La prescription de l'action publique
Il faut envisager, d'une part, les délais de prescription, et, d'autre part, le point de départ de ce délai de prescription.
1. Les délais de prescription de l'action publique
Le législateur a été sensible aux difficultés rencontrées par les victimes d'infractions de presse commises dans le cadre de la communication en ligne. Le texte initial de la loi du 21 juin 2004 disposait que le délai de trois mois de prescription des infractions de presse sur les services en ligne courait à compter de la « date à laquelle cesse la mise à la disposition du public »
sauf lorsqu'il reproduit une publication éditée sur support papier. Mais le Conseil constitutionnel a considéré que la différence de traitement dépassait manifestement « ce qui est nécessaire pour prendre en compte la situation particulière des messages exclusivement disponibles sur un support informatique »
(Cons. const., 10 juin 2004).
Attention :
Aux termes de l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881[1] « l'action publique et l'action civile résultant des crimes, délits et contraventions prévus par la loi du 29 juillet 1881 se prescriront après trois mois révolus, à compter du jour où ils auront été commis ou du jour du dernier acte d'instruction ou de poursuite s'il en a été fait »
. L'article 65 précité prévoit, en outre, l'interruption de la prescription par le réquisitoire introductif.
Cet article s'applique à la communication au public en ligne. L'acte de publication sur internet réalise la mise à disposition du public qui fait courir le délai de prescription. Après diverses hésitations, la jurisprudence ne marque plus de différence, en matière de prescription, entre la communication en ligne et les autres modes de diffusion.
:
V. notamment CA Paris, 11e ch. A, 27 février 2002 - TGI Paris, réf., 30 avril 1997.
CA paris 27 avril 2002
Résumé : La loi du 29 juillet 1881[1] s'applique aux diffusions via le réseau internet. En conséquence, le délai court de prescription de l'action publique prévu par ce texte est applicable et son point de départ est fixé à la date de la première mise à disposition du texte litigieux aux utilisateurs du réseau. En conséquence, l'action publique est prescrite s'agissant d'un texte publié pour la première fois en septembre 1999 et ayant fait l'objet d'un premier acte de poursuite en juillet 2000.
TGI Paris, 30 avril 1997
Résumé : La diffusion de propos diffamatoires sur le réseau Internet, à destination d'un nombre indéterminé de personnes nullement liées par une communauté d'intérêts, constitue un acte de publicité commis dès que l'information a été mise à la disposition des utilisateurs éventuels du site. La prescription de l'action en diffamation ayant comme point de départ, non le jour où les faits ont été constatés mais le jour du premier acte de publication, est irrecevable la demande formée par assignation du 11 avril 1997 alors que l'information litigieuse a été diffusée sur Internet le 12 novembre 1996.
L'article 6-V de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, tel qu'il résulte de la décision du Conseil constitutionnel, confirme cette interprétation.
Toutefois, sur un point, le législateur a réussi à infléchir le droit spécial en matière de prescription. Il a fait une exception pour les messages racistes ou xénophobes. La loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité a inséré un article 65-3 dans la loi de 1881 : « Pour les délits prévus par le huitième alinéa de l'article 24, l'article 24 bis, le deuxième alinéa de l'article 32 et le troisième alinéa de l'article 33, le délai de prescription prévu par l'article 65 est porté à un an »
.
Cette particularité se justifie par la nature des infractions visées.
Sont, en effet, concernés les messages racistes ou xénophobes auxquels la communication en ligne est particulièrement sensible. Le 8e alinéa de l'article 24 sanctionne « ceux [...] qui auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine, ou de leur appartenance ou non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée »
.
L'article 24 bis réprime la contestation de crime contre l'humanité.
Les articles 32, alinéa 2 et 33, alinéa 3, incriminent la diffamation et l'injure commises à l'égard de personnes ou de groupes de personnes « à raison de leur origine, ou de leur appartenance ou de leur non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée »
.
L'article 65-3de la loi de 1881 n'est pas visé par l'article 6-V de la loi du 21 juin 2004. Dès lors, la Cour d'appel de Paris a jugé que cet article, modifié par l'article 45 de la loi du 9 mars 2004, concerne exclusivement des délits de presse, limitativement énumérés, et non les contraventions, en particulier l'injure raciale non publique (CA Paris, 11e ch. A, 27 juin 2005). Pourtant la Cour de cassation considère que les contraventions de diffamation ou d'injure raciale non publiques sont régies par les dispositions particulières de procédure édictées par la loi sur la liberté de la presse (Cass. crim., 11 juin 2003). Et il est de jurisprudence constante que ces infractions se prescrivent par trois mois (Cass. crim., 11 mars 2003[2]).
Sont des contraventions, les infractions non publiques suivantes : diffamations et injures à caractère racial et discriminatoire ou non, provocations à la discrimination, à la haine ou à la violence qui font l'objet de poursuites sur la base des articles R. 621-1, R. 621-2, R. 624-3, R. 624-4 et R. 625-7 du Code pénal. Dès lors que la condition de publicité n'est pas réalisée dans le cadre de l'intranet ou du courrier électronique, par exemple, des contraventions non publiques peuvent être commises par la voie de la communication électronique.
Il ne faut, toutefois, pas oublié que le législateur vise le cas particulier de la présomption d'innocence aux articles 65-1 et 65-2 de la loi de 1881.
Art. 65-1 L. 1881 : « Les actions fondées sur une atteinte au respect de la présomption d'innocence commise par l'un des moyens visés à l'article 23 se prescriront après trois mois révolus à compter du jour de l'acte de publicité »
.
Art. 65-2 L. 1881 : « En cas d'imputation portant sur un fait susceptible de revêtir une qualification pénale, le délai de prescription prévu par l'article 65 est réouvert ou court à nouveau, au profit de la personne visée, à compter du jour où est devenue définitivement une décision pénale intervenue sur ces faits et ne la mettant pas en cause »
.
Parmi les moyens de l'article 23 figure la communication au public par voie électronique.
La chambre criminelle a rappelé le principe en constatant l'acquisition de la prescription de la contravention d'injure raciale non publique après trois mois révolus (Crim. 23 mai 2006).
Cass. crim., 23 mai 2006
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 591 du Code de procédure pénale, 65 et 65-3 de la loi du 29 juillet 1881[1] ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que le procureur de la République a fait citer Didier V. W. devant le tribunal de police du chef d'injure raciale non publique en raison de paroles adressées à Eleuthère D. M. ; que le tribunal de police a, par jugement en date du 11 mars 2005, constaté l'extinction de l'action publique par la prescription au motif que plus de trois mois s'étaient écoulés entre les réquisitions aux fins d'enquête et la citation ; que le procureur de la République a interjeté appel de cette décision ;
Attendu qu'après avoir relevé, à l'inverse de la décision entreprise, que des actes d'enquête avaient interrompu la prescription, l'arrêt attaqué retient néanmoins que l'action publique est éteinte, plus de trois mois s'étant écoulés entre le jugement et la citation devant la cour d'appel ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, le juge du second degré a fait l'exacte application de la loi ;
Qu'en effet, les dispositions de l'article 45 de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant à un an le délai de prescription fixé par l'article 65-3 de la loi du 29 juillet 1881 ne sont applicables qu'aux seuls délits prévus par le huitième alinéa de l'article 24, l'article 24 bis, le deuxième alinéa de l'article 32 et le troisième alinéa de l'article 33 de ladite loi ;
D'où il suit que le moyen qui allègue à tort que ces dispositions sont applicables à la contravention d'injure raciale non publique ne saurait être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Rejette le pourvoi ;
2. Le point de départ du délai de prescription
Le point de départ de délai de prescription de l'action publique varie selon la nature de l'infraction en cause. Il est, par conséquent, essentiel de déterminer préalablement cette nature.
La Cour de cassation a été amenée à se prononcer sur l'application de ces délais de prescription aux infractions de presse commises sur internet, mettant ainsi fin à un conflit entre juridictions du fond.
La Cour d'appel de Paris, dans une décision du 15 décembre 1999[3], précise « qu'en choisissant de maintenir accessibles sur son site les textes en cause à la date où il a été constaté que ceux-ci y figuraient, le prévenu a procédé à une nouvelle publication ce jour-là et s'est exposé à ce que le délai de prescription de trois mois coure à nouveau à compter de cette date »
.
Le tribunal de grande instance de Paris a considéré que « le délit que la publication ininterrompue sur internet est susceptible de constituer, revêt le caractère d'une infraction successive, assimilée par la doctrine à l'infraction continue ; le point de départ de la prescription se situe au jour où l'activité délictueuse a cessé »
(TGI Paris, 6 décembre 2000).
Jugement rendu par Tribunal de grande instance de Paris 17e ch. - 6 décembre 2000
Sommaire : En matière de presse écrite, tout délit résultant d'une publication est réputé commis le jour où l'écrit est porté à la connaissance du public et mis à sa disposition car c'est par cette publication que se consomme l'infraction pouvant résulter d'un tel écrit ; il importe peu que cette infraction, instantanée, produise des effets délictueux qui se prolongent dans le temps par la seule force des choses (l'offre d'un livre en librairie, le maintien d'un hebdomadaire ou d'un mensuel en kiosque), dès lors que cette situation ne résulte pas d'une manifestation renouvelée de la volonté de son auteur ; au contraire, les caractéristiques techniques spécifiques du mode de communication par le réseau internet transforment l'acte de publication en une action inscrite dans la durée qui résulte alors de la volonté réitérée de l'émetteur de placer un message sur un site, de l'y maintenir, de le modifier ou de l'en retirer quand bon lui semble et sans contrainte particulière ; en conséquence, le délit que cette publication ininterrompue est susceptible de constituer revêt le caractère d'une infraction successive, définie comme celle qui se perpétue par un renouvellement constant de la volonté pénale de son auteur et assimilée, quant à son régime juridique, à l'infraction continue ; le point de départ de la prescription se situe donc au jour où l'activité délictueuse cesse.
La chambre criminelle de la Cour de cassation a affirmé que la violation de l'article L. 3511-3 du Code de la santé publique relatif à l'interdiction de toute propagande ou publicité, directe ou indirecte, en faveur du tabac, constitue, quel qu'en soit le support, une infraction continue qui se poursuit tant que le message litigieux reste accessible au public (Crim. 17 janvier 2006).
Cass. crim., 17 janv. 2006
La violation de l'article L. 3511-3 du Code de la santé publique relatif à l'interdiction de toute propagande ou publicité, directe ou indirecte, en faveur du tabac constitue, quel qu'en soit le support, une infraction continue qui se poursuit tant que le message litigieux reste accessible au public.
Texte :
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 65 de la loi du 29 juillet 1881, 121-1 du Code de la consommation, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
en ce que l'arrêt attaqué a déclaré que la prescription de l'action publique pour propagande ou publicité directe ou indirecte en faveur du tabac n'est pas acquise par Jean-Paul K. ;
aux motifs que, le 3 avril 2003, figuraient, sur le site Internet l'Amateur de cigare, diverses indications constituant des indices graves et concordants rendant vraisemblable que Jean-Paul K. ait pu participer comme auteur ou complice au délit de propagande ou publicité directe ou indirecte en faveur du tabac ; qu'à la date de la plainte, la prescription de l'action publique n'était pas acquise puisque les indications litigieuses figuraient toujours sur le site Internet le 3 avril 2003, soit moins de trois ans avant cette date ; que le fait que cette annonce ait été publiée pour la première fois sur Internet plus de trois ans auparavant n'a pas pour conséquence que l'infraction ne s'est pas poursuivie après cette date ; que la date retenue pour fixer le début du délai de prescription sur l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse n'a pas de raison de s'appliquer hors de son domaine, comme en l'espèce, en matière de publicité ou propagande en faveur du tabac ; que, d'ailleurs, contrairement aux affirmations du mémoire mis en examen, la Cour de cassation n'a pas dit, dans son arrêt du 14 décembre 1994, que la publicité fausse ou de nature à induire en erreur constituait une infraction unique ;
alors que le point de départ du délai de prescription, lorsqu'une infraction fait l'objet d'une publication continue sur Internet, est le jour du premier acte de la publication ; qu'en l'espèce, il est acquis aux débats que la publication des pages litigieuses a été inscrite, pour la dernière, en avril 2001 et que l'acte introductif de l'action publique est la plainte avec constitution de partie civile déposée le 22 juin 2004 ; qu'il s'est donc écoulé plus de trois ans entre la mise en ligne et le déclenchement de l'action publique ; qu'en déclarant que l'action n'était pas prescrite à l'encontre de Jean-Paul K., la chambre de l'instruction a violé les textes susvisés » ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt et des pièces de la procédure que l'association « Les droits des non-fumeurs » a porté plainte et s'est constituée partie civile, le 18 juin 2004, contre Jean-Paul K., gérant de la société « L'amateur de cigare », à la suite de la mise en ligne, sur le site Internet de celle-ci, d'une page pouvant caractériser le délit de publicité en faveur du tabac ;
Attendu que Jean-Paul K., mis en examen, a excipé de la prescription de l'action publique en faisant valoir que la publication litigieuse était accessible aux internautes antérieurement au 11 avril 2001 ;
Attendu que, pour infirmer l'ordonnance du juge d'instruction ayant fait droit à cette exception, l'arrêt retient que les indications litigieuses figuraient toujours sur le site de L'amateur de cigare à la date du 3 avril 2003, soit moins de trois ans avant l'engagement de la poursuite ;
Attendu qu'en statuant ainsi, la chambre de l'instruction a justifié sa décision ;
Qu'en effet, à la supposer établie, la violation de l'article L. 3511-3 du Code de la santé publique relatif à l'interdiction de toute propagande ou publicité, directe ou indirecte, en faveur du tabac constitue, quel qu'en soit le support, une infraction continue qui se poursuit tant que le message litigieux reste accessible au public ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
L'infraction de publicité portée par l'article L. 3511-3 du Code de la santé publique relatif à l'interdiction de toute propagande ou publicité, directe ou indirecte, en faveur du tabac se prescrit, selon la Haute juridiction, à partir du moment où le message litigieux n'est plus accessible au public.
On peut considérer qu'il y a confusion entre les éléments constitutifs de l'infraction et les effets de l'infraction, comme l'avait relevé le Professeur Mayaud à propos de la prescription de l'abus de biens sociaux. En effet, le fait que le contenu reste accessible n'a rien à voir avec la matérialité de l'acte, à savoir le caractère instantané de la publication sur internet.
Mais, cette solution retenue par la jurisprudence pour l'infraction de publicité en faveur du tabac qui n'est pas une infraction de presse, n'a pas nécessairement à être transposée aux infractions de presse.
Attention :
Justement, en ce qui concerne les infractions de presse, d'autres juridictions ont, au contraire, retenu la thèse de l'infraction instantanée en se fondant sur le fait que « la diffusion de propos diffamatoires sur le réseau internet, à destination d'un nombre indéterminé de personnes nullement liées par une communauté d'intérêts, constitue un acte de publicité commis dès que l'information a été mise à la disposition des utilisateurs éventuels du site »
(TGI Paris, ordonnance de référé, 30 avril 1997). C'est cette thèse de l'infraction instantanée que la Cour de cassation a finalement consacrée.
Crim. 30 janvier 2001[4] confirmé par Crim. 16 octobre 2001 et Crim. 27 novembre 2001 : « Lorsque des poursuites pour diffamation et injures publiques sont engagées à raison de la diffusion, sur le réseau internet d'un message figurant sur un site, le point de départ du délai de prescription de l'action publique doit être fixé à la date du premier acte de publication ; cette date est celle à laquelle le message a été mis pour la première fois à la disposition des utilisateurs du réseau »
.
Crim. 16 octobre 2001
Sommaire : Lorsque des poursuites pour diffamation et injures publiques sont engagées à raison de la diffusion, sur le réseau internet, d'un message figurant sur un site, le point de départ du délai de prescription de l'action publique prévu par l'art. 65 de la loi du 29 juill. 1881 doit être fixé à la date du premier acte de publication ; cette date est celle à laquelle le message a été mis pour la première fois à la disposition des utilisateurs du réseau.
Crim. 27 novembre 2001
Sommaire : Lorsque les poursuites pour l'une des infractions prévues par la loi du 29 juill. 1881 sont engagées à raison de la diffusion, sur le réseau internet, d'un message figurant sur un site, le point de départ du délai de prescription de l'action publique prévu par l'art. 65 de la loi précitée doit être fixé à la date du premier acte de publication ;
Cette date est celle à laquelle le message a été mis pour la première fois à la disposition des utilisateurs.
La cour de cassation a étendu cette règle à l'ensemble des infractions prévues par la loi de 1881 (Crim. 19 septembre 2006). Ce principe posé par la chambre criminelle a reçu des applications par les juges du fond.
La cour d'appel de Paris insiste sur la difficulté qu'il y a à déterminer le point de départ de la prescription, autrement dit, la date exacte de la première mise à disposition (CA Paris, 2 mars 2005).
CA Paris 2 mars 2005
Sommaire : Les nouvelles modalités de commercialisation d'un même support (passage de la location à la vente) ne constituent pas une nouvelle mise à disposition du public et ne peuvent donc faire courir à nouveau la prescription de l'action publique (1re esp.). En matière de poursuites pour l'une des infractions prévues par la loi du 29 juillet 1881[1], engagées à raison de la diffusion, sur le réseau Internet, d'un message figurant sur un site, le point de départ du délai de prescription de l'action publique prévu par l'article 65 de la loi précitée, est fixé à la date du premier acte de publication, c'est-à-dire celle à laquelle le message a été mis pour la première fois à la disposition des utilisateurs du réseau (2e esp.).
CA Paris, 11e ch. A, 24 nov. 2004, G. de Maistre c/ Assoc. Front national, Jean-Marie Le Pen
Au fond,
Considérant que le tribunal de grande instance a exactement et complètement rapporté la procédure, la prévention et les faits de la cause dans un exposé auquel la cour se réfère expressément ;
Qu'il suffit de rappeler que Jean-Marie Le Pen et le Front national ont, par citation directe du 9 avril 2003, assigné Gilles de Maistre pour diffamation publique envers un particulier à la suite de la mise en vente, sous forme de vidéos cassettes et de vidéodisques, du film « Féroce »
le 12 février 2003 et que les premiers juges ont déclaré l'action publique prescrite, en application de l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881[1] modifiée, du fait que ces vidéos cassettes et vidéodisques étaient disponibles depuis le 18 décembre 2002 sous la forme de la location ; que les parties civiles n'avaient pas agi en diffamation lors de la sortie du film au printemps 2002 ni lorsqu'il a été diffusé sur la chaîne Canal + ;
Considérant que les parties civiles soutiennent, à l'appui de leur appel tendant à voir rejeter l'exception de prescription, que la volonté de toucher un nouveau public et d'élargir le cercle de la diffusion est avérée dans la mesure où la vente de ces vidéos cassettes et vidéodisques a pour objectif de toucher un public autre que celui qui est allé voir le film lors de sa diffusion en salles ou l'a vu au moyen de la location ; il s'est donc agi d'un nouveau moyen de diffusion et d'un nouveau vecteur de mise à disposition du public, assimilable à la réimpression ou à la réédition, faisant courir à nouveau le délai de prescription abrégée à compter du 12 février 2003 ;
Mais considérant que les premiers juges ont, à bon droit et par des motifs pertinents que la Cour adopte, décidé que le nouveau délai de prescription devait courir à compter du 18 décembre 2002, c'est-à-dire à compter de la mise en location des vidéos cassettes et vidéodisques ;
Qu'ainsi, il suffit pour la cour d'observer que :
Il n'est pas invoqué, a fortiori pas démontré, que les vidéos cassettes et vidéodisques mis à la vente résulteraient d'une nouvelle production ou d'une nouvelle fabrication ; il ne s'agit donc pas ni d'un nouveau tirage, ni d'une nouvelle production de ces supports qui pourraient, le cas échéant, être assimilés à une réédition ou à une réimpression ;
Les nouvelles modalités de commercialisation d'un même support ne constituent pas une nouvelle mise à disposition du public et ne peuvent donc faire courir à nouveau le point de départ de la prescription (sic) ;
Il importe peu que le public ait été élargi, à supposer que tel ait été le cas, ce qui n'est pas démontré ;
Considérant, dès lors, que la décision des premiers juges sera confirmée ;
(...)
Par ces motifs
La cour,
Statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Reçoit l'appel des parties civiles,
Confirme la décision déférée,
Rejette toutes autres demandes
CA Paris, 11e ch. A, 2 mars 2005, Yann D.-N.
Décision
Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,
Le 7 mai 2003, un courrier anonyme signalant la présence d'un site Internet à l'adresse http://www.lasecte.fr.st ou http.//www.la-secte.org ou http://sitedelasecte.free.fr contenant « des propos odieusement antisémites »
a été adressé au parquet de Paris. Sur réquisitions prises par le procureur, qualifiant les propos de diffamation publique à caractère raciste et injures publiques à caractère raciste, une enquête a été menée qui a conduit à déterminer le mode d'accès aux pages litigieuses et à identifier l'animateur du site en la personne de Yann D.-N., mais, en revanche, n'a pas permis de déterminer avec certitude la date de mise en ligne des propos dénoncés.
Entendu, Y. D.-N. a reconnu être l'auteur du site consistant, selon ses dires, à mettre en ligne des extraits de messages postés par un certain <gaby>, internaute raciste et antisémite intervenant sur divers forums de discussion, suivis d'un commentaire tendant à les ridiculiser ; il a précisé avoir mis ces extraits, trouvés sur Internet, sur son site « obelix »
en 2001 et avoir ouvert le site de « la secte »
fin février 2003, sans être sûr de la date.
Devant la Cour,
-- Yann D.-N., appelant à titre principal, conclut à la prescription de l'action faisant valoir, d'une part que le procès-verbal n° 2003/00372/001 du 16 juin 2003 est nul faute de mentionner les articles de la loi du 29 juillet 1881[1] applicables en l'espèce, d'autre part que la date de mise en ligne se situe entre janvier et février 2003 soit plus de trois mois avant le 16 juin 2003, date du premier acte de procédure ; subsidiairement, il conclut à sa relaxe en l'absence d'élément moral des infractions.
-- M. l'avocat général requiert le rejet de l'exception de prescription soulevée, Yann D.-N. ne rapportant pas la preuve de la date à laquelle les messages poursuivis ont été mis en ligne, peu important la date d'ouverture du site et, au fond, la confirmation du jugement.
Sur ce
L'appel formé par Yann D.-N. est régulier et recevable en la forme.
En matière de poursuites pour l'une des infractions prévues par la loi du 29 juillet 1881[1], engagées à raison de la diffusion, sur le réseau Internet, d'un message figurant sur un site, le point de départ du délai de prescription de l'action publique prévu par l'article 65 de la loi précitée, est fixé à la date du premier acte de publication, c'est-à-dire celle à laquelle le message a été mis pour la première fois à la disposition des utilisateurs du réseau.
En l'espèce, l'enquête n'a pas permis de déterminer avec certitude la date de mise en ligne des messages poursuivis, le fournisseur d'accès n'ayant pu répondre à la réquisition des services de police sauf à dire que Yann D.-N. est inscrit aux services de Free depuis le 13 avril 2001 ; elle a néanmoins établi que la mise en ligne est antérieure au 25 mars 2003 et qu'aucune modification n'est intervenue postérieurement à cette date. Dans son audition à la police Yann D.-N. a admis avoir réalisé la mise en ligne fin février 2003 et des attestations versées aux débats ainsi que des témoignages recueillis à l'audience tendant à démontrer que le site litigieux a été mis à disposition des internautes dès le mois de janvier 2003.
Ces témoignages et déclarations de Yann D.-N. n'étant combattus par aucune preuve contraire, il doit être considéré que les messages poursuivis ont été mis en ligne au plus tard fin février 2003 sans modification ultérieure. Or, le premier acte de poursuite, consistant non pas dans le premier procès-verbal de police daté du 16 juin 2003 comme l'indique à tort la défense mais dans les réquisitions du parquet de Paris, au demeurant régulières en la forme au regard de l'article 50 de la loi du 29 juillet 1881[1], est daté du 2 juin 2003 et non du 7 avril 2003 comme retenu par le tribunal suite à une erreur de lecture de date des deuxièmes réquisitions du parquet (7 août 2003).
Plus de trois mois s'étant écoulés entre la mise en ligne et le premier acte interruptif de prescription, celle-ci est acquise et, par voie de conséquence, l'extinction de l'action publique sera constatée.
Par ces motifs
La cour, statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Reçoit l'appel de Yann D.-N.,
Infirme le jugement,
Constate l'extinction de l'action publique par l'effet de la prescription.
Cette interprétation de l'article 65 de la loi de 1881 semble conforme aux règles inscrites dans les articles 7, 8 et 9 du Code de procédure pénale qui font référence au jour de la commission des faits punissables.
Appliqué à internet, ce jour de la commission des infractions est le jour de publication du contenu illicite, de la mise à disposition du public de ce contenu illicite.
Puis, dans une affaire d'injure et de diffamation publiques, la Cour de cassation, a réaffirmé sa position, en refusant d'assimiler la modification du site qui hébergeait le contenu illicite à la modification du contenu illicite lui-même (Crim. 19 septembre 2006).
En conclusion, la Cour de cassation retient la date à laquelle le message illicite a été mis à la disposition du public pour la première fois comme point de départ du délai de prescription, afin de ne pas tomber dans le piège de la mise à jour du site qui ferait des infractions sur internet des infractions continues.
Pourtant, de nombreuses applications extensives du principe posé en 2001 ont tenté d'orienter le juge sur la thèse de l'infraction continue, en considérant notamment que chaque mise à jour du site internet constituait une réédition du site, entraînant un nouveau point de départ de la prescription.
Le tribunal de grande instance de Paris a retenu que « chaque mise à jour de ce site constitue une infraction nouvelle. En conséquence, chaque nouvelle mise à disposition d'objets aux internautes fait courir un nouveau délai de prescription »
(TGI Paris, 26 février 2002).
Dans le même sens, la cour d'appel de Nancy a retenu une interprétation large de la notion de mise à disposition du public en énonçant que « chaque mise à jour d'un site internet constitue une réédition, en ce qu'elle participe d'un nouveau choix rédactionnel, et caractérise donc un nouvel acte de publication fixant en conséquence un nouveau point de départ de la prescription »
(CA Nancy, 24 novembre 2005).
CA Nancy, 4e ch. des appels corr., 24 nov. 2005, Fabrice R. c/ Min. public, Alain B.
Sur l'exception de prescription :
Aux termes de l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881[1], l'action publique et l'action civile résultant des crimes, délits et contraventions se prescrivent en matière de presse, après trois mois révolus, à compter du jour où ils ont été commis, soit du jour de la publication de l'écrit poursuivi.
M. R. soutient que l'infraction est prescrite, le point de départ de la prescription abrégée étant constitué par la première mise à disposition du public par le réseau internet ; selon lui, la première diffusion du texte mettant en cause le proviseur du lycée de... date d'octobre 2002 de sorte que les faits reprochés sont prescrits.
Il est acquis qu'en matière d'écrit sur support traditionnel papier, la réédition d'un ouvrage constitue un nouvel acte de publication.
Il doit être considéré que chaque mise à jour d'un site internet constitue une réédition, en ce qu'elle participe d'un nouveau choix rédactionnel, et caractérise donc un nouvel acte de publication fixant en conséquence un nouveau point de départ de la prescription.
Il ressort des investigations des enquêteurs relatives à l'analyse du site litigieux [ ... ] que, sur la période du 9 décembre 2004 au 2 mai 2005, aucun article n'a été publié, la dernière mise à jour du site avant le dépôt de plainte de M. R., enregistré le 22 février 2005 au parquet de Nancy, datant du 9 décembre 2004 et correspondant à la publication sur le site à la rubrique « communiqués »
d'un article intitulé : « Quand TF1 se prend pour France 2 »
le contenu de cet article faisant référence à un reportage sur les jeunesses identitaires paru au journal de 20h de la chaîne. Le dépôt de plainte du 22 février 2005 a donc été enregistré moins de trois ans après la date de la dernière mise à jour du site.
C'est par conséquent à juste titre, et par des motifs pertinents que la cour adopte, que les premiers juges ont retenu que l'action publique concernant les infractions d'injure publique et de diffamation n'était pas prescrite.
Le jugement doit donc être confirmé sur ce point.
Cet arrêt a été cassé car toute modification du contenu du site ne caractérise pas pour autant une nouvelle publication (Crim, 19 septembre 2009).
Cass. crim., 19 sept. 2006, F-D, Fabrice X. c/ Alain Y.
Les moyens étant réunis ;
Vu l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 ;
Attendu que, lorsque des poursuites pour l'une des infractions prévues par la loi précitée sont engagées à raison de la diffusion, sur le réseau internet, d'un message figurant sur un site, le point de départ du délai de prescription de l'action publique et de l'action civile prévu par l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 doit être fixé à la date du premier acte de publication ; que cette date est celle à laquelle le message a été mis pour la première fois à la disposition des utilisateurs ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que Fabrice X... a été poursuivi des chefs d'injures et de diffamation publique envers un particulier à la suite de la diffusion sur le site internet « jeunesses identitaires.com »
, au mois de janvier 2005, d'un texte mettant en cause le proviseur du lycée Majorelle de Toul ; que le prévenu a soutenu que les infractions poursuivies étaient prescrites au sens de l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881, la première diffusion du texte litigieux étant intervenue au mois d'octobre 2002 ;
Attendu que, pour confirmer le jugement qui avait rejeté l'exception soulevée par le prévenu, l'arrêt énonce que le dépôt de plainte de la partie civile, Alain Y., a été enregistré le 22 février 2005, soit moins de trois mois avant la dernière mise à jour du site concerné, opérée le 9 décembre 2004, par la publication, à la rubrique « Communiqués »
, d'un article dont le contenu faisait référence à un reportage relatif aux « jeunesses identitaires »
;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue tant sur l'action publique que sur l'action civile ; qu'elle aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du Code de l'organisation judiciaire ;
Décision
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens de cassation proposés ;
Casse et annule, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Nancy, en date du 24 septembre 2005 ;
Constate que l'extinction de l'action publique et de l'action civile ;
Dit n'y avoir lieu à renvoi ;
Les décisions jurisprudentielles mettent en exergue la difficulté à déterminer les modifications susceptibles de constituer de nouvelles publications, qu'il s'agisse d'une modification du message (TGI Paris, 26 février 2002) ou d'une modification du site (CA Nancy, 24 novembre 2005).
Concernant la modification du message, devrait être retenue l'existence d'une nouvelle publication lorsque, sur un site de vente aux enchères, est proposé un nouvel objet. Dans le cadre de l'intervention des internautes sur un forum de discussion, les modifications apportées par un internaute devraient, elles aussi, être considérées comme une nouvelle publication.
Concernant la modification du site, la simple modification de forme qui consisterait, par exemple, à opérer un changement de page, sans modification du contenu de l'article, ne doit pas être considérée comme une nouvelle publication. En revanche, la modification de fond comparable à la réédition d'un écrit devrait être considérée comme une nouvelle publication, d'autant que cette nouvelle version du site peut s'adresser à un nouveau public.
La cour d'appel de Paris a suivi cette analyse dans l'hypothèse d'un simple changement de l'adresse web du site (CA Paris, 29 janvier 2004), contrairement à la modification de la page du site, non constitutive, elle, d'une nouvelle publication (TGI Paris, 21 février 2005[5]).
Jurisprudence :
CA Paris, 11e ch. A, 17 mars 2004[6], T. K., Yahoo ! INC c/ Assoc. amicale des déportés d'Auschwitz et des Camps de Haute Silésie, MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples)
En revanche, la jurisprudence et la doctrine sont assez unanimes pour refuser l'assimilation à une réédition, le passage d'un site payant à un site gratuit ou vice versa, et préfèrent y voir, à juste titre, un simple choix de politique commerciale (TGI Paris, 6 septembre 2004).
Enfin, l'actualisation d'un site internet n'interrompt pas la prescription des actions prévues par la loi sur la presse (Crim. 19 septembre 2006).