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Droit constitutionnel 1 : Théorie générale de l’Etat - Histoire constitutionnelle de la France

L'émergence du régime parlementaire (1814-1870)

L'épisode napoléonien constitue une parenthèse au sein des monarchies constitutionnelles inaugurées en 1814 et qui s'achèvent en 1848. La Monarchie de juillet s'achève par une nouvelle révolution, essentiellement parisienne, qui donne naissance à la Seconde république, ainsi dénommée car les hommes au pouvoir pensaient que la République était définitivement installée. Elle ne fut cependant que de courte durée (1848-1851), car le coup d'Etat de Louis- Napoléon Bonaparte, neveu du premier empereur, a donné naissance à un nouveau régime impérial (1851-1870). C'est cette accumulation de régime qui a permis l'émergence du régime parlementaire





Cette longue période n'est pas homogène sur le plan politique, tant elle a vu se succéder des régimes différents qui se sont opposés et se sont constitués en réaction aux régimes précédents. Au cours de cette période, la France a fait l'expérience de deux types de monarchies, d'une république et d'un régime impérial. Ces divers régimes ont parfois cherché à imiter, dans des contextes nécessairement différents, les régimes qui pouvaient leur servir de modèles, qu'il s'agisse des régimes révolutionnaires ou ceux du Consulat et de l'Empire. Mais cette période est marquée par la recherche d'un régime d'équilibre des pouvoirs qui ne sera atteint qu'en 1870 avec les éléments du régime parlementaire. Mais une nouvelle guerre retarda de quelques années l'installation de ce régime.




La chute de Napoléon Bonaparte, due la défaite militaire, a été proclamée par le Sénat qui constata sa déchéance et proclama roi Louis XVIII, le frère de Louis XVI. Le Sénat, de façon peu glorieuse, en profita pour élaborer, le 6 avril 1814, une Constitution dite « sénatoriale » qui sauvegardait certains acquis du régime ancien, ainsi que les privilèges des sénateurs, et le retour de la monarchie, présentée comme étant librement acceptée par le peuple français. Revenu de son exil anglais, dans les « fourgons des armées étrangères » selon certains, Louis XVIII, qui prenait le titre de « roi de France et de Navarre » révéla ses intentions dans la Déclaration de Saint Ouen du 2 mai 1814 dans laquelle il annonçait les bases d'un nouveau régime, car il ne se considérait pas lié par le projet du Sénat : gouvernement représentatif, bicaméralisme, maintien des biens nationaux et respect des libertés publiques. Il s'agissait de réaliser une synthèse délicate entre les valeurs de la Révolution, sur lesquelles il n'était plus possible de revenir, et les principes et le vocabulaire de l'Ancien Régime. C'est sur ces bases que fut rédigée la Charte du 4 juin 1814. L'application de celle-ci fut interrompue par le retour triomphal de Napoléon Bonaparte depuis l'île d'Elbe et l'épisode des Cent jours, entre mars et juin 1815 : la rédaction par Benjamin Constant de l'acte additionnel aux Constitutions de l'Empire du 22 avril 1815, marque une tentative désespérée d'instaurer un régime impérial moins autoritaire. La défaite de Waterloo en juin 1815 sonna le glas de ces espoirs et la seconde abdication de Napoléon I, après celle de 1814.

Cet épisode napoléonien constitue une parenthèse au sein des monarchies constitutionnelles inaugurées en 1814 et qui s'achèvent en 1848. La Monarchie de juillet s'achève par une nouvelle révolution, essentiellement parisienne, qui donne naissance à la Seconde république, ainsi dénommée car les hommes au pouvoir pensaient que la République était définitivement installée. Elle ne fut cependant que de courte durée (1848-1851), car le coup d'Etat de Louis- Napoléon Bonaparte, neveu du premier empereur, a donné naissance à un nouveau régime impérial (1851-1870).

Section 1. Les Chartes constitutionnelles (1814-1848)

Celles-ci sont au nombre de deux mais il existe une profonde unité entre les deux régimes, celui de la Restauration (de 1814 ou 1815, compte tenu de l'épisode des Cent jours, jusqu'en1830), et celui de la Monarchie de Juillet (1830-1848), même si le second se présente comme un correctif du premier. Les deux périodes consacrent en effet la première expérience de régime parlementaire et de deux monarchies constitutionnelles fondées sur le suffrage censitaire. Elles forment une période constitutionnellement homogène, même si, sur le plan politique, les deux Chartes sont assez différentes.


est précédée de principes généraux intitulés « Droit public des Français » qui reprennent les apports principaux de la Déclaration de 1789, mais dans un cadre d'une monarchie renforcée. Le compromis illustre l'impossibilité de rayer vingt-cinq ans d'histoire : sont ainsi maintenus l'égalité des Français devant la loi, l'égale admission aux emplois civils et militaires, la liberté de religion, mais le catholicisme est proclamée religion d'Etat, la liberté d'opinion, et le maintien des propriétés acquises depuis la Révolution.


Louis XVIII

La Charte, octroyée par Louis XVIII, et non la Constitution, terme qui évoquait trop la période révolutionnaire, consacre une place prépondérante au Roi, dont la personne est inviolable et sacrée, autour duquel s'organisent les autres pouvoirs. C'est à lui qu'appartient la puissance exécutive, et il est le chef suprême de l'Etat. Il propose la loi, la sanctionne et aucun amendement n'est recevable sans son accord. Il désigne les ministres, mais ils sont « responsables » pénalement devant les assemblées et qui peuvent être membres d'une des deux assemblées. Il dispose du droit de dissolution de la chambre basse mais il doit provoquer de nouvelles élections.

Le pouvoir législatif est partagé entre deux assemblées, la chambre des pairs nommés à vie ou de façon héréditaire par le roi, et la chambre des députés des départements élus pour cinq ans par un suffrage tellement censitaire qu'il ne permet qu'à 110 000 hommes d'être électeurs sur 30 millions d'habitants.

C'est la pratique qui va faire émerger le régime parlementaire. Les ministres vont considérer qu'ils ne peuvent se maintenir en fonctions lorsqu'ils n'ont plus la confiance des chambres, même s'ils ne sont pas juridiquement obligés de le faire. Les ministres prennent aussi l'habitude d'être dirigés par l'un d'entre eux, qui est un véritable chef du gouvernement et la solidarité gouvernementale apparaît.

Charles X

Louis XVIII est remplacé par Charles X , son frère, en 1824, qui se fait sacrer à Reims afin de « renouer avec la chaîne des temps ». La vie politique est marquée par la volonté du roi d'assumer tous ses pouvoirs et une opposition entre le monarque et la Chambre des députés qui estime que le gouvernement doit avoir sa confiance. La dissolution de la Chambre en 1830 va entraîner la chute du régime.

Elle naît d’une révolution (les Trois Glorieuses, qui sont des journées insurrectionnelles de juillet 1830) qui chasse Charles X, à la suite de la publication de quatre ordonnances royales particulièrement réactionnaires notamment sur la liberté de la presse et la restriction de la loi électorale qui étaient une réponse aux élections qui avaient suivi la dissolution. Le roi pouvait en effet prendre sous cette forme toutes les « mesures nécessaires pour l'exécution des lois et la sûreté de l'Etat », à côté des lois, par une sorte de pouvoir normatif concurrent (art. 14 de la Charte de 1814). Les libéraux qui s'emparent du pouvoir appellent sur le trône Louis-Philippe d'Orléans, héritier de la branche cadette des Bourbons.
Louis-Philippe 1er



Une nouvelle Charte est rédigée, qui porte la date du 14 août 1830, qui reprend le texte précédent de 1814 tout en supprimant certains de ses aspects les plus archaïques :
  • le roi n'est plus de France mais des Français,
  • la religion catholique n'est plus que celle de « la majorité des Français »
  • et la France « reprend ses couleurs », c'est-à-dire que la monarchie adopte la cocarde tricolore, selon la formule de l'article 67 de la Charte.
Si le roi conserve des attributions très importantes, il partage l'initiative des lois avec les deux assemblées. Selon la formule de Guizot, « le trône n'est pas un fauteuil vide ». Le cens électoral est abaissé, ce qui permet l'accès à la vie politique de représentants de la bourgeoisie. Mais la crispation du régime sur le refus d'ouvrir le droit de vote à certaines fonctions ou diplômes (les « capacités ») va entraîner une nouvelle révolution, en 1848, et la chute de la royauté. Le régime parlementaire va être abandonné au profit d'autres expériences constitutionnelles dont certaines puiseront leurs racines dans des régimes antérieurs.

Section 2. La Seconde République (1848-1851)


la Barricade de la rue Soufflot, Paris, février 1848, peinture d'Horace Vernet.

L'insurrection de février 1848, à la suite de la campagne des banquets républicains, conduit à l'abdication du roi Louis-Philippe et à son exil. Un gouvernement provisoire est formé notamment de Lamartine, Ledru-Rollin, Arago, Crémieux, Garnier-Pagès ainsi que du socialiste Louis-Blanc et de l'ouvrier Albert et il proclame la République, dotée du drapeau tricolore, au détriment du drapeau rouge, grâce à l'éloquence de Lamartine. Des mesures proprement révolutionnaires sont prises :
  • instauration du suffrage universel masculin,
  • abolition de la peine de mort pour raisons politiques,
  • suppression de l'esclavage,
  • création d'ateliers nationaux destinés à résorber le chômage.

Le Gouvernement provisoire fait élire une Assemblée nationale constituante le 23 avril 1848. La rapidité avec laquelle cette assemblée est convoquée entraîne l'élection de nombreux républicains modérés qui craignent toute révolution populaire. Cette assemblée détient à la fois le pouvoir constituant et le pouvoir législatif. Des émeutes ouvrières, provoquées par le chômage et la fermeture des ateliers nationaux sont réprimées par le général Cavaignac en juin 1848, coupant ainsi le lien entre le peuple des villes et la République. La question sociale va devenir, pour longtemps, une question politique qui divise la droite, monarchiste et républicaine modérée, et la gauche.

C'est dans ce climat de crainte du peuple qu'est élaborée. Celle-ci est précédée d'un Préambule, le premier dans l'histoire constitutionnelle, qui énumère les objectifs de la République française, ses caractères et ses bases (Famille, Travail, Propriété, Ordre public) mais met aussi l'accent sur la fraternité à côté de la liberté et de l'égalité. Les droits des citoyens garantis par la Constitution sont inscrits au chapitre 2 du texte constitutionnel. Ces droits sont moins individualistes qu'en 1789. Le droit au travail, la liberté de l'enseignement, le droit d'association sont ainsi consacrés.

En ce qui concerne les pouvoirs, la Constitution les sépare de façon presque étanche car la séparation de pouvoirs est « la première condition d'un gouvernement libre » (art. 19). L'innovation majeure consiste en la création d'un Président de la République, élu pour quatre ans au suffrage universel direct, mais non immédiatement rééligible, qui incarne à lui seul le pouvoir exécutif, car les ministres sont nommés et révoqués par lui. Ses pouvoirs sont très larges, et il possède l'initiative des lois.

Le pouvoir législatif est confié à une assemblée de 750 membres, élue pour trois ans elle aussi au suffrage universel direct ce qui marque un - bref - retour au monocaméralisme.

En cas de conflit entre les deux pouvoirs, la Constitution n'a prévu aucun mécanisme de relations entre eux : les risques de blocage sont donc grands.

Élu largement en décembre 1848 à la présidence de la République, Louis-Napoléon Bonaparte, neveu de Napoléon 1er, va se heurter à une Assemblée élue en mai 1849 et composée majoritairement de partisans de l'ordre. Ne pouvant faire adopter une révision de la Constitution qui lui permettrait d'effectuer un deuxième mandat, Louis-Napoléon est en quelque sorte condamné à réussir un coup d'État.

Section 3. Le retour au césarisme : le second Empire (1851-1870)


Comme pour les régimes napoléoniens nés en l'an VIII, le Second Empire est installé après un coup d'Etat qui fut constitutionnalisé dans un nouveau texte.


Louis-Napoléon Bonaparte

Louis-Napoléon Bonaparte a tout fait, en tant que Président de la République, pour déconsidérer l'Assemblée nationale et pour se rendre populaire, notamment en réclamant l'abrogation de la loi électorale du 31 mars 1850 qui privait du droit de vote trois millions de citoyens par l'exigence de la possession continue d'un domicile fixe pendant trois ans, ce qui pénalisait les ouvriers contraints de changer de domicile pour trouver du travail. Les conditions sont mûres pour un coup d'État. Celui-ci est réalisé durant la nuit du 1er au 2 décembre 1851, alors que le Président, élu pour quatre ans en 1848, n'était pas immédiatement rééligible. Cette date, choisie symboliquement, est aussi celle du sacre de Napoléon 1er et de la victoire d'Austerlitz.

L'Assemblée et le Conseil d'Etat sont dissous, le suffrage universel est rétabli et le peuple est convoqué pour approuver les cinq bases d'une nouvelle organisation politique. Malgré son caractère apparemment démocratique, le Président se dressant contre une Assemblée réactionnaire, l'opération est inconstitutionnelle, car Louis-Napoléon ne disposait aucunement du pouvoir constituant, ni du droit de dissolution. Paris ne réagit que mollement, le régime de 1848 étant déconsidéré, mais la répression s'abat sur les opposants, qui sont déportés en Guyane et en Algérie.

Le 20 décembre, le suffrage universel délègue à une écrasante majorité (7 145 000 oui contre 592 000 non) son pouvoir constituant. C'est une commission qui va rédiger la. Celle-ci, fort courte, est précédée d'une longue proclamation expliquant aux Français les bases constitutionnelles du nouveau régime, dans laquelle Louis-Napoléon explique qu'il faut revenir aux institutions politiques du Consulat et de l'Empire puisqu'elles ont donné à la France des institutions militaires, administratives, judiciaires et religieuses qui ont fait leurs preuves, la France ayant été « régénérée par la Révolution de 89 et organisée par l'Empire ».


Les institutions politiques se caractérisent par une volonté d'imiter celles du régime de l'an VIII. Elles sont fondées sur le suffrage universel, source apparente du pouvoir, notamment de celui du Président. La Constitution met en place toutes les caractéristiques d'un régime autoritaire ou césariste.

Le Président de la République est le centre du pouvoir, les autres organes gravitant autour de lui. Il dispose d'un mandat de dix ans, et n'est responsable que devant le peuple. Il est assisté par des ministres qui ne dépendent que de lui et ne sont responsables que devant lui, et par un Conseil d'Etat composé de membres nommés et révocables par lui. Le Sénat conservateur, dont les membres sont des notables qui sont inamovibles et à vie, est le gardien de la Constitution et des libertés publiques, tandis que le Corps législatif, seul organe élu au suffrage universel pour six ans à côté du Président de la République, discute et vote la loi, mais ne dispose du pouvoir d'initiative des lois.

Afin de parfaire l'évolution, le sénatus-consulte du 7 décembre 1852 propose au peuple d'approuver par plébiscite le rétablissement de la dignité impériale et héréditaire (plus de 7 800 000 de oui). Louis-Napoléon devient Napoléon III et la Constitution de 1852 est adaptée aux nouvelles conditions impériales par le sénatus-consulte du 25 décembre 1852.

Il est traditionnel de distinguer, au cours de cette période, deux phases, l'une dite « Empire autoritaire », l'autre qualifiée d'« Empire libéral », la date charnière se situant en 1860. Mais il est évident que les transformations ne furent pas linéaires et qu'il existe des constantes, ne serait-ce que la confiscation du suffrage universel par la pratique des candidatures officielles soutenues par les préfets et l'encadrement sévère des journaux et publications et du droit de réunion.

Il est vrai que jusqu'en 1860, la vie politique est pratiquement inexistante, tandis que l'essor économique et financier de la France et les succès de la politique extérieure permettent aux Français de se détourner de la politique. Ayant perdu le soutien des catholiques par sa politique favorable à l'Italie mais hostile à l'Autriche, et des milieux d'affaires, Napoléon III dut trouver d'autres appuis du côté des libéraux et des républicains. Par étape, le régime renforce les droits du Parlement par la restauration du vote de l'Adresse au discours du Trône en 1860, la publication in extenso des débats parlementaires au Journal officiel en 1861, et le vote du budget par chapitres et sections en 1861, ce qui permet un meilleur contrôle budgétaire par les députés. La durée des sessions est allongée en 1866, et l'opposition gagne des sièges à chaque élection, aidée par deux lois de 1868 sur la liberté de la presse et sur la liberté de réunion. Il faut attendre les élections de 1869 et l'arrivée de 125 députés libéraux pour que le régime se transforme : l'initiative des lois est partagée entre l'Empereur et le Corps législatif, les ministres peuvent être membres des assemblées, ce qui jette les bases d'un régime parlementaire (sénatus-consulte du 8 septembre 1869).

Cette évolution s'achève par le sénatus-consulte du 20 avril 1870, soumis en mai au peuple qui l'adopte à une très large majorité. Ce texte consacre cette fois un régime de type parlementaire avec deux assemblées législatives, le Corps législatif et le Sénat, mais l'Empereur nomme et révoque des ministres qui « sont responsables » sans qu'il soit précisé devant quel organe.

La défaite militaire de Sedan, le 2 septembre 1870, contraint Napoléon III, prisonnier, à l'abdication. La guerre est, une fois encore en France, la cause de la mort d'un régime constitutionnel.
Napoléon III et Otto von Bismarck, Après la défaite de Sedan, entrevue avec Bismarck à Donchery 1870 (peinture de 1878)


Sy.

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