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Le désenchantement démocratique

Début 2021, le baromètre de la confiance politique du Cevipof montrait que seules 42 % des personnes interrogées considéraient que la démocratie fonctionne bien en France, un pourcentage très nettement inférieur à ce que l'on observe au Royaume-Uni (61 %) et en Allemagne (67 %) dans la même enquête. Depuis 2009, l'écart entre ceux qui considèrent que la « démocratie fonctionne bien ou assez bien » et ceux qui pensent qu'elle ne fonctionne « pas bien ou pas bien du tout » n'a cessé de croître. Mais cette défiance a bondi de 18 points avec le mouvement des Gilets jaunes. Ainsi, le vote aux élections est de moins en moins perçu comme un bon moyen pour peser sur les décisions prises en France (55 %, - 6 points), tandis que manifester dans la rue est perçu comme un moyen d'action autrement plus efficace (42 %, + 16 points, Cevipof dans Le Figaro 11 janvier 2019). Le sentiment croissant de ne pas être représenté, un sentiment qui n'est pas sans fondement lorsque l'on voit le profil des élites politiques, se traduit par l'abstention croissante et favorise partout la montée des partis anti-système.

Df.Les partis anti-système ont été définis par le politiste italien Giovanni Sartori à propos du Parti communiste et du parti néo-fasciste (le MSI) de l'époque par leur aspiration à un système politique totalement différent tout en utilisant la voie parlementaire ; ce faisant, selon ses mots, le parti anti-système « mine la légitimité du régime contre lequel il se dresse » (Parties and party system, Cambridge University Press, 1976, p. 130). L'expression fait toutefois débat et bien des formations ainsi qualifiées la rejettent. Elle est désormais très largement concurrencée par celle de « populisme ».


Section 1. La politique à l’ère de la défiance




En 2017, Emmanuel Macron arrive au pouvoir avec la promesse d'un profond changement de la classe politique, avec des députés venus de la société civile et moins de professionnels de la politique. Le taux de renouvellement des députés est inédit avec 75 %, et 52 % en 2022. Observe-t-on un vrai changement ?

L'âge moyen des députés s'est régulièrement accru, en dehors de l'alternance de 1981, passant de 50.8 ans en 1962 à 54.6 en 2012, avant de connaitre sous les deux dernières législatures une décrue (49 ans en 1922). Les groupes politiques les plus jeunes sont LFI et EELV avec tous deux une moyenne d'âge de 44 ans, suivis du RN (47 ans). Le groupe Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires (LIOT) ferme le banc avec 58 ans de moyenne.
Source : https://fr.statista.com/, 2023.


Bien que des progrès restent à faire, la représentation des femmes s'est largement accrue depuis la loi sur la parité du 6 juin 2000, puisque la part des femmes à l'Assemblée nationale est passée de 10.8 % en 1997 à 37.3 aujourd'hui (mais 38.7 % sous la législature précédente de 2017). Elles sont donc 2019 députées, soit 14 points de moins que le pourcentage de femmes dans la société française (52 %). EELV est le groupe le plus féminisé avec 57 % ; LIOT le moins avec seulement 19 %.
Source : https://fr.statista.com/, 2023.


Le chemin reste encore long s'agissant des « minorités visibles » (issues d'une immigration non européenne ou originaires des DOM-TOM. Elles sont estimées à 10% du total des Français en 2012 ?). De 2007 à 2017, elles sont passées à l'Assemblée nationale de 0.54 % à 6.18 % (Institut Diderot septembre 2017).


Qu'en est-il de l'origine sociale des députés ? Le renouvellement politique de juin 2017 à l'Assemblée nationale avait entraîné une forte augmentation de la part de femmes parmi les élus mais il ne s'était pas accompagné d'un renouvellement social malgré un profil légèrement moins élitiste comme le montre le tableau. Si 4,6 % des députés sont employés, aucun n'est ouvrier, alors que ces catégories représentent la moitié de la population active. À l'inverse, les cadres et professions intellectuelles supérieures représentaient 76 % des élus, soit 4,4 fois plus que leur part dans la population active.
Cette tendance s'est légèrement accrue en 2022 avec l'arrivée de 8 ouvriers et 26 employés sur les 577 députés soit 6 % de députés venus des classes populaires - toutefois, ces catégories représentent 45 % de la population active. À l'inverse, les cadres et professions intellectuelles supérieures sont en léger retrait (passant de 76 % à 70 %, au profit des professions intermédiaires qui ont doublé) mais ils restent trois fois plus que leur part dans la population active (moins de 22 %).



Ainsi que le montre le graphique suivant, la représentation des classes populaires s'est réduite telle une peau de chagrin depuis 1978 au point de les faire quasi disparaître en 2017. L'absence des milieux populaires résulte de deux grands facteurs : à la fois de l'effondrement du parti communiste (représentant historique de la classe ouvrière) et de l'embourgeoisement du parti socialiste, devenu un parti de diplômés. En 2022, leur timide retour est le fait de deux forces politiques en concurrence sur le terrain social : la LFI et le RN dont les députés sont respectivement ouvriers à 4 et 5 %, employés à 19 et 11 %.




Le PCF d'aujourd'hui est le champion des PI qui représentent 36 % de ses députés. Il est avec le RN le moins accueillant pour les CPIS (respectivement 23 et 35 % de leurs députés). Renaissance, MoDem et Horizons se distinguent par la place faite aux artisans, commerçants et chefs d'entreprise (entre 10 % et 13 % des effectifs de leurs députés). Les personnes issues de la société civile, très sur-représentées en 2017 par rapport aux décennies passées, ont vu notablement décru en 2022. Inversement, comme le disent les auteurs du tableau suivant, « la part de députés ayant occupé des positions de collaborateurs politiques, souvent décrits comme des « professionnels de la politique », est en forte hausse », en particulier à EELV où ils sont 44 % des députés. Mais les classes supérieures restent de loin les plus représentées. Sur 577 députés, 129 étaient auparavant cadres supérieurs, 56 professeurs, 36 chefs d'entreprise, 28 avocats, 20 professions libérales.

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Ce titre, repris à Céline Braconnier et Jean-Yves Dormagen (La démocratie de l'abstention. Aux origines de la démobilisation électorale en milieu populaire, Folio, 2007) désigne un phénomène en expansion et sans doute lié aux évolutions socio-économiques étudiées dans les leçons précédentes : le retrait des milieux populaires de la vie civique, électorale comme associative. Les deux vont en grande partie ensemble. Le Portrait social de la France 2010 montre en effet que le fait d'être investi d'une responsabilité dans au moins une association va de pair avec une moindre abstention, surtout par rapport à des non-adhérents.
Le retrait de la vie civique est traditionnellement moins étudié que le vote ; il est pourtant en progression partout et a acquis ces dernières années une autre signification que la passivité (par l'abstention par indifférence) en voyant se développer des « formes actives et assumées de refus du vote porteuses d'un message politique » (Nonna Mayer, Sociologie des comportements politiques, Paris, A. Colin, 2010, p. 173). Il y a en effet différentes modalités du retrait de la vie civique :
  • la non inscription, autour de 11 % du corps électoral potentiel en France, stable (mais forte hausse des inscriptions pour 2007, avec 3 millions d'électeurs de plus qu'en 2002) ; entre 28 % et 32 % aux États-Unis selon la base de calcul (par rapport à la population majeure ayant le droit de vote, comme en France, ou, comme il est d'usage aux USA, par rapport à la population en âge de voter) ;
  • le vote blanc et nul en progression dans les élections nationales depuis les années 1990 (6,5 % des inscrits en 1993 soit 9,5 % des votants). Depuis 1995, la presse les calcule par rapport aux votants et non plus aux inscrits, ce qui équivaut à le reconnaître. La propension à voter blanc augmente avec le niveau social et culturel et avec l'intérêt pour la politique, ce qui autorise à pouvoir l'interpréter comme un « vote de mécontentement » ;
  • l'abstention a été longtemps négligée par les politistes malgré le travail précurseur d'Alain Lancelot (L'abstentionnisme électoral en France, A. Colin, 1968), puis de Françoise Subileau et Marie-France Toinet (Les chemins de l'abstention, La Découverte 1993). Elle est mieux connue aujourd'hui grâce aux enquêtes et à la mise en place par l'INSEE dans les années 1980 d'un dispositif pour suivre les trajets de participation.
 
Pour Alain Lancelot, « la participation électorale apparait au total comme une dimension secondaire de la participation sociale. Elle procède d'un facteur général qui est le degré d'intégration à la collectivité » (L'abstentionnisme électoral en France, A. Colin, Paris, 1968). En d'autres termes, l'abstention signe un défaut d'intégration sociale, c'est-à-dire à la fois un manque de ressources et de mobilisation électorale parmi ses proches. Elle est particulièrement forte chez les « faux ou mal inscrits », liés aux retards de radiation (décès, migrations, condamnations, déménagements). Lancelot les estimait entre 4 et 5 % du total des inscrits, mais bien supérieur dans les cités. Céline Braconnier et Jean-Yves Dormagen l'ont montré : ils seraient 28 % à être inscrits dans un bureau de la cité du 93 où ils étudient mais habitant ailleurs. Plus du tiers s'est abstenu contre 15 % des « bien inscrits » en 2002. Et plus de 20 % des habitants de la cité sont mal inscrits ailleurs (La démocratie de l'abstention. Aux origines de la démobilisation électorale en milieu populaire, Folio, 2007).
Parmi les inscrits, les plus âgés et les très jeunes sont les plus abstentionnistes : 25 % des plus de 75 ans et 19 % des 18-25 ans n'ont pas voté aux élections présidentielles de 2012, contre 13 % de l'ensemble des Français inscrits. Les milieux sociaux les moins favorisés, les personnes les plus en marge du marché du travail sont les plus prompts à s'abstenir. Braconnier et Dormagen (2007) parlent ainsi d'« exclusion politique des milieux populaires ».
Les catégories les plus sous-représentées parmi les votants sont d'abord les RMIstes, les étudiants et les chômeurs, les jeunes, puis les habitants des zones urbaines sensibles, les salariés intérimaires ou en CDD, les familles monoparentales, les ouvriers non qualifiés et les employés de commerce. À l'opposé, les catégories sur-représentées sont les agriculteurs exploitants et les retraités, plus largement, les 50 ans ou plus, puis les habitants des communes à dominante rurale et les cadres (pour les scrutins de 1995, 1997 et 2002 d'après Portait social de la France 2010).

Ces tendances se sont à nouveau illustrées lors du 1er tour des présidentielles 2022 (sondage sortie des urnes BVA ci-après) :
  • un Français sur quatre s'est abstenu lors du premier tour de l'élection présidentielle. L'abstention est donc en hausse par rapport à celle enregistrée au premier tour de 2017 (22 %) mais néanmoins inférieure à celle record d'avril 2002 (28 %) ;
  • les CSP+ (84 %) et notamment les cadres (87%) ont davantage voté que les CSP- (71 %) et notamment les ouvriers (67 %, 69 % en 2017). Le sentiment d'appartenance sociale renforce encore cette dichotomie : parmi les individus se considérant eux-mêmes comme faisant partie des « classes défavorisées », seul un sur deux a voté (51 %) contre 80 % de ceux qui considèrent appartenir aux classes aisées et supérieures et 83 % de ceux qui se sentent appartenir aux classes moyennes supérieures ;
  • le seul fait vraiment nouveau et notable de ce premier tour est la relativement forte mobilisation des primo-votants, qui s'est en partie cristallisée dans les derniers jours avant le scrutin a été portée par la candidature de Jean-Luc Mélenchon ;
  • un peu plus de 2 % des votants ont choisi de mettre un bulletin blanc ou nul dans l'enveloppe.
Près d'un sur deux explique son geste par le fait qu'« aucun candidat ne [lui] convenait » (45 %), devant le fait de vouloir « exprimer un mécontentement » (26 %).
Ces électeurs témoignent donc d'une conscience politique forte et, s'ils expriment également une certaine lassitude à l'égard de la politique, c'est dans une mesure moindre que les abstentionnistes.


Section 2. Vote de classe ?


L'invisibilisation des catégories populaires et le retrait d'une partie d'entre elles de la participation électorale s'accompagnent d'un désalignement traduisant du divorce d'avec les partis de gauche. Cette évolution qui n'est en rien propre à la France a longtemps conduit à conclure à la disparition du vote de classe. Mais l'arrivée d'Emmanuel Macron à la présidence a remis en cause cette thèse.

Df.Désalignement électoral : fait que le vote d'un groupe social tend à se rapprocher du vote de la moyenne de l'électorat.


Dans un ouvrage classique, Guy Michelat et Michel Simon (Classe, religion et comportements politiques, FNPS, 1977) avaient mis en évidence l’existence, en France, de deux sous-cultures fortement prédictives de l’orientation électorale des individus : la pratique religieuse, favorable au vote à droite de l’échiquier, et l’appartenance au monde ouvrier favorable, lui, au vote de gauche.

Ex.66 % des catholiques pratiquants contre 14 % des sans religion ont l’intention de voter à droite aux législatives de 1967.

Le vote à gauche croit avec le nombre d’attributs ouvriers (être ouvrier soi-même, avoir un père ou un conjoint ouvrier) : il se situe par exemple à 18 % chez les femmes dépourvues d’attaches ouvrières contre 55 % chez les ouvriers fils d’ouvrier.

Une étude dirigée par Richard Rose dans 15 pays faisait un constat identique à l’échelle européenne en montrant le poids déterminant de la classe sociale et surtout de la religion pour le comportement électoral (Electoral Behavior : a Comparative Handbook, New York, Free Press, 1974). Durant cette période, l’usage de l’indice d’Alford, qui offre une mesure du vote de classe par une soustraction entre la proportion de travailleurs « manuels » qui votent pour la gauche et celle des non-ouvriers qui votent pour des partis de cette même tendance, se généralise et donne une assise empirique aux théories du vote de classe.

Rq.Indice d’Alford = % d’ouvriers qui votent à gauche – % des non-ouvriers qui votent à gauche.
  • L'indice est égal à 100. Dans ce cas, tous les ouvriers votent pour la gauche alors qu'aucun non-ouvrier ne vote pour la gauche. On a donc un vote de classe parfait.
  • L'indice est égal à 0. La proportion d'ouvriers et de non-ouvriers qui votent à gauche est la même. Il n'y a donc pas de vote de classe.
  • L'indice est compris entre 0 et 100. C'est le cas le plus courant. Dans ce cas, plus l'indice tend vers 100, plus le vote de classe est marqué.
  • L'indice est négatif. Dans ce cas, le % de non-ouvriers votant pour la gauche dépasse celui des ouvriers.

Suivant cet indice, le vote de classe aurait partout subi une nette érosion, comme on peut le voir avec les deux documents suivants. Ainsi, en France, d’après la figure 2, on constate un désalignement du vote des ouvriers ainsi que des employés : l’orientation politique spécifique à gauche de ces catégories sociales s’étiole progressivement pour totalement disparaitre aux élections présidentielles de 2002. Le clivage de classe serait concurrencé par d’autres clivages, comme le clivage ethnique et un nouveau clivage apparu dans les années 1970 opposant le libéralisme économique (orientant vers un vote à droite), qui augmente avec le patrimoine, au libéralisme culturel (vote à gauche) qui, lui, augmente avec le diplôme et décroit avec l’âge.


Figure 1 : Le déclin du vote de classe mesuré par l’indice d’Alford dans cinq démocraties occidentales in CLARK, Terry, LIPSET Seymour et REMPEL Michael, « The declining political significance of social class », International Sociology, 8, 3, septembre 1993, 293-316.



Figure 2 : Evolution du vote de gauche par CSP de 1978 à 2002 en France in D. Boy et N. Mayer, L'électeur français en questions, Paris, Presses de la FNSP, 1990.




Rq.Cependant, l’indice d’Alford a été remis en cause (pour une synthèse voir Patrick Lehingue Le vote. Approches sociologiques de l’institution et des comportements électoraux, La Découverte, 2011, p. 239-240), remplacé par d’autres (par exemple l’index Kappa) et le constat fortement nuancé pour montrer d’une part, que ce déclin du vote de classe n’est en rien linéaire mais fortement dépendant du contexte politique, d’autre part connaît une résurgence d’autant plus forte que les programmes des partis sur les divers enjeux de la campagne sont clairement polarisés. On assiste également à la résistance du clivage religieux (dont l’effet est deux fois plus important que celui de la classe aux USA) d’après Nonna Mayer, Sociologie des comportements politiques, Paris, A. Colin, 2010, p. 110.

Pour illustrer le détachement des ouvriers à l’égard de la gauche après plus d’un siècle de développement conjoint, nous allons nous pencher sur le cas français en commençant par le déclin du vote ouvrier en faveur du PS. Malgré une perte d’originalité entre 1973 et 1981 (l’écart entre le vote ouvrier et la moyenne recule de 22 à 13 points), le niveau de l’alignement des ouvriers sur la gauche reste stable, aux alentours de 70 %, ainsi que le souligne Florent Gougou, (« Les mutations du vote ouvrier sous la Vème République », Fondation Gabriel Péri, n° 5, 2007/1, p. 17). La victoire de François Mitterrand à la présidence de 1981 lui est intimement liée : la classe ouvrière est alors à son apogée démographique (37 % de la population active) et vote massivement à gauche (72 %, soit +20 points par rapport à la moyenne nationale).
Bien qu’affaiblie, cette spécificité ouvrière demeure en 1988. Elle s’estompe en 1995. Elle disparaît en 2002 et, plus nettement encore, en 2007. C’est en effet chez les ouvriers que le recul du vote pour la gauche est le plus élevé : il perd 27 points de 1978 à 2002 (contre 10 dans l’ensemble de l’électorat). Au premier tour de l’élection présidentielle, le différentiel de vote au profit de la gauche entre les ouvriers et la moyenne de l’électorat passe de + 15 points en 1981 à 0 en 2002 : il n’y a plus de spécificité du vote ouvrier. Le candidat Lionel Jospin n’a même rassemblé que 13 % des suffrages ouvriers, lesquels ont donc moins voté socialiste que l’ensemble des Français (16 %). Au second tour de la présidentielle, le vote ouvrier passe de 72 % en 1981 à 50 % en 2007.

Ce détachement n’est pas unilatéral ; on peut à bien des égards dire que le PS s’est détourné des catégories populaires. Une étude réalisée en 1998 par le Cevipof auprès des adhérents socialistes montre leur net embourgeoisement par rapport à une enquête similaire menée en 1985. Le nombre des employés et cadres supérieurs est stable (plus un point chacun) tandis que celui des autres professions intermédiaires passe de 22 à 25 %. La part des instituteurs baisse de 6 points tandis que celle des professeurs augmente de 5. Le recrutement en milieu ouvrier est très faible puisqu’il se situe à 5 %, soit une baisse de 5 points par rapport à 1985. On ne compte plus que 4 % de précaires et 3 % de chômeurs.
On constate également la progression du capital scolaire des adhérents depuis 1985. Ils sont 10 % à avoir un certificat d’études primaires ou à n’avoir aucun diplôme et 21 % à détenir un CAP, le BEPC ou un diplôme technique équivalent (moins 3 % dans chaque catégorie). La progression est de 3 points pour les détenteurs d’un baccalauréat (19 % en 1998) et de 9 points pour les détenteurs d’un diplôme universitaire (33 % en 1998). Enfin, le vieillissement est très net avec un âge moyen de 55 ans, contre seulement 14 % des adhérents de moins de 40 ans (40 % dans la population globale). Au total, les retraités représentent près de 40 % des effectifs.

Comme l'analysent Frédéric Sawicki et Rémi Lefebvre (« Le peuple vu par les socialistes », dans Frédérique Matonti, dir., La démobilisation politique, Paris, La Dispute, 2005, p. 69-96), les relations entre le PS et les catégories populaires apparaissent aujourd'hui marquées par un « triple désajustement lié à des logiques congruentes d'ordre idéologique, sociologique, culturelle et organisationnelle » : une déconflictualisation du discours, une professionnalisation-notabilisation des élites (plus d'un tiers des adhérents socialistes en 1998 détiennent ou ont détenu un mandat d'élu), une dévitalisation des réseaux sociaux constitutif du « milieu partisan ». Ainsi, au mépris des statuts du parti, plus de 40 % des militants socialistes n'appartiennent pas à aucun syndicat.

Df.Le milieu partisan est « l’ensemble des relations consolidées entre des groupes dont les membres n’ont pas forcément pour finalité principale de participer à la construction du parti politique, quoiqu’ils y contribuent en fait par leurs activités ». (Frédéric Sawicki, Les réseaux du parti socialiste. Sociologie d’un milieu partisan, Belin, 1997, p. 24)

Cette approche a été reprise par Julian Mischi sur le PCF et aboutit à la conclusion similaire de la désagrégation des écosystèmes communistes locaux. Au travers d’une analyse de plusieurs territoires communistes (Saint-Nazaire, Longwy, Grenoble, l’Allier), il questionne l’évolution des relations entre le PCF et les classes populaires, et montre, lui aussi, une « désouvriérisation » du parti : alors qu’en 1967, 40 % des délégués au congrès appartenaient à cette catégorie, ils ne sont plus que 9 % en 2009 (Le communisme désarmé. Le PCF et les classes populaires depuis les années 1970, Marseille, Agone, 2014).

À partir de la thèse de Ronald Inglehart sur l'avènement au cours des années 1960 d'une nouvelle révolution, culturelle, la « révolution silencieuse » et l'émergence du postmatérialisme, plusieurs politistes dégagenet de nouveaux clivages permettant d'expliquer le développement des partis écologistes, mais aussi par réaction, des formations telles que Chasse Pêche Nature et Tradition (CPNT), créée dès 1989 à partir des mobilisations des chasseurs contre les directives européennes et les associations écologistes. Avec celui des formations d'extrême droite, l'hypothèse d'un clivage culturel ou clivage des valeurs se poursuit. Dès les années 1990, le politiste Piero Ignazi annonçait une « contre-révolution silencieuse » (Piero Ignazi, « The Silent Counter-Revolution : Hypotheses on the Emergence of Extreme Right-Wing Parties in Europe », European Journal of Political Research, vol. 22, n° 1, 1992, p. 3-34. Voir également H. Kitschelt, The Radical Right in Western Europe : A Comparative Analysis, Ann Arbor, University of Michigan Press, 1995 qui développe ce qu'il appelle le clivage libertarians/authoritarians.
Le politiste suisse Hanspeter Kriesi parle lui du clivage opposant les « gagnants de la mondialisation » aux « perdants de la mondialisation ». En phase avec les travaux d'Inglehart, la ligne de démarcation, notamment dans les nouvelles générations, renverrait au capital culturel, mesuré par le niveau de diplôme obtenu. Décliné sur la question européenne par exemple par P. Delwit : « Le rapport à « l'Europe » est aujourd'hui plutôt référé à d'autres clivages ou oppositions structurantes, déjà mis en évidence : universaliste versus ethnocentrique ou gagnants versus perdants de la modernisation. Pour certains politistes, il renvoie aussi à une forme d'inversion du clivage centre/périphérie. » (Delwit, Pascal. « Les clivages et la structuration des systèmes partisans », Pouvoirs, vol. 179, n° 4, 2021, p. 5-16., ici p. 15.)

Pour nombre d'observateurs, les élections de 2017 qui voient l'arrivée d'Emmanuel Macron à la présidence auraient vu le retour du clivage de classe. C'est la thèse que développe Martial Foucault dans « Une géographie politique des nouveaux clivages », Constructif, vol. 48, n° 3, 2017, p. 31-35.
Il remarque tout d'abord un désalignement aussi bien à gauche qu'à droite. Seuls 30 % des ouvriers ont voté à gauche, mais 35 % pour Le Pen, 24 % pour Mélenchon, 17 % pour Macron. L'éclatement est plus net encore pour les employés : 27,5 % se sont tournés vers Le Pen, 21 % vers Mélenchon, 20 % vers Macron et 14 % vers Fillon. Le désalignement se vérifie aussi à droite avec des agriculteurs portant à équivalence leurs voix pour Le Pen et Fillon (25 % chacun). Quant aux CPIS, leur vote s'éparpille entre Macron (34 %), Fillon (21,5 %), Mélenchon (18 %) et même Le Pen (12 %).
Le politiste note ensuite une amplification des fractures géographiques de pauvreté socio-économique avec un vote des métropoles urbaines opposé au périurbain et aux zones rurales, loin du clivage ancien entre une France des villes et une France des champs. La corrélation entre taux de pauvreté et vote Le Pen s'impose. Mais, ajoute-t-il, pour expliquer le succès de cette dernière parmi des populations disparates comme jeunes, classes moyennes, péri-urbain et zones rurales, un autre clivage nouveau s'impose : France optimiste versus France pessimiste, élaboré à partir d'indices de bien-être comme le niveau de satisfaction, la projection à 5 ans etc. Dans L'archipel français (Seuil 2019), Jérôme Fourquet voit dans les élections de 2017 un « retour du clivage de classe avec la constitution d'un bloc libéral-élitaire » (2019, p. 475) tandis que les votes populaires se portent vers le RN qui selon lui capitalise sur le ressentiment accumulé, indexé sur le diplôme, qu'il fait remonter au traité de Maastricht (1992) et au non au référendum sur le Traité constitutionnel européen.

Les résultats sociodémographiques au 1er tour des présidentielles de 2022 opposent terme à terme les électeurs des futurs deux finalistes (Jérôme Fourquet « Macron – Le Pen : deux France face-à-face », Fondation Jean Jaurès, 21 avril 2022. Analyse du profil des électeurs du 1er tour présidentielles 2022) :
  • l'âge : 39 % des électeurs de 65 ans et + se sont portés sur Macron, contre 18 % sur Le Pen ;
  • le diplôme : 36 % des diplômés du supérieur à bac+3 ont voté Macron (11 % sur Le Pen) ; 36% de ceux inférieur au bac Le Pen (23 % Macron) ;
  • la CSP : les CPIS se sont portés à 34 % sur Macron (seulement 14 % sur Le Pen) tandis que 33 % des employés et 35 % des ouvriers ont voté pour elle (pour Macron respectivement 18 et 17 %) ;
  • la pénibilité au travail : 32 % de ceux qui exercent un métier pas du tout pénible ont voté pour Macron (14 % pour Le Pen), 37 % de ceux au métier très pénible et 32 % de ceux au métier assez pénible pour Le Pen (pour Macron respectivement 13 et 17 %) ;
  • le sentiment de déclassement : 37 % de ceux ayant un sentiment de déclassement ont voté pour Le Pen (14 % pour Macron) ; ceux ayant un sentiment d'ascension se sont portés à 35 % sur Macron (15 sur LP) ;
  • l'éloignement de la métropole la plus proche avec un vote métropolitain et citadin pour Macron (à Paris, 85 % des voix sur lui) tandis que Marine Le Pen a enregistré en moyenne ses meilleures performances (28 %) dans les communes situées entre 30 et 60 kilomètres du cœur d'une aire urbaine.
 



Sy.La révolte des Gilets jaunes a exprimé avec fracas l'insatisfaction grandissante à l'égard de la démocratie représentative et le sentiment de ne pas être représentés. Le thème du renouveau démocratique et citoyen y a été très saillant avec la revendication du référendum d'initiative citoyenne : 97 % des « gilets jaunes » estiment que la démocratie ne fonctionne pas très bien (25 %) ou pas bien du tout (72 %). C'est 37 points de plus que l'ensemble des Français.
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