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Grands problèmes contemporains

Le délitement du vivre-ensemble : Etude de documents


A partir de l’étude des documents suivants, répondez à la question : : Le tissu social urbain est-il en train de se désolidariser en France ?

DOCUMENT 1 :

Tx.Au niveau des quartiers prévaudrait une solidarité mécanique, c’est-à-dire reposant sur la similitude sociale des habitants, leur proximité physique et la pression d’un conformisme local : « On habitait un quartier populaire parce qu’on était ouvrier. On y vivait entre ouvriers, avec des manières d’être similaires qui contribuaient à donner à chacun le sentiment d’une identité collective, d’une force propre dans la société, dans la ville ». Au niveau interquartiers, c’est de solidarité organique dont il sera question.
(Source : J.S. Bordreuil, « La Ville desserrée », Coll. L’état des savoirs, La Découverte, 2000).


DOCUMENT 2 :
Source : Stéphane Peltan, La ségrégation urbaine, Ecoflash n° 191, octobre 2004 actualisé.




DOCUMENT 3 :

Tx.Massivement habités par des ouvriers et des employés, – dont beaucoup sont devenus chômeurs –, ces quartiers subissent la violente désagrégation de ce que fut la classe ouvrière. Maghrébins ou Français d’origine pour la plupart, les enfants de ces quartiers ont généralement vécu le « déclassement » de leurs parents par le chômage notamment. Le nombre de familles monoparentales est triplement supérieur à la moyenne. En outre, résider en ZUS constitue en soi un handicap sur le marché du travail. La probabilité de trouver un emploi, toutes choses égales par ailleurs, y est plus faible et plus lente qu’ailleurs. Enfin, le chômage a partie liée au parcours scolaire des habitants de ZUS : 40 % des jeunes de plus de 15 ans vivant en ZUS sortent du système scolaire sans bagage contre 17,7 % pour la moyenne nationale .[...] Le phénomène de ségrégation, intrinsèque au système HLM, aggravé par la discrimination dans le parc privé, tend à figer les habitants les plus modestes et/ou d’origine étrangère dans les cités. Alors que les populations françaises ont progressivement décroché des prêts d’accession à la propriété, les familles immigrées stagnent dans leur logement locatif. [...] La division de plus en plus forte entre des territoires dont les populations ne souhaitent pas se rencontrer est frappante. Jusque dans les années 60, il existait une continuité entre les composantes du tissu urbain. Non pas que les zones résidentielles des classes aisées se mêlaient allègrement aux cités d’habitat social, mais chaque niveau apparaissait accessible à ceux de l’étage inférieur. Le modèle ségrégatif était supportable parce qu’il reposait sur sa lisibilité et sa fluidité. Chacun pouvait à la fois se situer « socialement » et spatialement dans la ville puis, à partir de la seconde moitié du XXème siècle, prendre l’ascenseur, gravir les marches de l’échelon social. Aujourd’hui, la ségrégation se manifeste par un double phénomène d’assignation à résidence et de discontinuité urbaine (perte de liens entre quartiers riches et pauvres, absence de reconnaissance sociale de zones médiatiquement stigmatisées comme des zones de « non-droit »).
(Source : Yazid Sabeg et Laurence Mehaignerie, Les oubliés de l’égalité des chances, Institut Montaigne, janvier 2004).


DOCUMENT 4 :

Tx.Loin d’être cet univers de désolation présenté par certains médias, la banlieue française apparaît au contraire comme un lieu extraordinairement composite où s’expriment des forces et des logiques sociales très différenciées. A cela, il y a plusieurs raisons : le taux de chômage y est souvent plus important qu’ailleurs, mais il n’est jamais majoritaire (rarement plus de 33 % des personnes en âge de travailler) ; le taux d’immigré est élevé, mais il n’y a pas d’homogénéité ethnique et de lieux où les étrangers sont majoritaires (comme c’est le cas dans les ghettos américains souvent composés de 100 % de Noirs) ; les services sociaux sont présents et n’ont jamais déserté la banlieue même si leur action est difficile. Les multiples associations de quartiers jouent un rôle important comme le souligne Azouz Begag, auteurs de "Quartiers sensibles" : « Subsistent encore des associations de personnes privées qui luttent pour résister au "délitement" du lien social, pour la sauvegarde de leur environnement quotidien ». Du fait de la diversité des situations, la banlieue est un kaléidoscope complexe. Loin de proposer un modèle unique et homogène de conduite, on retrouve dans la banlieue une mosaïque de style de vie et de degré d’organisation sociale. Certains groupes jeunes vont basculer dans la marginalité, la délinquance, mais ce sont des cas limite et non la norme. Le mal des banlieues existe mais il ne correspond pas à l’image de désagrégation du lien social qu’on lui attribue généralement. Selon François Dubet, la banlieue française est tiraillée par des tendances contradictoires. A la logique de l’exclusion, dans laquelle s’enferment certains groupes, s’oppose une logique de la participation par l’action dans les associations, les liens avec les services sociaux. A la logique de la « désorganisation » (anomie, solitude) s’oppose une logique de l’organisation communautaire.
(Source : Achille Weinberg, « Lien social, fracture ou fragmentation ? », Sciences Humaines, Hors-série n° 13, juin 1996).


DOCUMENT 5 :

Tx.« Depuis trente ans, les mesures de politique de la ville se sont superposées comme les couches d'un mille-feuille, sans grande cohérence. Dès le départ, à la fin des années 1970, on a mis beaucoup d'argent dans la rénovation des immeubles. Dans les années 1980, on y a ajouté des mesures pour réduire le chômage. A la fin des années 1990, on a créé des postes de médiateurs et les emplois-jeunes. Le plan Borloo de 2003 concentre à nouveau les efforts sur la destruction-reconstruction, aux dépens des politiques de médiation. Cet abandon est le terreau de la crise d'aujourd'hui. Les gouvernements successifs, avec l'appui des maires, ont toujours privilégié les actions en faveur de l'urbanisme. Rénover un immeuble, cela se voit, c'est évaluable et ça ne coûte pas cher, comparé à la création d'emplois dans un quartier. Mais construire des logements sociaux n'a jamais empêché la création de ghettos, puisque, dans le même temps, on n'a pas assez veillé à disperser les populations défavorisées. On les a même volontairement concentrées. Ce choix a abouti à une impasse. Avant, les locataires finissaient par quitter les logements sociaux. Aujourd'hui, ils n'en sortent plus, et les pauvres restent avec les pauvres. Les classes moyennes refusent de les voir arriver. La mixité sociale est plus que jamais devenue une utopie. »
(Source : Jean-Marc Stébé, sociologue à l'université Nancy-II, Le Monde du 11 novembre 2005).


DOCUMENT 6 :

Tx.Les enquêtes ethnographiques mettent également en évidence la dimension politique de cette « anomie » des zones urbaines sensibles. Les ZUS sont souvent situées dans les anciennes « banlieues rouges » où les partis de gauche et les syndicats, et en premier lieu le Parti communiste et la CGT, assuraient une fonction non seulement de relais de la classe ouvrière sur le lieu de travail et dans la ville mais aussi d’encadrement, notamment à travers l’organisation d’activités sportives, culturelles et sociales. Sur le lieu de travail, les syndicats n’ont pas suffisamment pris en compte les spécificités du « nouveau prolétariat » des jeunes précaires, souvent enfants d’immigrés, ce qui a accéléré un déclin qui s’explique largement aussi par les stratégies d’affaiblissement syndical menées dans de nombreuses entreprises. Dans les cités, l’enquête d’O. Masclet montre l’existence d’un fort potentiel militant ; mais les partis et les municipalités de gauche n’ont ni reconnu et encouragé l’action des associations locales, ni suffisamment promu leurs militants pour éviter la désaffection des générations nées à partir des années 70. Ce sentiment d’abandon serait à l’origine de la montée du taux d’abstention et par ricochet, de la montée électorale de l’extrême droite dans certaines ZUS, mais aussi des violences urbaines, qui seraient le symptôme de l’anomie causée par la désorganisation de la vie collective.
(Source : Stéphane Peltan, La ségrégation urbaine, Ecoflash n° 191, octobre 2004).



En savoir plus : Correction

Introduction

Amorce : depuis une vingtaine d’années, les violences urbaines, la « ghettoïsation » de certains quartiers, le vieillissement accéléré des « grands ensembles » sont présentés comme les manifestations d’une « crise de la ville ».
Problématique : L’agglomération urbaine est-elle une institution capable de socialiser, de créer du lien social facilitant le « vivre ensemble » de populations socialement hétérogènes ? La proximité spatiale engendre-t-elle une proximité sociale ? Peut-on penser résoudre les problèmes d’intégration et de cohésion sociale par une simple politique de la ville ?

Annonce du plan : si les liens sociaux se sont indéniablement fragilisés dans les villes au cours de ces dernières décennies, il faut toutefois nuancer un tableau trop souvent dramatisé.

I - LE TISSU URBAIN SEMBLE CONNAÎTRE UN PROCESSUS DE DESAGREGATION
  • A – UNE TENDANCE A LA SEGREGATION ET A L’EXCLUSION
L’exclusion se manifeste par la transformation des grands ensembles en zones de relégation sociale. La solidarité mécanique de voisinage est en train de s’effilocher : habitat dégradé, chômage, perte du sentiment de classe, moindre encadrement politique, moindre participation à la vie politique, comportements anomiques, insécurité, incivilités, délinquance … (documents 1, 2, 3, 6).
La ségrégation se manifeste par le fait qu’il n’y a plus de contacts entre les différents quartiers. La solidarité organique ne fonctionne plus. Perte d’emploi, repliement sur la « cité », éloignement du centre-ville, fuite des classes moyennes vers des quartiers plus aisés, ghettos bourgeois … (documents 1, 3).
En conséquence, les « quartiers sensibles » et leur population se marginalisent de plus en plus. Discrimination en fonction de l’appartenance ethnique ou de l’adresse à l’école et dans l’emploi. Stigmatisation du quartier et de ses habitants. Méfiance des partis politiques. D’où un rejet rejeter de tout ce qui peut représenter l’autorité nationale (documents 3, 5, 6).
  • B – QUI S’EXPLIQUE PAR LES TRANSFORMATIONS DE LA SOCIETE
Le chômage de masse a principalement touché les populations des quartiers sensibles qui étaient composées d’ouvriers peu qualifiés, d’immigrés et de jeunes en échec scolaire peu employables pour les nouveaux emplois tertiaires. D’où un confinement dans le quartier (documents 2,3).
La crise du logement a accentué ce phénomène. Les classes moyennes ont profité de la stabilité de leur emploi pour s’endetter et devenir propriétaire. Ceci a fait monter le prix du logement et des loyers. Les milieux défavorisés ont dû se contenter des logements sociaux les plus excentrés (documents 3, 5).
Le séparatisme social s’est accentué. Les classes moyennes ont adopté des stratégies d’évitement des classes populaires à l’école et dans les quartiers. Les classes aisées ont fait de même vis-à-vis des classes moyennes. Les villes riches ont refusé la solidarité avec les villes pauvres … (document 5).

II – MAIS CETTE CRISE DOIT ÊTRE RELATIVISEE
  • A – LE MAINTIEN DES LIENS SOCIAUX
Le lien social n’a pas disparu ni dans les villes ni dans les quartiers « sensibles ». Son affaiblissement, peut-être provisoire, ne fait que traduire la croissance des inégalités et la panne de la mobilité sociale que l’on observe de nos jours en France.
D’une part, l’image de la banlieue retransmise par les médias est souvent caricaturale. L’habitat délabré, l’absence d’espaces verts, l’anonymat des barres de HLM, les caves squattées par les jeunes, les bandes délinquantes … sont des réalités qu’il faut se garder de généraliser. La majorité des personnes de ces quartiers « sensibles » ont un emploi, nouent des relations sociales avec leurs voisins, participent à des comités de quartiers et font « vivre » la ville. C’est ainsi qu’ils peuvent s’opposer parfois à la démolition d’une barre d’immeuble qui ferait disparaître toute cette solidarité de quartier. Les différences nationales, culturelles, religieuses, qui se manifestent dans la sphère privée, n’empêchent pas l’action collective dans la sphère publique. La banlieue n’est pas un « ghetto » (document 4).
  • B - LA PRESENCE DES INSTITUTIONS
L’emploi n’a pas disparu dans les quartiers. Il reste un élément essentiel de l’intégration et bénéficie d’une politique volontariste de l’Etat (les zones franches) (document 5).
L’école reste encore une institution intégratrice dans les quartiers. Une partie des enfants des quartiers défavorisés réussissent à l’école et bénéficient de politiques de discrimination positive (Zep, Sciences po…).
L’Etat n’a pas déserté les banlieues. Les services sociaux sont actifs. La politique de la ville essaye de compenser les handicaps de ces quartiers et assure une certaine solidarité nationale (document 4).
D’autre part, la solidarité nationale en faveur des quartiers défavorisés continue à s’exercer à travers la politique de la ville. L’Etat a développé les services publics et sociaux dans ces quartiers. Il a donné plus de moyens aux écoles de ces quartiers en les classant en ZEP. Il a institué des « zones franches » de prélèvements sociaux pour attirer les entreprises et créer des emplois dans ces quartiers. La loi SRU oblige les municipalités à construire un certain pourcentage de logements sociaux afin d’assurer la mixité sociale. Dernièrement, le plan de cohésion sociale du ministre de la ville prévoit la construction de 500 000 logements sociaux et la démolition des habitats les plus délabrés (document 4).

En conclusion, ce n’est pas la ville en elle-même qui est la cause de la désorganisation des cités mais le chômage de masse et la montée des inégalités sociales. La ségrégation sociale n’existe pas seulement par « le bas ». Elle se fait également par « le haut ». Les classes aisées cultivent « l’entre-soi » et se réfugient dans les « beaux quartiers ». La politique de la ville n’aura donc du succès que si l’égalité des chances et la mobilité sociale sont rétablis (document 3).
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