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Jurisprudence

Résumé
L'hébergeur n'est pas responsable dès lors qu'il n'était pas informé du caractère illicite du contenu hébergé. L'affliliateur qui n'a pas la maîtrise des contenus illicites des sites affilliés n'est pas responsable non plus.


Décision
Pierre Alexis T. associé de la société Centre national de recherche en relations humaines (Cnrrh), est titulaire de la marque semi figurative "Eurochallenges" déposée à l’Inpi le 21 février 1997 sous le numéro : 97665926 et désignant, notamment, les services de conseils, recherches et informations en relations humaines et agence matrimoniale.
La société Cnrrh est, quand à elle, titulaire du site accessible à l’adresse : http://www.eurochallenges.com ayant pour objet la promotion de rencontres de femmes russes, d’Europe de l’Est et d’Asie. Elle dispose pour cela d’une licence d’exploitation de la marque semi figurative "Eurochallenges" qui lui a été concédée par son titulaire, Pierre Alexis T.
Ayant constaté l’existence de 4 sites internet comportant dans leur code source le mot "eurochallenges" et étant liés par un contrat d’affiliation à la société 2L Multimédia, la société Cnrrh et Pierre Alexis T., autorisés par ordonnance présidentielle en date du 4 mars 2005, ont fait assigner à jour fixe, selon exploit d’huissier délivrés les 8 et 10 mars 2005, la société 2L Multimédia (ci-après dénommée 2L) et Aymeric L. en contrefaçon, concurrence déloyale, atteintes au nom commercial et au nom de domaine.
En l’état de leurs dernières écritures déposées au greffe le 29 avril 2005, ils demandent au tribunal de débouter les défenderesses de toutes leurs prétentions et :
- de condamner "in solidum" les défendeurs à verser, à titre de dommages-intérêts 40 000 € à Pierre Alexis T. et 300 000 € à la société Cnrrh,
- d’interdire la poursuite des faits incriminés sous peine d’astreinte de 5000 € par infraction constatée,
- d’autoriser la publication du jugement dans un quotidien national et dans un périodique au choix des demandeurs et aux frais des défendeurs dans la limite d’un coût total de 16 000 €,
- d’ordonner l’exécution provisoire du jugement,
- de leur allouer à chacun 4000 € en application de l’article 700 du ncpc.
Pierre Alexis T. fonde principalement ses demandes sur les moyens et arguments suivants :
- l’assignation est valable faute pour les défendeurs de justifier du grief que leur causerait les irrégularités dont elle est affectée,
- il y a contrefaçon par reproduction massive de sa marque "Eurochallenges" dans le but et avec l’effet de diriger la clientèle d’agence matrimoniale vers de multiples sites de rencontres à fins conjugales ou sexuelles,
- il y a avilissement de sa marque par usurpation pour des activités de rencontres à fins sexuelles, voire pornographique,
- 2L est responsable de cette contrefaçon en sa qualité de fournisseur de contenu en marque blanche,
- Aymeric L. est responsable au même titre en sa qualité de concepteur, d’instigateur et de fournisseur des moyens de cette contrefaçon.
La société Cnrrh expose que :
- l’atteinte au nom commercial et au nom de domaine "eurochallenges.com" par l’usage illicite de la marque "Eurochallenges" par les défendeurs est constitutive d’une faute susceptible d’engager leur responsabilité délictuelle au sens de l’article 1382 du code civil,
- le nombre de pages contrefaisantes constituant les sites http://www.chronocul.org, http://www.chronocul.net, http://www.rencontre.ru et http://www.ellebaise.carasexe.com, la multiplicité des affiliés (5 à 6000) et la notoriété de la marque tendent à amplifier et aggraver le préjudice résultant du détournement d’une partie de la clientèle de Cnrrh au profit des sites de rencontre à fins conjugales contrefaisants auxquels 2L et Aymeric L. fournissent le contenu,
- une partie substantielle des investissements publicitaires est perdue car elle contribue à la notoriété des contrefacteurs.
La société 2L Multimédia et Aymeric L. :
- soulèvent la nullité de l’assignation qui comporte une date erronée, mentionne un lieu de siège social pour la société Cnrrh qui ne correspond pas à la réalité et n’indique pas la profession de Pierre Alexis T.,
- opposent l’irrecevabilité des demandes formées contre eux pour défaut de qualité à défendre,
- subsidiairement, concluent au débouté et se portent demandeurs reconventionnels en paiement de 15 000 € à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, 5000 € par application de l’article 700 du ncpc ; ils demandent encore au tribunal de prononcer une amende civile contre les demandeurs et sollicitent la publication du jugement dans 3 journaux de leur choix aux frais des demandeurs/défendeurs reconventionnels dans la limite de 5000 € HT.
Ils font principalement valoir que :
- la société 2L Multimédia et Aymeric L. qui ne sont ni les concepteurs, ni les propriétaires des sites contrefaisants, sont étrangers aux faits de l’espèce, leur qualité d’hébergeur les exonérant en outre de toute responsabilité en application de la loi du 21 juin 2004,
- ils n’ont commis aucune faute ni causé aucun préjudice susceptibles d’engager leur responsabilité civile dès lors qu’ils n’ont pas la maîtrise des sites internet argués de contrefaçon.

Sur les exceptions de nullité
L’article 114 alinéa 2 du ncpc dispose que : « la nullité [d’un acte de procédure] ne peut être prononcée qu’à la charge pour l’adversaire qui l’invoque de prouver le grief que lui cause l’irrégularité, même lorsqu’il s’agir d’une formalité substantielle d’ordre public ».
Il s’ensuit que faute pour les défendeurs de justifier du grief que leur auraient causé les irrégularités contenues dans l’assignation qui, en outre, hormis la date erronée, ont été réparées dans les derniers écrits des demandeurs, la nullité des assignations n’est pas encourue et leurs exceptions doivent être rejetées.

Sur la recevabilité
Afin d’apprécier si la société 2L Multimédia et Aymeric L. ont ou non qualité pour défendre, il est nécessaire de procéder à l’examen au fond du litige.

Sur la contrefaçon
L’article L 716-1 du code de la propriété intellectuelle que : « L’atteinte portée au droit du propriétaire de la marque constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur. Constitue une atteinte aux droits de la marque la violation des interdictions prévues aux articles L 713.2, L 713-3, L 713-4 du code de la propriété intellectuelle ».
En l’espèce, il ressort des procès verbaux de constat dressés les 3 et 17 janvier 2005 par Me Alain Schneider, huissier de justice associé à Strasbourg, que la marque "Eurochallenges" dont Pierre Alexis T. est titulaire apparaît dans les codes sources de quatre sites internet accessibles sous les adresses http://www.chronocul.org, http://www.chronocul.net, http://www.rencontre.ru et http://www.ellebaise.carasexe.com.
Il est cependant parfaitement constant que les défendeurs ne sont ni les concepteurs, ni les propriétaires de ces sites de sorte qu’ils ne sont pas les auteurs de ces activités contrefaisantes.
Il convient en fait de distinguer :
* les sites accessibles sous les adresses http://www.chronocul.org, http://www.chronocul.net, http://www.rencontre.ru d’une part, pour lesquels les propriétaires respectifs ont passé avec la société 2L Multimédia un contrat d’affiliation qui peut s’analyser comme un contrat de prestations de service de publicité selon lequel, moyennant rémunération, ils s’engagent à assurer la promotion du site http://www.easyrencontre.com appartenant à 2L en insérant des liens hypertextes sur leur site renvoyant sur le site de 2L ou des fenêtres internes ("frames") leur permettant d’inclure au sien de leur propre site, des pages du site de 2L ; dans le cadre des accords, il est manifeste que 2L n’a aucune maîtrise du site "affilié" et que le "contenu" qu’elle leur fournit est constitué par tout ou partie de son propre site à l’égard duquel il n’est allégué aucune contrefaçon de la marque "Eurochallenges" ; en tout état de cause, les demandeurs ne rapportent pas la preuve qui leur incombe que les défendeurs auraient, de quelque manière que ce soit, fourni aux propriétaires des sites contrefacteurs, une liste de mots clés dans laquelle figurait la marque "Eurochallenges" ;
* le site accessible sous l’adresse http://www.ellebaise.carasexe.com, propriétaire de Franck S. d’autre part, qui est un sous-domaine du site "carasexe.com" appartenant à 2L pour lequel les deux parties sont liées par un contrat d’hébergement ; en effet, l’activité de 2L rentre bien dans les prévisions de l’article 6.I.II de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004, définissant l’activité d’hébergeur : 2L est titulaire du nom de domaine "carasexe.com" et met à la disposition de ses clients tous les éléments nécessaires à l’exploitation d’une présence sur internet en leur offrant la possibilité de créer un sous-domaine ; l’article 6.I.II précité dispose que la responsabilité civile des sociétés d’hébergement ne saurait être engagée si : « elles n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou des faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment ou elles en ont eu connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ses données ou rendre l’accès impossible » ; or, les parties demanderesses n’apportent aucunement la preuve que les défendeurs étaient informés de l’usage par le propriétaire du site dans ses mots clés de la marque "Eurochallenges" et il ressort sans ambiguïté des attestations délivrées par Franck S., propriétaire et concepteur du site http://www.ellebaise.carasexe.com que dès qu’ils en ont été informés, ils l’ont enjoint de supprimer physiquement ce site, ce qui démontre que ces derniers ont agi promptement et que leur intervention a permis la cessation immédiate des agissements contrefaisants.
La bonne foi des parties défenderesses est encore confirmée par les clauses de son contrat d’affiliation stipulant que « l’utilisation d’expressions répréhensibles, de marque ou de nom de site est interdite ».
Il résulte de ce qui précède :
- qu’en leur qualité d’hébergeur, la responsabilité des défendeurs n’est pas encourue faute pour les demandeurs de démontrer qu’ils étaient informés des agissements contrefaisants pratiqués par les clients qu’ils hébergeaient et qu’une fois informés, ils n’auraient pas agi promptement pour mettre fin à la contrefaçon de marque,
- que dans le cadre des contrats d’affiliation passés avec les propriétaires des sites http://www.chronocul.org, http://www.chronocul.net, http://www.rencontre.ru, leur responsabilité n’est pas davantage engagée faute pour les demandeurs de démontrer qu’ils ont fourni à leurs partenaires le contenu contrefaisant.
Enfin, faute de démontrer que les défendeurs disposaient de la maîtrise de ces sites ou avaient le pouvoir d’influer sur leur contenu, la responsabilité de ces derniers ne peut pas non plus être engagée sur le fondement de l’article 1382 du code civil.
Il convient en conséquence de déclarer Pierre Alexis T. irrecevable en ses demandes fondées sur la contrefaçon pour défaut de qualité des défendeurs et de débouter la société Cnrrh de ses demandes fondées sur l’article 1382 du code civil.
Les demandeurs qui succombent supportent "in solidum" les entiers dépens et doivent, par application de l’article 700 du ncpc, indemniser les défendeurs des frais irrépétibles qu’ils ont exposés et qui, compte tenu des circonstances de l’espèce, seront fixés à 3000 €.

Sur les demandes reconventionnelles
Suite à l’établissement des constats d’huissier susvisés démontrant l’existence d’agissements contrefaisants et n’étant pas parties aux contrats unissant 2L à ses affiliés, les demandeurs ont légitimement pu se méprendre sur la portée de leurs droits de sorte que la procédure qu’ils ont engagée ne saurait être qualifiée d’abusive.
De même, la complexité des relations contractuelles existant entre les différents protagonistes de cette affaire ne permet pas de considérer que le droit de poursuivre l’instance, engagée de surcroît à jour fixe, après le premier jeu de conclusions en défense du 2 mai 2005, a dégénéré en abus ouvrant droit à indemnisation ou réparation pour les défendeurs-demandeurs reconventionnels. Ces derniers seront dès lors déboutés de l’ensemble de leurs fins et conclusions.
Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,
. Rejette les exceptions de nullité des assignations,
. Déclare Pierre Alexis T. irrecevable en ses demandes fondées sur la contrefaçon de sa marque,
. Déboute la société Cnrrh de ses fins et conclusions,
. Condamne "in solidum" Pierre Alexis T. et la société Cnrrh aux entiers frais et dépens ainsi qu’à payer à la société 2L Multimédia et à Aymeric L. "in solidum" un montant de 3000 € en application des dispositions de l’article 700 du ncpc,

. Déboute la société 2L Multimédia et Aymeric L. de leurs fins et conclusions reconventionnelles.