Date15/01/2009
JuridictionCour de cassation chambre civile 2
Pourvoi07-20955
TypeNationale
PublicationPublié au bulletin
Numéro d'affaire07-20955

Cour d'appel de Versailles

ct0156

Audience publique du jeudi 8 janvier 2009

N° de RG: 07/03029

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

12ème chambre section 2

A.M./P.G.

ARRET No Code nac : 39C

par défaut

DU 08 JANVIER 2009

R.G. No 07/03029

AFFAIRE :

Société GOOGLE INC

C/

S.A.R.L. CNRRH

...

Décision déférée à la cour : Arrêt rendu le 23 Mars 2006 par le Cour d'Appel de VERSAILLES

No Chambre : 12

No Section : B

No RG : 05/342

Expéditions exécutoires

Expéditions

délivrées le :

à :

SCP FIEVET-LAFON

SCP GAS

E.D.

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LE HUIT JANVIER DEUX MILLE NEUF,

La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Société GOOGLE INC société de droit de l'Etat de Californie dont le siège social est 2400 Bayshore Parkway Mountain View, 94043 CALIFORNIE (ETATS UNIS), agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.

représentée par la SCP FIEVET-LAFON, avoués - No du dossier 250044

Rep/assistant : Me Sébastien PROUST du cabinet Me Alexandra NERI, avocat au barreau de PARIS.

DEMANDERESSE A LA TIERCE OPPOSITION

****************

S.A.R.L. CNRRH ayant son siège 28 rue de la République 69002 LYON 02, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.

Monsieur Pierre-Alexis Z... demeurant ...

69003 LYON 03.

représentés par la SCP GAS, avoués - No du dossier 20050381

Rep/assistant : Me BUISSON, avocat au barreau de LYON.

DEFENDEURS A LA TIERCE OPPOSITION.

Monsieur Bruno B..., demeurant INNACONSULTING A 18, ....

assigné le 16.04.2007 en l'étude d'huissier et le 16.09.2008 par PV 659. - n'a pas constitué avoué

Société TIGER franchisée "UNICIS" -Appelant dans le RG 05/2411

ayant son siège 55 Bld des Batignolles 75008 PARIS, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.

assigné mais pour simple dénonciation - n'a pas constitué avoué

S.A.R.L. GOOGLE FRANCE ayant son siège 38 avenue de l'Opéra 75002 PARIS, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.

représentée par la SCP FIEVET-LAFON - No du dossier 250044

INTIMES

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 13 Novembre 2008 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Albert MARON, Président chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Albert MARON, Président, (rédacteur)

Monsieur Denis COUPIN, conseiller,

Mme Marie-Hélène POINSEAUX, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Marie-Thérèse GENISSEL,

FAITS ET PROCEDURE :

Exploité dès 1998 aux Etats-Unis, le moteur de recherche GOOGLE a développé au cours des années une technologie de référencement de plus en plus performante.

Le développement de l'internet, a conduit à une démultiplication des résultats fournis par ce moteur de recherche et la société GOOGLE a développé, à travers son programme "Adwords", un nouveau mode de référencement, se caractérisant par une sélection privilégiée de sites en contrepartie du règlement d'une redevance par les exploitants de ces sites.

La mise en oeuvre de ce programme permet à l'exploitant d'un site de voir s'afficher sur les pages de résultats du moteur de recherche un lien hypertexte qui renvoie les utilisateurs vers son site, dès lors que ces derniers, après avoir entré un mot-clé préalablement sélectionné, décident de cliquer sur ce lien commercial.

La société CNRRH exerce une activité d'agence matrimoniale; elle a pour nom commercial "EUROCHALLENGES", et elle exploite le site Internet www.eurochallenges.com.

Elle est titulaire de la licence de la marque EUROCHALLENGES enregistrée sous le no 97 665 926 pour désigner notamment les services de conseils, recherches et informations en relations humaines et agence matrimoniale; cette licence lui a été concédée par Pierre-Alexis Z..., propriétaire de la marque, suivant acte sous seing privé publié au Registre national des marques le 19 mai 2003.

Elle a constaté qu'en tapant le mot "eurochallenges" sur le moteur de recherche GOOGLE, apparaissaient, outre les adresses des sites électroniques pertinents dont le sien, des liens commerciaux situés sur la droite de l'écran, renvoyant aux sites internet concurrents : www.unicisparis.com appartenant à la Société TIGER, et www.innaconsulting.fr, appartenant à Bruno B....

C'est dans ces circonstances que, faisant grief à la société GOOGLE FRANCE d'avoir concédé aux exploitants des sites incriminés l'usage du signe "eurochallenges" à titre onéreux pour diriger la clientèle vers des sites proposant des services identiques à ceux pour lesquels la marque française "eurochallenges" est enregistrée, la société CNRRH et Pierre-Alexis Z... ont, par actes des 15 juin et 17 juin 2004, assigné respectivement la société GOOGLE FRANCE en contrefaçon de marque, la société TIGER et Bruno B... en contrefaçon de marque et concurrence déloyale.

Le tribunal de grande instance de NANTERRE a rendu jugement le 14 décembre 2004 dans ce litige.

Sur appel de GOOGLE France, la cour de ce siège a, par arrêt en date du 23 mars 2006, notamment ordonné la publication intégrale du dispositif de son arrêt sur la page d'accueil du site internet google.fr pendant un délai de quinze jours, sous astreinte.

La société GOOGLE INC a formé tierce opposition à cet arrêt.

Au soutien de ce recours, elle fait valoir liminairement que CNRRH et Alexis Z... versent aux débats les observations écrites présentées devant la Cour de justice des communautés européennes dans le cadre d'une question préjudicielle posée, par la Cour de cassation, dans le cadre du pourvoi formé, par GOOGLE France, contre l'arrêt de la cour de ce siège qu'elle-même frappe d'opposition. Or il résulte de la jurisprudence du tribunal de première instance des communautés européennes que de telles pièces ne sauraient être divulguées avant que chaque partie ait eu la possibilité de les discuter devant le juge communautaire.

Aussi demande-t-elle le rejet des débats de cette pièce. Subsidiairement, si la cour estimait devoir connaître le contenu de cette pièce, elle demande le renvoi de l'affaire.

Sur sa tierce opposition, GOOGLE INC demande en premier lieu le sursis à statuer.

La mesure de publication prononcée porte, souligne-t-elle, gravement atteinte à son commerce, à son image et à la jouissance paisible du site et de la technologie dont elle a la propriété exclusive.

Elle estime que les condamnations prononcées, sur le fondement de la contrefaçon de marque, constituent une application non conforme que la Directive 89/104 du 21 décembre 1988 sur l'harmonisation du droit des marques et précise qu'il s'agit d'une question de principe susceptible d'avoir des conséquences dramatiques sur ses activités en tant qu'exploitant du service AdWords et de remettre en cause son modèle économique.

La réponse de la Cour de justice des communautés européennes, actuellement saisie par la Cour de cassation, sur le pourvoi formé par GOOGLE France contre l'arrêt qu'elle frappe elle-même d'opposition, est susceptible d'avoir des incidences directes sur la procédure de tierce opposition en cours.

Elle permettra en effet de déterminer si la directive 2004/48/CE du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle est applicable, de dire si les condamnations sur le fondement de la contrefaçon de marque étaient bien ou non fondées.

Par ailleurs, la cassation éventuelle de l'arrêt du 26 mars 2006 par suite de la réponse donnée par la Cour de justice aux questions posées par la Cour de cassation priverait d'objet la tierce opposition engagée par GOOGLE INC.

Dans ces conditions, le sursis à statuer s'impose.

Si la cour n'ordonnait pas le sursis à statuer, GOOGLE INC fait valoir, sur la recevabilité de sa tierce opposition, qu'elle a, en premier lieu, un intérêt manifeste à demander la réformation de la mesure de publication du dispositif de l'arrêt sur le site www.google.fr puisque ce nom de domaine a été enregistré par elle en 2000 et lui appartient.

Le site accessible à l'adresse www.google.fr est d'ailleurs hébergé sur ses propres serveurs.

Elle est également titulaire des droits d'auteur relatifs à la présentation de l'interface de recherche figurant sur sa page d'accueil et détient les brevets relatifs à la technologie de recherche mis en œuvre sur ce site dont elle est l'éditeur.

Enfin, ayant la maîtrise du site et en assurant la fonction, c'est elle qui devrait supporter à la fois l'exécution et les conséquences de la mesure de publication prononcée.

GOOGLE INC souligne que, par ailleurs, elle a bien la qualité de tiers, étant une société juridiquement et économiquement distincte de GOOGLE FRANCE, qui est une filiale totalement autonome, détenue à 99 % par un tiers et qui n'avait nullement l'autorité pour représenter les intérêts de GOOGLE INC dans le cadre d'une instance judiciaire, comme le stipulent, d'ailleurs, expressément les accords contractuels entre les deux sociétés.

L'article 2.3 du contrat de marchandisage et de prestation de service conclu entre la elle et GOOGLE FRANCE le précise d'ailleurs expressément.

Au demeurant, nul ne plaidant par procureur, GOOGLE France ne pouvait légalement représenter GOOGLE INC durant la procédure ayant donné lieu à l'arrêt objet de la tierce opposition.

Enfin, la seule existence d'une communauté d'intérêt entre le tiers opposant et une partie à l'instance ne suffit pas à caractériser la représentation de la première par la seconde et il n'existe aucun principe général qui voudrait qu'une société commerciale représenterait, dans une instance, ses différents associés.

Bien au contraire, le droit effectif au juge implique que l'associé d'une telle société soit recevable à former tierce opposition à un arrêt qui, comme en l'espèce, lui fait directement grief.

Enfin, GOOGLE INC souligne qu'elle n'intervient pas en qualité d'associée de GOOGLE France, mais pour faire valoir ses intérêts propres.

Dans ces conditions, elle entend se prévaloir de moyens propres afin de voir réformer la mesure de publication du dispositif de l'arrêt sur la page d'accueil de son site internet, notamment en soulignant l'atteinte disproportionnée risquant d'être portée à l'exercice légitime de son commerce, à son image et à la jouissance paisible du site et de la technologie dont elle a la propriété exclusive.

Sur le bien fondé de son recours, GOOGLE INC entend faire valoir qu'éditeur du site www.google.fr, c'est elle qui aurait à supporter les conséquences dommageables de la mesure de publication ordonnée, alors même qu'elle n'était pas partie au litige devant la cour d'appel de Versailles.

Cette publication aurait par ailleurs pour effet de la priver de la jouissance paisible et normale d'un élément prépondérant de son fonds de commerce, dès lors que l'affichage du dispositif de l'arrêt sur sa page d'accueil, qui constitue la vitrine et le principal élément de son fonds de commerce, perturberait inévitablement le fonctionnement du service de GOOGLE, puisqu'il monopoliserait une grande partie de l'espace disponible sur cette page, qui normalement est intégralement dédiée à la recherche documentaire sur internet.

L'atteinte à la jouissance paisible du droit de propriété qu'elle détient sur son site, qui est aussi l'élément essentiel de son fonds de commerce en France, serait gravissime et totalement irréversible, alors même que l'arrêt est frappé d'un pourvoi actuellement instruit par la Cour de cassation.

La rétractation de la mesure de publication s'impose d'autant plus qu'elle est en l'espèce contraire à la directive 2004/48/CE du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle dont le contenu est aujourd'hui doté de l'effet direct, à défaut d'avoir été transposé par la France dans le délai requis.

Si elle prévoit la possibilité, pour les autorités judiciaires, d'ordonner des mesures "appropriées" de publication dans les affaires de propriété intellectuelle (article 15), c'est à la condition de respecter le principe général posé par son article 3 § 2 selon lequel ces mesures, tout en étant "dissuasives", doivent cependant restées "proportionnées" et "être appliquées de manière à éviter la création d'obstacles au commerce légitime".

Or, en l'espèce la mesure de publication litigieuse est tout à la fois disproportionnée, inappropriée et susceptible de constituer un obstacle au commerce légitime de GOOGLE INC.

Ainsi, le lien AdWords litigieux www.innaconsulting.fr de Bruno B... a été visionné par 51 internautes, ce qui est totalement marginal au regard des quelque 120 millions de requêtes d'internautes consultant mensuellement le site www.google.fr.

Par ailleurs, la mesure de publication sur la page d'accueil du site www.google.fr n'est nullement appropriée, au sens de l'article 15 de la directive du 29 avril 2004. En effet, le site de GOOGLE n'est pas un site de presse et la page d'accueil de ce site pas d'un support adapté à la publication d'un communiqué judiciaire.

Ainsi qu'il a été exposé, cette mesure de publication constituerait un obstacle au commerce légitime de GOOGLE INC en la privant purement et simplement de la jouissance normale de son fonds de commerce et en portant une atteinte irrémédiable à son image.

Enfin, le droit des marques est un droit finalisé, conçu comme l'instrument d'une concurrence non faussée. Il ne saurait servir à restreindre la concurrence qu'en cas d'atteinte réelle à la fonction essentielle de garantie d'origine. Tel n'était pas le cas en l'espèce.

Subsidiairement, GOOGLE INC demande à la cour de saisir la Cour des Justice des Communautés Européennes d'une question préjudicielle.

La mesure de publication ordonnée est, par ailleurs, contraire aux principes généraux qui gouvernent la responsabilité civile. Ceux-ci conduisent, en effet, à l'exacte réparation du dommage causé. Il ne peut y avoir de « réparation » qui excèderait celui-ci. Il ne saurait, non plus, y avoir double réparation, par l'allocation de dommages intérêts, d'une part, par une publication, d'autre part, et cette dernière mesure ne saurait être prononcée dans un but de répression, mais seulement dans un but de réparation. Le principe de légalité des peines, en toute hypothèse, s'opposerait à toute mesure de publication non prévue par la loi, qui serait prononcée dans un but de répression.

Aussi GOOGLE INC demande-t-elle le sursis à statuer dans l'attente de l'arrêt à intervenir de la Cour de Justice des Communautés Européennes, subsidiairement, la rétractation de la mesure de publication ordonnée, le constat que l'astreinte liquidée par la cour d'appel de Paris et le prononcé d'une nouvelle astreinte sont dépourvus d'objet et la condamnation de CNRRH et de Pierre Alexis Z... à lui payer 30.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

CNRRH et Pierre-Alexis Z... soulèvent l'irrecevabilité de la tierce opposition formée dans un but purement dilatoire. GOOGLE France est la filiale de GOOGLE INC, comme cette dernière le reconnaît elle-même. Or la représentation au sens de l'alinéa premier de l'article 583 CPC s'entend de façon large, englobant « tous les cas où les intérêts d'une personne ont eu en fait un défenseur à l'instance ». Ainsi le gérant d'une société représente les associés, qu'il s'agisse d'une société à responsabilité illimitée (Cass. com. 28 févr. 1972, Bull no 74 ; 15 juil. 1975, Bull. no 207 ; Civ. 3ème 20 févr. 2002, Bull. no 45 ; Cass. com. 23 mai 2006, Bull. no 129) ou d'une société à responsabilité limitée (Cass. com. 5 avr. 1965, Bull. no 260 ; Civ. 3ème 15 janv. 1975, Bull. no 18 ; Civ. 2ème 16 juin 1977, Bull. no 157). Ainsi, en l'espèce, GOOGLE INC a-t-elle été représentée par sa filiale GOOGLE France.

Le contrat de prestation de services non daté invoqué par GOOGLE INC occulte et inopposable aux tiers est indifférent à cet égard.

Il n'a par ailleurs jamais existé de divergences entre la maison mère et sa filiale, régulièrement représentées l'une et l'autre par les mêmes conseils dans les affaires de cette nature.

Pour les défendeurs à la tierce opposition, GOOGLE tente depuis longtemps d'abuser de la distinction formelle entre sa maison mère américaine et son établissement français pour déjouer les poursuites.

Ainsi, dans un procès similaire pendant à Lyon, par conclusions du 24 novembre 2006, postérieures donc au débat devant le juge de l'exécution de Paris sur la prétendue inaptitude de GOOGLE FRANCE à publier sur le site www.google.fr, la même société GOOGLE FRANCE argumentait sur l'inopportunité d'une publication sur ce site sans mot dire d'une supposée impossibilité résultant de ce qu'elle n'aurait pas la maîtrise du site.

Le tribunal de grande instance de Nanterre, dans un jugement du 13 octobre 2003, avait fait justice de cette attitude frauduleuse, de manière assez convaincante pour que GOOGLE ne la réitère pas en appel (pièces no 14 et 15).

La présente tierce opposition en est une nouvelle illustration.

Or la jurisprudence, hors même le cas de représentation ? déclare irrecevable la tierce opposition témoignant d'un concert frauduleux entre deux personnes morales étroitement liées. Ainsi du cas d'une tierce opposition relevée par l'Unedic contre un jugement prononcé contre une Assedic et jamais exécuté malgré des astreintes sans cesse croissantes...

Si la tierce opposition était jugée recevable, CNRRH et Pierre-Alexis Z... considèrent qu'il n'y aurait pas lieu pour autant de surseoir à statuer sur ses mérites dans l'attente de l'arrêt de la CJCE.

La cour de Versailles a jugé ce procès de contrefaçon de marque à l'égard de GOOGLE FRANCE et des concurrents de CNRRH.

Sa décision a été déférée à la Cour de cassation puis, en quelque sorte, à la CJCE par le biais de la question préjudicielle. Or la tierce opposition ne pose pas à la cour d'autres questions que celles qu'elle a déjà tranchées dans son arrêt du 23 mars 2006.

Sur le fond, les défendeurs au recours font valoir que si GOOGLE INC était, comme elle le prétend, seule maîtresse du site www.google.fr , comme elle le laisse entendre, elle n'aurait pas d'intérêt à agir puisque la publication qu'elle redoute ne pourrait être opérée par un tiers et qu'elle n'est pas personnellement condamnée à y procéder. Il faut donc comprendre que le site www.google.fr est sous le contrôle conjoint et en réalité unique de GOOGLE INC et de sa filiale GOOGLE FRANCE.

Il n'en reste pas moins que GOOGLE INC s'en déclare éditeur. Elle doit en conséquence assumer, aux côtés de GOOGLE FRANCE, la responsabilité des actes de contrefaçon qui ont été commis par l'exploitation de ce site.

Or elle n'attaque pas utilement les motifs par lesquels la cour, statuant en vertu du droit français transposant la directive européenne sur les marques du 21 décembre 1988, a jugé que l'exploitation, au moyen du site www.google.fr, d'un lien commercial (ou Adword) reproduisant la marque Eurochallenges constituait une contrefaçon de celle-ci.

Elle n'est donc pas fondée à critiquer la mesure de publication ordonnée, qui n'est que la conséquence du jugement de contrefaçon et qui préjudicie normalement à l'éditeur du site instrument de cette contrefaçon.

GOOGLE ne saurait avancer que la publication ordonnée aurait des conséquences « gravissimes » et « totalement irréversibles », encore moins que cela aurait pour conséquence de la priver de la jouissance d'une partie son fonds de commerce. Il s'agit simplement de publier une décision pendant quinze jours sur la page d'accueil de l'édition française du moteur de recherches GOOGLE, lieu et instrument de la contrefaçon.

Cette page est ordinairement blanche à l'exception d'un cartouche de recherche surmonté du nom GOOGLE. Le cartouche de recherche étant la seule chose qui intéresse l'internaute et la seule que GOOGLE exploite, la publication opérée sur l'espace habituellement vierge ne causera pas à GOOGLE INC un préjudice irréparable et même ne lui en causera aucun : la page d'accueil purement fonctionnelle et voulue telle continuera de fonctionner parfaitement.

Le prétendu risque de détournement de la clientèle est imaginaire, GOOGLE dominant de manière écrasante le marché de la recherche sur internet, de sorte qu'elle est et restera pour ses clients annonceurs le meilleur support, de très loin.

Enfin, la gravité prétendue des conséquences d'une mesure prononcée par justice n'est pas un motif de rapporter cette mesure, si elle est appropriée, ce qui est ici le cas.

Enfin, et contrairement aux allégations de GOOGLE INC, la mesure ordonnée est pleinement conforme à la directive 2004/48/CE du 29 avril 2004. La mesure est pleinement proportionnée et, effectivement, dissuasive.

Elle est, de même, pleinement conforme aux principes généraux de la responsabilité civile et n'excède nullement la réparation intégrale du préjudice.

Usuelle en matière de contrefaçon ou de concurrence déloyale, une telle mesure tend à faire cesser le préjudice pour l'avenir, complétant ainsi les dommages et intérêts compensant le dommage déjà réalisé.

En outre, la publication sous astreinte d'un arrêt statuant en matière de contrefaçon n'est pas une peine mais une mesure réparatrice, banale et souverainement appréciée dans ses modalités par le juge du fond.

Les concepts de droit pénal auxquels GOOGLE INC a recours pour sont inopérants.

La tierce opposition incidente formée par GOOGLE INC à l'encontre de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 05 avril 2007 ayant statué sur la liquidation d'astreinte, constituant l'accessoire de celle dirigée contre l'arrêt de la cour de ce siège, est irrecevable et mal fondée pour les mêmes motifs.

Dans ces conditions, CNRRH et Pierre Alexis Z... demandent à la cour de dire irrecevable la tierce opposition, subsidiairement, de dire n'y avoir lieu de surseoir à statuer et de rejeter les demandes de GOOGLE INC dont ils demandent la condamnation à leur payer 4.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

SUR CE LA COUR

Attendu que l'examen de la recevabilité du recours est un préalable à celui de la demande de sursis à statuer ;

Attendu, sur la recevabilité de la tierce opposition formée par GOOGLE INC que, selon l'article 583 alinéa 1er du code de procédure civile, « est recevable à former tierce opposition toute personne qui y a intérêt, à la condition qu'elle n'ait été ni partie ni représentée au jugement qu'elle attaque » ; que le second alinéa de cet article précise que « les créanciers et autres ayants cause d'une partie peuvent toutefois former tierce opposition au jugement rendu en fraude de leurs droits ou s'ils invoquent des moyens qui leur sont propres » ;

Attendu que les défendeurs à la tierce opposition ne contestent pas que GOOGLE INC a des droits -dont ils discutent seulement l'étendue- sur le site Google.fr ; que cette société a donc intérêt à obtenir la rétractation de la mesure de publication ordonnée sur la page d'accueil de ce support, nonobstant le fait que ce ne soit pas elle qui soit condamnée à procéder à cette mesure ;

Attendu qu'il n'est pas contestable que GOOGLE INC est une personne juridique distincte de GOOGLE FRANCE qui n'était pas partie au litige ayant donné lieu à l'arrêt auquel elle forme tierce opposition ; qu'il convient de déterminer si, au sens des dispositions de l'article 583 précité, elle y était représentée ;

Attendu que la notion de représentation, au sens de l'article 583 du code de procédure civile, est une notion concrète ; qu'elle est destinée n'exclure de ce recours que les personnes qui n'auraient pas effectivement pu faire valoir leurs droits dans une procédure, permettant ainsi aux tiers aux procédures qui y ont intérêt de disposer d'un recours adéquat ;

Attendu, en premier lieu, que l'article 583 pose, outre le fait que la personne qui forme ce recours doive avoir intérêt à le faire, comme conditions à la recevabilité de la tierce opposition la double exigence qu'elle n'ait été ni partie, ni représentée ; qu'il en résulte nécessairement que la « représentation » ne saurait s'entendre de la représentation au sens processuel du terme, telle que réglementée notamment par l'article 414 du code de procédure civile ; que, par voie de conséquence, le moyen développé par GOOGLE INC selon lequel nul ne plaidant par procureur, elle ne saurait avoir été représentée par GOOGLE FRANCE est inopérant ;

Attendu que les statuts de GOOGLE France ont été établis, ainsi que cela résulte de leur production par GOOGLE INC, par cette dernière société et GOOGLE INTERNATIONAL LLC ; que GOOGLE INC, reconnaît dans ses écritures (conclusions p.11, « sur la qualité de tiers », §2) détenir 1% du capital social de GOOGLE France ; que si l'article 6 des statuts de GOOGLE France que GOOGLE INC verse aux débats mentionne que, « par acte sous seing privé en date du 9 février 2004, la société GOOGLE INC a cédé à la société GOOGLE INTERNATIONAL LLC la part sociale qu'elle détenait dans le capital de la société » GOOGLE France, il n'est pas autrement justifié de cette date, alors que les statuts modifiés ont été déposés seulement le 23 mars 2006, soit...le jour où a été rendu l'arrêt que GOOGLE INC frappe aujourd'hui de tierce opposition ;

Attendu dans ces conditions que GOOGLE INC, qui détenait une partie du capital social de GOOGLE France, était représentée par celle-ci au sens des dispositions de l'article 583 du code de procédure civile, pour ce qu'il en est des conséquences que le litige pouvait avoir sur les droits de GOOGLE France, y compris dans les répercussions que la procédure pouvait avoir sur ceux de ses associés ;

Attendu cependant que GOOGLE INC fait valoir que la mesure à laquelle elle fait tierce opposition porterait sur des droits qui lui sont propres, étrangers à sa qualité d'associée de GOOGLE France, et sur lesquels celle-ci n'aurait eu aucune qualité pour défendre ;

Attendu que la représentation, par une société, de ses associés, ne saurait s'étendre aux droits de ceux-ci qui sont étrangers à leur qualité d'associés ;

Attendu en l'espèce que GOOGLE INC verse aux débats un procès verbal de constat du 15 janvier 2007 (pièce 29) dont la régularité n'est pas contestée et dont il résulte que le nom de domaine GOOGLE.FR, créé le 27 juillet 2000 était détenu, le 12 octobre 2005, par la société GOOGLE INC, 28 rue Juliette Lamber 75017 Paris (annexe 3 du PV : consultation du service whois de l'AFNIC) ; que le même procès-verbal démontre qu'il est vraisemblable que les serveurs de www.google.fr soient situés à Mountain View, Californie (qui est par ailleurs la ville où se trouve le siège social de GOOGLE INC), ou dans ses environs ; qu'enfin ce procès-verbal contient, en son annexe des saisies d'indications portées sur le site www.google.fr;

Attendu que ce document, pas plus que la pièce 26, simples recherches sur le site de géolocalisation des sites www.showmyip.com sans force probante, ne justifient pas de ce que GOOGLE INC serait seule titulaire des droits sur le site www.google.fr; que dans ces conditions, cette société ne justifie pas former son recours pour défendre des droits propres pour la défense desquels elle n'aurait pas été représentée dans la procédure ayant conduit à l'arrêt auquel elle forme tierce opposition ;

Attendu au surplus que les défendeurs à la tierce opposition font valoir qu'il y aurait, entre GOOGLE INC et GOOGLE FRANCE une collusion frauduleuse rendant, en toute hypothèse, irrecevable son opposition, GOOGLE France ayant, en réalité, défendu les droits de GOOGLE INC dans la procédure objet de la tierce opposition ;

Attendu que, comme précédemment indiqué, la notion de «représentation », au sens des dispositions de l'article 583 du code de procédure civile, s'entend de façon concrète ; qu'est ainsi « représentée », au sens de ce texte, la personne qui, de facto, a été en mesure de faire valoir ses droits dans une procédure à laquelle elle n'était pas partie ;

Attendu qu'en l'espèce CNRRH et Pierre Alexis Z... font valoir que la représentation de GOOGLE INC par GOOGLE France dans l'instance ayant conduit à l'arrêt frappé de tierce opposition serait démontrée dans la mesure où elle correspondrait à une stratégie globale du groupe ; qu'ils versent à cet effet les conclusions déposées par GOOGLE France devant le tribunal de grande instance de LYON le 24 novembre 2006, soit postérieurement à l'arrêt aujourd'hui frappé de tierce opposition, par lesquelles GOOGLE France défend contre une demande de publication sur le site « GOOGLE.FR » -en des termes au demeurant quasi identiques à ceux aujourd'hui développés par GOOGLE INC- ; que les défendeurs à la tierce opposition font par ailleurs valoir que le conseil de GOOGLE France, lors de l'instance qui a donné lieu à l'arrêt aujourd'hui frappé de tierce opposition et celui aujourd'hui aux côtés de GOOGLE INC est le même cabinet d'avocat ;

Attendu par ailleurs surabondamment qu'il résulte des autres décisions produites (arrêt de la cour de ce siège du 10 mars 2005 dans l'affaire GOOGLE France/VIATICUM, pièce 15, arrêt de la cour de Paris du 28 juin 2006 dans l'affaire GOOGLE France et GOOGLE INC/ LOUIS VUITTON MALLETIER, jugement du tribunal de grande instance de Paris du 8 décembre 2005 dans l'affaire KERTEL/ GOOGLE France et GOOGLE INC, jugement du tribunal de grande instance de Paris du 27 avril 2006 dans l'affaire AUTO IES/GOOGLE France, jugement du tribunal de grande instance de Paris du 12 juillet 2006 dans l'affaire Groupement interprofessionnel des fabricants d'appareils d'équipement ménager /GOOGLE France) que tel était aussi le cas dans ces instances ; qu'enfin, toujours surabondamment, il résulte des propres pièces de GOOGLE INC (pièce 29, annexe 25) que cette société qualifie, sur son site, GOOGLE France des termes de simple « bureau de ventes local », ce qui démontre, par delà le fait qu'il s'agit certes, en droit, d'une personne juridique distincte, l'absolue absence d'autonomie dont dispose cette entité par rapport à GOOGLE INC à laquelle, toujours sur ce site, il convient de s'adresser « pour toute autre information » ;

Attendu que GOOGLE INC ne pouvait pas ignorer l'existence de l'action judiciaire engagée à l'encontre de sa filiale GOOGLE FRANCE en raison de la proximité reconnue de ces deux sociétés dans l'exploitation du site et de leur conseil et défendeur commun ainsi que de la facilité de circulation de l'information liée au fonctionnement même du réseau internet ;

Attendu qu'ayant, en toute connaissance de cause, laissé se développer le procès engagé contre sa filiale sans y intervenir directement par une intervention volontaire, la société GOOGLE INC a implicitement mais nécessairement admis que celle-ci la représentait valablement dans le litige ;

Attendu dans ces conditions qu'il apparaît que GOOGLE France a représenté, de fait, GOOGLE INC devant la cour de ce siège dans la procédure qui a donné lieu à l'arrêt frappé de tierce opposition ; que les conventions versées aux débats entre GOOGLE INC et GOOGLE France sont impuissantes à administrer, sur ce point, la preuve contraire ; que dès lors, pour ce motif aussi ce recours est irrecevable ;

Attendu que l'équité conduit à condamnation de GOOGLE INC à payer à CNRRH et à Pierre Alexis Z..., chacun, la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

Statuant en audience publique, par arrêt par défaut et en dernier ressort,

Déclare irrecevable la tierce opposition de GOOGLE INC,

La condamne à payer à Pierre Alexis Z... et CNRRH, chacun, la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

La condamne aux dépens,

Admet la SCP GAS, avoués, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Albert MARON, Président et par Madame GENISSEL, greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.

Le GREFFIER, Le PRESIDENT,

Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles du 23 mars 2006

Titrages et résumés : SOCIETE (règles générales) - Représentation en justice - Qualité

Selon l'article 583 alinéa 1er du code de procédure civile, est recevable à former tierce opposition toute personne qui y a intérêt, à la condition qu'elle n'ait été ni partie ni représentée au jugement qu'elle attaque.

La notion de représentation au sens de l'article 583 alinéa 1er du code de procédure civile s'apprécie in concreto. Elle est destinée à n'exclure de ce recours que les personnes qui n'auraient pas effectivement pu faire valoir leurs droits dans une procédure, permettant ainsi aux tiers aux procédures qui y ont intérêt de disposer d'un recours adéquat.

Si la représentation d'une société par ses associés ne saurait, en principe, s'étendre aux droits de ceux-ci qui sont étrangers à leur qualité d'associés, est cependant représentée au sens de ce même texte la société qui, de facto, a été en mesure de faire valoir ses droits dans une procédure à laquelle elle n'était pas partie.

En application de ces principes, doit être déclarée irrecevable le recours d'une société qui ne justifie pas que les droits objets du litige ayant donné lieu à la décision à laquelle elle forme tierce opposition lui auraient été propres alors que sa filiale, partie à cette procédure, l'y a représentée pour ce qui est tant des conséquences que le litige pouvait avoir sur les droits de la société partie à la procédure que des répercussions que la procédure pouvait avoir sur ceux de ces associés.

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