de fonctionnement, encombrement des juridictions, développement de l'esprit de chicane.
En revanche, connu à l'avance, bien maîtrisé et identique pour tous, il peut aussi constituer une sécurité contre l'arbitraire, une garantie de bonne justice : formes et délais offrent une certaine sécurité, contribuent à une meilleure information des plaideurs, offrent une protection contre le dilatoire. Ihering a traduit ces avantages dans la formule "Ennemie jurée de l'arbitraire, la forme est la sœur jumelle de la liberté ".
En fait, il importe de trouver une juste mesure : le formalisme doit avoir un but précis et les exigences imposées doivent permettre de remplir correctement l'objectif ainsi fixé.
Une illustration en est donnée en matière de nullités pour vice de forme avec la règle "pas de nullité sans grief" : le non-respect du formalisme ne sera pas sanctionné s'il n'a pas été préjudiciable à celui qui l'invoque.
B. Caractère impératif
Cela signifie :
- qu'on ne peut y déroger (une relation peut être établie avec les lois de police et d'ordre public visées par les articles 3 et 6 du Code civil),
- qu'elles doivent être soulevées et appliquées d'office par le juge,
- et que leur violation est sanctionnée par une nullité.
L'explication tient en partie au fait que la Justice est un service public, que les particuliers ne doivent pas pouvoir manipuler, pour des raisons d'efficacité.
Il convient toutefois de nuancer la portée de ce caractère obligatoire. Le procès vient sanctionner des droits subjectifs dont les titulaires ont souvent la libre disposition ; on pourrait dès lors trouver logique que les particuliers puissent également "composer" avec les règles de procédure permettant d'assurer le respect de leurs droits.
En réalité, toutes les règles ne possèdent pas la même valeur et n'imposent pas un respect aussi absolu.
L'ordre public intervient souvent en droit judiciaire dans un but de protection des faibles (ordre public de protection). Il apparaît assez strict en matière d'organisation judiciaire et d'exercice des actions, un peu moins en matière de compétence territoriale et de procédure (ex. : dispositions sur les clauses dérogatoires, la prorogation de compétence).
En fait, on constate qu'une plus grande souplesse est offerte, une fois le litige né, pour modifier les pouvoirs du juge : amiable composition, contrat judiciaire, retrait du rôle.
Cela étant, en cas de non-respect de dispositions procédurales, les conséquences font souvent l'objet d'une appréciation au cas par cas.
C. Nature controversée
Il pourrait aussi être rattaché au droit privé, de par l'initiative du droit d'action dévolue aux parties, sa finalité de protection des droits privés individuels, et la conception traditionnelle du principe dispositif imposant une certaine neutralité au juge.
Appartenant à la catégorie des droits sanctionnateurs, dits aussi droits régulateurs ou réalisateurs (ex : procédure pénale, contentieux administratif, droit international privé...), il possède une nature hybride, à la différence des droits substantiels, déterminateurs ou matériels, qui ont pour finalité de régir l'activité sociale des personnes (ex.: droit civil, droit rural, droit commercial, droit social...).
En savoir plus
En tant que droit sanctionnateur, il permet d'assurer le respect des droits substantiels et de comprendre les règles qui les sous-tendent : sa mise en oeuvre donne souvent lieu à une décomposition des mécanismes du droit substantiel. La connaissance des droits en jeu est nécessairement déterminante pour l'organisation du procès.