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Institutions et principes fondamentaux du procès civil

Théorie générale de l'instance : Le lien d'instance

Le rapport juridique d'instance est examiné à la fois sous l'angle de ses sujets, les parties à celui-ci, et de son objet, la matière du procès. Après avoir cerné la notion de partie, des développements sont consacrés aux conditions de capacité, ou de pouvoir, que les parties ou leurs représentants doivent remplir. La matière de l'instance concerne les éléments objectifs du procès que constituent l'objet et la cause de la demande.


Introduction


Df.L'instance est la période pendant laquelle les personnes concernées par le procès accomplissent les actes de procédure qu'il implique : cette période s'étend en principe de l'acte introductif jusqu'au jugement, sauf extinction anticipée résultant par exemple d'un désistement.

Nous envisagerons la théorie générale de l'instance, puis le déroulement de l'instance sans incident.

L'étude de la théorie générale de l'instance conduit à s'intéresser au lien d'instance (leçon 9), aux principes directeurs (leçon10) et au formalisme de l'instance (leçon 11).

Df.L'instance est un rapport de droit, de nature processuelle, qui s'ajoute au rapport juridique fondamental unissant les parties (créancier/débiteur, propriétaire/locataire, mari/femme...).

Il n'y a pas d'effet novatoire. Le rapport de droit substantiel n'est en principe pas affecté si le lien processuel vient à s'éteindre avant le jugement (art. 385 du CPC).

La nature juridique du lien d'instance a été discutée ; il ne fait aujourd'hui nul doute qu'il s'agit d'un lien d'origine légale.

La thèse de sa nature contractuelle ou quasi contractuelle doit être rejetée pour diverses raisons : tout d'abord l'initiative de la procédure est le plus souvent unilatérale, même si un désistement unilatéral ultérieur n'est pas toujours possible. Ensuite, le défendeur n'est pas obligé de comparaître (en pratique il n'a guère le choix s'il souhaite faire valoir des moyens de défense). La nature légale du lien d'instance peut aussi être rattachée à l'impossibilité de se faire justice à soi-même.

Du lien d'instance découlent :
  • des obligations procédurales pour les parties, telles que comparaître, conclure, agir dans les délais....
  • des obligations fonctionnelles pour le juge, dont l'obligation de statuer sur la demande, sous peine de commettre un déni de justice.

L'instance possède enfin un caractère formel, processuel et évolutif, du fait qu'elle se prolonge dans le temps.

Le rapport juridique d'instance sera examiné à la fois sous l'angle de ses sujets, les parties à celui-ci, et de son objet, la matière du procès.

Section 1. Les parties à l'instance

Après avoir cerné la notion de partie, des développements seront consacrés aux conditions de capacité qu'elles doivent remplir afin d'être en mesure d'agir en justice. Lorsqu'une représentation est nécessaire, ou est mise en œuvre, s'y ajoutent parfois des questions de pouvoir.

Pour être complète, l'identification des parties doit aussi se faire en opposant la notion de partie à la qualité de tiers.


Df.Sont qualifiées de parties les personnes qui ont pris l'initiative d'exercer l'action en justice ou contre lesquelles un acte introductif d'instance a été dirigé.

Selon F. Buchy, la qualité de partie se caractérise par la réunion d'un critère formel et d'un critère matériel : sont parties les personnes tenues par le lien juridique d'instance (critère formel) et liées par des prétentions (critère matériel) (F. Bussy, « La notion de partie à l'instance », D. 03, chr. 1376).
Pour J. Théron, la notion de partie à l'instance découle en principe de la qualité de partie à la contestation (substantielle). En cas de contentieux objectif, s'y ajoute parfois la notion de partie à un déséquilibre (J. Theron, « Ordre et désordre dans la notion de partie », RTD civ. 2014 231).

Il existe au moins deux parties : le demandeur et le défendeur. Leur qualité processuelle n'est pas liée aux droits substantiels en cause, l'initiative de l'instance pouvant être prise aussi bien par le créancier que par le débiteur.

En cas de pluralité de parties, leurs situations respectives sont régies par les principes d'indépendance et de divisibilité de l'instance : chacune agit uniquement en son nom et pour son propre compte (art. 323 et 324 du CPC)
Ex.Pour une illustration en matière de recevabilité des conclusions d'appel : Cass. Civ. 2ème, 19 fév. 09, D. 09 2073.

La règle connaît toutefois des exceptions, notamment s'agissant des voies de recours, s'il y a indivisibilité de l'objet du litige ou solidarité.

Rq.D. Lanzara, « Les règles de procédure civile à l'épreuve de la pluralité de parties », D. 2015 2520.

La qualité de partie détermine certaines conséquences, telles la charge de l'allégation et de la preuve, la portée de la chose jugée, les voies de recours ouvertes...
Il ne peut en cours d'instance y avoir changement des parties ou de leur qualité.
Les tiers sont des personnes en principe non parties à l'instance, même si certains sont susceptibles d'y être associés à des degrés divers :
  • quelques uns peuvent voir la chose jugée leur être déclarée opposable car ils sont considérés comme ayant été représentés à l'instance (ex : héritiers, créanciers chirographaires...) ;
  • d'autres interviennent dans le cadre de l'instruction (ex : témoins liés par l'art. 10 du C. civ., tiers concernés par des productions de pièces) ;
  • d'autres enfin acquièrent la qualité de partie, du fait d'une intervention, volontaire ou forcée, qui réalise un élargissement du cadre de l'instance.

En principe étrangers à l'instance, les tiers sont protégés par le principe de relativité de la chose jugée (Voir leçon 6). Ils se voient cependant reconnaître le droit de former tierce opposition, dans le cas où certains effets du jugement leur seraient préjudiciables.

La capacité d'ester est requise pour agir en justice. Si la capacité de jouissance apparaît comme une condition indispensable, le défaut de capacité d'exercice impose de recourir à une technique d'assistance ou de représentation.

La personnalité juridique confère ipso facto la qualité de sujet de droit et les sujets de droit bénéficient d'un libre accès aux tribunaux : ce principe a valeur de liberté publique. L'existence des personnes physiques, qui conditionne leur personnalité juridique, s'apprécie au moment de la demande. Ainsi, le décès survenu en cours de procès ne donne en général lieu qu'à une interruption de l'instance. L'accès au prétoire des groupements est lui aussi lié à leur personnalité juridique.

Ex.Impossibilité de régulariser l'irrégularité liée à l'inexistence d'une personne morale après fusion : Cass. Com., 7 déc. 93, JCP G 94 II 22285, note Putman.

La théorie de la survie de la personnalité morale a pu néanmoins conduire la jurisprudence à retenir la capacité d'agir en justice d'une société dissoute : Cass. Com., 20 sept. 2023, JCP 2023 Fasc. 40 act. 1127.

La jurisprudence, dans le but de protéger les demandeurs qui seraient victimes de l'action de groupements de fait, distingue parfois pour les groupements dénués de personnalité entre :
  • la capacité active : le droit d'introduire une action en justice ne leur est pas reconnu et une tentative éventuelle se heurterait à une irrecevabilité ;
  • la capacité passive : elle les autorise à se défendre face à une action intentée à leur encontre.
Le défaut de capacité d'exercice implique l'impossibilité, pour la personne concernée, de mettre elle-même en oeuvre les droits dont elle est titulaire.

L'incapacité nécessite donc la mise en place d'un mécanisme de représentation ou d'assistance : on parle de représentation dans l'exercice de l'action ou de représentation ad agendum. Sont principalement concernés les mineurs non émancipés et les majeurs protégés :
  • les majeurs sous tutelle font l'objet d'un régime de représentation ;
  • les majeurs sous curatelle doivent être assistés pour les actes les plus graves ;
  • la mise en place d'un régime d'habilitation familiale impacte également les pouvoirs de la personne protégée (art. 494-1 s. du C. civ.).

Il existe parfois d'autres situations d'incapacités, en liaison avec le droit substantiel, par exemple dans le cadre des régimes matrimoniaux ou des procédures collectives. D'un point de vue procédural, l'incapacité d'exercice est sanctionnée par une nullité pour irrégularité de fond.



La notion de pouvoir implique l'existence d'un mécanisme d'assistance ou de représentation en justice. Les causes de mise en place d'un tel mécanisme sont diverses. Il peut s'agir pour la partie visée :
  • de remédier à une incapacité d'exercice ou à un empêchement personnel d'ester en justice,
  • du recours, parfois obligatoire selon les textes, à une représentation dans l'exercice des actes de procédure.

La représentation en justice nécessite de respecter certaines conditions.


- La représentation dans l'action (représentation ad agendum) doit s'appuyer sur un pouvoir, dont les sources varient et qui peut être d'origine :
  • légale : administrateur légaux (ex. : parents représentant leur enfant mineur) ;
  • judiciaire : procédures collectives (ex.: mandataire ou liquidateur judiciaire) ;
  • conventionnelle : par exemple, statuts d'une association (Cass. Civ. 1ère, 19 nov. 02, D. 03 21, conclusions Saint-Rose). Dans ce dernier cas, un mandat écrit spécial est nécessaire. S'agissant des personnes morales, cette exigence n'est toutefois pas requise à l'égard des sociétés commerciales pour lesquelles la loi désigne les organes dotés du pouvoir de représentation.
Ex.Le directeur général d'une SA dispose du pouvoir légal d'agir en justice au nom de la société, tout comme le président du Conseil d'administration, et n'a donc pas besoin d'un mandat spécial : Ass. Plén., 18 nov. 94, D. 95 101, concl. Jéol, note Cohen.

Lorsque le débiteur en liquidation judiciaire est une société, sa dissolution par l'effet du jugement de liquidation judiciaire prive ses dirigeants de leurs pouvoirs. La société ne peut exercer ses droits propres que par l'intermédiaire de son liquidateur amiable, nommé conformément aux statuts ou dans leur silence, par les associés, ou si les associés n'ont pu procéder à cette nomination, par décision de justice. Le liquidateur amiable nommé par une assemblée générale représente valablement la société, et l'acte d'appel est régulier, peu important que cette nomination n'ait pas encore été publiée : Cass. Com., 7 sept. 2010, Proc. 2010, F. 12 n° 409 obs. B. Rolland.
Le défaut de pouvoir est sanctionné par une nullité de procédure pour irrégularité de fond.


- L'existence d'un pouvoir a pour corollaire l'obligation de désigner le représenté dans les actes de procédure
. Cette exigence constitue la traduction actuelle de la règle " Nul ne plaide en France par procureur ". Cette règle signifiait autrefois l'obligation de comparaître en personne, donc l'interdiction corrélative de la représentation. Puis, le droit de se faire représenter a été autorisé, à condition de ne pas recourir à un prête-nom et de bien apparaître dans la procédure. Cette exigence n'est toutefois pas imposée pour les actions ès qualités exercées par un tuteur ou un parent, administrateur légal de ses enfants mineurs.

Il convient par ailleurs de distinguer la représentation dans l'exercice de l'action (représentation ad agendum) de la représentation dans l'accomplissement des actes de procédure (représentation ad litem) (Cass. Soc., 5 déc. 07, Proc. 08 n° 33).
Devant certaines juridictions la représentation pour les actes de procédure, dont le dépôt de conclusions, est parfois obligatoire : il s'agit d'un mandat ad litem pour lequel n'est admis en outre qu'un seul représentant. Devant d'autres juridictions la représentation est facultative.


Jusqu'au 31 décembre 2019, la représentation était possible mais non obligatoire, devant toutes les juridictions spécialisées. Depuis l'entrée en vigueur du décret n° 2019-1333 du 11 déc. 2019, le champ des juridictions et procédures sans représentation obligatoire a été limité (C. Simon, « Identifier les cas de représentation obligatoire », Proc. 2021 Fasc. 1 n° 1).

Par ailleurs, quand la représentation par avocat n'est pas obligatoire, il y a presque toujours énumération limitative des représentants admis et, s'il n'est pas avocat, le représentant doit justifier d'un pouvoir spécial.

  • Tribunal judiciaire
    La représentation par avocat est en principe obligatoire : on parle ici de postulation car elle est en outre soumise à territorialité. Devant le TGI, jusqu'au 31 juillet 2016, la postulation ne pouvait être le fait que d'un avocat inscrit au Barreau rattaché au TGI concerné. Depuis le 1er août 2016, elle était possible devant tous les TGI du ressort de la Cour d'appel de rattachement de chaque Barreau. Cette règle est désormais applicable aux tribunaux judiciaires.
    Il existait aussi devant les TGI des procédures sans représentation obligatoire. La fusion avec les tribunaux d'instance a donné lieu à une évolution des conditions de représentation et d'assistance devant le tribunal judiciaire. La loi du 23 mars 2019 a modifié l'art. 2 de la loi n° 2007-1787 du 20 décembre 2007 relative à la simplification du droit, qui dispose désormais que, [par dérogation à l'article 4 alinéa 1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques], dans certaines matières qui seront précisées par décret en Conseil d'Etat, soit en raison de leur nature, soit en considération de la valeur du litige, les parties pourront se défendre elles-mêmes ou se faire assister ou représenter devant le tribunal judiciaire selon les conditions qui étaient en vigueur devant le tribunal d'instance.

    • Principe et cas de représentation obligatoire (art. 760 du CPC).
      Les parties sont, sauf disposition contraire, tenues de constituer avocat devant le tribunal judiciaire et la constitution d'avocat emporte élection de domicile. L'intervention de l'avocat est ainsi par principe obligatoire, y compris en matière de référé :
      • Lorsque la demande est supérieure à 10 000 euros, sans incidence du fait que la procédure applicable sera écrite ou orale.
      • Devant le JEX, sauf en matière d'expulsion, de saisie des rémunérations ou pour les demandes ayant pour origine une créance ne dépassant pas 10 000 € (art. L. 121-4 et R. 121-6 du CPCE).
      • Pour toutes les matières relevant de la compétence exclusive du tribunal judiciaire (art. R. 211-3-26 du COJ) qui ne sont pas dispensées du ministère d'avocat par un texte spécial, la représentation est obligatoire quel que soit le montant de la demande (ex. : successions).
      En savoir plus : Exemples de domaines où la représentation par avocat est devenue obligatoire

      - Expropriation (art. R. 311-9 du C. expr.).
      Rq.Si la représentation est obligatoire, dès lors que le juge de l'expropriation constitue une juridiction d'attribution, distincte du Tribunal judiciaire au sens de l'art. L. 261-1 du COJ, cette représentation n'est en revanche pas solumise à postulation  : Cass. Civ. 2ème, avis n° 21-70.004, 6 mai 2021, JCP G 2021 Fasc. 27 n° 734 note C. Laporte, DA actu 19 mai 2021, obs. C. Bléry et M. Bencimon ; D. 2021. 968, RTD civ. 2021 701 note N. Cayrol.

      - Baux commerciaux : contentieux de la fixation des loyers commerciaux pour les contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé (art. R. 145-26, R. 145-27, R. 145-29 et R. 145-31 du C. com.).
      - Procédures fiscales devant les juridictions civiles : contentieux de l'établissement de l'impôt (art. R. 202-2 et R. 202-4 du LPF).
      - Procédure d'adoption d'un enfant recueilli avant 15 ans (art. 1168 du CPC).
      - Révision de la prestation compensatoire (art. 1139 et 1140 du CPC).
      - Demandes de retrait total ou partiel de l'autorité parentale ou de délaissement parental. Seules les demandes de délégation de l'autorité parentale restent exemptées de l'obligation de constituer avocat (1203 du CPC).
      Ces nouvelles règles sont favorables aux professionnels, qui considèrent que le législateur a pris conscience de ce que la complexité du droit rend souvent indispensable l'intervention d'un avocat. La doctrine se montre plus réservée sur l'extension de la représentation à certains référés.

    • Exceptions et cas maintenus de dispense de représentation obligatoire (art. 761 du CPC).
      Beaucoup d'exclusions reprennent des règles en vigueur devant le TI.
      Tout d'abord, comme indiqué précédemment, il n'y a pas d'obligation de représentation pour les demandes d'un montant inférieur ou égal à 10 000 euros (ex-taux de compétence) et les demandes indéterminées ayant pour origine l'exécution d'une obligation dont le montant n'excède pas 10 000 euros (sauf demandes relevant de la compétence exclusive du tribunal judiciaire). Le montant de la demande est apprécié conformément aux dispositions des art. 35 à 37 du CPC (voir leçon 4). Lorsqu'une demande incidente a pour effet de rendre applicable la procédure écrite ou de rendre obligatoire la représentation par avocat, le juge peut, d'office ou si une partie en fait état, renvoyer l'affaire à une prochaine audience tenue conformément à la procédure applicable et inviter les parties à constituer avocat.
      Ensuite, les parties ne sont pas tenues de constituer avocat, quel que soit le montant de l'affaire, dans les matières :
      • figurant au tableau IV-II annexe du COJ, c'est-à-dire les demandes relevant de la compétence des Tribunaux de proximité en application de l'art. D. 212-19-1 du COJ ;
      • relevant de la compétence du JCP ;
      • énumérées aux articles R. 211-3-13 à R. 311-3-16, R. 211-3-18 à R. 211-3-21 et R. 211-3-23 du COJ (décisions rendues en dernier ressort en matière « électorale »).

      Tel est également le cas en matière de procédures collectives (art. R. 662-2 du C. com.) et de procédures de saisies des rémunérations (voir JEX, supra).

      De même, l'État, les départements, les régions, les communes et les établissements publics sont de façon générale toujours dispensés de se faire représenter par un avocat.

           Aux termes de l'art 762 du CPC, dans les cas où la représentation n'est pas obligatoire devant le tribunal judiciaire, les parties peuvent se défendre elles-mêmes ou se faire assister ou représenter par :
    • un avocat ;
    • leur conjoint, leur concubin ou la personne avec laquelle elles ont conclu un PACS ;
    • leurs parents ou alliés en ligne directe ;
    • leurs parents ou alliés en ligne collatérale jusqu'au troisième degré inclus ;
    • les personnes exclusivement attachées à leur service personnel ou à leur entreprise.

    Le représentant, s'il n'est pas avocat, doit justifier d'un pouvoir spécial.

    Ces règles sont applicables au JEX lorsque le ministère d'avocat n'est pas obligatoire devant celui-ci (art. L. 121-4 du CPCE).
    Cas particulier : lorsque le JEX est saisi sur requête, même quand la représentation est obligatoire, il n'y pas postulation territoriale dans la mesure où les avocats n'ont pas le monopole de la représentation (représentation possible par huissier quel que soit le montant du litige en matière de saisies conservatoires : art. L. 121-4, L. 122-2 et R. 121-3 du CPCE).
    Rq.La représentation n'est pas non plus obligatoire devant les 116 Tribunaux judiciaires spécialement désignés pour connaître des contentieux de la sécurité sociale (voir leçon 2) : les procédures concernées restent des procédures sans représentation obligatoire, les conditions d'assistance et représentation se faisant dans les conditions prévues par l'art. L. 142-9 du CSS en matière de sécurité sociale et l'art. L. 134-4 du CASF en matière d'aide sociale.

  • Tribunal de commerce
    Une liberté totale existait auparavant devant cette juridiction en matière de représentation et d'assistance. Tel n'est plus le cas désormais : la représentation obligatoire a été étendue au Tribunal de commerce pour les instances introduites à compter du 1er janvier 2020 lorsque les litiges portent sur des demandes excédant 10 000 €, y compris en matière de référé (art. 853 du CPC). Les règles relatives à la postulation n'étant applicables que devant les tribunaux judiciaires, il s'agit d'une représentation obligatoire par avocat sans postulation territoriale, donc sans limite géographique.

    Il est fait exception à l'obligation de représentation par avocat devant le tribunal de commerce :
    • Pour toutes les demandes inférieures ou égales à 10 000 euros ou ayant pour origine l'exécution d'une obligation dont le montant n'excède pas 10 000 euros, y compris les référés. Le montant de la demande est apprécié conformément aux dispositions des articles 35 à 37 du CPC (décret du 27 nov. 2020).
    • Quel que soit le montant des demandes :
      • en matière de procédures collectives instituées par le livre VI du C. com. ;
      • pour les procédures sur requête en matière de gage des stocks et de gage sans dépossession (art 874 CPC) ;
      • pour les litiges relatifs à la tenue du RCS.

    Dans ces différentes hypothèses, la représentation par toute personne demeure comme autrefois possible, étant toutefois précisé que seuls les avocats peuvent assumer à titre habituel les missions de représentation et d'assistance en justice (exclusion des sociétés de recouvrement : Cass. Civ. 1ère, 21/1/03, JCP G 03 I 128 n° 16, Proc. 03 n° 88, D. 03 som. com. 1400).
    L'Etat, les régions, les départements, les communes et leurs établissements publics peuvent se faire assister ou représenter par un fonctionnaire ou un agent de leur administration.


  • Conseil de Prud'hommes
    Jusqu'au 31 juillet 2016, le principe était l'exclusion de la représentation, sauf à justifier d'un motif légitime (Ass. Plén., 31 oct. 96, rev. Proc. 97 n° 2). Depuis le 1er août 2016, si le principe de comparution personnelle avait été réaffirmé, l'article art. R. 1453-1 du C. trav. indiquait que les parties avaient la faculté de se faire représenter, sans condition désormais de motif légitime. Les personnes autorisées à les représenter et les assister ont été énumérées à l'art. R. 1453-2 du C. trav., la référence aux « défenseurs syndicaux » étant par ailleurs substituée dans ce texte à celle de « délégués permanents ou non permanents des organisations d'employeurs et de salariés » mentionnée auparavant. Pour mémoire (cf. leçon 3), la loi Macron a introduit dans le code du travail le statut de défenseur syndical, chargé de fonctions d'assistance et de représentation devant les Conseils de prud'hommes et les Cours d'appel. Ces dispositions sont entrées en vigueur le 1er août 2016 (voir leçon 3). Le Conseil d'Etat a validé le fait que le défenseur syndical puisse assister et représenter les justiciables dans les contentieux du travail (CE, 30 janvier 2019, JCP G 2019 Fasc. 9-10, n° 255 §17, obs. S. Bortoluzzi).

    La loi du 23 mars 2019 a créé dans le code du travail un article L. 1453-1A disposant que, par dérogation au premier alinéa de l'art. 4 de la L. n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, les parties peuvent se défendre elles-mêmes ou se faire assister ou représenter devant le conseil de prud'hommes, outre par un avocat, par :
    1. Les salariés ou les employeurs appartenant à la même branche d'activité ;
    2. Les défenseurs syndicaux ;
    3. Leur conjoint, leur partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou leur concubin.
    L'employeur peut également se faire assister ou représenter par un membre de l'entreprise ou de l'établissement fondé de pouvoir ou habilité à cet effet.
    Le représentant, s'il n'est pas avocat, doit justifier d'un pouvoir spécial. Devant le Bureau de conciliation et d'orientation, cet écrit doit l'autoriser à concilier au nom et pour le compte du mandant, et à prendre part aux mesures d'orientation.
    La dérogation au monopole des avocats issu de la loi du 31 décembre 1971 postulait en effet des dispositions de nature législative. Leur contenu ne fait néanmoins que reprendre ce qui figurait aux articles R. 1453-1 et R. 1453-2 du C. trav..

  • TPBR
    Il est possible de se faire représenter devant les TPBR depuis le 1er décembre 2010 (art. 883 et 884 du CPC). Toutefois, lors de la tentative préalable de conciliation, qui peut être déléguée à un conciliateur de justice, les parties sont tenues de comparaître en personne, sauf à se faire représenter en cas de motif légitime.

    Rappel : depuis le 1er janvier 2020, la présidence des TPBR est assurée, soit par un magistrat du siège du tribunal judiciaire, soit par un magistrat de la chambre de proximité, selon le lieu d'implantation du tribunal.

  • Cours d'appel
    La représentation était auparavant le monopole des avoués. Il était interdit aux parties ou à leur avocat d’agir en appel sans le concours d’un avoué constitué (Cass. Civ. 2ème, 23 mars 94, JCP G 95 II 22373, note Du Rusquec). En revanche, l’avoué ne plaidant pas, l’avocat était donc toujours susceptible d’assister son client en appel.
    Depuis le 1er janvier 2012, du fait de la suppression des avoués, la représentation en appel est aussi devenue le monopole des avocats, avec une exigence de territorialité la limitant aux seuls avocats du ressort d’une Cour d’appel. Sous cette réserve, un même avocat peut donc désormais assumer les missions de représentation et d’assistance de son client en appel.

    A noter : il existe aussi devant les cours d'appel des procédures sans représentation obligatoire.
    Ex.Contentieux des baux ruraux (art. 892 du CPC), de la sécurité sociale (art. R. 142-11 du CSS), de l'expropriation...

    Rq.Actualité : la représentation est devenue obligatoire en matière prud'homale pour les appels introduits à compter du 1 er août 2016. Pour ce faire, les parties peuvent recourir à un défenseur syndical (voir leçon 3 et  infra). A défaut elles sont tenues de constituer avocat.

    Le conseil d'état avait invalidé, par un arrêt du 17 novembre 2017, les dispositions de l'art. D. 1453-2-4 du C. trav. qui limitaient les possibilités d'intervention des défenseurs syndicaux au plan géographique. L'ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017 a réintroduit, cette fois à l'art. L. 1453-4 du C. trav., l'indication selon laquelle "le défenseur syndical intervient sur le périmètre d'une région administrative".
    Cass. Soc., 17 mars 2021, Proc. 2021 n° 138 note A. Bugada, D. actu. 7 avr. 2021, obs. C. Couëdel ; LPA 1er juin 2021, p. 52, note M. Richevaux, Gaz. Pal. 20 juill. 2021, p. 46, obs. V. Ori, RT 2021 699, obs. N. Cayrol : pas d'auto représentation du défenseur syndical devant une cour d'appel.

    S'agissant de la représentation par avocat en appel, le Ministère de la justice a indiqué que leur régime de postulation territoriale n'était pas applicable devant les cours d'appel statuant en matière prud'homale, dans la mesure notamment où il échappe à leur monopole général d'assistance et de représentation. Cette position a été reprise par la Cour de cassation dans deux avis du 5 mai 2017 (Cass. avis, 5 mai 2017, JCP G 2017 Fasc. 21 n° 597 : l'application des dispositions du Code de procédure civile relatives à la représentation obligatoire devant la cour d'appel statuant en matière prud'homale n'implique pas la mise en œuvre des règles de la postulation devant les cours d'appel, les parties pouvant être représentées par tout avocat, si elles ne font pas le choix d'un défenseur syndical).

  • Cour de cassation
    La représentation obligatoire est la règle. Les avocats aux Conseils ont le monopole de la représentation et de l'assistance devant la Cour de cassation et le Conseil d'Etat.
    Subsistent néanmoins quelques cas de dispense légale d'avocat :
    Ex.pourvois spéciaux du Ministère public (pourvoi dans l'intérêt de la loi et pour excès de pouvoir), contentieux électoral des élections professionnelles, recours en matière d'inscription sur les listes d'experts...

Les personnes ayant qualité pour assister les parties devant les différentes juridictions, sont celles habilitées à les représenter devant ces mêmes juridictions : il convient donc de se reporter aux développements relatifs à la représentation.

Même s'il n'y a pas représentation, il est toujours possible de recourir à l'assistance (conseil et plaidoirie). Celle-ci peut même être le fait de plusieurs personnes, alors qu'il n'est admis qu'un seul représentant.
Quant à ses effets, à la différence de la représentation qui engage le représenté (art. 411 du CPC), l'assistance ne l'oblige pas (art. 412 du CPC). Selon l'article 413 du CPC, le mandat de représentation emporte en principe mission d'assistance, sauf dispense ou convention contraire.
Ex.Cas des avoués auparavant, devant la Cour d'appel.

Rq.La loi du 20 décembre 2007, relative à la simplification du droit, a permis aux parties d'être représentées ou assistées devant le tribunal d'instance, le JEX, le Conseil de prud'hommes, le TPBR et les juridictions de la sécurité sociale par leur concubin ou partenaire de PACS (H. Croze, « Conséquences de la possibilité d'être assisté ou représenté par son concubin ou son partenaire dans le cadre d'un PACS », Proc. 08 p. 37).
- Le mandat de représentation en justice est marqué d'intuitus personae . La conséquence en est que le représentant doit normalement justifier d'un pouvoir écrit spécial : son défaut est sanctionné par une nullité pour irrégularité de fond pouvant conduire à l'irrecevabilité d'un recours (Rev. Proc. 1998 n° 38). Cependant, de par leur fonction, les avocats sont investis d'un mandat ad litem dont il sont dispensés de rapporter la preuve (art. 416 et 417 du CPC). La secrétaire d'un avocat bénéficiant d'une délégation de signature n'est pas habilitée.
La présomption de mandat ne constitue toutefois qu'une présomption simple, susceptible de preuve contraire (Cass. Com., 19 oct. 93, Bull. civ. IV n° 339, RTD civ. 94 160 n°4).

- Le mandat ad litem permet de faire tous les actes de la procédure. S'il n'autorise pas la représentation devant une autorité administrative, il donne la possibilité, de faire ou d'accepter un désistement, un acquiescement, un aveu (art. 417 du CPC).
Effet d'un aveu judiciaire fait oralement par un représentant dans une procédure orale : Cass. Civ. 1ère, 3/2/93, D. 93 IR 50, obs. Cadiet, JCP G 93 I 3678 n° 13, RTD civ. 93 642, obs. Perrot.
L'art. 417 du CPC est inapplicable à la représentation ad agendum en matière d'incapacités : Cass. Civ. 1ère, 17 mars 00, Bull. civ. I n° 78, RT 00 397.

La règle n'est pas susceptible de preuve contraire mais elle ne joue que dans les rapports avec le juge et l'adversaire, non avec le mandant. En d'autres termes, un dépassement de pouvoir ne remet pas l'acte en cause (un aveu n'engage toutefois le mandant qu'à condition que cette qualification soit retenue : Cass. Civ. 2ème, 8 oct. 97, Proc. 97 n° 288) mais peut engager la responsabilité contractuelle de l'avocat envers son client.

D'autres actes, nécessitent en revanche un mandat spécial, dont l'absence est sanctionnée par une nullité pour irrégularité de fond.

Ex.Tel est le cas de l'inscription de faux contre les actes authentiques (Cass. Civ. 2ème, 13 juill. 99, Proc. 99 n° 245 : mandat à joindre à la déclaration), de la récusation d'un juge, du serment décisoire...
S'agissant du défenseur syndical, l'art. 1453-2 du C. trav. précise que devant le bureau de conciliation et d'orientation, cet écrit doit l'autoriser à concilier au nom et pour le compte du mandant et à prendre part aux mesures d'orientation.

Le représentant ad litem doit remplir ses obligations jusqu'à l'exécution du jugement, dans la limite du délai d'un an après que celui-ci soit passé en force de chose jugée (art. 420 du CPC).
En savoir plus : Conseil méthodologique de lecture

Lire les articles 418 et 419 du CPC, qui traitent de l'incidence du changement, de la démission ou de la révocation du représentant.

Sy.
Tableaux récapitulatifs

1. Sources de la notion de pouvoir en droit judiciaire privé



2. Conditions de représentation et d'assistance devant les juridictions civiles

Section 2. La matière de l'instance


La matière de l'instance concerne les éléments objectifs du procès, objet et cause de la demande qui, en application de la thèse de Motulsky, ne devaient concerner que les faits, le droit relevant du juge (V. notamment, Motulsky, « Le rôle respectif du juge et des parties dans l'allégation des faits », Ecrits t. 1 p. 38). Cette conception semblait, a priori, mise en œuvre par la rédaction des dispositions liminaires du CPC.

L'évolution ultérieure, tant des textes que de la jurisprudence, ne permet plus vraiment de retenir cette acception, dans la mesure où les obligations pesant sur les parties, au regard du droit, se sont beaucoup accrues.


Df.L'objet de la demande est la prétention émise, le résultat visé, en l'occurrence la reconnaissance du droit subjectif substantiel. L'objet est réclamé en vertu d'une certaine cause, qui lui sert de fondement juridique. Ces deux éléments, objet et cause, déterminent le cadre du procès.

L'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties, résultant de l'acte introductif d'instance, des conclusions en défense (art. 4 du CPC), et des éventuelles demandes incidentes recevables (art. 70 et 325 du CPC).
L'objet du litige a une incidence d'une part sur les pouvoirs du juge, qui doit se prononcer sur tout ce qui est demandé (art. 5 du CPC), d'autre part sur les limites de l'autorité de chose jugée.

Nous avons vu dans la leçon 6 que, depuis l'arrêt de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation du 7 juillet 2006 (Ass. Plén., 7 juill. 06, D. 06 2135 note Weiller, JCP G 06 actu n° 351 et I 183 n° 15 obs. S. Amrani-Mekki, Proc. 06 n° 201, RTD civ. 06 825), il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci. A défaut, un simple changement ultérieur de fondement juridique ne suffit pas à écarter l'autorité de la chose jugée sur la demande originaire. L'arrêt se focalise essentiellement sur ce qui est demandé, quel que soit le fondement de la demande. L'objet devient l'élément clé de la notion de chose jugée, et il absorbe désormais la cause.

Enfin, le principe d'immutabilité de l'objet du litige implique l'irrecevabilité des demandes nouvelles.
Ce principe connaît toutefois des limites :
  • en première instance, les demandes incidentes sont recevables dans les conditions de l'article 70 et 325 du CPC ;
  • au niveau de l'appel, diverses exceptions résultent des articles 564 s. du CPC.

La cause est une notion complexe, non définie dans le code de procédure civile, où elle apparaît à travers la qualification de "fondement juridique de la prétention".
  • Certains auteurs, principalement les publicistes, voyaient exclusivement dans la cause la règle de droit invoquée, ce qui justifiait selon eux, par exemple, la possibilité de passer d'une demande fondée sur l'ex-article 1382 du C. civ. (devenu art. 1240 du C. civ. à une demande au titre de l'ex-article 1384 du C. civ. (désormais art. 1242 du C. civ.) (R. Savatier, note D. 1928 1 153 - V. aussi art. 565 du CPC).
  • D'autres, inspirés par Motulsky, ont considéré qu'il s'agissait de l'ensemble des faits sur lesquels est fondée la demande (Motulsky, « La cause de la demande dans la délimitation de l'office du juge », D. 64 chr 235. « Prolégomènes pour un futur Code de procédure civile », D. 72 chr. 91). Après l'entrée en vigueur du Nouveau code de procédure civile, on a considéré que cette analyse se retrouvait dans la rédaction des articles 6 et 9 du code.
  • Une autre partie de la doctrine y a enfin vu un ensemble de faits juridiquement qualifiés. Telle était la position de J. Vincent, et celle de S. Guinchard, s'appuyant sur l'art. 12 al. 2 du CPC donnant au juge le pouvoir de requalifier sauf si les parties l'ont lié sur ce point (Guinchard, Procédure civile, Précis Dalloz, 2006, n° 637). Depuis, la position de S. Guichard semble être redevenue proche de celle de Motulsky lorsqu'il indique que la cause est le complexe de faits soumis au juge par les parties, à partir duquel elles élaborent les moyens de  fait pour fonder ou critiquer une prétention (C. Chainais, F. Ferrand, S. Guinchard, Procédure civile, droit interne et européen du procès civil, Dalloz 2016, n° 540 s.) . Selon Loïc Cadiet, la cause serait plutôt le présupposé ou l'hypothèse de la règle de droit (L. Cadiet et E. Jeuland, Droit judiciaire privé, Litec).

D'un point de vue pratique, la cause intervient dans le cadre de l'immutabilité du litige, de l'autorité de la chose jugée, et plus largement dans le cadre de la discussion sur les pouvoirs respectifs du juge et des parties.

Un changement de cause ou de motifs en appel ne constitue pas une demande nouvelle irrecevable (art. 565 du CPC). Cette règle entraîne, de fait, une certaine perte d'intérêt de la notion, dont on peut se demander si elle n'est pas accentuée par l'évolution récente de la jurisprudence sur la notion d'autorité de la chose jugée.

En effet, jusqu'à l'arrêt de l'Assemblée plénière du 7 juillet 2006 (voir leçon 6 section 1, §2 A1b), la jurisprudence considérait que la cause résidait dans ce qui avait été effectivement débattu et jugé, en englobant à la fois les faits et les qualifications juridiques discutées (obs. Fricero sous Cass. Civ. 2ème, 4 mars 04, D. 04 som. com. 1204).

Désormais, la Cour de cassation estime qu'un changement de fondement juridique ne suffit pas à caractériser la nouveauté de la cause et par suite à écarter l'autorité de la chose jugée sur une précédente demande (Ass. Plén., 7 juill. 06, D. 06 2135 note Weiller, JCP G 06 actu n° 351 et I 183 n° 15 obs. S. Amrani-Mekki, Proc. 06 n° 201, RTD civ. 06 825). Cet arrêt a consacré une acception large de la cause, en considérant que la notion englobe toutes les demandes ayant le même but, même si leur fondement juridique est différent. Comme cela a déjà été indiqué, l'objet semble a priori devenu l'élément clé de la chose jugée et paraît avoir absorbé la cause. Des décisions postérieures ont tiré les conséquences du fait que la limite de l'arrêt du 7 juillet 2006 repose sur le critère de l'identité ou non de l'objet (Cass. Civ. 3ème, 18 oct. 06, Bull. n° 202 et Cass. Civ. 2ème, 14 sept. 06, Bull. n° 221, obs. Sérinet, JCP G 07 I 139 n° 17).

Cette solution pourrait être critiquée au regard du principe du contradictoire mais la Cour de cassation contourne l'obstacle en faisant peser sur les parties une obligation nouvelle : elle leur impose, dès l'instance relative à la première demande, une concentration des moyens juridiques susceptibles d'être invoqués pour la fonder. Dès lors, seules les demandes fondées sur une cause différente, dont les parties ne pouvaient avoir connaissance lors du premier procès, sont désormais susceptibles d'échapper à la sanction du non-respect de l'obligation, en l'occurrence la fin de non-recevoir tirée de la chose jugée.

En savoir plus : La notion de moyen

D'autres notions s'induisant de la cause, l'argument et le moyen, sont aussi parfois empreintes d'une certaine confusion. L'argument étaye le moyen, lequel donne à la cause son fondement. Le moyen, à distinguer de la notion de "moyen de cassation" (qui renvoie à la structuration du pourvoi et aux cas d'ouverture à cassation), est un modèle de raisonnement proposé au juge pour obtenir un résultat car il suggère l'établissement d'une relation entre deux éléments des débats, notamment entre la règle de droit et un fait. Selon R. Martin (voir réf. en bibliographie), le moyen consistait en l'indication au juge du modèle juridique et il constituait un instrument de description du raisonnement judiciaire.

Le moyen démontrerait tandis que l'argument aurait pour vocation de persuader. Selon R. Martin, l'argument était une affirmation de fait, véhicule de l'irrationnel, qui devait se limiter à la plaidoirie... un élément sociologique, relevant du domaine du sentiment, de l'émotion, avec un objectif d'idéalisation ou de diabolisation du résultat. Le moyen, qui visait selon l'auteur l'allégation des faits pertinents, pouvait être de fait ou de droit.

Une Charte de présentation des écritures a été signée en 2023 à l'initiative du Conseil consultatif conjoint de la déontologie de la relation magistrat-avocat.
Selon cette Charte, les moyens sont les considérations de droit ou de fait invoquées par une partie qui concourent au succès de sa prétention. Ils consistent en l'invocation d'un fait ou d'un acte assorti d'une offre de preuve, d'où, par un raisonnement juridique, la partie entend déduire le succès de sa prétention. Il doit être distingué, d'une part de l'argument, simple élément de discussion dépourvu de raisonnement juridique qui n'appelle pas nécessairement de réponse dans la motivation de la décision, et d'autre part, de l'allégation, qui est une affirmation dépourvue d'offre de preuve.
Df.Qualifications des moyens liées aux initiatives du juge
  • Moyen de droit relevé d'office : la mention traduit l'application par le juge d'une règle dont les parties n'ont pas envisagé l'application dans leurs conclusions. Soulever d'office un moyen de droit est facultatif pour le juge, mais la faculté se mue en obligation s'il s'agit d'un moyen de droit d'ordre public, en lien avec un principe essentiel du droit (Dorsner-Dolivet, « L'ordre public et les moyens d'ordre public en procédure », D. 86 chr. 59).
  • Moyen de pur droit : c'est un moyen de droit qui, au regard de l'exposé des prétentions, est considéré comme ayant été implicitement invoqué par les parties. Par suite, ce moyen n'implique l'appréciation d'aucun fait qui n'aurait pas déjà été examiné par les juges du fond.
  • Moyen dans la cause : cette indication est utilisée quand le juge restitue aux faits leur véritable qualification, avec application ou rejet de la règle invoquée par une partie, mais pour un motif qu'elle n'alléguait pas : ce qui est en cause est l’application ou non de la règle concernée. L'initiative du juge est parfois assujettie au respect du principe du contradictoire.
Prérogatives des parties devant la Cour de cassation.
Aux termes de l'art. 619 du CPC les moyens nouveaux ne sont pas autorisés devant la Cour de cassation, sauf s'il s'agit de moyens de droit tirés de la décision attaquée ou de moyens de pur droit, et à condition qu'ils ne soient pas contraires à ceux soulevés devant les premiers juges (Cass. Civ. 2ème, 9 sept 2010, D. 2011 145 note N. Dupont).
Sont en revanche interdits les moyens de fond nouveaux, ainsi que les moyens mélangés de fait et de droit car ils impliquent l'allégation d'un nouvel élément de fait.

Les moyens de pur droit reposent en totalité sur les constatations de la décision attaquée. Considérés comme ayant été implicitement invoqués, ils ne nécessitent aucune appréciation ou constatation de fait non effectuée par l'arrêt (arrêt ne tirant pas les conséquences légales de ses constatations). Cette exigence vaut même pour les moyens d'ordre public : ils doivent également s'inférer des pièces produites devant les premiers juges.
Les moyens de pur droit peuvent d'ailleurs être relevés d'office à condition de respecter le contradictoire. 
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