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Grands problèmes contemporains

Le désenchantement démocratique



Les élections de 2014-2015 ont vu se renforcer des tendances déjà anciennes marquant un désenchantement à l’égard du régime représentatif. L’abstention y a été massive : un Français sur deux a voté aux municipales et un Français sur trois aux européennes. Elle a été partout plus pénalisante pour la social-démocratie et a favorisé les formations dites « anti-système », dont, pour la France, le FN qui a atteint son score historique aux Européennes avec 25 % des suffrages exprimés et remporté 10 villes, et a dépassé 27 % aux Régionales. La défiance vis-à-vis de la politique touche particulièrement les catégories populaires qui, de plus en plus, se retirent de la vie civique.


Section 1 : L’ère de la défiance




Df.Les élections européennes de 2014 ont vu la montée des partis anti-système définis par le politiste italien Giovanni Sartori à propos du Parti communiste et du parti néo-fasciste (le MSI) de l'époque par leur aspiration à un système politique totalement différent tout en utilisant la voie parlementaire ; ce faisant, selon ses mots, le parti anti-système « mine la légitimité du régime contre lequel il se dresse » (Parties and party system, Cambridge University Press, 1976, p. 130). L’expression fait toutefois débat et bien des formations ainsi qualifiées la rejettent.

L’extrême droite a doublé en Europe des années 1980 aux années 1990. Elle est sortie grandement victorieuse des européennes de 2014, puisqu’elle est passée de 16 sièges en 1984 (soit 3,7 % du total des sièges du Parlement européen) à 48 en 2014 (soit 6,4 %). Le Front national est de loin le vainqueur du scrutin avec 24 élus, mais aussi le Parti du peuple danois (4 élus) qui fait un score historique de 26,6 % (+11% par rapport à 2009) et devance de près de 7 % les sociaux-démocrates. De même en Hongrie, le parti d’extrême droite Jobbik (Mouvement pour une meilleur Hongrie) arrive en deuxième position avec 14,68 % des suffrages, devant le parti socialiste (seulement 10,92 %), alors qu’il était troisième force politique du pays à l’issue des législatives précédentes où il avait remporté 20,22 % des voix. Score historique aussi pour le United Kingdom Independance Party (UKIP), avec 27,5 % des suffrages et un nombre de députés supérieur à ceux des trois partis classiques, soit 22 élus, 13 de plus que dans le parlement sortant, et autant que les travaillistes. En dehors de Londres, il passe le même jour de 2 sièges dans les conseils municipaux à 163, avec un taux de participation de seulement 36 %. Le Parti de la liberté (FPÖ) autrichien enregistre une nette progression, avec 19,5 % des voix (4 élus), contre 12,9 % en 2009, et devient le troisième parti du pays. Alternative für Deutschland, fondé l’année précédente, obtient 7 élus. En Italie, la Lega Nord reste à son score de 2009 (10,21 %), obtenant 6 élus, tandis que le Mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo en a 17.

Rq.En Europe du sud, à l’exception du parti néonazi grec Aube dorée (qui arrive en 3ème position avec 9,3 % des suffrages exprimés), c’est par la gauche radicale que s’est exprimée le mécontentement : elle remporte 18 % des suffrages exprimés en Espagne avec deux formations, la Gauche plurielle (l’équivalent du Front de Gauche) dont les scores ont été multipliés par trois pour atteindre 10 %, passant ainsi de 2 à 6 sièges, et Podemos (« Nous pouvons »), né seulement trois mois avant, qui obtient 8 % des suffrages exprimés et remporte 5 sièges. En Grèce, Syriza arrive en tête avec 26,7 % des suffrages exprimés (contre 5 % en 2009). L’Allemand Die Linke remporte quant à lui 7 sièges avec 7,4 % des suffrages.


Dans toute l’Europe, les partis socialistes ou sociaux-démocrates sont à la peine, poursuivant leur déclin électoral amorcé à partir de 1994, passant de plus de 27 % des suffrages en moyenne dans les années 1980 à des scores inférieurs à 25 % en 2004 et 2009 (20,2 % en 2014). La « côte d'alerte », pour reprendre l’expression utilisée par un rapport de la Fondation Schuman, a même été atteinte dans plusieurs pays comme les Pays-Bas (où les travaillistes se situent sous la barre de 10 %, derrière la gauche radicale et le parti « libéral de gauche » Démocrates 66), le Luxembourg (12 % pour les socialistes contre plus de 19 % 5 ans auparavant) ou la France où le PS, avec seulement 14 %, a fait le pire score de son histoire, sans parler des -28 points du PS grec, -15,5 points en Espagne, -8 points en Irlande. L’Italie fait exception dans le paysage, le Parti Démocrate du président du Conseil Matteo Renzi devenant le premier pays d’Europe avec 40,8 % des suffrages.

Quant aux écologistes, ils stagnent et se placent désormais derrière la gauche radicale rassemblée dans le groupe parlementaire GUE/NGL (Gauche unitaire européenne/Gauche verte nordique). Notons enfin que la moyenne de l'abstention dans l'Union européenne à 28 s'établit à 57,46%, mais avec des taux très variables selon les États membres, allant de 10% jusqu'à 87%.

En savoir plus : Abstention aux élections européennes 2014

Voir : Toute l'Europe



Source : « Les familles politiques aux élections européennes de mai 2014 : un bilan », Fondation Schuman, 30/06/2014



Avec un taux d’adhésion partisane de 2 % en 2002-2003, la France se situe, comme pour le taux de syndicalisation (voir leçon 9), bonne dernière des pays européens dont la moyenne pour les 15 est de 5 % pour les hommes, 2 % pour les femmes.

Taux d'adhésion partisane dans les pays d'Europe



Le déclin de l’adhésion partisane depuis les années 1960 se vérifie partout, sauf en Allemagne par l’effet de la réunification (1 852 000 adhérents déclarés en 1990, soit +81.9 % par rapport à 1960). Il est particulièrement marqué dans les pays scandinaves (par exemple -66.2 % au Danemark, -68.6 % aux Pays-Bas, avec par ailleurs des effectifs très bas, respectivement de 202 000 et 229 000 adhérents déclarés), en GB (-73.2 % avec 820 000 adhérents déclarés), en Italie (-56.3 % soit 1 867 000 adhérents déclarés). De ce point de vue, la France s’en sort bien : -1.2 % seulement soit 582 000 adhérents déclarés en 1990, la chute des partis de gauche (en particulier du PCF, passé de 700 000 adhérents  en 1979 à 380 000 en 1984, 270 000 en 1996, moins de 130 000 en 2006) ayant été compensée par ceux de droite et d’extrême-droite.

Nombre d'adhérents déclarés pour les partis


Dans un ouvrage classique, Guy Michelat et Michel Simon (Classe, religion et comportements politiques, FNPS, 1977) avaient mis en évidence l’existence, en France, de deux sous-cultures fortement prédictives de l’orientation électorale des individus : la pratique religieuse, favorable au vote à droite de l’échiquier, et l’appartenance au monde ouvrier favorable, lui, au vote de gauche.

Ex.66 % des catholiques pratiquants contre 14 % des sans religion ont l’intention de voter à droite aux législatives de 1967.

Le vote à gauche croit avec le nombre d’attributs ouvriers (être ouvrier soi-même, avoir un père ou un conjoint ouvrier) : il se situe par exemple à 18 % chez les femmes dépourvues d’attaches ouvrières contre 55 % chez les ouvriers fils d’ouvrier.

Une étude dirigée par Richard Rose dans 15 pays faisait un constat identique à l’échelle européenne en montrant le poids déterminant de la classe sociale et surtout de la religion pour le comportement électoral (Electoral Behavior : a Comparative Handbook, New York, Free Press, 1974). Durant cette période, l’usage de l’indice d’Alford, qui offre une mesure du vote de classe par une soustraction entre la proportion de travailleurs « manuels » qui votent pour la gauche et celle des non-ouvriers qui votent pour des partis de cette même tendance, se généralise et donne une assise empirique aux théories du vote de classe.

Rq.Indice d’Alford = % d’ouvriers qui votent à gauche – % des non-ouvriers qui votent à gauche

  • L'indice est égal à 100. Dans ce cas, tous les ouvriers votent pour la gauche alors qu'aucun non-ouvrier ne vote pour la gauche. On a donc un vote de classe parfait.
  • L'indice est égal à 0. La proportion d'ouvriers et de non-ouvriers qui votent à gauche est la même. Il n'y a donc pas de vote de classe.
  • L'indice est compris entre 0 et 100. C'est le cas le plus courant. Dans ce cas, plus l'indice tend vers 100, plus le vote de classe est marqué.
  • L'indice est négatif. Dans ce cas, le % de non-ouvriers votant pour la gauche dépasse celui des ouvriers.


Suivant cet indice, le vote de classe aurait partout subi une nette érosion, comme on peut le voir avec les deux documents suivants. Ainsi, en France, d’après la figure 2, on constate un désalignement du vote des ouvriers ainsi que des employés : l’orientation politique spécifique à gauche de ces catégories sociales s’étiole progressivement pour totalement disparaitre aux élections présidentielles de 2002. Le clivage de classe serait concurrencé par d’autres clivages, comme le clivage ethnique et un nouveau clivage apparu dans les années 1970 opposant le libéralisme économique (orientant vers un vote à droite), qui augmente avec le patrimoine, au libéralisme culturel (vote à gauche) qui, lui, augmente avec le diplôme et décroit avec l’âge.

Df.Désalignement électoral : fait que le vote d’un groupe social tend à se rapprocher du vote de la moyenne de l’électorat


Figure 1 : Le déclin du vote de classe mesuré par l’indice d’Alford dans cinq démocraties occidentales in CLARK, Terry, LIPSET Seymour et REMPEL Michael, « The declining political significance of social class », International Sociology, 8, 3, septembre 1993, 293-316.

Figure 2 : Evolution du vote de gauche par CSP de 1978 à 2002 en France in D. Boy et N. Mayer, L'électeur français en questions, Paris, Presses de la FNSP, 1990.




Rq.Cependant, l’indice d’Alford a été remis en cause (pour une synthèse voir Patrick Lehingue Le vote. Approches sociologiques de l’institution et des comportements électoraux, La Découverte, 2011, p. 239-240), remplacé par d’autres (par exemple l’index Kappa) et le constat fortement nuancé pour montrer d’une part, que ce déclin du vote de classe n’est en rien linéaire mais fortement dépendant du contexte politique, d’autre part connaît une résurgence d’autant plus forte que les programmes des partis sur les divers enjeux de la campagne sont clairement polarisés. On assiste également à la résistance du clivage religieux (dont l’effet est deux fois plus important que celui de la classe aux USA) d’après Nonna Mayer, Sociologie des comportements politiques, Paris, A. Colin, 2010, p. 110.


Ces débats ont conduit à analyser le processus de détachement ouvrier vis-à-vis des partis de gauche (voir la partie suivante pour une illustration par le cas français) et affiner la question du « vote de classe » par-delà la catégorie très frustre du « vote ouvrier ». Sur ce point, on retiendra deux conclusions principales.

  1. Compte tenu de l’éclatement objectif du GPS (groupe socioprofessionel) « ouvrier » (voir leçon 3), comme le dit P. Lehingue, « il faut descendre à un niveau plus fin de la nomenclature Insee (32 positions chez les actifs) pour repérer des « classes d’existence » suffisamment homogènes pour être prédictives de comportements électoraux globalement similaires » (Patrick Lehingue (Le vote. Approches sociologiques de l’institution et des comportements électoraux, La Découverte, 2011, p. 247). Aux élections régionales de 2004, l’abstention et le vote FN sont forts chez les employés de commerce, les ouvriers de l’agriculture, du BTP et des services aux entreprises. Par ailleurs, ce n’est pas tant « l’appartenance de classe » que « l’identité de classe » qui produit des effets électoraux.
    Ainsi, si l’on croise, comme le fait P. Lehingue, le sentiment d’appartenance à une classe sociale et le vote, on constate que le vote à gauche continue à prédominer chez ceux affirmant leur appartenance à la classe ouvrière tandis que ceux refusant toute appartenance de classe s’orientent à égalité vers la gauche comme vers la droite et surtout vers le FN.

  2. Désormais, les effets des positions professionnelles sur le vote sont saisis par une combinaison de critères, conduisant par exemple N. Mayer à distinguer trois groupes : les travailleurs indépendants, les salariés du privé et les agents publics (« Que reste-t-il du vote de classe ? Le cas français », in Lien social et politiques, n° 49, 2003). Ce clivage statutaire est fortement prédictif du comportement électoral, invalidant en France comme en Europe, la thèse du désalignement comme le montre le tableau suivant.


Vote de gauche aux élections nationales


Pour illustrer le détachement des ouvriers à l’égard de la gauche après plus d’un siècle de développement conjoint, nous allons nous pencher sur le cas français en commençant par le déclin du vote ouvrier en faveur du PS. Malgré une perte d’originalité entre 1973 et 1981 (l’écart entre le vote ouvrier et la moyenne recule de 22 à 13 points), le niveau de l’alignement des ouvriers sur la gauche reste stable, aux alentours de 70 %, ainsi que le souligne Florent Gougou, (« Les mutations du vote ouvrier sous la Vème République », Fondation Gabriel Péri, n° 5, 2007/1, p. 17). La victoire de François Mitterrand à la présidence de 1981 lui est intimement liée : la classe ouvrière est alors à son apogée démographique (37 % de la population active) et vote massivement à gauche (72 %, soit +20 points par rapport à la moyenne nationale).
Bien qu’affaiblie, cette spécificité ouvrière demeure en 1988. Elle s’estompe en 1995. Elle disparaît en 2002 et, plus nettement encore, en 2007. C’est en effet chez les ouvriers que le recul du vote pour la gauche est le plus élevé : il perd 27 points de 1978 à 2002 (contre 10 dans l’ensemble de l’électorat). Au premier tour de l’élection présidentielle, le différentiel de vote au profit de la gauche entre les ouvriers et la moyenne de l’électorat passe de +15 points en 1981 à 0 en 2002 : il n’y a plus de spécificité du vote ouvrier. Le candidat Lionel Jospin n’a même rassemblé que 13 % des suffrages ouvriers, lesquels ont donc moins voté socialiste que l’ensemble des Français (16 %). Au second tour de la présidentielle, le vote ouvrier passe de 72 % en 1981 à 50 % en 2007.

Ce détachement n’est pas unilatéral ; on peut à bien des égards dire que le PS s’est détourné des catégories populaires. Une étude réalisée en 1998 par le Cevipof auprès des adhérents socialistes montre leur net embourgeoisement par rapport à une enquête similaire menée en 1985. Le nombre des employés et cadres supérieurs est stable (plus un point chacun) tandis que celui des autres professions intermédiaires passe de 22 à 25 %. La part des instituteurs baisse de 6 points tandis que celle des professeurs augmente de 5. Le recrutement en milieu ouvrier est très faible puisqu’il se situe à 5 %, soit une baisse de 5 points par rapport à 1985. On ne compte plus que 4 % de précaires et 3 % de chômeurs.
On constate également la progression du capital scolaire des adhérents depuis 1985. Ils sont 10 % à avoir un certificat d’études primaires ou à n’avoir aucun diplôme et 21 % à détenir un CAP, le BEPC ou un diplôme technique équivalent (moins 3 % dans chaque catégorie). La progression est de 3 points pour les détenteurs d’un baccalauréat (19 % en 1998) et de 9 points pour les détenteurs d’un diplôme universitaire (33 % en 1998). Enfin, le vieillissement est très net avec un âge moyen de 55 ans, contre seulement 14 % des adhérents de moins de 40 ans (40 % dans la population globale). Au total, les retraités représentent près de 40 % des effectifs.

Sy.Comme l’analysent Frédéric Sawicki et Rémi Lefebvre (« Le peuple vu par les socialistes », dans Frédérique Matonti, dir., La démobilisation politique, Paris, La Dispute, 2005, p. 69-96), les relations entre le PS et les catégories populaires apparaissent aujourd’hui marquées par un « triple désajustement lié à des logiques congruentes d’ordre idéologique, sociologique, culturelle et organisationnelle » : une déconflictualisation du discours, une professionnalisation-notabilisation des élites (plus d’un tiers des adhérents socialistes en 1998 détiennent ou ont détenu un mandat d’élu), une dévitalisation des réseaux sociaux constitutif du « milieu partisan ». Ainsi, au mépris des statuts du parti, plus de 40 % des militants socialistes n’appartiennent pas à aucun syndicat.



Df.Le milieu partisan est « l’ensemble des relations consolidées entre des groupes dont les membres n’ont pas forcément pour finalité principale de participer à la construction du parti politique, quoiqu’ils y contribuent en fait par leurs activités ». (Frédéric Sawicki, Les réseaux du parti socialiste. Sociologie d’un milieu partisan, Belin, 1997, p. 24)


Cette approche a été reprise par Julian Mischi sur le PCF et aboutit à la conclusion similaire de la désagrégation des écosystèmes communistes locaux. Au travers d’une analyse de plusieurs territoires communistes (Saint-Nazaire, Longwy, Grenoble, l’Allier), il questionne l’évolution des relations entre le PCF et les classes populaires, et montre, lui aussi, une « désouvriérisation » du parti : alors qu’en 1967, 40 % des délégués au congrès appartenaient à cette catégorie, ils ne sont plus que 9 % en 2009 (Le communisme désarmé. Le PCF et les classes populaires depuis les années 1970, Marseille, Agone, 2014).

Sociographie de la gauche purielle en 1998

Section 2 :  L’exclusion politique des catégories populaires



Ce titre, repris à Céline Braconnier et Jean-Yves Dormagen (La démocratie de l’abstention. Aux origines de la démobilisation électorale en milieu populaire, Folio, 2007) désigne un phénomène en expansion et sans doute lié aux évolutions socio-économiques étudiées dans les leçons précédentes : le retrait des milieux populaires de la vie civique, électorale comme associative. Les deux vont en grande partie ensemble. Le Portrait social de la France 2010 montre en effet que le fait d’être investi d’une responsabilité dans au moins une association va de pair avec une moindre abstention, surtout par rapport à des non-adhérents.




Le retrait de la vie civique est traditionnellement moins étudié que le vote ; il est pourtant en progression partout et a acquis ces dernières années une autre signification que la passivité (par l’abstention par indifférence) en voyant se développer des « formes actives et assumées de refus du vote porteuses d’un message politique » (Nonna Mayer, Sociologie des comportements politiques, Paris, A. Colin, 2010, p. 173). Il y a en effet différentes modalités du retrait de la vie civique :

  • la non inscription, autour de 11 % du corps électoral potentiel en France, stable (mais forte hausse des inscriptions pour 2007, avec 3 millions d’électeurs de plus qu’en 2002) ; entre 28 % et 32 % aux États-Unis selon la base de calcul (par rapport à la population majeure ayant le droit de vote, comme en France, ou, comme il est d’usage aux USA, par rapport à la population en âge de voter) ;
  • le vote blanc et nul en progression dans les élections nationales depuis les années 1990 (6,5 % des inscrits en 1993 soit 9,5 % des votants). Depuis 1995, la presse les calcule par rapport aux votants et non plus aux inscrits, ce qui équivaut à le reconnaître. La propension à voter blanc augmente avec le niveau social et culturel et avec l’intérêt pour la politique, ce qui autorise à pouvoir l’interpréter comme un « vote de mécontentement » ;
  • l’abstention a été longtemps négligée par les politistes malgré le travail précurseur d’Alain Lancelot (L’abstentionnisme électoral en France, A. Colin, 1968), puis de Françoise Subileau et Marie-France Toinet (Les chemins de l’abstention, La Découverte 1993). Elle est mieux connue aujourd’hui grâce aux enquêtes et à la mise en place par l’INSEE dans les années 1980 d’un dispositif pour suivre les trajets de participation.


Rq.Attention ! En France, l’abstention est rapportée au nombre d’inscrits mais aux États-Unis à l’ensemble de la population en âge de voter, étrangers compris, jusqu’à une date récente (d’où un taux nécessairement plus élevé que si l’on adoptait notre base de calcul). Ainsi, lors de l’élection présidentielle de 2008, ce taux varie entre 42 % sur la base de la population en âge de voter (non inscrits + non votants) et 10 % sur la base des inscrits.

La baisse de la participation se vérifie partout depuis les années 1980. Entre 1945 et 2002 dans 15 pays de l’UE, le taux moyen est de 83 % aux législatives, mais 85 % avant 1988 contre 78 % après. Aux États-Unis, la participation est en moyenne de 50 % aux présidentielles, 33 % aux législatives (mais sur la base de la population en âge de voter).

Rq.« Coup de tonnerre », les présidentielles de 2002 l’ont été à plusieurs titres avec, outre l’éviction du candidat socialiste du second tour, un niveau plancher de la participation (71,6 % des inscrits soit 28,4 % d’abstention, dix points de plus qu’en 1988, du jamais vu ni revu à un 1er tour, et 2,4 % de blancs ou nuls) mais aussi le score le plus bas pour le PCF avec le candidat communiste Robert Hue (3,4 % de exprimés), plus de différence entre le vote ouvrier et celui des autres PCS (43 % de vote à gauche comme la moyenne de l’électorat).


Pour Alain Lancelot, « la participation électorale apparait au total comme une dimension secondaire de la participation sociale. Elle procède d’un facteur général qui est le degré d’intégration à la collectivité» (L'abstentionnisme électoral en France, A. Colin, Paris, 1968). En d’autres termes, l’abstention signe un défaut d’intégration sociale, c’est-à-dire à la fois un manque de ressources et de mobilisation électorale parmi ses proches. Elle est particulièrement forte chez les « faux ou mal inscrits », liés aux retards de radiation (décès, migrations, condamnations, déménagements). Lancelot les estimait entre 4 et 5 % du total des inscrits, mais bien supérieur dans les cités. Céline Braconnier et Jean-Yves Dormagen l’ont montré : ils seraient 28 % à être inscrits dans un bureau de la cité du 93 où ils étudient mais habitant ailleurs. Plus du tiers s’est abstenu contre 15 % des « bien inscrits » en 2002. Et plus de 20 % des habitants de la cité sont mal inscrits ailleurs (La démocratie de l’abstention. Aux origines de la démobilisation électorale en milieu populaire, Folio, 2007).

Parmi les inscrits, les plus âgés et les très jeunes sont les plus abstentionnistes : 25 % des plus de 75 ans et 19 % des 18-25 ans n’ont pas voté aux élections présidentielles de 2012, contre 13 % de l’ensemble des Français inscrits. Les milieux sociaux les moins favorisés, les personnes les plus en marge du marché du travail sont les plus prompts à s’abstenir. Braconnier et Dormagen (2007) parlent ainsi d’« exclusion politique des milieux populaires ».

Les catégories les plus sous-représentées parmi les votants sont d’abord les RMIstes, les étudiants et les chômeurs, les jeunes, puis les habitants des zones urbaines sensibles, les salariés intérimaires ou en CDD, les familles monoparentales, les ouvriers non qualifiés et les employés de commerce. À l’opposé, les catégories sur-représentées sont les agriculteurs exploitants et les retraités, plus largement, les 50 ans ou plus, puis les habitants des communes à dominante rurale et les cadres (pour les scrutins de 1995, 1997 et 2002 d’après Portait social de la France 2010).

Comme le dit Emmanuel Pierru, « le premier parti (de masse) des chômeurs demeure l’abstentionnisme. Le retrait électoral – intermittent ou systématique – constitue bel et bien le seul effet direct du chômage dont l’existence soit empiriquement attestée » (« Sur quelques faux problèmes et demi-vérités autour des effets électoraux du chômage», in F. Matonti, La démobilisation politique, Paris, La Dispute, 2005, p. 187). Il est chez eux 2,5 fois plus élevé que chez les fonctionnaires et 1,5 fois plus élevé que chez les salariés du privé en CDI. 2/3 d’entre eux ont une appréciation négative sur le fonctionnement démocratique (contre la moitié des salariés), 3/4 ont un sentiment de non-représentation par aucun parti (contre 67 %) et 38 % déclarent du dégoût pour la politique (contre 21 %).

Ce phénomène d’auto-exclusion par abstention et/ou non-inscription n’est pas propre à la France. Aux élections présidentielles étasuniennes de 2004 par exemple, elle est majeure chez les plus jeunes (53 % parmi les 18-24 ans contre 30 % chez les 45-64 ans), les moins instruits (61 % chez ceux ayant suivi moins de 9 ans d’études contre 44 % chez les High-School graduate et 16 % seulement chez ceux disposant d’un niveau supérieur à la licence). Le facteur ethnique y est déterminant : si « seuls » 35 % des Blancs ont fait défaut à l’élection, c’est le cas de 40 % des Noirs, 54 % des Hispaniques et 56 % des Asiatiques.

Rq.La distribution très inégale de l’abstention et de la non-inscription fait dire à Patrick Lehingue que c’est elle qui « traduit ou trahit le mieux la survivance de véritables « clivages de classe ». » (Le vote. Approches sociologiques de l’institution et des comportements électoraux, La Découverte, 2011, p. 244). Elle révèle en tout cas la persistance d’un « cens caché » pour reprendre le titre éponyme de Daniel Gaxie (Le Cens caché, Seuil, 1978).





De même, l’engagement associatif augmente avec le niveau de diplôme et le niveau de vie et qu’il est moindre chez les plus jeunes (Febvre M., Muller L., « Une personne sur deux est membre d’une association en 2002 », Insee première n° 920, septembre 2003). Il est très lié à la catégorie sociale. 47 % des cadres supérieurs contre 26 % des ouvriers adhèrent au moins à une association, quelle qu’elle soit (sociale, sportive, culturelle ou syndicale). Les cadres supérieurs et les professions intermédiaires sont les adhérents les plus nombreux dans le secteur sportif (respectivement 19,7 % et 19,3 %) contre 5,4 % des agriculteurs et 12 % des ouvriers. Il en va de même pour les syndicats et les groupements professionnels : le taux d’adhésion est de 13 % pour les cadres et les professions intermédiaires contre 3,4 % pour les artisans et 9,4 % pour les ouvriers (Observatoire des inégalités).
 
Taux d'adhésion par type d'association selon la CSP



Taux d'adhésion par type d'association selon le niveau de diplôme




Sy.Cette auto-exclusion des catégories populaires renforce très certainement leur invisibilisation croissante dans le débat politique. Car, ainsi que le note Stéphane Beaud, « en même temps que disparaît la société industrielle de la France du XXe siècle s’opère, à travers des luttes symboliques, le vieillissement des mots sociaux qui servent à la décrire : ouvrier, patronat, classe ouvrière » (« Portrait social de la France », Alternatives économiques, Hors-série 49, 2001.) Elle se nourrit aussi du sentiment croissant de ne pas être représenté qui se retrouve également chez les jeunes, un sentiment qui n’est pas sans fondement lorsque l’on voit le profil des élites politiques (voir fiche-ressource « Des représentants peu représentatifs de la société française »).


Ressource supplémentaire :
Fiche « Des représentants peu représentatifs de la société française ».

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