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Institutions et principes fondamentaux du procès civil

Droit judiciaire privé : Aménagement des principes de compétence et incidents de compétence

La leçon expose tout d'abord les aménagements susceptibles d'être apportés aux règles de compétence : d'une part l'extension des pouvoirs du juge résultant de prorogations légales de compétence, d'autre part les prérogatives des parties se manifestant par des prorogations conventionnelles ou volontaires de compétence. Ensuite, est abordé le règlement des incidents de compétence, qu'il s'agisse de traiter les contestations de compétence de la juridiction saisie ou les éventuels conflits de compétence entre plusieurs juridictions.


Section 1. L'aménagement des principes de compétence

Un aménagement des règles de compétence apparaît nécessaire ne serait-ce qu'en raison de la complexité de certains procès, pour éviter leur morcellement. L'extension des pouvoirs du juge se manifeste par une autorisation des textes (§1) ou une prorogation volontaire de compétence (§2). La première possibilité est envisagée plus favorablement par le Code de procédure civile.

  • Prorogation légale ou judiciaire de compétence :
    Une juridiction saisie d'une demande initiale relevant de sa compétence bénéficie en général d'une extension de compétence lui permettant d'examiner une demande incidente ou un moyen de défense relevant de la compétence d'une autre juridiction. On parle dans ce cas de prorogation légale de compétence.
    Il y a également extension de compétence lorsqu'un juge renvoie un litige à une juridictionpas nécessairement compétente pour en connaître (renvoi après cassation, renvoi pour cause de suspicion légitime, litispendance et connexité) : il s'agit ici d'une prorogation judiciaire de compétence, mais dans un cas autorisé par la loi.
  • Prorogation conventionnelle ou volontaire de compétence :
    Ces qualifications mettent en cause la possibilité pour les plaideurs de soumettre un litige à un autre juge que celui prévu par les textes. La prorogation est qualifiée de conventionnelle lorsqu'elle résulte d'un accord exprès des parties. Elle est dite volontaire en cas d'acceptation tacite des parties, la compétence n'étant pas contestée.

La question est celle du lien plus ou moins étroit existant entre les différentes questions soumises à une juridiction. Le droit apparaît plus libéral en matière de défenses et d'incidents d'instance, qu'en matière de demandes incidentes.

Il existe en la matière un principe, assorti de limites.


Le principe est que « le juge de l'action est juge de l'exception » (art. 49 du CPC).

Le juge compétent pour examiner une demande l'est aussi pour connaître des « exceptions » au sens large opposées à celle-ci.
Ce pouvoir attractif de la demande permet d'éviter les lenteurs et les contrariétés de décisions. La règle s'applique à toutes les défenses procédurales et aux défenses au fond relevant du droit substantiel afin d'éviter un morcellement du procès. Elle vaut même en cas de nécessité d'interprétation préalable d'un contrat.
L'article 49 du CPC joue aussi bien pour la compétence d'attribution que la compétence territoriale, et qu'il s'agisse d'une juridiction de droit commun ou spécialisée.
En savoir plus : Dans le cadre de l'article 49 du CPC, le tribunal d'instance pouvait auparavant être amené à connaître, à titre exceptionnel, d'une question de nature pétitoire.

Cass. Soc., 8 févr. 2012, Proc. 2012, Fasc. 4, n° 105, obs. R. Perrot : Le tribunal d'instance, juge de l'action, étant compétent en dernier ressort pour apprécier si le demandeur remplissait les conditions nécessaires pour être électeur, l'était également pour déterminer, par voie d'exception, l'existence à cette date du contrat de travail de l'intéressé - Cass Civ. 1ère, 20 mars 2013, JCP G 2013, actu. 366, obs. G. Deharo et Fasc. 47, n° 1225, obs. Y.-M. Serinet.

L'article 49 du CPC ne s'applique pas lorsqu'est en cause la compétence exclusive d'une autre juridiction.

Cette hypothèse correspond à l'existence d'une question préjudicielle (art. 49 du CPC) : le juge saisi doit renvoyer cette question préjudicielle à l'examen de la juridiction compétente pour la trancher, surseoir à statuer en attendant la réponse, puis intégrer celle-ci, sans pouvoir d'appréciation, dans sa propre décision.

Il existe des questions préjudicielles générales, mettant en cause la compétence d'un autre ordre de juridiction et des questions préjudicielles spéciales, internes à un ordre donné, soit dans notre cas l'ordre judiciaire.


Cette qualification fait référence à la compétence d'un autre « ordre » de juridiction.

- Question préjudicielle administrative : elle met en cause la séparation des pouvoirs.
Jusqu'en 2015 elle se posait uniquement lorsqu'était nécessaire l'interprétation d'actes administratifs individuels ou l'appréciation générale de la légalité d'actes administratifs. La jurisprudence a imposé que l'exception présente un caractère sérieux et que la question soit indispensable à la solution du litige civil.

Rq.Le Tribunal des conflits a toutefois décidé que lorsqu’est en cause une norme européenne, afin de respecter le délai raisonnable des procédures et le principe de primauté et d’effectivité du droit de l’Union, le juge judiciaire peut poser directement une question préjudicielle à la CJUE ou appliquer l'acte s'il s'estime en état de le faire alors même qu'un acte administratif serait incidemment en cause (T. conflits, 17 oct. 2011, n° 3828 et n° 3808 : JCP G 2011 act 62, obs. J.-G. Sorbara ; JCP G 2011 F. 51 n° 1423, note B. Plessix ; AJDA 2011, p. 2041, obs. R. Grand : compétence incidente par voie d’exception, D. 2011 3046 note F. Donnat).

Le décret du 27 fév. 2015, pris pour l'application de la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative au Tribunal des conflits, a institué par ailleurs une procédure de questions préjudicielles entre les deux ordres (S. Hutier, « Vers un renouveau des questions préjudicielles », Proc. 2015 Fasc. 9 alerte 34). Est visée l'hypothèse où la solution d'un litige dépend d'une question soulevant une difficulté sérieuse relevant de la compétence de l'autre ordre (art. 49 du CPC et art. R. 771-2 du CJA - Voir infra section 2§3C). Ces dispositions sont entrées en vigueur le 1er avril 2015.

- Question préjudicielle pénale : cette question préjudicielle intervient dans les cas où l'action publique n'a pas été engagée mais pourrait l'être sur le fondement des faits invoqués. En pratique, avant 2007,  le sursis à statuer des juridictions civiles était moins lié à cette question préjudicielle qu'à la règle « le criminel tient le civil en l'état » qui imposait auparavant un sursis à statuer, afin d'éviter une contrariété de décisions quand l'action publique était engagée. Désormais il n'y a plus obligation, mais simple faculté de surseoir, laissée à l'appréciation du juge civil.

Rq.Instance civile et incident criminel.
L'ancien article 4 du CPP obligeait le juge à surseoir à statuer en vertu de la règle « le criminel tient le civil en l'état ». La loi n° 2007-291 du 5 mars 2007 a modifié cet article qui dispose désormais : « La mise en mouvement de l'action publique n'impose pas la suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile, de quelque nature qu'elles soient, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d'exercer directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil ».

Toute la jurisprudence antérieure en la matière a été remise en question et les juridictions civiles disposent désormais du pouvoir d'apprécier s'il est opportun ou non de surseoir à statuer dans le cadre du litige civil qui leur est soumis (Cass. Com., 24/06/08, Proc. 08 n° 230). La cour de cassation a précisé que la règle ne s'applique pas devant le juge des référés (Cass. Civ. 3ème, 07/01/09, D. 09 567, Proc. 09 n° 76, RT 09 168 n° 5) et n'inclut pas une ordonnance de validation d'une composition pénale (Cass. Soc., 13/01/09, JCP G O0 actu n° 65, D. 09 709).

NB : Dans un autre registre, s'agissant de la règle de l'autorité au civil de la chose jugée au pénal, la Chambre mixte de la Cour de cassation a indiqué que cette autorité absolue et erga omnes se limite aux décisions statuant au fond sur l'action publique (Cass. Mixte, 10 oct. 2008, JCP G 08 II 10199).

- Questions préjudicielles communautaires
: la Cour de justice de l'Union européenne est compétente pour statuer à titre préjudiciel sur l'interprétation du droit de l'Union européenne et sur la validité des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l'Union. Suite à l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, cette compétence générale lui est conférée par les articles 19 § 3 du traité sur l'Union européenne (TUE) et 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). Par ailleurs, aux termes de l'article 256 § 3 du TFUE, le Tribunal serait compétent pour connaître des questions préjudicielles soumises au titre de l'article 267 dans des matières spécifiques déterminées par le statut, mais celui-ci n'ayant pas été modifié en ce sens, la CJUE reste à ce jour seule compétente pour statuer à titre préjudiciel.
Après une première note informative en 2009, la CJUE a diffusé de nouvelles recommandations à l'intention des juridictions nationales en matière de renvois préjudiciels (JOUE n° C 338, 6 nov. 2012, p. 1, Proc. 2013 Fasc. 3 n° 74 obs. C. Nourrissat). Le renvoi ne peut émaner que d'une juridiction. Il peut avoir lieu d'office mais n'est obligatoire que si la décision n'est pas susceptible de recours interne, pourvoi inclus. A des fins d'efficacité, l'interprétation donnée par la CJUE s'impose dans tous les Etats membres. De même, pour éviter les recours à répétition, son encombrement, et les procédures dilatoires, la CJUE a assortit sa saisine de plusieurs conditions : il est nécessaire que la disposition soumise à interprétation ne soit pas claire et précise, notamment au regard de l'interprétation acquise du droit communautaire, et qu'elle n'ait pas déjà été interprétée par la CJUE. Il n'y a pas non plus lieu à saisine lorsque la réponse n'aurait en toute hypothèse aucune influence sur la solution du litige. Enfin, pour être recevable la question préjudicielle doit apparaître pertinente, c'est-à-dire suffisamment précise d'un point de vue factuel et juridique, pour permettre une interprétation utile du droit communautaire (CJCE, 26/01/93 et 19/03/93, D. 93 464 note crit Fourgoux, Bergerès D. 93 chr. 245 - CJCE, 21/01/03, Proc. 03 n° 66).
Voir aussi CJUE, Instr. 10 déc. 2019 : instructions pratiques relatives aux affaires portées devant la CJUE. 

Ex.
  • En vertu de l'art. 74 du CPC, la demande de sursis dans l'attente de la décision de la juridiction administrative doit, à peine d'irrecevabilité être soulevée avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir, alors même que les règles invoquées au soutien de l'exception seraient d'ordre public.En revanche, la demande de saisine de la Cour de Justice tendant au renvoi de l'affaire pour interprétation des textes communautaires en vertu de l'article 234 du traité instituant la Communauté européenne (TCE), peut être présentée en tout état de cause et même à titre subsidiaire (Cass. Civ. 2ème, 18 déc. 2008, JCP G 09 II 10048, Proc. 09 n° 75, D. 09 761).
  • Absence de contrôle par la Cour EDH du refus de renvoi préjudiciel devant la CJUE de la part des juridictions suprêmes nationales : Cour EDH, 20 sept. 2011, Ullens de Schooten et Rezabek c/ Belgique, JCP G 2011 Fasc. 49 n° 1369, note L. Milano. En revanche, dans un arrêt du 8 avril 2014 la cour EDH a rappelé que l'article 6, paragraphe 1, met à la charge des juridictions internes une obligation de motiver au regard du droit applicable les décisions par lesquelles elles refusent de poser une question préjudicielle (Cour EDH, 2ème sect., 8 avr. 2014, Proc. 2014 Fasc. 6 n° 174 obs. N. Fricero).
    Dans le cadre spécifique de l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union (TFUE), cela signifie que les juridictions nationales doivent indiquer les raisons pour lesquelles elles considèrent que la question n'est pas pertinente, ou que la disposition de droit de l'Union européenne en cause a déjà fait l'objet d'une interprétation de la part de la CJUE, ou encore que l'application correcte du droit de l'Union européenne s'impose avec une telle évidence qu'elle ne laisse place à aucun doute raisonnable. Dans le même sens, Cour EDH, 13 fév. 2020, JCP G 2020 Fasc. 13 n° 394 note D. Segoin et V. Steinberg, la Cour de cassation rappelée à l'ordre par la Cour EDH.
  • CJUE, 4 oct. 2018, D. 2019 240 : sanction d'un refus de renvoi d'une question préjudicielle par le Conseil d'Etat.
 

Rq.La question préjudicielle diplomatique :
Cette question préjudicielle n'existe plus en droit judiciaire privé.
Auparavant l'interprétation des traités, problème de droit international public, était considérée comme relevant de la compétence du Ministre des affaires étrangères. Le Conseil d'Etat s'était néanmoins reconnu, à certaines conditions, le pouvoir d'interpréter les traités (CE, 29 juin 90 Gisti, D. 90 560 Sabourin Lebon p. 171). La Cour de cassation l'avait suivi dans cette voie, s'estimant compétente sans réserve (Cass. Civ. 1ère, 19/1/95, Rev. crit. DIP 96 469). Cette question préjudicielle avait par ailleurs été jugée attentatoire à l'art. 6§1 de la Convention EDH, notamment en ce qu'elle obligeait le juge à suivre l'avis ministériel (Cour EDH, 13 fév. 03, Chevrol/France, D. 03 931, JCP G 03 I 160 n° 4 obs. Sudre ; Cour EDH, 24 nov. 94, Beaumartin/France, JCP G 95 I 3823 n° 25, note Sudre).
La question préjudicielle spéciale met en cause la compétence exclusive, matérielle ou territoriale, d'une autre juridiction.

Ex.
  • Les Tribunaux judiciaires, comme autrefois les TGI, ont par exemple compétence exclusive en matière d'état des personnes, de propriété immobilière, de nationalité... (voir leçon 4 et art. R. 211-3-26 du COJ).
  • Le tribunal de commerce a compétence exclusive pour les procédures collectives des commerçants et des artisans relevant de la loi Sauvegarde des Entreprises du 26 juillet 2005 (décret n° 2005-1756 du 30 déc. 2005).
  • Toutes les questions relevant du Conseil de prud'hommes constituent des compétences exclusives (art. L. 1411-4 du C. trav.).

S'agissant des juridictions spécialisées, les compétences d'ordre public insusceptibles de faire l'objet d'une prorogation conventionnelle (voir infra, n° 2. s.), ne sont pas pour autant des compétences exclusives interdisant une extension de compétence aux questions accessoires. La compétence exclusive est nécessairement d'ordre public, mais toute compétence d'ordre public n'est pas forcément exclusive : l'exclusivité correspond en quelque sorte à un ordre public renforcé.

Rq.G. Casu, « Qu'est-ce qu'une question préjudicielle ? », Proc. 2016 Fasc. 8 étude 8 : l'auteur souligne l'hétérogénéité de régime mais opère une distinction entre questions préjudicielles historiques, dont la finalité est d'assurer le respect des règles de compétence exclusive, et questions préjudicielles visant à assurer l'unité du droit et de son interprétation.

Sy.
Typologie des questions préjudicielles



Questions préjudicielles générales

Questions préjudicielles spéciales

Compétence d'un autre "ordre" de juridiction :
  • Question préjudicielle administrative.

  • Question préjudicielle pénale.

  • Questions préjudicielles communautaires.
Compétence, d'attribution ou territoriale, exclusive d'une autre juridiction civile.


Les incidents d'instance sont des contestations annexes survenant au cours du procès : mise en cause de la responsabilité d'un auxiliaire de justice, contestation de la validité d'un écrit....
Toutes les juridictions sont en principe habilitées à les trancher (art. 50 du CPC) sauf compétence exclusive (ex. : Tribunal judiciaire en matière d'inscription de faux contre un acte authentique).

Sont ici visées les demandes reconventionnelles, additionnelles et en intervention (voir leçon 8).
Ces demandes présentent des liens plus ténus avec la demande initiale et conduisent souvent à un élargissement du débat.
Si des liens de connexité ou d'indivisibilité peuvent justifier une extension de compétence, il existe cependant des limites infranchissables et des cas où l'extension n'est pas permise :
  • La compétence administrative.
  • Devant le tribunal judiciaire, l'extension de compétence n'est admise par l'art. 51 du CPC que sous réserve de l'absence de compétence exclusive d'une autre juridiction (selon L. Cadiet et E. Jeuland, La règle vise aussi bien la compétence exclusive matérielle que territoriale : L. Cadiet et E. Jeuland, Droit judiciaire privé, Litec).
    Rq.NB : s'agissant du règlement administratif des questions de compétence « internes » au tribunal judiciaire, mis en place par l'art. 82-1 du CPC, voir section 2 §1, infra.
  • Sauf dispositions particulières, la compétence des juridictions spécialisées se limite en principe à la connaissance des demandes incidentes entrant dans leur compétence d'attribution (art. 51 alinéa 2 du CPC).

En savoir plus : Situation du tribunal d'instance avant le 1er janvier 2020

L'extension de compétence, s'agissant du Tribunal d'instance était auparavant admise au-delà du taux de compétence de 10000 euros.
  • L'art. R. 221-40 du COJ, permettait au TI de statuer sur toutes les demandes incidentes, exceptions ou moyens de défense, qui ne soulevaient pas une question relevant de la compétence exclusive d'une autre juridiction, alors même qu'ils exigeaient l'interprétation d'un contrat. Il se prononçait à charge d'appel si l'exception ou le moyen de défense impliquait l'examen d'une question de nature immobilière pétitoire.
  • En application de l'article 38 du CPC, le juge d'instance pouvait statuer sur une demande reconventionnelle en DI fondée sur la demande principale, quelle qu'en soit la valeur. Si une demande reconventionnelle soulevait un problème de taux de compétence et qu'une exception d'incompétence était soulevée, le juge avait le choix entre statuer sur la demande initiale et renvoyer pour le reste, ou renvoyer pour le tout (en ce qui concerne les recours ouverts, voir l'article 39 du CPC).
Le principe d'extension de compétence connaît une exception controversée en cas d'indivisibilité.

L'extension ne soulève en revanche aucune difficulté si la dérogation est seulement d'ordre territorial.

Sy.

La prorogation légale de compétence


 
Moyens de défense

Incidents d'instance

Demandes incidentes

Nature

Défenses au fond
Fins de non-recevoir
Exceptions de procédure.
Contestations annexes.Demandes reconventionnelles, additionnelles ou en intervention.
Régime

« Le juge de l'action est juge de l'exception. »Juridiction saisie du principal en principe habilitée à les trancher.Possibilité d'extension de compétence de la juridiction saisie.
Limites

Compétence exclusive d'une autre juridiction -> question préjudicielle. 
  • Compétence administrative.
  • Tribunal judiciaire : compétence exclusive d'une autre juridiction.
  • Juridictions spécialisées : pas d'extension de compétence d'attribution.

Nous allons rechercher si la volonté des parties, se manifestant avant ou après la naissance du litige, peut infléchir les règles de compétence. La question est donc celle du caractère plus ou moins contraignant des règles de compétence d'attribution ou de compétence territoriale, pour déterminer si leur non-respect donne lieu à une incompétence absolue, ou seulement relative.

Les parties ne peuvent déroger à une compétence d'ordre public, ce qui n'empêche pas qu'une telle question soit examinée à titre accessoire par une autre juridiction. Une compétence d'ordre public n'est pas nécessairement exclusive, alors qu'une compétence exclusive est toujours d'ordre public. Le juge peut relever d'office le non-respect des règles de compétence d'ordre public.

Il est nécessaire de respecter l'ordre des juridictions : la violation de cette règle d'ordre public donnerait lieu à une incompétence absolue et pourrait justifier une cassation d'office, sauf dérogation légale expresse.

Pour le reste, le code contient peu de dispositions traitant de la question. La doctrine considère qu'une prorogation est a priori exclue (J. Héron, Droit judiciaire privé, Montchrestien, 1991, n° 845 s.). Nous allons essayer de vérifier ce postulat en distinguant selon que la juridiction saisie présente une différence de nature ou de degré avec les prévisions légales.

L'art. 41 al. 1 du CPC prévoit qu'une fois le litige né les parties peuvent toujours convenir que le différend sera jugé par une juridiction, bien que celle-ci soit incompétente à raison du montant de la demande. Ce texte était auparavant susceptible de s'appliquer à la répartition des affaires civiles, personnelles ou mobilières, entre le TGI et le TI (et jusqu'au 30 juin 2017 au juge de proximité). Depuis la création du tribunal judiciaire, on peut se demander s'il conserve une quelconque portée, sauf à ce qu'il soit applicable en interne, au sein même du tribunal judiciaire, ce dont il est permis de douter. Pour mémoire, au sein du tribunal judiciaire, la valeur des affaires a une incidence sur :
  • la compétence des Tribunaux de proximité, qui connaissent des actions personnelles ou mobilières jusqu'à 10 000 euros et des demandes indéterminées ayant pour origine l'exécution d'une obligation dont le montant n'excède pas 10 000 euros, en matière civile ;
  • la représentation (art. 761 3° du CPC) ;
  • la procédure applicable (art. 817 du CPC).
  • le traitement par un juge unique des actions patrimoniales, en matière civile et commerciale, jusqu'à la valeur de 10.000 euros et des demandes indéterminées ayant pour origine l'exécution d'une obligation dont le montant n'excède pas 10 000 euros (art. R 212-8 12° COJ).
En l'espèce, il s'agit de la même juridiction, non d'une juridiction distincte, comme envisagé par l'art. 41 du CPC.
Dans le premier cas, la compétence des tribunaux de proximité est une compétence exclusive, ce qui constitue en principe un obstacle à des dispositions issues de la volonté des parties, comme indiqué précédemment, sauf à considérer que l'obstacle serait ici levé par l'article 41 du CPC.
Dans les autres cas, il s'agit de règles de procédure, non de compétence d'attribution, et certaines des règles visées semblent présenter un caractère impératif.
Les difficultés éventuelles pourront le cas échéant relever du dispositif spécifique de règlement des questions de compétence internes au tribunal judiciaire mis en place par l'art. 82-1 du CPC (voir infra section 2 §1).

 
  • S'il y a saisine du tribunal judiciaire au lieu d'une juridiction spécialisée, l'incompétence sera seulement relative, comme auparavant pour le TGI. L'incompétence ne sera absolue qu'en cas de compétence exclusive d'une autre juridiction.... ce qui est souvent le cas en pratique.
  • Entre juridictions spécialisées, toute saisine erronée donne lieu à une incompétence absolue. La règle joue même au sein du Conseil de Prud'hommes entre ses différentes sections.

Rq.Par ailleurs, une clause attributive de compétence au tribunal de commerce, contenue dans un acte mixte, est inopposable au défendeur non-commerçant (Cass. Com., 10/6/97, JCP G 97 I 4064 n° 9 ; D. 98 2, Proc. 97 n° 270).
Le relevé de l'incompétence par le juge demeure toutefois facultatif, du fait de l'art. 76 du CPC, l'exception ayant un caractère d'ordre privé.


Sy.

Le principe de hiérarchie étant d'ordre public, son non-respect donne en général lieu à une incompétence absolue.

Illustrations en matière d'appel :
  • Il est obligatoire d'aller au premier degré avant de saisir la Cour d'appel.
  • L'appel sera irrecevable lorsque la voie en est fermée, si la loi refuse d'accorder deux degrés (voir notamment l'art. 125 du CPC).
  • Enfin, il n'existe pas trois degrés de juridiction.

Le principe du double degré de juridiction connaît toutefois des limites :
  • pour les droits dont elles ont la libre disposition, les parties peuvent renoncer à l'appel, la renonciation ne pouvant néanmoins intervenir avant la naissance du litige (art. 41 al. 2 et 557 du CPC).
  • Par ailleurs, en cas d'appel, l'incompétence de la Cour d'appel à l'égard des demandes nouvelles est relative puisque certaines d'entre elles sont autorisées par les articles 563 et suivants. du CPC. Les possibilités ont toutefois été réduites par le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017. En dehors des hypothèses autorisées, de telles demandes encourent l'irrecevabilité d'office depuis le 1er janvier 2011.
Les règles de compétence territoriale ont un caractère impératif puisque l'article 48 al. 1 du CPC pose le principe que toute dérogation directe ou indirecte est réputée non écrite. La référence à la dérogation indirecte vise l'élection de domicile (art. 111 du C. civ.). Le fait que la clause soit réputée non écrite signifie que la nullité se limite à la clause et ne rejaillit pas sur l'ensemble du contrat. Ces règles de compétence territoriale ne sont cependant pas d'ordre public : le juge ne peut relever d'office son incompétence que dans les trois cas visés par l'art. 77 du CPC. Seul l'adversaire pourra donc se prévaloir de la violation, sauf si l'on se trouve dans l'un des cas où les clauses dérogatoires sont autorisées, soit en droit interne, soit en droit international.

Les clauses dérogatoires aux règles de compétence territoriale sont régies par l'article 48 du CPC, qui traite à la fois à leur licéité et de leur opposabilité :
  • Conditions de licéité des clauses dérogatoires aux règles de compétence territoriale
    La clause doit avoir été convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant.
    De telles clauses ne sont pas valables en matière d'actes mixtes (l'exception d'illicéité résultant de l'art. 48 du CPC ne s'étend cependant pas à la compétence d'attribution), ni à l'occasion d'un acte de commerce isolé passé par un non-commerçant (ex : caution donnée par un dirigeant de société). Elles ne le seront pas non plus si le commerçant n'y a pas souscrit dans le cadre de son activité commerciale.
    Ex.L'homologation par arrêté ministériel des statuts d'un organisme social ne permet pas de valider une clause contraire à l'art. 48 du CPC (Cass. Civ. 2ème, 26/06/03, Proc. 03 n° 214 ; Cass. Civ. 1ère, 06/02/07, Proc. 07 n° 77).

  • Conditions d'opposabilité des clauses dérogatoires aux règles de compétence territoriale
    Les clauses doivent être spécifiées de façon très apparente dans l'engagement de la partie à qui elles sont opposées.
    Si un bon de commande est assimilé à un engagement, tel n'est pas le cas d'un bon de livraison. Se pose aussi parfois la question des conditions générales de vente non acceptées expressément. Les critères de connaissance et d'acceptation sont appréciés selon les circonstances par la jurisprudence. Celle-ci s'est parfois montrée plus indulgente lorsque des parties entretenaient des relations d'affaires suivies (Aix, 22/01/92, D. 93 26 Beignier). En revanche, une clause écrite en caractères minuscules et noyée au milieu d'autres dispositions au verso d'un document risque fort d'être déclarée inopposable en cas de contestation.

Sy.



Ex.
  • Cass. Civ. 2ème, 19 nov. 08, Proc. 09 n° 77 : clause inopposable au demandeur en matière de référés.
    CA de Pau, 23 mars 2012, D. 2012 p. 1061 obs. C. Manara : la clause par laquelle la société Facebook attribue compétence à une juridiction des Etats-Unis doit être réputée non écrite.
  • Cass. Civ. 2ème, 7 juin 2012, Proc. 2012 Fasc. 8-9 n° 241 : cas de typographie peu lisible.
    Si la clause dérogatoire produit des effets à l'égard des ayants droit des cocontractants, elle ne peut être invoquée en cas de pluralité de défendeurs, même s'il y a indivisibilité du litige, ni par un tiers appelé en intervention (art. 333 du CPC). La partie au bénéfice de laquelle la clause a été conclue peut toujours y renoncer.
  • Cass. Com., 5 juillet 2017, n° 15-21894 : une clause attributive de compétence, en raison de son autonomie par rapport à la convention principale dans laquelle elle s'insère, n'est pas affectée par l'inefficacité de cet acte.

- Les clauses dérogeant aux règles de compétence territoriale sont admises en droit international, sous réserve de ne pas attenter à l'ordre public international.

Rq.L'ordre public international est une notion « nationale », qui correspond dans un Etat donné aux règles considérées comme fondamentales.

Par ailleurs, les clauses dérogatoires ne doivent pas faire échec à une compétence territoriale impérative du juge français (Cass. Civ. 1ère, 17 déc. 1985). Un arrêt de la Cour de cassation du 22 octobre 2008 a toutefois considéré une clause attributive de juridiction licite, alors même qu'une loi de police aurait été applicable au fond si le juge français avait été saisi (Cass. Civ. 1ère, 22 oct. 08 JCP G 08 actu n° 645 et II 10187 note d'Avout, D. 09 200 obs. F. Jault-Seseke ; A. Huet, « Clause attributive de juridiction à un tribunal étranger et loi française de police et de sûreté », D. 09 chr. 684).
La clause attributive de compétence a par ailleurs vu son autonomie reconnue par rapport à la convention principale dans laquelle elle s'insère, avec pour conséquence de ne pas être affectée par l'inefficacité de celle-ci (Cass. Civ. 1ère, 8 juill. 2010, Proc. 2010 Fasc. 10 n° 336, obs. R. Perrot, D. 2010 1869 obs. X. Delpech et p. 2333 obs. L. d'Avout).

Ex.Les clauses attributives de juridiction en matière internationale sont opposables aux tiers à deux conditions : que le tiers ait eu connaissance de la conclusion de la clause et qu'il ait accepté de la voir s'appliquer à lui (Cass. Com., 4 mars 2014, JCP G 2014 Fasc. 19 n° 559, obs. M. Attal).

- L'article 23 du , relatif à la compétence et à l'exécution des décisions de justice au sein de l'Union Européenne, autorise les clauses dérogatoires et apparaît plus libéral que le droit interne, à la fois quant à son domaine d'application et quant au formalisme exigé.
Les clauses dérogatoires sont par exemple autorisées en droit du travail ou entre particuliers (Cass. Civ. 1ère, 23/01/08, JCP G 08 II 10092). En revanche une clause attributive de compétence incluse dans un contrat de travail international ne peut faire échec aux dispositions impératives de l'article R. 1411-4 du C. trav., s'agissant d'une activité exercée à Paris dans une ambassade étrangère (Cass. Soc., 29 sept. 2010, Proc. 2010 n° 397).

Ex.CJUE, 3ème ch., 21 mai 2015, Proc. 2015 Fasc. 7 n° 224 obs. C. Nourrissat : dans un contrat « B to B », l'acceptation par « clic » des CGV en ligne vaut pour la clause attributive de juridiction qu'elles contiennent.

Section 2. Le règlement des incidents de compétence

Les incidents de compétence pouvaient jusqu'à fin 2019 prendre la forme d'une contestation de compétence de la juridiction saisie (§2) ou de conflits de compétence mettant en cause plusieurs juridictions (§3). Le décret du 11 décembre 2019 y a ajouté un mécanisme nouveau, de nature administrative, destiné à traiter les questions de compétence internes au tribunal judiciaire (§1).


La section 1 du chapitre 2 du Titre 5 du Livre 1 du CPC traite des exceptions d'incompétence. Un article 82-1, relatif au règlement administratif des questions de compétence internes au tribunal judiciaire, a été ajouté à la sous-section 1 relative au jugement sur la compétence (art. 75 à 82 du CPC).

La nouvelle organisation du tribunal judiciaire s'appuie sur des tribunaux de proximité et des juges uniques disposant de compétences propres. Cette polymorphie suscite des interrogations à la fois sur la notion de juridiction et sur l'unité du tribunal judiciaire, qui semble comporter en son sein des juridictions internes spécifiques. Dès lors, le régime « a priori » simplifié institué par les pouvoirs publics soulève en réalité de nombreuses questions, du point de vue de son champ d'application et de sa mise en oeuvre (S. Amrani Mekki, « Nouvelles réformes de procédure civile : vous avez dit simplification ? », JCP G 2020 Fasc. 3 n° 75).
Des interrogations ont existé quant à la portée du texte :
  • Tout d'abord au regard de son positionnement, puisqu'il ne s'agit pas formellement d'une exception d'incompétence. L'art. 82-1 du CPC ne constitue pas un incident de compétence ordinaire puisqu'il est réglé de manière administrative. La doctrine estime qu'il ne s'agit pas forcément que de questions d'administration judiciaire, celles-ci pouvant faire grief, notamment car existent des incidences procédurales : représentation obligatoire ou non (art. 761 du CPC), procédure écrite ou orale (art. 817 du CPC). Par ailleurs, la résolution peut impliquer des questions de fond, en termes de qualification.
    Ex.Bail d'habitation pour la compétence du JCP.
  • Ensuite en ce qui concerne son contenu, s'agissant des questions de compétences visées. En effet l'art. 76 al. 1 du CPC, relatif aux cas dans lesquels le juge peut soulever d'office l'incompétence d'attribution (voir infra), débute désormais par « Sauf application de l'art. 82-1 », alors que ledit art. 82-1 du CPC envisage quant à lui un règlement des questions de compétence au sein d'un tribunal judiciaire « Par dérogation aux dispositions de la présente sous-section ... ».Les premiers commentateurs ont estimé que la compétence territoriale n'était pas visée par la procédure de l'art. 82-1 du CPC (C. Bléry, « Réforme de la procédure civile : simplification de exceptions de procédure », D. Actualité 20 décembre 2019). Pourtant, le texte ne distingue pas et la sous-section visée traite à la fois de l'incompétence d'attribution et de l'incompétence territoriale.
    Des interrogations portent ainsi sur les cas de spécialisation des tribunaux judiciaires, sachant que tant les tribunaux eux-mêmes que les chambres de proximité peuvent être spécialisés de manière variable : du fait de ces spécialisations, compétences d'attribution et territoriale sont parfois délicates à distinguer, comme nous l'avons vu précédemment (leçon 4). Mais en toute hypothèse le débat reste limité puisqu'il ne s'agit que de questions de compétence internes à un même tribunal judiciaire.
    Par suite, on peut donc considérer que l'article 82-1 du CPC vise la compétence d'attribution, tant du tribunal, que d'une chambre de proximité, mais aussi les questions de compétence susceptibles de se poser entre tous les juges du tribunal judiciaire : JAF, JEX, JCP, président (juge des référés, requêtes), juge des enfants et JME.

La procédure administrative préventive peut comporter différentes étapes et deux renvois :
Les questions de compétence peuvent être réglées avant la première audience par simple mention au dossier, soit à la demande d'une partie, soit d'office par le juge.
Les parties ou leurs avocats en sont immédiatement avisés par tout moyen conférant date certaine et le greffe transmet dans le même temps le dossier de l'affaire au juge désigné. La question se pose de savoir quels moyens. Le RPVA doit pouvoir être utilisé, de même que le Portail du justiciable si le justiciable a consenti à ce mode de communication.
Le juge saisi à tort désigne le tribunal judiciaire, le JCP, le JEX... qu'il estime compétent, par simple mention au dossier, ce dossier étant transmis administrativement par le greffe au juge désigné. Si le défendeur ne dit rien et si le juge saisi n'agit pas d'office, il statuera malgré son incompétence « interne ».
Le renvoi par simple mention au dossier ne pourra se faire si l'incompétence est découverte plus tard, à l'audience. Il est donc essentiel, pour le bon fonctionnement du dispositif, que la compétence du juge saisi soit vérifiée d'office avant l'audience. Mais ce dispositif préventif est facultatif : le juge saisi peut,  s'il identifie avant l'audience une question de compétence,  ne rien faire et laisser celle-ci faire l'objet d'un débat contradictoire dans le cadre d'une exception d'incompétence soulevée par une partie ou la soulever lui-même, dans les cas où il est autorisé à relever l'incompétence d'office. Le droit commun des articles 75 et s. du CPC sera alors applicable (voir infra).
La compétence du juge à qui l'affaire a été renvoyée peut être remise en cause par celui-ci ou par une partie dans un délai de trois mois à compter de l'avis. La doctrine s'interroge sur l'état de l'affaire durant ce long délai. 
Il existe donc deux suites possibles au premier renvoi administratif :
  • S'il n'y a aucune réaction des parties ou du juge désigné pendant trois mois, la réorientation est acceptée et ce juge tranchera l'affaire : aucune remise en cause ne sera plus possible.
  • La compétence du juge à qui l'affaire a été renvoyée est contestée, par celui-ci ou par une partie, dans le délai de trois mois. Dans ce cas, un nouveau règlement administratif est prévu : le juge, d'office ou à la demande d'une partie, renvoie l'affaire par simple mention au dossier au Président du tribunal judiciaire. Celui-ci renvoie l'affaire, selon les mêmes modalités, au juge qu'il estime compétent. Cette décision est une mesure d'administration judiciaire non susceptible de recours.  
Le second renvoi administratif peut également avoir deux issues :
  • Les parties peuvent accepter la réorientation. Dans ce cas, le nouveau juge désigné tranchera l'affaire, ne pouvant lui-même contester le second renvoi.
  • Les parties peuvent contester la compétence du juge désigné par le président, a priori en suivant le régime des exceptions d'incompétence (voir §2, infra). La décision que ce magistrat sera amené à prendre pourra ensuite faire l'objet d'un appel, dans les conditions prévues aux articles 83 à 91 du CPC (appel à jour fixe).
Le dossier est ainsi susceptible d'être attribué à trois juges différents au cours de plusieurs semaines, ce qui du point de vue de la doctrine, soulève de nombreuses difficultés :
  • Le risque d'alimenter des attitudes dilatoires.
  • Des conséquences potentielles au regard de l'exigence de délai raisonnable, issue de la convention EDH.
  • Une atteinte possible à l'équité de la procédure et au principe du contradictoire des décisions administratives concernées.
  • Des interrogations, en termes d'impartialité, du fait de l'intervention du président du tribunal dans des conflits de compétence susceptibles de concerner ses propres fonctions juridictionnelles.
  • La question de l'articulation de ce dispositif administratif avec une contestation de compétence selon les règles ordinaires, puisqu'il ne s'agit à chaque fois que de possibilités de renvois. Or, cette question n'est pas envisagée par les textes.

Rq.Bibliographie : J. Jourdan-Marques, « La simplification des exceptions d'incompétence : une bombe à retardement ? », D. 2020 495 - D. Cholet, « Les problèmes de compétence au sein du tribunal judiciaire », Proc. 2021 Fasc. 1 étude 1.

Seront évoquées tout d'abord les conditions dans lesquelles une décision peut intervenir sur la compétence (A), puis les possibilités de la contester (B).

Les règles concernées ont vocation à s'appliquer à toutes les questions de compétence entre différentes juridictions, voire au sein du tribunal judiciaire si, comme indiqué précédemment, le dispositif administratif n'a pas été mis en œuvre ou s'il est contesté (cf. § 1 supra).

Contrairement au texte issu du décret du 11 décembre 2019, la réglementation traduit ici la volonté du législateur d'éviter de retarder la solution du procès avec des incidents qui pourraient présenter un caractère dilatoire. Est aussi pris en considération le fait que la compétence et le fond sont souvent liés.

Rq.Evolution 2017 : depuis le 1er septembre 2017, il n'existe plus qu'un seul recours contre les décisions de première instance : l'appel. Le contredit de compétence, qui était ouvert lorsqu'une juridiction de première instance avait statué sur la compétence sans se prononcer sur le fond, a en effet été supprimé par le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017.

H. Croze, « Dernier appel de la République hollandaise : le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d'incompétence et à l'appel en matière civile », Proc. 2017 Fasc. 7 n° 23


Nous examinerons les conditions dans lesquelles l'incompétence peut être soulevée puis la décision statuant sur la compétence.


L'invocation de l'incompétence peut résulter d'un déclinatoire soulevé par un plaideur ou d'une incompétence relevée d'office par le juge.


L'invocation de l'incompétence prend ici la forme d'une exception de procédure qui peut mettre en cause la compétence de la juridiction du premier degré ou d'appel. Elle peut aussi être soulevée plus tardivement à l'occasion d'une opposition (pas d'un pourvoi), s'il y avait eu non-comparution en première instance. Conformément au régime des exceptions, celle-ci doit être soulevée avant toute défense au fond et fin de non-recevoir, et simultanément avec les autres exceptions, même pour l'incompétence d'ordre public (ou une clause compromissoire : Cass. Civ. 2ème, 22 nov. 01, Proc. 01 n° 1).
A peine d'irrecevabilité, la demande doit être motivée et contenir la désignation de la juridiction devant laquelle le plaideur demande que l'affaire soit portée (art. 75 du CPC) (Cass. Civ. 2ème, 21 fév. 2019, JCP G 2019 Fasc. 23, n° 616 § 5, obs. L. Veyre : obligation valant même pour une juridiction administrative - En revanche, le déclinatoire de compétence au profit d'une juridiction étrangère peut se contenter de la désignation d'un Etat étranger sans préciser les juridictions compétentes ou quelles règles de compétence interne de celui-ci pourront s'appliquer : Cass. Civ. 1ère, 27 janv. 2021, JCP G 2021 Fasc. 17 n° 461 note F. Mailhé, Proc. 2021 Fasc. 4 n° 93 note Y. Strickler).

Ex.
  • Sanction de la règle par l'irrecevabilité d'ordre public (d'office) de l'exception : Cass. Civ. 2ème, 23 nov. 94, JCP G 95 I 3846 n° 14.
  • Rappel de l'exigence de motivation en fait et en droit du contredit : Cass. Civ. 2ème, 22/3/06, Proc. 06 n° 126 obs. R. Perrot, JCP G 06 I 183 n° 10.
  • Cass. Civ. 2ème, 10 déc. 2020, Proc. 2021 Fasc. 2 n° 32 obs. S. Amrani-Mekki : l'exigence de motivation de "l'appel compétence" à peine d'irrecevabilité n'est pas contraire au droit d'accès au juge. Le but de célérité et d'efficacité de la justice poursuivi par la règle est légitime et n'est pas mis en œuvre de manière disproportionnée dès lors que la partie peut régulariser son recours.
  • Cass. Civ. 1ère, 17 nov. 2021, D. 2021 2084 et 2262 note S. Barbot, RTD civ. 2022 191 obs. P. Théry : la question est de savoir si cet arrêt annonce une généralisation de l'exception d'incompétence, de préférence à une fin de non-recevoir (défaut de pouvoir), lorsqu'est méconnue la spécialisation d'une juridiction. En ce sens, s'agissant de l'affectation de contentieux spécifiques à des juridictions nommément désignées, voir le revirement issu de Cass. Com., 18 oct. 2023, n° 21-15.378, JCP 2023 act 1237, D. 2023 2298, Proc. 2023 Fasc. 12 n° 315 (arrêt précité leçon 4).

On parle de prorogation volontaire en cas d'incompétence non relevée, donc "acceptée" a priori par les parties, le juge ne pouvant que rarement intervenir d'office comme nous allons le voir à présent.

Les hypothèses dans lesquelles le juge peut agir d'office sont peu nombreuses et présentent presque toujours un caractère facultatif, même pour une incompétence d'ordre public, et y compris en matière de séparation des pouvoirs (Cass. Civ. 1ère, 13 mars 79, Bull. n° 89). Un juge peut ainsi statuer alors qu'il est incompétent et sans qu'on puisse le lui reprocher.
Par exception, l'incompétence doit être soulevée d'office en matière d'injonction de payer (art. 1406 du CPC), de nationalité (art. 1038 du CPC) et lorsqu'est en cause la compétence du JEX (tout autre juge doit soulever d'office son incompétence : art. R. 121-1 du CPCE).

Le juge peut soulever son incompétence dans le cadre des art. 76 et 77 du CPC, sous réserve de respecter alors l'art. 16 du CPC et le contradictoire :
  • Invocation d'office de l'incompétence d'attribution (art. 76 du CPC) :
    Sauf application de l'article 82-1 du CPC devant le tribunal judiciaire, l'incompétence peut être soulevée d'office par le juge quand est concernée une règle de compétence d'ordre public (cela inclut par suite les compétences exclusives) ou en cas de non-comparution du défendeur. L'incompétence ne peut être relevée que par le juge du premier degré : la Cour de cassation et les cours d'appel ne peuvent agir que si l'affaire relève de la compétence d'une juridiction administrative, répressive ou étrangère (Cass. Civ. 2ème, 18 oct. 07, RTD civ. 08 150 n° 2).
  • Invocation d'office de l'incompétence territoriale (art. 77 du CPC) :
    L'incompétence territoriale peut être soulevée d'office en matière gracieuse (cela se justifie par le fait qu'il n'y a souvent pas de défendeur), en matière d'état des personnes, en cas de non-comparution du défendeur ou s'il y a compétence exclusive d'une autre juridiction.
    Le texte ne fait ici aucune référence particulière aux cours d'appel et à la Cour de cassation. Ceci conduit les auteurs à considérer que l'incompétence territoriale peut être relevée à toute hauteur de procédure, même si cela semble un peu paradoxal que la solution soit plus libérale qu'en matière de compétence d'attribution.

Sy.
400


Le tribunal saisi d'un déclinatoire doit statuer dessus à bref délai. Il examine la recevabilité puis le bien-fondé de l'exception. La loi impose parfois la communication au Ministère public.


Dans ce cas, il ne statue évidemment pas sur le fond, sauf à ordonner une mesure conservatoire ou à examiner la question de fond déterminant la compétence, telle que la qualification d'un contrat. La décision du juge aura sur ce point autorité de chose jugée, à condition que la question de fond figure dans le dispositif (Cass. Civ. 3ème, 22/3/06, Proc. 06 n° 93 ; Cass. Civ. 2ème, 24/5/07, Bull. civ. II n° 130 ; Cass. Soc., 23/9/08, Proc. 08 n° 321).

Le juge doit désigner la juridiction compétente, sauf s'il s'agit d'une juridiction administrative, répressive ou arbitrale, auquel cas les parties sont renvoyées à mieux se pourvoir. L'instance est alors suspendue. Le choix s'impose aux parties et au juge de renvoi (art. 81, CPC).
S'il n'y a pas d'appel dans le délai de 15 jours, le dossier est transmis par le greffe au juge désigné, avec copie de la décision de renvoi. La reprise d'instance se fait à l'initiative du juge : dès réception du dossier, les parties sont invitées par tout moyen par le greffe de la juridiction désignée à poursuivre l'instance et, s'il y a lieu, à constituer avocat dans le délai d'un mois à compter de cet avis. Lorsque devant la juridiction désignée les parties sont tenues de se faire représenter, l'affaire est radiée d'office si aucune d'elles n'a constitué avocat dans le mois de l'invitation qui leur a été faite.
  • Le juge peut statuer dans un même jugement sur la compétence et le fond : il doit toutefois se prononcer sur le fond par des dispositions distinctes (afin de permettre l'appel sur la compétence si la décision n'en n'est pas susceptible sur le fond) en mettant les parties en demeure de conclure, si elles ne l'ont pas fait (art. 78 du CPC - Cass. Civ. 2ème, 01/04/04, Proc. 04 n° 144). La remise en cause de sa décision, quel que soit l'objet de la contestation, se fera en utilisant la voie de l'appel.

  • Le juge peut se contenter de statuer sur la compétence : si la détermination de la compétence dépend d'une question de fond, il doit statuer par des dispositions distinctes sur cette question de fond et sur la compétence (art. 79 du CPC). La décision rendue aura autorité de chose jugée sur la question de fond éventuellement tranchée dont dépend la compétence (ex : qualification de contrat d'entreprise ou de travail). S'il s'est déclaré compétent, sans statuer sur le fond, l'instance est suspendue jusqu'à l'expiration du délai pour former appel et, en cas d'appel, jusqu'à ce que la cour d'appel ait rendu sa décision. La solution sera similaire s'il se contente de statuer sur la compétence et d'ordonner une mesure provisoire ou une mesure d'instruction.


Sy.
Le règlement en première instance des incidents de compétence




Avec la suppression du contredit, il n'existe plus, depuis le 1er septembre 2017, qu'un recours possible pour attaquer un jugement de première instance sur la compétence : l'appel. Un pourvoi immédiat est exclu, même si la décision est en dernier ressort. Le code distingue selon que le jugement statue exclusivement sur la compétence ou tranche à la fois la compétence et le fond.

V. de La Taille, « L'appel d'un jugement statuant sur la compétence », Proc. 2019 Fasc. 7 n° 6.
 
 

Lorsque le juge s'est prononcé sur la compétence sans statuer sur le fond du litige, sa décision peut faire l'objet d'un appel. Il en est de même lorsqu'il s'est prononcé sur la compétence et a ordonné une mesure d'instruction ou une mesure provisoire.


Le délai d'appel est de quinze jours à compter de la notification du jugement. Le greffe procède à cette notification adressée aux parties par LR-AR. Il notifie également le jugement à leur avocat en cas de procédure avec représentation obligatoire.
A peine de caducité de la déclaration d'appel, l'appelant doit, dans le délai d'appel, saisir le premier président pour, selon le cas, être autorisé à assigner à jour fixe ou bénéficier d'une fixation prioritaire de l'affaire (art. 84 du CPC).
Outre les mentions habituelles, la déclaration d'appel doit préciser qu'elle est dirigée contre un jugement statuant sur la compétence et elle doit être motivée (art. 85 du CPC).
Ex.Irrecevabilité de l'appel contre un jugement statuant exclusivement sur la compétence en raison du défaut de motivation de la déclaration d'appel. L'arrêt précise les possibilités de régularisation avant l'expiration du délai d'appel. Elles peuvent prendre la forme d'une nouvelle déclaration d'appel ou de conclusions adressées à la CA - Cass. Civ. 2ème, 22 oct. 2020 (deux arrêts), JCP G 2021 Fasc. 3 n° 43 note D. Cholet.

L'appel est instruit et jugé à bref délai, dans le cadre d'une procédure à jour fixe.

La cour renvoie l'affaire à la juridiction qu'elle estime compétente (sauf s'il s'agit d'une juridiction répressive, administrative, étrangère ou arbitrale). Cette décision s'impose aux parties et au juge de renvoi.

Lorsque le renvoi est fait à la juridiction qui avait été initialement saisie, l'instance se poursuit à la diligence du juge.

Le greffier de la Cour notifie aussitôt l'arrêt aux parties par LR-AR. Cet arrêt n'est pas susceptible d'opposition.
Le délai de pourvoi en cassation court à compter de sa notification. Les parties peuvent en effet se pourvoir en cassation, quelle que soit la solution. Avant l'entrée en vigueur du décret du 6 nov. 2014, le pourvoi était immédiat ou différé selon que la décision mettait ou non fin à l'instance. Désormais l'art. 607-1 du CPC prévoit que peut être frappé de pourvoi en cassation l'arrêt par lequel la Cour d'appel se prononce sur la compétence sans statuer sur le fond du litige.

Lorsque la cour est juridiction d'appel relativement à la juridiction qu'elle estime compétente, elle peut évoquer le fond c'est-à-dire rendre une décision sur le fond du litige, bien que celui-ci n'ait pas été examiné en première instance. L'affaire doit être susceptible d'appel sur le fond et la Cour d'appel doit estimer de bonne justice de donner à l'affaire une solution définitive. Elle peut ordonner, si nécessaire, une mesure d'instruction. L'évocation est facultative, le consentement des parties n'est pas requis et cette décision n'est pas susceptible de pourvoi (Cass. Soc., 26 mai 88, Bull. 315 ; Mixte, 14/2/06, Proc. 06 n° 68).

Quand elle décide d'évoquer, la cour invite les parties, le cas échéant par LR-AR, à constituer avocat dans le délai qu'elle fixe, si les règles applicables à l'appel des décisions rendues par la juridiction dont émane le jugement frappé d'appel imposent cette constitution.
Si aucune des parties ne constitue avocat, la cour peut prononcer d'office la radiation de l'affaire par décision motivée non susceptible de recours.


Décision de la cour d'appel

Evocation au fond par la CA possible si

Voies de recours

Elle renvoie l'affaire à la juridiction qu'elle estime compétente (sauf juridiction répressive, administrative, étrangère ou arbitrale)
  • Elle est juridiction d'appel par rapport à la juridiction estimée compétente
  • L'affaire est susceptible d'appel sur le fond
  • Elle estime de bonne justice de donner à l'affaire une solution définitive
Pourvoi en cassation : art. 607-1 du CPC



Si le juge s'est déclaré compétent et a statué sur le fond du litige dans un même jugement rendu en premier ressort : ce jugement peut être frappé d'appel dans sa totalité (art. 90 du CPC).
Le délai d'appel est le délai de droit commun (1 mois sauf exception).
Si le juge s'est déclaré compétent et a statué sur le fond du litige dans un même jugement rendu en dernier ressort : celui-ci ne peut être frappé d'appel que sur la compétence. Un pourvoi formé à l'encontre des dispositions sur le fond rend l'appel irrecevable (art. 91 du CPC).

Si la décision était susceptible d'appel dans sa totalité et que la CA infirme la décision de compétence de la juridiction antérieure
:
  • Elle statue sur le fond du litige si elle est juridiction d'appel relativement à la juridiction qu'elle estime compétente. Il y a effet dévolutif de l'appel en liaison avec la plénitude de juridiction de la Cour (JCP G 97 I 3989 n° 21 - Cass. Civ. 2ème, 08/04/04 et Cass. Civ. 3ème, 07/04/04, Proc. 04 n° 143 obs. Perrot - Cass. Civ. 3ème, 03/06/04, RTD civ. 04 544 - contra, en matière de référé : Cass. Civ. 2ème, 08/07/04, Proc. 04).
  • Si elle n'est pas juridiction d'appel de la juridiction compétente, la cour, doit renvoyer l'affaire devant la CA qui est juridiction d'appel de la juridiction de première instance estimée compétente. Cette décision s'impose aux parties et à la Cour de renvoi. Cette dernière ne peut renvoyer au juge de première instance (Cass. Com., 03/06/97, Proc. 97 n° 269).
 
Si le jugement était en dernier ressort et que la cour l'infirme du chef de la compétence : elle renvoie l'affaire devant la juridiction qu'elle estime compétente (ou à mieux se pourvoir). Le dossier est transmis à celle-ci  à l'expiration du délai du pourvoi, ouvert au titre de l'art. 607-1 du CPC, soit lorsqu'il a été statué sur celui-ci. La décision de renvoi s'impose aux parties et à la juridiction de renvoi.


Si la CA confirme la compétence de la juridiction antérieure
:
  • Si l'affaire est susceptible d'un appel au fond : il y a jeu des effets normaux de l'appel, dont l'effet dévolutif.
  • Si le jugement était en premier et dernier ressort, il a plein effet sur le fond (force de chose jugée) et ne peut faire l'objet que d'un pourvoi, lequel ne peut être dirigé contre l'arrêt pour contester le fond.

La CA infirme la décision de compétence de la juridiction antérieure

La CA confirme la compétence

  • La décision était susceptible d'appel au fond : 
    • la CA est juridiction d'appel de la juridiction compétente :
      • elle doit statuer au fond
    • la CA n'est pas juridiction d'appel de la juridiction compétente :
      • elle doit renvoyer l'affaire devant la Cour d'appel dont dépend la juridiction compétente

  • La décision n'était pas susceptible d'appel au fond :
    • renvoi au juge du premier degré estimé compétent ou renvoi à mieux se pourvoir
    • recours = pourvoi
  • L'affaire est susceptible d'appel au fond :
    • effets normaux de l'appel -> effet dévolutif

  • L'affaire n'était pas susceptible d'appel au fond :
    • le jugement a plein effet sur le fond
    • recours = pourvoi

Un conflit peut résulter d'une litispendance ou d'une connexité ou mettre en cause la séparation des pouvoirs.


Df.On parle de litispendance lorsqu'un même litige (identité totale ou partielle de la matière litigieuse et identité de parties) se trouve porté en même temps devant deux juridictions distinctes, compétentes l'une et l'autre pour en connaître. Cela peut se produire en cas d'options de compétence, ignorance d'héritiers, etc.

La situation de litispendance n'est pas admissible, notamment au regard de l'autorité de la chose jugée. La difficulté est soulevée par le biais d'une exception de procédure (exception de litispendance) à invoquer au début du litige (in limine litis). La litispendance nécessite pour être effective qu'il y ait eu saisine de la juridiction, donc enrôlement (Cass. Com., 4 oct. 94, JCP G 95 I 3846 n° 13).
  • Si les deux juridictions sont de même degré, celle qui a été saisie en second doit se dessaisir, suite à l'exception, ou d'office au profit de la première.
  • Si les deux juridictions ne sont pas de même degré, l'exception est soulevée devant la juridiction de degré inférieur.

La procédure suit le régime de l'exception et du déclinatoire de compétence (voir supra). Si la litispendance intervient entre plusieurs cours d'appel, préférence est donnée à la première (art. 104 du CPC). Si jamais les deux juridictions venaient à se dessaisir, la dernière décision de dessaisissement en date serait considérée comme non avenue.

Sy.


Df.Il y connexité lorsque deux litiges, distincts quant au fond, soumis à des juridictions différentes, toutes deux compétentes pour en connaître (il est nécessaire qu'il y ait eu enrôlement, comme pour la litispendance), se révèlent unis par des liens tels qu'il apparaît de bonne justice de les faire juger ensemble pour éviter des décisions inconciliables ou contradictoires : par exemple, action en nullité et action en exécution à propos d'un même contrat.

La procédure suit le formalisme et le régime de l'exception d'incompétence (voir supra), avec toutefois une différence : l'exception de connexité peut être invoquée en tout état de cause. Elle peut cependant être écartée si elle a été soulevée tardivement dans un but dilatoire. Elle ne peut être soulevée d'office par le juge.

  • Si les deux juridictions sont de même degré (JCP G 97 I 3989 n° 13) :
Il n'existe pas de choix imposé entre elles, si ce n'est l'étendue de leurs compétences d'attribution respectives et les possibilités de prorogation éventuelle.

Ex.Incidence d’une compétence exclusive – La connexité avec une affaire relevant de la compétence exclusive du tribunal de commerce, ne peut conduire à retenir l'incompétence de la juridiction de droit commun, chacune des juridictions saisies devant conserver la connaissance de l’affaire qui lui est soumise : Cass. Com., 7 avril 2009, Procédures 09 n° 202, RTD civ. 09 775 obs. Théry).


  • Si elles sont de degrés différents :
Le déclinatoire doit être soulevé devant la juridiction inférieure.

Le juge saisi d'une exception peut soit surseoir à statuer sur le fond en attendant que la décision sur la connexité devienne définitive, soit statuer sur le fond par des dispositions distinctes.
Selon la Cour de cassation, dès lors que les conditions de la connexité sont remplies, le juge a l'obligation de se dessaisir (Cass. Civ. 2ème, 05/07/78, Gaz. Pal. 78 2 624, Viatte).
Si l'exception a été soulevée devant les deux juges, la dernière décision de dessaisissement en date est considérée comme non avenue.

Rq.Il convient de distinguer la connexité de l'indivisibilité, qui correspond à une connexité renforcée : il y a alors nécessité de jugement commun et non simple question d'opportunité.


Sy.

Les conflits d'attribution entre les deux ordres de juridictions sont réglés par le Tribunal des conflits. Lorsque celui-ci intervient, ses décisions s'imposent aux juridictions de l'ordre judiciaire et de l'ordre administratif.

Rq.La loi n° 2015-177 du 16 février 2015 et le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ont modifié la composition et les procédures intéressant le Tribunal des conflits.

Comme indiqué auparavant, le décret du 27 fév. 2015, dont les dispositions sont entrées en vigueur le 1er avril 2015, a institué par ailleurs une procédure de questions préjudicielles entre les deux ordres.
Dispositions introduites dans le Code de procédure civile :
  • art. 49 du CPC : conditions de transmission d'une question préjudicielle aux juridictions administratives ;
  • art. 126-14 et 126-15 du CPC : procédure sur question préjudicielle transmise par une juridiction administrative.


Auparavant, le Tribunal des conflits se composait de trois conseillers d'Etat, trois conseillers à la Cour de cassation, deux magistrats de chaque ordre cooptés par les précédents. Le Ministre de la justice, qui le présidait, pouvait intervenir en qualité de départiteur.

La loi n° 2015-177 du 16 février 2015 a modifié cette composition. Désormais, en formation ordinaire, le Tribunal des conflits comprend quatre conseillers d'Etat élus par l'assemblée générale du Conseil d'Etat, quatre magistrats du siège de la Cour de cassation élus par les magistrats du siège de la Cour de cassation et deux suppléants également élus, l'un par les conseillers d'Etat et l'autre par l'assemblée générale des magistrats du siège de la Cour de cassation.
Par ailleurs le président du Tribunal des conflits, élu pour 3 ans par les conseillers titulaires, est désormais issu alternativement du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation.


Le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 a modernisé les règles de fonctionnement et les procédures suivies devant le Tribunal des conflits. Il a amélioré les procédures de prévention des conflits (H. Pauliat, « La modernisation des procédures devant le tribunal des conflits », JCP G 2015 Fasc. 10 n° 300 ; B. Seiller, « Le Tribunal des conflits renforcé », JCP G 2015 Fasc. 17 n° 514 ; P. Deumier, « Le Tribunal des conflits nouvelle génération », Proc. 2015 Fasc. 5 alerte n° 26).

Le Tribunal des conflits peut être saisi dans différentes hypothèses :

- Conflit positif.
Le conflit peut être élevé par le Préfet dans un département ou une collectivité, lorsqu'il estime que la connaissance d'un litige ou d'une question préjudicielle portée devant une juridiction de l'ordre judiciaire relève de la compétence de l'ordre administratif (art. 13 L. 16 fév. 2015 - Pour la procédure cf. art. 18 à 31 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015). Le conflit peut être élevé tant qu'il n'a pas été statué sur la compétence par une décision passée en force de chose jugée.

- Prévention des conflits.
Les art. 32 et s. du décret n° 2015-233 du 27 février l'envisagent dans deux cas :
  • Lorsque l'un des deux ordres a rendu une décision d'incompétence insusceptible de recours (T. conflits, 22/03/04, JCP G 04 II 10082, note Rouault : cette décision peut néanmoins encore faire ou avoir fait l'objet d'un pourvoi), que le litige est porté devant une juridiction de l'autre ordre, qui estime que la juridiction antérieurement saisie était bien compétente. Cette seconde juridiction doit alors renvoyer l'affaire au Tribunal des Conflits par une décision motivée, insusceptible de recours.
  • Lorsqu'une juridiction est saisie d'un litige qui présente, soit sur l'action introduite, soit sur une exception, une question de compétence soulevant une difficulté sérieuse mettant en jeu la séparation des deux ordres de juridiction. Dans ce cas elle peut, par une décision motivée insusceptible de recours, renvoyer au Tribunal de conflits le soin de décider sur cette question.

- Conflit négatif.
Depuis avril 2015 cette situation est constituée lorsque les juridictions de l'un et l'autre ordre se sont déclarées respectivement incompétentes, par des décisions irrévocables, pour connaître d'un litige ayant le même objet, sans que la dernière n'ait renvoyé le litige au Tribunal des conflits. Dans ce cas, les parties peuvent saisir celui-ci d'une requête aux fin de désignation de la juridiction compétente, dans les deux mois à compter du jour où la dernière en date des décisions d'incompétence est devenue irrévocable.

- Recours en cas de contrariété de décisions au fond.
Le Tribunal des conflits peut être saisi de décisions définitives rendues par les juridictions administratives et judiciaires dans des instances introduites devant les deux ordres pour des litiges ayant le même objet lorsqu'elles présentent une contrariété conduisant à un déni de justice.


Rq.Conflit de compétence entre les deux ordres et durée des procédures.
Dans un arrêt du 30 juin 2008 (JCP G 08 II 10153), le tribunal des conflits avait décidé qu'une demande d'indemnisation pour durée excessive de la procédure, en cas d'instances introduites successivement devant les deux ordres de juridiction, en raison des difficultés de détermination de la juridiction compétente, que le tribunal des conflits ait été amené à statuer ou non, devait être portée devant l'ordre compétent pour connaître du fond du litige. La juridiction concernée était alors compétente pour porter une appréciation globale sur la durée de la procédure devant les deux ordres de juridiction et, le cas échéant, devant le tribunal des conflits.

La loi du 16 février 2015 prévoit que le Tribunal des conflits est désormais seul compétent pour connaître des recours en responsabilité pour durée excessive des procédures entre les deux ordres (voir aussi art. 43 et 44 du décret du 27 fév. 2015).
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