Cette qualification fait référence à la compétence d'un autre « ordre » de juridiction.
- Question préjudicielle administrative : elle met en cause la séparation des pouvoirs.
Jusqu'en 2015 elle se posait uniquement lorsqu'était nécessaire l'interprétation d'actes administratifs individuels ou l'appréciation générale de la légalité d'actes administratifs. La jurisprudence a imposé que l'exception présente un caractère sérieux et que la question soit indispensable à la solution du litige civil.
Rq.Le Tribunal des conflits a toutefois décidé que lorsqu’est en cause une norme européenne, afin de respecter le délai raisonnable des procédures et le principe de primauté et d’effectivité du droit de l’Union, le juge judiciaire peut poser directement une question préjudicielle à la CJUE ou appliquer l'acte s'il s'estime en état de le faire alors même qu'un acte administratif serait incidemment en cause (T. conflits, 17 oct. 2011, n° 3828 et n° 3808 : JCP G 2011 act 62, obs. J.-G. Sorbara ; JCP G 2011 F. 51 n° 1423, note B. Plessix ; AJDA 2011, p. 2041, obs. R. Grand : compétence incidente par voie d’exception, D. 2011 3046 note F. Donnat).
Le décret du 27 fév. 2015, pris pour l'application de la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative au Tribunal des conflits, a institué par ailleurs une procédure de questions préjudicielles entre les deux ordres (S. Hutier, « Vers un renouveau des questions préjudicielles », Proc. 2015 Fasc. 9 alerte 34). Est visée l'hypothèse où la solution d'un litige dépend d'une question soulevant une difficulté sérieuse relevant de la compétence de l'autre ordre (art. 49 du CPC et art. R. 771-2 du CJA - Voir infra section 2§3C). Ces dispositions sont entrées en vigueur le 1er avril 2015.
- Question préjudicielle pénale : cette question préjudicielle intervient dans les cas où l'action publique n'a pas été engagée mais pourrait l'être sur le fondement des faits invoqués. En pratique, avant 2007, le sursis à statuer des juridictions civiles était moins lié à cette question préjudicielle qu'à la règle « le criminel tient le civil en l'état » qui imposait auparavant un sursis à statuer, afin d'éviter une contrariété de décisions quand l'action publique était engagée. Désormais il n'y a plus obligation, mais simple faculté de surseoir, laissée à l'appréciation du juge civil.
Rq.Instance civile et incident criminel.
L'ancien article 4 du CPP obligeait le juge à surseoir à statuer en vertu de la règle « le criminel tient le civil en l'état ». La loi n° 2007-291 du 5 mars 2007 a modifié cet article qui dispose désormais : « La mise en mouvement de l'action publique n'impose pas la suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile, de quelque nature qu'elles soient, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d'exercer directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil ».
Toute la jurisprudence antérieure en la matière a été remise en question et les juridictions civiles disposent désormais du pouvoir d'apprécier s'il est opportun ou non de surseoir à statuer dans le cadre du litige civil qui leur est soumis (Cass. Com., 24/06/08, Proc. 08 n° 230). La cour de cassation a précisé que la règle ne s'applique pas devant le juge des référés (Cass. Civ. 3ème, 07/01/09, D. 09 567, Proc. 09 n° 76, RT 09 168 n° 5) et n'inclut pas une ordonnance de validation d'une composition pénale (Cass. Soc., 13/01/09, JCP G O0 actu n° 65, D. 09 709).
NB : Dans un autre registre, s'agissant de la règle de l'autorité au civil de la chose jugée au pénal, la Chambre mixte de la Cour de cassation a indiqué que cette autorité absolue et erga omnes se limite aux décisions statuant au fond sur l'action publique (Cass. Mixte, 10 oct. 2008, JCP G 08 II 10199).
- Questions préjudicielles communautaires : la Cour de justice de l'Union européenne est compétente pour statuer à titre préjudiciel sur l'interprétation du droit de l'Union européenne et sur la validité des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l'Union. Suite à l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, cette compétence générale lui est conférée par les articles 19 § 3 du traité sur l'Union européenne (TUE) et 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). Par ailleurs, aux termes de l'article 256 § 3 du TFUE, le Tribunal serait compétent pour connaître des questions préjudicielles soumises au titre de l'article 267 dans des matières spécifiques déterminées par le statut, mais celui-ci n'ayant pas été modifié en ce sens, la CJUE reste à ce jour seule compétente pour statuer à titre préjudiciel.
Après une première note informative en 2009, la CJUE a diffusé de nouvelles recommandations à l'intention des juridictions nationales en matière de renvois préjudiciels (JOUE n° C 338, 6 nov. 2012, p. 1, Proc. 2013 Fasc. 3 n° 74 obs. C. Nourrissat). Le renvoi ne peut émaner que d'une juridiction. Il peut avoir lieu d'office mais n'est obligatoire que si la décision n'est pas susceptible de recours interne, pourvoi inclus. A des fins d'efficacité, l'interprétation donnée par la CJUE s'impose dans tous les Etats membres. De même, pour éviter les recours à répétition, son encombrement, et les procédures dilatoires, la CJUE a assortit sa saisine de plusieurs conditions : il est nécessaire que la disposition soumise à interprétation ne soit pas claire et précise, notamment au regard de l'interprétation acquise du droit communautaire, et qu'elle n'ait pas déjà été interprétée par la CJUE. Il n'y a pas non plus lieu à saisine lorsque la réponse n'aurait en toute hypothèse aucune influence sur la solution du litige. Enfin, pour être recevable la question préjudicielle doit apparaître pertinente, c'est-à-dire suffisamment précise d'un point de vue factuel et juridique, pour permettre une interprétation utile du droit communautaire (CJCE, 26/01/93 et 19/03/93, D. 93 464 note crit Fourgoux, Bergerès D. 93 chr. 245 - CJCE, 21/01/03, Proc. 03 n° 66).
Voir aussi CJUE, Instr. 10 déc. 2019 : instructions pratiques relatives aux affaires portées devant la CJUE.
Ex.
- En vertu de l'art. 74 du CPC, la demande de sursis dans l'attente de la décision de la juridiction administrative doit, à peine d'irrecevabilité être soulevée avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir, alors même que les règles invoquées au soutien de l'exception seraient d'ordre public.En revanche, la demande de saisine de la Cour de Justice tendant au renvoi de l'affaire pour interprétation des textes communautaires en vertu de l'article 234 du traité instituant la Communauté européenne (TCE), peut être présentée en tout état de cause et même à titre subsidiaire (Cass. Civ. 2ème, 18 déc. 2008, JCP G 09 II 10048, Proc. 09 n° 75, D. 09 761).
- Absence de contrôle par la Cour EDH du refus de renvoi préjudiciel devant la CJUE de la part des juridictions suprêmes nationales : Cour EDH, 20 sept. 2011, Ullens de Schooten et Rezabek c/ Belgique, JCP G 2011 Fasc. 49 n° 1369, note L. Milano. En revanche, dans un arrêt du 8 avril 2014 la cour EDH a rappelé que l'article 6, paragraphe 1, met à la charge des juridictions internes une obligation de motiver au regard du droit applicable les décisions par lesquelles elles refusent de poser une question préjudicielle (Cour EDH, 2ème sect., 8 avr. 2014, Proc. 2014 Fasc. 6 n° 174 obs. N. Fricero).
Dans le cadre spécifique de l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union (TFUE), cela signifie que les juridictions nationales doivent indiquer les raisons pour lesquelles elles considèrent que la question n'est pas pertinente, ou que la disposition de droit de l'Union européenne en cause a déjà fait l'objet d'une interprétation de la part de la CJUE, ou encore que l'application correcte du droit de l'Union européenne s'impose avec une telle évidence qu'elle ne laisse place à aucun doute raisonnable. Dans le même sens, Cour EDH, 13 fév. 2020, JCP G 2020 Fasc. 13 n° 394 note D. Segoin et V. Steinberg, la Cour de cassation rappelée à l'ordre par la Cour EDH.
- CJUE, 4 oct. 2018, D. 2019 240 : sanction d'un refus de renvoi d'une question préjudicielle par le Conseil d'Etat.
Rq.La question préjudicielle diplomatique :
Cette question préjudicielle n'existe plus en droit judiciaire privé.
Auparavant l'interprétation des traités, problème de droit international public, était considérée comme relevant de la compétence du Ministre des affaires étrangères. Le Conseil d'Etat s'était néanmoins reconnu, à certaines conditions, le pouvoir d'interpréter les traités (CE, 29 juin 90 Gisti, D. 90 560 Sabourin Lebon p. 171). La Cour de cassation l'avait suivi dans cette voie, s'estimant compétente sans réserve (Cass. Civ. 1ère, 19/1/95, Rev. crit. DIP 96 469). Cette question préjudicielle avait par ailleurs été jugée attentatoire à l'art. 6§1 de la Convention EDH, notamment en ce qu'elle obligeait le juge à suivre l'avis ministériel (Cour EDH, 13 fév. 03, Chevrol/France, D. 03 931, JCP G 03 I 160 n° 4 obs. Sudre ; Cour EDH, 24 nov. 94, Beaumartin/France, JCP G 95 I 3823 n° 25, note Sudre).
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