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Jurisprudence

FAITS

La société Flach Film est une société indépendante de production de films cinématographiques de long-métrage et de documentaires créée en 1983.

Au cours de l’année 2003, la société Flach Film a produit un film intitulé Le monde selon Bush, ci-après, le Film, documentaire de création réalisé par William K. qu’il a co-écrit en collaboration avec Eric L. d’après les ouvrages de ce dernier « La guerre des Bush » et « Le monde secret de Bush », édités aux Editions Plon. Le Film a été diffusé sur la chaîne de télévision publique France 2 le 18 juin 2004.

Par contrat d’édition vidéographique en date du 31 mai 2004, la société Editions Montparnasse s’est vue confier la distribution du film sous forme de vidéogrammes et par Vidéo On Demand (VOD) pour les territoires de la France, Belgique, Andorre, Monaco, Luxembourg et Suisse. Elle distribue ainsi le Film depuis le 1er juillet 2004 et le propose également au public par VOD achat et VOD location directement accessible sur le site http://www.editionsmontparnasse.

Il a été constaté la présence sur le site www.video.google.fr édité par les sociétés Google France et Google Inc de trois liens permettant à l’internaute sur un simple clic d’avoir accès gratuitement, en flux continu (streaming) ou sous forme de téléchargement, au film « Le monde selon Bush » dans son intégralité.

A la suite d’un courrier des Editions Montparnasse en date du 6 octobre 2006 demandant le retrait immédiat du site Google Vidéo des éléments contrefaisants, les sociétés Google ont déclaré par courrier du 10 octobre 2006 avoir supprimé de l’index Google Vidéo ces liens.

Flach Film et Editions Montparnasse poursuivent devant ce tribunal Google France et Google Inc en contrefaçon et demandent des dommages et intérêts.

La Chambre Syndicale des Producteurs de Films (CSPF) devenue l’Association des Producteurs de Cinéma (APC) et l’union Syndicale de la Production Audiovisuelle (U.S.P.A), se sont portés intervenants volontaires au soutien des demanderesses. L’Association des Fournisseurs d’Accès et de Services Internet, (AFA) s’est portée intervenante volontaire au soutien des défenderesses.

PROCEDURE

Par assignation du 20 novembre 2006 et par conclusions récapitulatives et par conclusions additionnelles et responsives des 16 mai, 17 octobre et 19 décembre 2007, Flach Film, et Editions Montparnasse, dans le dernier état de leurs écritures et déclarations, demandent au Tribunal de :
- Dire qu’en reproduisant et en représentant sans autorisation préalable et expresse le film intitulé « Le monde selon Bush », Google Inc et Google France ont commis des actes de contrefaçon au sens des articles L.122-4 et L. 335-2 du Code de la propriété intellectuelle et ont en conséquence engagé leur responsabilité civile in solidum envers les demanderesses,
- Condamner Google Inc et Google France in solidum à verser à la société Editions Montparnasse la somme de 600 000 € à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice patrimonial subi du fait de l’exploitation contrefaisante du film « Le monde selon Bush », sauf à parfaire lorsque les défenderesses auront communiqué les chiffres certifiés de connexions (streaming et téléchargement) audit film, les sociétés Flach Film et Editions Montparnasse faisant leur affaire de la répartition entre elles de ces indemnités.
- Condamner Google Inc et Google France in solidum à verser à la société Flach Film la somme de 250 000 € à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice résultant des actes, de parasitisme dont la société Flach Film a été la victime,
- Condamner Google Inc et Google France in solidum à verser à Flach Film et à Editions Montparnasse la somme de 100 000 € chacune à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice professionnel et d’image subi du fait des agissements dénoncés,
- Faire interdiction à Google Inc et Google France de communiquer au public et/ou de reproduire tout ou partie du Film sur le site Google Video France ou sur tout autre site de même nature et sous leur contrôle, et ce sous astreinte de 1500 €, par infraction constatée à compter de la décision à intervenir,
- Ordonner la publication du dispositif de la décision à intervenir pendant 30 jours consécutifs à compter du prononcé de la décision, en partie supérieure de la page d’accueil du moteur de recherche Google et du site Google Video France, dans un format correspondant à au moins ¼ de page et dans des conditions de lisibilité optimales ;
- Ordonner la publication de la décision à intervenir sous forme d’un communiqué, dans tous journaux, magazines ou périodiques nationaux et/ou internationaux au choix des demanderesses et aux frais in solidum des sociétés défenderesses, sans que le coût total de ces publications puisse excéder la somme de 35 000 € H.T.
- Ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir nonobstant toute voie de recours,
- Condamner Google Inc et Google France in solidum à payer à la société Flach Film la somme de 40 000 € au titre de l’article 700 du ncpc et en tous les dépens y compris les frais de constat engagés par la demanderesse.

Par conclusions d’intervention volontaire du 21 février 2007 et par conclusions récapitulatives et responsives des 16 mai et 17 octobre 2007, l’Union Syndicale de la Production Audiovisuelle (U.S.P.A), dans le dernier état de ses écritures et déclarations, demande au tribunal de :
- Lui donner acte de son intervention volontaire, et de l’y dire recevable,
- Condamner in solidum Google Inc et Google France, en leurs qualités d’éditeur de contenu et de fournisseur d’hébergement, à réparer l’atteinte portée à l’encontre de l’intérêt collectif des producteurs audiovisuels et à lui verser, la somme de 30 000 € à titre de dommages intérêts,
- Ordonner la publication de la décision à intervenir sous forme de communiqués dans trois journaux français ou étrangers, au choix des demanderesses et aux frais de Google Inc et Google France, sans que le coût de chaque publication ne puisse excéder la somme de 10 000 € HT, ainsi que la publication du dispositif du jugement en partie supérieure de la première page du site internet http://video.google.fr/ ainsi que sur celle du site internet : http://www.google.fr/iq?h I=fr,
- Ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir,
- Condamner in solidum Google Inc et Google France à lui payer à la somme de 10 000 € au titre des dispositions de l’article 700 du ncpc et aux entiers dépens.

Par conclusions d’intervention volontaire du 21 février 2007 et par conclusions récapitulatives et responsives des 16 mai 2007, la Chambre Syndicale des Producteurs de Films (CSPF) devenue par simple changement de dénomination l’Association des Producteurs de Cinéma (APC), dans le dernier état de ses écritures et déclarations, demande au tribunal de :
- Lui donner acte de son intervention volontaire, et de l’y dire recevable,
- Condamner solidairement Google Inc et Google France à lui verser la somme de 30 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé à l’intérêt collectif de la profession des producteurs d’oeuvres audiovisuelles qu’elle représente,
- Ordonner la publication, aux frais in solidum des sociétés défenderesses, du dispositif de la décision à intervenir pendant 30 jours consécutifs à compter du prononcé de la décision, en partie supérieure de la page d’accueil du moteur de recherche Google et du site Google Video France, dans un format correspondant à au moins ¼ de page et dans des conditions de lisibilité optimales,
- Ordonner la publication de la décision à intervenir sous forme d’un communiqué, dans tous journaux, magazines ou périodiques nationaux et/ou internationaux au choix des demanderesses et aux frais in solidum des sociétés défenderesses, sans que le coût total de ces publications puisse excéder la somme de 35 000 € H.T.
- Ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir nonobstant opposition à appel et ce, sans constitution de garantie,
- Condamner Google Inc et Google France in solidum à payer à Flach Film la somme de 15 000 € au titre de l’article 700 du ncpc et en tous les dépens.

Les sociétés Google Inc et Google France déposent des conclusions en réponse les 21 mars, 19 septembre et 14 novembre 2007, et dans le dernier état de leurs écritures et déclarations, demandent au tribunal de :
- Déclarer irrecevables et mal fondées les interventions volontaires de l’union Syndicale des Producteurs Audiovisuels et la Chambre Syndicale des Producteurs de Films,
- Débouter Flach Film et Editions Montparnasse ainsi que l’union Syndicale des Producteurs Audiovisuels et la Chambre Syndicale des Producteurs de Films de toutes leurs demandes, à l’encontre de, la société Google France,
- Dire que la responsabilité civile de la société Google Inc n’est pas engagée,

A titre subsidiaire, sur le préjudice :

A supposer que le Tribunal considère que la responsabilité de la société Google Inc est engagée au sens de la loi du 21 juin 2004, dire qu’elle ne saurait être condamnée à indemniser les demanderesses qu’à hauteur de la faute qu’elle a commise et ne saurait être condamnée à indemniser une quelconque atteinte aux droits d’auteur ou aux droits voisins des demanderesses,
- Débouter Flach Film et Editions Montparnasse ainsi que l’Union Syndicale des Producteurs Audiovisuels et la Chambre Syndicale des Producteurs de Films de toutes leurs demandes,
- Donner acte à la société Google Inc qu’elle s’engage, moyennant la fourniture préalable par les demanderesses de l’exemplaire de référence de l’oeuvre qu’elles revendiquent, à mettre en oeuvre de bonne foi les moyens technologiques dont elle disposera en matière de reconnaissance de contenus ("fingerprinting" ou « Vidéo Identification »), afin de prévenir la mise en ligne future sur le site Google Vidéo de copies non autorisées de cette oeuvre ;
- Condamner Flach Film et Editions Montparnasse ainsi que l’Union Syndicale des Producteurs Audiovisuels et la Chambre Syndicale des Producteurs de Films à verser aux sociétés Google Inc et Google France la somme de 50 000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile et aux dépens.

Par conclusions d’intervention volontaire, déposées à l’audience de plaidoirie du 19 décembre 2007, l’Association des fournisseurs d’accès et de services internet, ci-après l’AFA, demande au tribunal de la dire recevable et bien fondée en son intervention volontaire, de débouter Flach Film et Editions Montparnasse ainsi que l’Union syndicale des Producteurs Audiovisuels et l’Association des Producteurs de Cinéma de toutes leurs demandes, et de les condamner à lui verser la somme de 3500 € au titre de l’article 700 du ncpc, et aux entiers dépens.

Lors de l’audience collégiale de plaidoirie du 19 décembre 2007, Flach Film et Editions Montparnasse ainsi que l’Union Syndicale des Producteurs Audiovisuels et la Chambre Syndicale des Producteurs de Films se sont opposés à la recevabilité de l’intervention volontaire de l’Association des fournisseurs d’accès et de services internet en raison de son caractère tardif. Le tribunal a déclaré qu’il statuerait sur cette recevabilité en même temps que sur le fond.

Après avoir entendu les parties, le tribunal a mis l’affaire en délibéré et indiqué que le jugement correspondant serait prononcé le 20 février 2008.

Par courrier du 19 décembre 2007, Google Inc et Google France ont adressé une note en délibéré au tribunal, à laquelle Flach Film a elle-même répondu par une note en délibéré du 21 décembre 2007. Ces notes en délibéré n’ayant été ni sollicitées, ni autorisées seront écartées des débats.

MOYENS

A l’appui de ses demandes, Flach Film et Editions Montparnasse exposent :

Flach Film a la qualité de producteur du Film, oeuvre audiovisuelle, elle est détentrice des droits d’adaptation cinématographique et/ou télévisuelle des ouvrages de Monsieur Eric L., de ses droits patrimoniaux d’auteur relatifs à sa collaboration au Film, des droits d’auteur-réalisateur relatifs au Film de Monsieur William K., des droits voisins d’artistes-interprètes des comédiens qui ont interprété les voix et commentaires du Film, et est titulaire d’un droit voisin propre aux producteurs de vidéogrammes conformément aux dispositions de l’article L 215-1 du CPI.

Editions Montparnasse détient les droits d’exploitation pour distribuer le film sous forme de DVD et VOD.

Sur la responsabilité civile des sociétés Google

Google s’est rendue coupable d’actes de reproduction et de représentation non autorisés du Film en permettant aux internautes de télécharger vers les serveurs Google le Film, puis en leur offrant la possibilité d’accéder au Film gratuitement à partir du site Google Video France, et a engagé sa responsabilité civile à leur égard, sa bonne ou mauvaise foi étant indifférente,

Sur les arguments de Google

La responsabilité de Google pour contrefaçon est engagée indépendamment de celle des internautes,

Google France ne peut être mise hors de cause car, le site litigieux porte comme identité de l’éditeur du contenu, Google France et Google Inc, les rapports contractuels entre elles leur étant inopposables,

Les actes de parasitisme résultent de ce que Google, bénéficie indûment des investissements créatifs et financiers réalisés par les demanderesses car les contenus gratuits, le plus souvent amateurs mais également professionnels, comme le Film, drainent toujours plus d’internautes vers le site Google Video France, Google ne peut revendiquer à son profit le statut spécial d’hébergeur technique au titre du service Google Video France. Google n’est pas un simple prestataire d’hébergement mais intervient sur les contenus qu’elle fédère dans un cadre marchand, (elle prend le contrôle juridique des contenus aux termes des conditions générales, elle a un rôle actif dans leur traitement, et les exploite commercialement).

Leur préjudice résulte de la privation des rémunérations auxquelles elles auraient pu prétendre, du profit que les défenderesses tirent des investissements des demanderesses (parasitisme) et enfin de ce que leur image souffre de la banalisation due au passage sur ce site.

L’USPA expose :

Sur la recevabilité, elle est un syndicat représentant les intérêts des producteurs d’oeuvres audiovisuelles. Le droit commun consacre la recevabilité de l’action des syndicats. Le droit spécial de la propriété intellectuelle consacre expressément la recevabilité à agir des syndicats (article L. 331-1, alinéa 2, du Code de la propriété intellectuelle) Elle intervient au soutien de l’un de ses membres et défend l’intérêt collectif de la profession.

Sur le fond, elle reprend les moyens développés par les demanderesses.

Son préjudice résulte de l’atteinte subie par la profession.

La CSPF expose :

Sur la recevabilité, elle est un organisme professionnel qui regroupe 122 producteurs indépendants de films et qui sont des acteurs majeurs de la création audiovisuelle.

Elle est un syndicat français régulièrement constitué et à ce titre recevable à agir. Elle l’est aussi sur le fondement de l’article L. 331-1, alinéa 2, du Code de la propriété intellectuelle qui consacre expressément la recevabilité à agir des syndicats.

Sur le fond, elle reprend les moyens développés par les demanderesses et l’USPA.

Son préjudice est celui causé à l’ensemble de ses membres.

L’APA expose :

Sur la recevabilité, elle est une association loi 1901 qui représente des fournisseurs d’Accès et de Services Internet. La présente procédure concerne l’ensemble des fournisseurs de services internet qui ne peuvent intervenir que dans des conditions juridiques et techniques fondées et sécurisées. Elle est recevable à agir sur le fondement des articles 328 et suivants du ncpc.

Sur le fond, elle reprend les moyens développés par la défenderesse.

Google Inc et Google France font valoir :

A - Les interventions volontaires de l’USPA et de la CSPF sont irrecevables et mal fondées car la question de droit d’auteur n’est pas en jeu non plus qu’une quelconque décision de principe à trancher.

B - Google France doit être mise hors de cause, Google Inc est propriétaire de tous les sites, elle est l’éditeur du site litigieux, et Google France n’a pas le pouvoir de prendre un engagement au nom de Google Inc

C - La responsabilité de Google Inc dans le cadre de l’exploitation du service Google Vidéo doit être appréciée au regard de la loi du 21 juin 2004 dite Lcen sur la confiance dans l’économie numérique. A cet égard, i) la qualité de prestataire de stockage ne dépend pas de la nature des contenus hébergés, ii) le prestataire de stockage n’est pas personnellement à l’origine des contenus hébergés, iii) la qualité de prestataire de stockage doit s’apprécier au regard de chaque contenu litigieux et non au regard d’un service ou d’une activité dans son ensemble. Le prestataire peut exercer simultanément dans le même service la fonction d’hébergeur et d’éditeur. La qualification de prestataire de stockage n’exclut pas l’organisation du site, ni la fourniture de moyens, ni l’exploitation commerciale.

D - La responsabilité des prestataires de stockage selon la loi Lcen a comme conséquence que les prestataires de stockage ne sont pas tenus d’exercer un contrôle a priori du contenu librement mis en ligne par les internautes, mais qu’ils doivent retirer le contenu manifestement illicite à partir du moment où ils ont effectivement connaissance de ce caractère ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère. La prétendue surveillance qu’elle exerce ne peut être retenue pour soutenir qu’elle est tenue à cette obligation

E - La responsabilité de Google Inc dans le cadre de l’exploitation du moteur de recherches du service Google Vidéo ne saurait être engagée du seul fait de l’indexation automatique de sites tiers.

F - En tout état de cause, le préjudice invoqué n’est pas démontré.

DISCUSSION

Sur la demandé de mise hors de cause de Google France

Attendu que Google France figure aux cotés de Google Inc sous la rubrique « Identité de l’éditeur » du site litigieux, avec des coordonnées distinctes, que Google France assure un contact avec les utilisateurs français du site, qu’elle apparaît comme un acteur en France du fonctionnement du service Google Video France et participe ce faisant aux frais reprochés, le tribunal la déboutera de sa demande de mise hors de cause,

Sur la recevabilité des interventions volontaires

Attendu que l’USPA expose et justifie qu’elle est un syndicat, régulièrement constitué, représentant les intérêts des producteurs d’oeuvres audiovisuelles, qu’elle a statutairement pour objet de défendre les intérêts collectifs de ses membres notamment par des actions en justice, le tribunal dira qu’elle a un intérêt à agir et la dira recevable en son intervention volontaire,

Attendu que la CSPF nouvellement dénommée APC expose et justifie qu’elle est un organisme professionnel regroupant les intérêts des producteurs indépendants de films, qu’elle a statutairement pour objet de défendre les intérêts collectifs de ses membres notamment par des actions en justice, le tribunal dira qu’elle a un intérêt à agir et la dira recevable en son intervention volontaire,

Attendu que l’AFA expose et justifie qu’elle est une association loi 1901 représentant les fournisseurs d’Accès et de Services Internet, qu’elle a statutairement pour objet de défendre les intérêts collectifs de ses membres notamment par des actions en justice, que son intervention tardive puisqu’elle s’est constituée et a déposé ses écritures à l’audience de plaidoirie au cours de laquelle elle a développé contradictoirement ses moyens au reste peu différents de ceux développés par les défenderesses, n’a pas nui au respect du contradictoire, le tribunal dira qu’elle a un intérêt à agir et la dira recevable en son intervention volontaire,

Sur les demandes en principal

Sur la responsabilité de Google Inc et Google France

Attendu que les lois N° 86-1067 du 30 septembre 1986 et N° 2004-575 du 21 juin 2004 dite Lcen posent le principe que la communication au public par voie électronique est libre et que l’exercice de cette liberté ne peut être limité que dans des conditions très restrictives, que ce principe conduit le tribunal à privilégier le principe de la liberté de la communication électronique,

a) - Sur la qualité de Google Inc et Google France dans l’exploitation du service Google Vidéo

Attendu qu’il résulte des déclarations et des pièces produites par Google Inc et Google France :
- que le service Google Vidéo a pour objet de permettre à des fournisseurs de contenu de vidéos de les télécharger sur leur serveur en vue d’une diffusion au public,
- que les internautes choisissent eux-mêmes les contenus qu’ils décident de transmettre, qu’ils les classent eux-mêmes en fonction de leur nature et qu’ils définissent eux-mêmes les critères de diffusion,
- que l’internaute accédant au service doit accepter les conditions générales aux termes desquelles il déclare et garantit que le contenu n’enfreint les droits d’aucun tiers, notamment les droits de propriété intellectuelle et les droits patrimoniaux, et engage de ce fait sa responsabilité,

Qu’il en résulte que les internautes agissent sous leur propre responsabilité,

Attendu que le fait pour les défenderesses d’organiser la présentation du site, d’offrir aux internautes les moyens de classer et de présenter leurs vidéos, de subordonner le stockage de vidéos à l’acceptation de conditions générales ne leur confère pas le contrôle des contenus et des internautes,

Attendu en outre que Google Inc et Google France ne prennent aucune initiative dans le choix et la présentation des oeuvres, qu’il en résulte que Google Inc et Google France n’ont pas la qualité d’éditeur, et qu’elles agissent donc, en exploitant le service Google Vidéo, en qualité d’hébergeur,

b) - Sur la responsabilité de Google Inc et Google France en leur qualité d’hébergeur

Attendu que la responsabilité de Google Inc et Google France en leur qualité d’hébergeur doit être recherchée sur le fondement de la loi du 21 juin 2004 dite Lcen qui en son article 6-1-2 dispose que la responsabilité civile de l’hébergeur ne peut être engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services si l’hébergeur n’avait pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits ou circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où il en a eu cette connaissance, il a agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible,

Attendu que la limitation de la responsabilité de l’hébergeur ainsi instituée, qui ne s’applique que dans des cas limitativement énumérés, doit être interprétée restrictivement, afin notamment qu’il ne soit pas porté atteinte aux droits des tiers,

Attendu que si l’hébergeur n’est pas tenu à une obligation de surveillance générale, il est tenu à une obligation de surveillance, en quelque sorte particulière, à partir du moment où il a eu connaissance du caractère illicite du contenu,

Attendu qu’il résulte des faits,
- que par courrier du 6 octobre 2006, Editions Montparnasse ont demandé le retrait immédiat du site Google Vidéo des liens permettant à l’internaute d’avoir accès au Film, qu’à la suite de ce courrier, selon Google Inc et Google France les liens ont été supprimés, ainsi qu’elles déclarent l’avoir confirmé à Editions Montparnasse,
- que le constat établi à l’initiative de la CSPF le 17 octobre 2006 établit l’existence encore à cette date d’un des trois liens répertoriés le 9 octobre 2006 par un constat du 10 octobre 2006,
- que les constats des 7 novembre, 13 et 14 novembre 2006, 30 mars, 10 avril et 15 mai 2007 établissent que le Film était toujours accessible sur le site Google Vidéo à ces dates,

Attendu que, Google Inc et Google France ont été informées à la date du 6 octobre 2006 du caractère illicite de la diffusion du Film sur leur site Google Vidéo, qu’elles ont agi aussitôt promptement pour retirer - d’ailleurs partiellement - les liens litigieux, conformément aux dispositions précitées,

Attendu cependant qu’à compter de cette date il leur appartenait aussi de rendre l’accès au Film impossible, ce qui à l’évidence n’a pas été réalisé et a porté atteinte aux droits des tiers, qu’elle ne peuvent pour les faits constatés postérieurement au 10 octobre 2006 se rapportant à la diffusion du même contenu se prévaloir de la responsabilité limitée prévue aux dispositions précitées,

Attendu que les défenderesses ne peuvent donc faire valoir une quelconque impossibilité technique pour exercer cette surveillance, qu’elles ont développé dans leurs écritures et à la barre l’existence de moyens de plus en plus sophistiqués leur permettant d’identifier les contenus déclarés illicites, que ces moyens sont mis en oeuvre pour éliminer les contenus à caractère pédophile, faisant l’apologie de crime contre l’humanité ou de l’incitation à la haine,

Le tribunal dira qu’elles ont engagé leur responsabilité pour les faits postérieurs au 10 octobre 2006,

Sur la contrefaçon

Attendu que constitue un délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion par quelque moyen que ce soit, d’une oeuvre de l’esprit en violation des droits de l’auteur tels qu’ils sont définis et réglementés par la loi, que la représentation consiste dans la communication de l’oeuvre au public par un procédé quelconque,

Attendu que, en permettant, après le 10 octobre 2006, aux internautes de télécharger le Film, puis en leur offrant la possibilité d’accéder au Film gratuitement à partir du site Google Video France, Google Inc et Google France se sont rendus coupables d’actes de contrefaçon, et ont engagé leur responsabilité à ce titre,

Sur le parasitisme

Attendu que Google Inc et Google France assurent la promotion de leur site par des contrats de partenariat, que les demanderesses n’apportent pas la preuve de ce que la diffusion de contenus illicites est favorisée par Google Inc et Google France pour renforcer cette promotion, le tribunal dira que les actes de parasitisme ne sont pas établis et déboutera Flach Film et Editions Montparnasse de leurs demandes de ce chef,

Sur les préjudices

Attendu que Flach Film a la qualité de producteur du Film, et est détentrice de tous les droits d’auteur et voisins mais est également intéressée aux droits d’exploitation pour distribuer le film sous forme de DVD et VOD détenus par Editions Montparnasse,

Attendu qu’elles font état d’un préjudice résultant des rémunérations auxquelles elles auraient pu prétendre, que toutefois les hypothèses retenues pour son évaluation en fonction des visionnages apparaît largement surévalué, qu’en effet tous les visionnages ne se seraient pas traduits par des achats ou des enregistrements par gravure, échanges et transferts de liens, qu’au reste la qualité de diffusion par streaming n’encourageait pas,

Le tribunal, prenant en compte la durée importante (7 mois) de persistance sur le site Google Vidéo de liens donnant accès au Film et usant de son pouvoir souverain d’appréciation fixera ce préjudice à la somme de 150 000 €, somme qu’il condamnera in solidum Google Inc et Google France à payer aux Editions Montparnasse, Flach Film et Editions Montparnasse faisant leur affaire de la répartition entre elles de cette somme,

Attendu que les demanderesses n’apportent pas la preuve d’un préjudice professionnel et d’image, la diffusion par le site Google Vidéo n’étant pas de nature à banaliser le Film et à porter atteinte à leur réputation professionnelle, le tribunal les déboutera de leur demande à ce titre,

Sur les mesures

Attendu que les faits litigieux qui portent atteinte aux droits patrimoniaux des demanderesses persistent, il convient de faire droit à leur demande d’interdiction,

Le tribunal fera donc interdiction à Google Inc et Google France de communiquer au public et/ou de reproduire tout ou partie du Film sur le site Google Video France ou sur tout autre site de même nature et sous leur contrôle, et ce sous astreinte de 1500 €, par infraction constatée à compter de un mois de la signification de la décision à intervenir,

Attendu que pour les mêmes raisons que ci-dessus et à titre d’indemnisation complémentaire, il convient de faire droit à leur demande de publication sur le site à l’exclusion d’une publication par voie de presse, le tribunal ordonnera la publication du dispositif de la décision à intervenir pendant 15 jours consécutifs à compter de un mois de la signification de la décision, en partie supérieure de la page d’accueil du site Google Video France, dans un format correspondant à de page et dans des conditions de lisibilité optimales, et déboutera les demanderesses de leurs autres demandes de publication,

Sur les demandes de dommages intérêts de l’USPA et de la CSPF

Attendu que ces deux organisations professionnelles sollicitent à titre de la réparation du préjudice causé à l’intérêt collectif de leurs membres le versement de dommages et intérêts, le tribunal sur le fondement des décisions ci-dessus leur allouera à chacune à ce titre la somme de 1000 € qu’il condamnera in solidum Google Inc et Google France à payer à chacune d’entre elles, les déboutant du surplus de leurs demandes,

Sur l’exécution provisoire

Attendu que, vu la nature de l’affaire, le Tribunal l’estime nécessaire, il ordonnera l’exécution provisoire de ce jugement à l’exception de la mesure de publication,

Sur l’application de l’article 700 du CPC

Attendu, que pour faire reconnaître ses droits, Flach Film a dû exposer des frais non compris dans les dépens qu’il serait inéquitable de laisser à sa charge, le Tribunal condamnera solidairement Google Inc et Google France à lui payer la somme de 15 000 € au titre de I’article 700 du ncpc la déboutant du surplus de sa demande.

Attendu que pour faire reconnaître leurs droits, I’USPA, la CSPF n’ayant rien sollicité à ce titre à titre personnel, a dû exposer des frais non compris dans les dépens qu’il serait inéquitable de laisser à sa charge, le Tribunal condamnera solidairement Google Inc et Google France à payer à l’USPA la somme de 5000 € au titre de l’article 700 du ncpc la déboutant du surplus de sa demande.

Sur les dépens

Attendu que les dépens seront mis à la charge in solidum de Google Inc et Google France.

DECISION

Le Tribunal, statuant publiquement en premier ressort, par jugement contradictoire

. Dit recevables l’intervention volontaire de l’U.S.P.A, de la CSPF devenue par simple changement de dénomination l’APC et de l’AFA,

. Déboute la société Google France de sa demande de mise hors de cause,

. Dit que la société de droit de l’Etat de Californie Google Inc et la société Google France ayant le statut d’hébergeur ont engagé leur responsabilité du fait des actes de contrefaçon commis après le 10 octobre 2006,

. Déboute les sociétés Flach Film et Editions Montparnasse de leurs demandes au titre du parasitisme,

. Condamne in solidum les sociétés Google Inc et Google France à payer aux Editions Montparnasse la somme de 150 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice patrimonial subi, les sociétés Flach Film et Editions Montparnasse faisant leur affaire de la répartition entre elles de cette somme,

. Déboute les sociétés Flach Film et Editions Montparnasse de leur demande de dommages et intérêts au titre du préjudice professionnel et d’image,

. Fait interdiction aux sociétés Google Inc et Google France de communiquer au public et/ou de reproduire tout ou partie du film « Le monde selon Bush » sur le site Google Video France ou sur tout autre site de même nature et sous leur contrôle, et ce sous astreinte de 1500 €, par infraction constatée à compter d’un mois de la signification de la présente décision,

. Ordonne la publication du dispositif de la présente décision pendant quinze jours consécutifs à compter d’un mois de la signification de la présente décision, en partie supérieure de la page d’accueil du site Google Video France, dans un format correspondant à de page et dans des conditions de lisibilité optimales, et déboute les demanderesses de leurs autres demandes de publication,

. Condamne in solidum les sociétés Google Inc et Google France à payer à l’U.S.P.A et la CSPF devenue par simple changement de dénomination l’APC la somme de 1000 € chacune à titre de dommages et intérêts, les déboutant du surplus de leurs demandes,

. Condamne in solidum les sociétés Google Inc et Google France à payer à la société Flach Film la somme de 15 000 € en application des dispositions de l’article 700 du ncpc et déboute la société Flach Film du surplus de sa demande formée de ce chef,

. Condamne in solidum les sociétés Google Inc et Google France à payer à l’U.S.P.A la somme de 5000 € en application des dispositions de l’article 700 du ncpc la déboutant du surplus de sa demande formée de ce chef,

. Ordonne l’exécution provisoire de ce jugement sans constitution de garantie à l’exception de la mesure de publication,

. Dit les parties mal fondées en leurs demandes plus amples ou contraires au dispositif du présent jugement, les en déboute respectivement,

. Condamne in solidum Google Inc et Google France aux dépens.

Le tribunal : M. Pierre (président), Mme Leprovost, MM. Demerson et Delecourt, Mme Alduy, MM. Jecot et Gauroy (juges),

Avocats : Me Olivier Chatel, Me Hervé Lehman, Me Marcel Azencot, Me Christophe Caron, Me Jean Philippe Hugot, cabinet Herbert Smith associés.