Le monde du travail a connu des bouleversements sans précédents au cours de ces cinquante dernières années : l’emploi s’est féminisé, tertiarisé (presque 80 % de la population active y travaillant désormais contre 42 % en 1962) et urbanisé ; il est aussi devenu plus qualifié. Les contraintes associées au travail ont progressivement changé de nature avec la montée des flexibilités : moins de fatigue physique mais davantage de stress au travail. Surtout l’emploi apparaît plus « éclaté » : le règne de la grande entreprise industrielle, marquée par une organisation du travail de type fordiste ou taylorien, avec essentiellement des contrats de travail à durée indéterminée et à temps plein est aujourd’hui dépassé. On assiste à un émiettement des situations qu’il s’agisse des statuts et des situations d’activité entre l’emploi et le chômage, des durées et des rythmes de travail, des modes de rémunération ou même des unités productives.
Rq.Le « retour de la question sociale » depuis les années 1990 semble fermer la boucle ouverte avec l'invention du travail salarié et la « question sociale » du XIXème (voir leçon 2).
La question se pose aujourd'hui en raison des métamorphoses voire de la crise du travail, métamorphoses qui semblent affecter la capacité du travail à faire le lien social.
- Donner un revenu : de plus en plus de personnes en sont privées et cette privation serait le premier pas vers l'exclusion ou la désaffiliation, et la source principale de la fracture sociale.
- Il en va de même pour donner une place, une utilité sociale dans la société.
- Fournir à l’individu une identité sociale est-il encore possible quand l'éclatement du collectif de travail rend plus difficiles les mécanismes d'identification collective, quand la hantise de la perte de travail détruit la solidarité, quand les organisations syndicales sont elles aussi en plein marasme (voir leçon 9) ?
Luc Boltanski et
Eve Chiapello, dans
Le Nouvel esprit du capitalisme (Gallimard, 1999), analysent «
les changements idéologiques qui ont accompagné les transformations récentes du capitalisme » (p. 35), l’idéologie étant entendu de façon générale comme «
un ensemble de croyances partagées, inscrites dans des institutions, engagées dans des actions et par là ancrées dans le réel » (1999 : 35). Ils distinguent trois périodes différentes du capitalisme, chacune marqué par un «
esprit du capitalisme », c’est-à-dire «
l’idéologie qui justifie l’engagement dans le capitalisme » (p. 42).
- Le capitalisme marchand du XIXème siècle, du bourgeois (capitalisme patrimonial et familial) mais aussi du « chevalier d’industrie », ayant le goût du risque.
- Le capitalisme industriel des années trente aux années 1970 de la grande entreprise et du compromis fordiste : organisation, centralisation, bureaucratie, planification, directeur (salarié et non pas détenteur du capital), cadres, ingénieurs, hiérarchie, production de masse, consommation de masse, standardisation.
- Depuis le choc pétrolier de 1973, le 3ème âge, le capitalisme financier mondialisé porteur de la cité par projets, justifiant un monde connexionniste (projet, lien et réseau) par opposition au modèle hiérarchique précédent.
En comparant deux corpus de textes de management, le premier des années 1960 et le second des années 1990, les auteurs montrent également comment le capitalisme se ressource et se régénère à sa critique, ici celle de 1968 dont les aspirations (créativité, autonomie, polyvalence
etc...) sont reprises par le nouveau management et porteuses de transformations du travail considérables.
C’est du Japon, et plus précisément dans les usines Toyota, que sont expérimentées de nouvelles formes d’organisation du travail, à l’initiative de l’ingénieur Ohno, avant qu’elles ne soient importées aux États-Unis au début des années 1980 via les « transplants » nippons. Robert Boyer et Jean-Pierre Durand (L'après-fordisme, Syros, 1993) définissent le « toyotisme » comme des techniques organisationnelles destinées à améliorer l'efficacité de la production au centre desquelles se trouve la lean production ou production frugale, « au plus juste », ce qui induit zéro stock et la pratique des flux tendus. Il opère un renversement total de la logique de production.
La pratique du flux tendu suppose d’abord une main d’œuvre polyvalente (à l’inverse de la spécialisation du salarié typique du taylorisme) et sa flexibilité qu’encourage l’individualisation des salaires, alors que dans le modèle fordiste, les politiques salariales des entreprises étaient fondées sur un principe simple : la rigidité des salaires (chaque poste était associé à un coefficient inscrit sur une échelle de salaire négociée au niveau sectoriel par les syndicats et les employeurs ; le salaire ne variait pas selon les fluctuations économique).
L’impératif de flexibilité pour accroître la capacité d'adaptation de l'entreprise se décline de différentes manières. On en distingue 4 formes.
- la flexibilité externe : ajustement par le recours au marché du travail (licenciements, externalisation, travail temporaire, contrats atypiques qui représentent désormais 80% des embauches dans les entreprises de plus de 50 salariés) ;
- la flexibilité interne : par réajustement au sein de l'entreprise (formation, rémunération avec individualisation des salaires avec indexation sur les résultats de l'entreprise et l’organisation du travail) ;
- la flexibilité quantitative qui consiste à diminuer la part des coûts fixes au profit des coûts variables ;
- la flexibilité qualitative (interne par définition) pour adapter les qualifications et l'organisation de la production à la demande : polyvalence, atelier flexible, management participatif censé encourager l'initiative.
L’externalisation concerne principalement les fonctions d’exécution comme le nettoyage, la restauration, le gardiennage. Mais aussi des « services de concepts » comme les conseils et études, l’informatique. Elle explique le développement des PME voire des entreprises sans salarié tandis que dans le même temps, on assiste aussi à l’augmentation considérable des groupes et fusions. Qualifié de nonemployer puzzle aux États-Unis, le phénomène des entreprises sans salarié y a explosé en passant sur les vingt dernières années de 15 à plus de 22 millions d’entreprises. En France, leur nombre a doublé entre 2003 et 2014 (de 1,4 à 2,4 millions selon l’INSEE). La tendance s'est accélérée avec la dite ubérisation de l'économie, contribuant au coup d'arrêt donné à l'extension du salariat qui a marqué le XXème siècle (voir leçon 2).
Rq.Si la part de l'emploi indépendant dans l'emploi total a fortement diminué au cours de la seconde moitié du XXème siècle, sous l'effet des évolutions socio-économiques et notamment du déclin de l'emploi agricole, elle a connu un léger rebond depuis 2000 pour atteindre 12,4 % en 2020. La raison tient à l'uberisation des économies. Le néologisme a été popularisé en francophonie par l'homme d'affaires français, ancien président du directoire de Publicis Group, Maurice Lévy après un entretien accordé au Financial Times en décembre 2014, année au cours de laquelle Uber arrive sur le marché français. Le terme « ubérisation » fait son apparition dans le dictionnaire Le Petit Larousse 2017, qui le définit comme : la « remise en cause du modèle économique d'une entreprise ou d'un secteur d'activité par l'arrivée d'un nouvel acteur proposant les mêmes services à des prix moindres, effectués par des indépendants plutôt que des salariés, le plus souvent via des plates-formes de réservation sur Internet ». Aussi appelé « disruption », ou plateformisation, c'est un phénomène récent dans le domaine de l'économie consistant en l'utilisation de services permettant aux professionnels et aux clients de se mettre en contact direct, de manière quasi instantanée, grâce à l'utilisation des nouvelles technologies. Les secteurs les plus concernés sont les emplois d'interaction, en relation avec des clients : les taxis, les banques avec les plateformes de crowdfunding et peer to peer lending, la restauration (Deliveroo à partir de 2015, Uber Eats en 2016, etc.).
Le système japonais a été qualifié de post-fordien, fordien, hyperfordien ou encore pré-fordien, mais l’on parle le plus souvent de post-fordisme. Il se diffuse ensuite aux États-Unis où, d’après Philippe Askenazy (Les désordres du travail, Seuil, 2005, p. 17), les 2/3 de l’industrie ont connu ce processus de réorganisation au début des années 1990, avant d’arriver en Europe quelques années plus tard. Mais ces processus de réorganisation ne concernent pas toutes les entreprises et pas toutes au même degré de sorte qu’au sein d’un même espace national, ou d’un même secteur, coexistent plusieurs modèles et même plusieurs combinaisons possibles de modèles pour une même entreprise. Robert Boyer et Michel Freyssenet dénombraient ainsi 6 modèles pour la seule industrie automobile (Les modèles productifs, La Découverte, 2000).
Ces métamorphoses sont liées au passage du fordisme au post-fordisme que l'on observe depuis la crise de 1973-74. Le fordisme se caractérisait par la production en série de produits standardisés et la fragmentation des tâches (voir leçon 2). Il impliquait:
- de fortes concentrations ouvrières à l'échelle nationale ;
- un fort interventionnisme étatique chargé de tempérer les influences économiques extérieures et de protéger la main d’œuvre nationale des effets de la concurrence internationale ;
- une gestion de type néo-corporatiste entre État-patronat-organisations syndicales.
Rq.Mais l’Organisation scientifique du travail comportait deux limites : d’une part, elle était rentable pour la production en grande série souvent de biens de consommation de masse (d’où le lien entre production et consommation de masse). Les coûts de la réorganisation du travail étaient amortis par un grand volume de production qui n’était possible que pour certains secteurs industriels seulement aujourd’hui en crise. Elle impliquait d’autre part des coûts humains, sociaux et ensuite matériels qui provoquaient absentéisme, roulement du personnel, conflits et désintérêt pour le travail.
Le post-fordisme s'inscrit dans une logique de globalisation économique et de concurrence internationale accrue qui n'est plus freinée par les barrières étatiques. Il s'organise sur le modèle centre/périphérie, entraînant la précarisation et la segmentation du marché du travail à l'échelle mondiale. Depuis la disparition des pays de l'Est, il est entièrement dominé par une conception ultra-libérale de l’État et de la société. Internationalisation de la production et diffusion idéologique vont donc de pair. Il s’inscrit aussi dans ce que le CNPF (ancêtre du Medef) qualifiait à partir de 1978 de « gestion concurrentielle du progrès social ». Il s’agissait de faire concurrence aux syndicats en leur reprenant la « gestion du social » ; d’où le rôle médiateur de l’encadrement et le développement des cercles de qualité par exemple.
Rq.Ces processus de réorganisations ne concernent pas toutes les entreprises et pas au même degré (mais 4 entreprises sur 5 dans les années 1990 selon Christine Gavini). Le travail à la chaîne concerne une proportion stable de salariés (3 % entre 1978 et 1991) ; non seulement il n'est pas en recul, mais il apparaît comme une innovation organisationnelle dans certaines branches de l'agro-alimentaires (comme l'industrie de la viande).
La transformation technique du travail (faisant toujours moins appel aux grandes organisations de type taylorien) ainsi que le contexte de concurrence exacerbée produit par la mondialisation économique ont pour effets la précarisation de la force de travail et l’individualisation croissante de la relation de travail qui vont à l’encontre d’une évolution séculaire. Dans les deux cas, comme le dit Charles Goldfinger (Travail et hors travail, Odile Jacob, 1998), il y a « risque de disparition d’un référentiel commun qui sous-tend les liens d’appartenance culturelle et sociale à un ou plusieurs groupes ». L’éclatement des collectifs de travail remet en cause l'intervention publique qui structure la relation salariale et la vie de travail dans l'entreprise. De même, l’individualisation croissante des contrats (salaires, horaires, etc...) rompt avec la dynamique de collectivisation de la relation du travail au principe du droit social et semble renouer avec le « contrat de louage » du début du XIXème siècle. Pour les syndicats, cela constitue un véritable obstacle à l’unification des revendications permettant de dégager un « nous ». Il est vrai aussi que « la déréglementation et l’effondrement syndical de la fin des années 1970 et du début des années 1980 ont accéléré ces processus » de réorganisation du travail aux USA, dit Philippe Askenazy (Les désordres du travail, Seuil, 2005, p. 18), mais le constat vaut aussi pour l’Europe (voir leçon 9).
Les chantres de ce modèle voient dorénavant dans l’entreprise un lieu d’émancipation. L’entreprise serait devenue « post-bureaucratique », décentralisée voire réticulaire, régie par des managers et non plus des chefs. Elle requiert des salariés polyvalents, responsables, réactifs et adaptables auxquels elle redonnerait une autonomie dans le travail. Le « management participatif » a en effet repris aux politistes étudiant les budgets participatifs le thème de l’empowerment (« montée en autonomie »), c’est-à-dire principalement l’« utilisation de la prise de parole pour promouvoir la participation active et l’implication des membres de l’organisation » (Linda Putnam, Nelson Philips et Pamela Chapman in Stewart Clegg, Cynthia Hardy et Walter R. Nord, Handbook of organisation studies, Sage, 1996.)
Le management par projet, forme de despotisme doux pour S. Clegg et D. Courpasson (in Journal of Management Studies, volume 41, n° 4, june 2004, cité par Sciences humaines, n° 158 mars 2005), montre la capacité du capitalisme à s’adapter à sa critique venue de 1968 (dénonciation de l’autoritarisme, valorisation de l’autonomie individuelle, comme l’ont montré Luc Boltanski et Eve Chiapello). Il suppose un autocontrôle accru du salarié (par le reporting, compte rendu de ses activités par le salarié, les techniques de « développement personnel ») et un contrôle décentralisé, par les pairs (par le « feed-back » des cadres).
Ces transformations dans les modes de production ne constituent pas forcément une amélioration des conditions des salariés. Certes, ils ont gagné en autonomie et leurs tâches sont moins répétitives (le travail est moins ennuyeux). Par contre les cadences sont plus rapides. L'ensemble des enquêtes auprès des salariés révèle une augmentation des pénibilités et des nuisances liées au travail, et surtout de la « charge mentale » constitutive de l'explosion des troubles musculo-squelettiques et du stress professionnel, variable selon les CSP, comme le montrent les 2 tableaux suivants. L'enquête 2012-2013 de la direction des études statistiques du ministère du travail montre une augmentation des contraintes de rythme de travail après une stabilisation de l'intensité du travail entre 1998 et 2005, période qui apparaît ainsi comme une parenthèse depuis les années 1980.
Source : ministère du Travail - © Observatoire des inégalités.
Par ailleurs, les plus touchés par le phénomène d’externalisation qui est aussi une précarisation du salariat sont les plus fragiles : les plus de 50 ans, les immigrés, les femmes, les personnes à santé fragile souvent en raison d’une maladie professionnelle ou d’un accident du travail. En revanche, ceux qui « s’en sortent » le mieux sont ceux disposant de capital social, de compétences linguistiques et évidemment et de plus en plus les surdiplômés.
Comme l'explique Robert Castel, cette nouvelle organisation du travail a entraîné une profonde différenciation du salariat ainsi qu'une «
fragmentation de l'organisation du travail et des collectifs fondés sur le travail » :
Tx.« Ce qui se joue à travers la mutation du capitalisme qui a commencé à produire ses effets au début des années 1970, c'est fondamentalement une mise en mobilité généralisée des relations de travail, des carrières professionnelles et des protections attachées au statut de l'emploi. » (L'insécurité sociale, Seuil, 2003, p. 43).
La nouvelle question sociale qui se dessine à la fin des années 1980 est différente de celle qui avait accompagné la révolution industrielle.
Attention ! (voir intro, partie statistiques), la définition du chômage et donc son comptage diffèrent selon Pôle Emploi (qui compte 3,4 millions en 2017 en catégorie A) et le BIT (2,6 millions en 2017).
Df.Pour le BIT, un chômeur est une personne en âge de travailler (15 ans ou plus) qui répond simultanément à trois conditions :
- être sans emploi, c’est-à-dire ne pas avoir travaillé, ne serait-ce qu’une heure, durant une semaine donnée ;
- être disponible pour prendre un emploi dans les 15 jours ;
- chercher activement un emploi ou en avoir trouvé un qui commence ultérieurement
Pôle emploi, lui, distingue 5 catégories de demandeurs d'emploi :
- A : Personne sans emploi, tenue d'accomplir des actes positifs de recherche d'emploi, à la recherche d'un emploi quel que soit le type de contrat (CDI, CDD, à temps plein, à temps partiel, temporaire ou saisonnier) ;
- B : Personne ayant exercé une activité réduite de 78 heures maximum par mois, tenue d'accomplir des actes positifs de recherche d'emploi ;
- C : Personne ayant exercé une activité réduite de plus de 78 heures par mois, tenue d'accomplir des actes positifs de recherche d'emploi ;
- D : Personne sans emploi, qui n'est pas immédiatement disponible, non tenue d'accomplir des actes positifs de recherche d'emploi (demandeur d'emploi en formation, en maladie, etc.) ;
- E : Personne pourvue d'un emploi, non tenue d'accomplir des actes positifs de recherche d'emploi.
Malgré la hausse globale de l’emploi depuis 1954, le premier choc pétrolier et la réorganisation du travail ont provoqué sa réduction sur plusieurs années (de 1974 à 1975, de 1980 à 1986, de 1991 à 1993, en 2003 et en 2008 pour le cas français). Le recul de la population salariée occupée dans l'industrie est considérable avec la perte d'un million d’emplois entre 1973 et 1983 (moins 14 %), et encore moins 9 % entre 1984 et 1993. En 1970, le secteur industriel totalisait environ 5 350 000 emplois. En 2008, il n'en totalise plus qu'environ 3 640 000. Il a donc perdu environ 1/3 de ses effectifs. La hausse du chômage est continue. On compte ainsi en France 593 000 chômeurs en 1973, 1 750 000 en 1981, 3,5 millions recensés officiellement en 1997, 2,8 millions soit 9,8 % de la population active en 2012, 3,5 millions en octobre 2016. Amorcée en 2020, la décrue est nette en 2021 avec une diminution de 12,6 % des chômeurs en catégorie A (soit presque ½ million en moins, 3,3 millions au total, le plus bas niveau depuis 2012), 5,6 millions si on inclut ceux de catégorie B et C (Chiffres France entière hors Mayotte, DARES). Mais ces chiffres sont souvent contestés comme le montre l’exemple suivant.
Rq.D’après la DARES et l’ANPE, fin janvier 2007, il y avait 2 353 000 chômeurs soit 8,6 % de la population active. Pour le Directeur général de l’Unedic Jean-Pierre Revoil, le chiffre varie la même année de 1 à 4 millions. 1,1 millions sont indemnisés à temps complet et 1,8 millions si on y ajoute ceux qui travaillent en partie. L’ensemble des chômeurs inscrits sont 3 685 000, auxquels pourraient s’ajouter 412 000 allocataires dispensés de recherche d’emploi car ils ont au moins 57 ans et 700 000 chômeurs RMIstes non inscrits à l’ANPE.
Le chômage ne touche pas toutes les catégories sociales de la même façon. Celui des ouvriers non qualifiés (un ouvrier non-qualifié sur cinq est sans emploi) est, en 2012, 5,5 fois plus élevé que le taux de chômage des cadres, contre 4,9 fois un an plus tôt. D’après l’Observatoire des inégalités, les cadres et professions intermédiaires étaient quasiment au plein emploi avec un taux de chômage respectif de 3,7 et 5,4 %. Le chômage de longue durée est en hausse : 40,8 % des chômeurs sont au chômage depuis plus d’un an et 20,2 % le sont depuis deux ans ou plus (données INSEE 2013).
Evolution du taux de chômage selon la CSP
Selon Eurostat, 15,61 millions de personnes étaient au chômage dans l'Union européenne en juillet 2019 (6,3 % de la population active), dont 12,32 millions au sein de la zone euro (7,5 %). Les différences entre les États sont très importantes. Les taux les plus faibles ont été observés en Allemagne et en République Tchèque (respectivement 3 % et 2,1 %) ou encore la Pologne (3,3 %), tandis que les plus élevés ont été enregistrés en Grèce (17,2 %) et en Espagne (13,9 %). La France, elle, se classe en 4ème position des États les plus touchés par le chômage (8,5 %).
En juin 2024, la situation a sensiblement évolué : le taux de chômage de l'Union européenne atteignait 6 % de la population active et 6,5 % en zone euro. La République tchèque, la Pologne et l'Allemagne restent les champions (respectivement 2,7 %, 3 % et 3,4 %) et les pays du sud restent en queue de peloton avec 11,5 % de taux de chômage en Espagne, 9,6 % en Grèce (une baisse drastique donc), ils sont rejoints par la Finlande et la Suède qui affichent 8,3 %. La France, elle, se classe en 6e position des États les plus touchés par le chômage (7,4 %).
Les contrastes sont plus grands encore s'agissant du chômage des jeunes de moins de 25 ans : 14,4 % dans l'UE et à 14,1 % dans la zone euro. Les différences entre les États sont très importantes. Les taux les plus faibles s'observent en Allemagne, en Slovénie et en Irlande (respectivement 6,2 %, 7,8 % et 8,1 %) ainsi qu'aux Pays-Bas (6,2 % en avril 2019), tandis que les plus élevés ont été enregistrés en Espagne (25,9 %), en Suède (23,9 %), au Portugal (22,9 %), Grèce (22,5 %), en Italie (20,5 %) et Slovaque (20,2 %)... et en France avec 17,8 %.
En savoir plus : Derniers chiffres en Europe
Pour les derniers chiffres en Europe (juin 2024), avec données et carte :
Eurostat
Mais si le taux d'emploi est en hausse depuis ces toutes dernières années, la sous-utilisation de la main d'œuvre, qui inclut toutes les personnes dont le besoin d'emploi est non satisfait, est élevée puisqu'elle touche d'après Eurostat 29,4 millions de personnes en mars 2021 soit 13,9 % de la population active. Avec un taux de 16,1 %, la France est un des pays où la hausse a été la plus forte ; c'était 5,3 % des actifs en 2012 (d'après le Portait social de la France 2013, p. 192).
Df.La sous-utilisation de la main d'œuvre est la somme des chômeurs, des travailleurs à temps partiel sous-employés, des personnes qui cherchent du travail mais qui ne sont pas immédiatement disponibles et des personnes disponibles pour travailler, mais qui ne cherchent pas du travail, exprimée en pourcentage de la population active élargie (définition Eurostat).
Au sein de cette catégorie se situe le sous-emploi qui concerne en France 1,3 million de personnes en 2022, soit 4,6 % des personnes en emploi, retrouvant des niveaux antérieurs à 2020, la crise sanitaire ayant alors fait bondir le chômage partiel (le sous-emploi y est alors de 11 % des personnes en emploi soit 3 millions de personnes). Le sous-emploi concerne beaucoup plus les femmes que les hommes (6,5 % contre 2,8 %, en 2022). Il est par ailleurs plus fréquent parmi les personnes moins diplômées ou occupant un emploi peu qualifié.
Df.Sous-emploi : personne en emploi qui soit travaille à temps partiel, souhaite travailler davantage et est disponible pour le faire, soit a travaillé moins que d'habitude pendant la semaine de référence en raison de chômage partiel ou de mauvais temps (définition INSEE).
Si les femmes sont plus touchées, c'est qu'elles subissent beaucoup plus le temps partiel que leurs homologues masculins : 27 % des salariées femmes travaillent à temps partiel contre 8 % des hommes (Dares, 2024). Dans notre pays, le temps partiel a doublé entre 1980 (8 %) et 1997 (16 %). Il concerne en 2023 4 millions de salariés (dont 79 % de femmes) soit 17,4 % des salariés. C'était un million en 1975, soit une multiplication par 2,5 en 50 ans. Il répond pour beaucoup à une stratégie de flexibilité de la part de l'entreprise ; c'est pourquoi il touche surtout les emplois de nettoyage, gardiennage, d'entretien ménager et donc d'abord les employés, et outre les femmes, les jeunes (26 % des 15 à 24 ans sont à temps partiel) et les séniors de 55 ans et plus (24,8 % en temps partiel). 27 % des salariés à temps partiel déclarent vouloir travailler davantage, ce qui représente 1,4 million de personnes, selon les calculs de l'Observatoire des inégalités d'après les données 2021 de l'INSEE. Parmi ceux subissant la situation, 72 % sont des femmes contre 28 % des hommes.
Df.Le salarié à temps partiel est celui dont la durée du travail, obligatoirement mentionnée dans son contrat de travail, est inférieure à la durée légale (35 heures par semaine) ou aux durées conventionnelles ou pratiquées dans l'entreprise.
13,3 % des emplois, soit 3,7 millions de salariés, ont un statut précaire en France, selon les données 2021 de l'INSEE, qu'il s'agisse d'intérim, d'apprentissage et surtout de contrats à durée déterminée (CDD) qui représentent 7,7 % du total des emplois. Au milieu des années 1980 ce taux n'était que de 7 % ; on a donc assisté à un doublement. Il serait majeur encore si l'INSEE ne limitait pas sa comptabilisation aux salariés mais y incluait une partie des « indépendants » des plateformes. Les jeunes sont les plus touchés, et plus encore ceux non ou faiblement qualifiés : Chez les moins de 25 ans, le taux de précarité est passé de 18,7 % en 1982 à 49,3 % en 2000. Parmi les jeunes qui travaillent et qui sont sortis depuis moins de cinq années du système éducatif, la part des emplois précaires est passée de 16,9 % milieu des années 1980 à 29,6 % en 2020, selon l'INSEE. Mais 22 % des jeunes diplômés du supérieur qui travaillent sont en CDD ou en intérim, contre 47 % des jeunes sortis de l'école sans diplôme. Les écarts sont considérables selon les catégories sociales ainsi que le montre le tableau suivant. On compte deux fois moins de précaires parmi les cadres supérieurs (6 %). Au sein des classes moyennes (les professions intermédiaires), le taux de précarité s'élève à 11 %. Il atteint 17 % chez les employés et 22 % chez les ouvriers, au sein desquels les ouvriers non qualifiés et les ouvriers agricoles comptent plus de 33 % de personnes en contrat court. Soit, chez ces derniers, une proportion cinq fois plus importante que chez les cadres, et deux fois plus que chez les employés. Au total, plus de deux tiers des 3,6 millions de salariés précaires sont des ouvriers et des employés.
La France se distingue particulièrement en ce qui concerne la part des emplois en contrat court. Selon les données fournies par la Dares, la durée moyenne d'un CDD était de 46 jours en 2017 contre 113 jours en 2001. La moitié des CDD duraient moins de 5 jours en 2017 alors que la durée médiane était de 22 jours en 2001. En 2017, près d'un tiers des CDD ne duraient qu'une journée. Dans l'Union européenne à 27, la France est l'un des pays où la part des contrats courts dans l'emploi salarié est la plus élevée (voir tableau). Parmi les salariés en emploi à durée limitée (CDD ou intérim), 22,9 % seulement déclarent qu'ils sont dans cette situation par choix en 2016 (contre 25 % en 2013).
Le développement de l'emploi précaire explique en grande partie l'augmentation de la proportion de travailleurs pauvres. Les salariés en emploi temporaire sont 3 fois plus souvent pauvres (16,3 % en Europe en 2015 selon Eurostat) que ceux qui ont un contrat à durée indéterminée (5,8 %). Le taux de pauvreté des travailleurs en contrat précaire a augmenté de 4,6 points en dix ans, contre + 1,4 point pour les plus stables. Autre facteur : le temps partiel. 7,8 % des travailleurs à temps plein vivent sous le seuil de pauvreté en Europe. Ils sont proportionnellement deux fois plus (15,8 %) chez ceux qui travaillent à temps partiel.
Taux de travailleurs pauvres en Europe selon le type de contrat
|
2005 en %
|
2010 en %
|
2015 en %
|
Évolution 2005-2015 en points
|
Travailleurs en contrat précaire |
11,7
|
13,8
|
16,3
|
+ 4,6
|
Travailleurs en contrat à durée indéterminée |
4,4
|
5,5
|
5,8
|
+ 1,4
|
Seuil de pauvreté à 60 % du niveau de vie médian. Lecture : 16,3 % des travailleurs en contrat précaire sont pauvres en 2015.
Source : Eurostat – © Observatoire des inégalités.
Taux de travailleurs pauvres en Europe selon la durée du travail
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2005 en %
|
2010 en %
|
2015 en %
|
Évolution 2005-2015 en points
|
Travailleurs à temps partiel |
11,5
|
13,5
|
15,8
|
+ 4,3
|
Travailleurs à temps plein |
7
|
7,4
|
7,8
|
+ 0,8
|
Seuil de pauvreté à 60 % du niveau de vie médian.
Source : Eurostat – © Observatoire des inégalités.
Df.On peut mesurer de différentes façons la pauvreté. La plus courante repose sur des indicateurs statistiques :
Pauvreté monétaire : une personne est considérée comme pauvre lorsque son niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté. La pauvreté monétaire est mesurée de manière relative : le seuil est déterminé par rapport à la distribution des niveaux de vie de l’ensemble de la population. L’INSEE, comme Eurostat, privilégie le seuil à 60 % de la médiane.
Taux de pauvreté : pourcentage de la population dont le niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté (on privilégie généralement le seuil à 60 % de la médiane des niveaux de vie).
Une approche « relationnelle » de la pauvreté, inspirée des analyses séminales du sociologie allemand
Georg Simmel (1908) met plus particulièrement l'accent sur les formes institutionnelles du phénomène. Le statut de pauvre se définit alors par l'effet de l'entrée dans une condition d'assisté, par exemple allocataire du RSA. Elle inspire les travaux du sociologue français
Serge Paugam sur la disqualification sociale.
On peut enfin étudier la
pauvreté subjective, c'est-à-dire le sentiment de pauvreté, comme l'ont fait Nicolas Duvoux et Adrien Papuchon. « Qui se sent pauvre en France ? Pauvreté subjective et insécurité sociale »,
Revue française de sociologie, vol. vol. 59, no. 4, 2018, pp. 607-647.
À 60 % du niveau de vie annuel médian dans chaque pays, le taux de pauvreté monétaire est de 17 % dans l'ensemble de l'Union européenne en 2021. Comme l'explique l'INSEE, « la pauvreté étant définie de manière relative, un faible niveau de vie moyen n'implique pas nécessairement un taux de pauvreté élevé et un niveau de vie moyen élevé ne garantit pas un taux de pauvreté faible. Ainsi, alors même que le niveau de vie moyen est relativement faible en Hongrie, en Slovaquie et en Tchéquie, le taux de pauvreté y est bas (de 9 % à 13 %). La Belgique, la Finlande, le Danemark, l'Irlande, les Pays Bas et la France ont à la fois un niveau de vie élevé et des taux de pauvreté modérés (de 11 % à 14 %). Dans les pays du Sud, la pauvreté monétaire est particulièrement développée en Grèce, en Italie, et en Espagne (de 20 % à 22 %). Elle l'est également dans les pays baltes (entre 20 % et 23 %). »En 2022, la France compte 5,1 millions de pauvres si l'on fixe le seuil de pauvreté à 50 % du niveau de vie médian (965 euros par mois pour une personne seule, soit un taux de pauvreté de 8,1%) et 9,1 millions si l'on utilise le seuil à 60 % (taux de 14,4%). Entre 2005 et 2015, le nombre de pauvres a augmenté de 600 000 au seuil à 50 % et d'un million au seuil à 60 %. Le taux de pauvreté s'est élevé de 0,5 point au seuil à 50 % et de 0,9 point au seuil à 60 %. Les bénéficiaires des minimas sociaux sont en 2020 4,5 millions soit 10% de la population.
Df.En France en 2022, on compte 10 minimas sociaux : le RSA, l'allocation de solidarité spécifique (ASS), l'allocation pour demandeur d'asile (ADA), l'allocation aux adultes handicapés (AAH), l'allocation supplémentaire d'invalidité (ASI), les allocations du minimum vieillesse (ASV et ASPA), le revenu de solidarité (RSO), l'allocation veuvage (AV) la prime d'activité et l'allocation temporaire d'attente (ATA).
L'édition 2022-23 du Rapport sur la pauvreté en France établit le portrait des pauvres de notre pays sur des données de 2021.
La moitié des pauvres ont moins de 30 ans : enfants de parents pauvres qui subissent le chômage ou travaillent pour des salaires trop faibles et jeunes adultes peu ou pas diplômés. 19 % des 18-29 ans sont pauvres : presque un sur cinq. La moitié des personnes pauvres sont célibataires, avec ou sans enfant(s). Les femmes seules avec enfant(s) sont les plus exposées. 19 % des familles monoparentales vivent sous le seuil de pauvreté.
La moitié des adultes pauvres sont inactifs : retraités, femmes au foyer et personnes trop découragées pour chercher un emploi. Pour autant, être actif ne protège pas de la pauvreté. 26 % des chômeurs sont pauvres et l'on compte 1,2 million de travailleurs pauvres. Les milieux populaires sont beaucoup plus concernés. 60 % des pauvres sont ouvriers ou employés. 80 % des pauvres ont au mieux le baccalauréat. Les immigrés sont également surreprésentés. 19 % d'entre eux sont pauvres, contre 7 % des non-immigrés. Des vulnérabilités que l'on retrouve à l'échelle européenne (voir tableau).
Source : Eurostat – © Observatoire des inégalités.
La figure la plus extrême de la pauvreté est le « SDF ». Au début des années 1990, 400 000 personnes vivraient dans la rue. Le CERC (Centre d'étude des revenus et des coûts) estimait en 1993 à 1 % de la population en âge de travailler la proportion de ceux complètement dé-liés (SDF), 5 % à la fois exclus du marché de l’emploi et d’une grande pauvreté matérielle et relationnelle (CERC n° 109, 3ème trimestre 1993). L’INSEE comptabilise 141 500 SDF, dont 30 000 enfants, en 2012 soit 11 500 de plus que l’année précédente, et + 50 % depuis 2001 sous le double effet de la crise économique et de l’explosion des prix de l’immobilier. 2 sur 5 sont des femmes ; un quart d’entre eux sont des travailleurs pauvres. 53 % de ceux recensés dans les agglomérations de plus de 20 000 habitants sont d’origine étrangère. En 2014, 3,6 millions de personnes sont soit privées de domicile personnel, soit vivent dans des conditions très difficiles (privation de confort ou surpeuplement) ou précaires (hôtel, caravanes...). S’ajoute un halo de plus de 5 millions de personnes fragilisées par la crise du logement.
Depuis cette dernière enquête de l'INSEE, la Fondation Abbé Pierre comptabilise en 2022 185 000 personnes vivant en centres d'hébergement, 100 000 dans des lieux d'accueil pour demandeurs d'asile, 16 000 dans les bidonvilles et 27 000 personnes sans abri (lors du recensement de la population 2016). Le ministère des Solidarités donne ce bilan en 2021 : 200 000 personnes hébergées dans des centres d'hébergement, dont 92 000 sont des réfugiés en attente d'examen de leur demande d'asile ; 100 000 personnes hébergées en urgence ou de manière prolongée, dans des centres d'accueil ou des appartements destinés aux sans-abri ; 5 600 mères accueillies dans des établissements réservés avec leurs enfants. A cela s'ajoutent 72 000 personnes hébergées à l'hôtel.
Df.Comment nommer ce qui apparaît être la négation d’un siècle de « progrès » et d’interventions étatiques ? Il y a différentes façons de parler du problème de la pauvreté : l’exclusion, souvent utilisée en France, renvoie à une opposition dedans/dehors,
underclass aux USA à une distinction haut/bas,
marginalidad en Amérique latine à celle centre/périphérie, comme le souligne Didier Fassin (in Serge Paugam, dir.,
L’exclusion, l’état des savoirs, La Découverte, 1996, p. 263). Denise Jodelet ajoute dans le même livre (in Paugam 1996, p. 66 et suiv.) que le type d’exclusion renvoie toujours à un type de relations interpersonnelles et sociales :
- ségrégation : mise à distance topologique ;
- marginalisation : mise à part d’un groupe ;
- discrimination : fermeture de l’accès à certains biens, ressources, rôles ou statuts, ou traitement différentiel et négatif.
René Lenoir porte la paternité du terme « exclusion » avec la publication de son ouvrage Les exclus, un Français sur dix (Seuil) en 1974 qui envisage sous cette catégorie des personnes inadaptées aussi diverses que les mineurs en danger, les enfants placés, les délinquants, les jeunes toxicomanes, les alcooliques, les malades mentaux, les marginaux ou encore les Français musulmans. Il compte 2 à 3 millions d’handicapés, plus de un million d’invalides âgés et 3 à 4 millions d’« inadaptés sociaux ».
La prise de conscience ou la vogue de la question de la précarisation du travail relance les débats au début des années 1980 qui débouchent sur la notion de « nouvelle pauvreté », avec un glissement de perspective : ce sont des catégories jusque-là bien insérées dans le tissu économique et social mais victimes de la crise économique qui sont désignées. Le terme est à son tour délaissé au profit d’« exclusion » à la charnière des années 1980-90. Ce changement témoigne d’une meilleure connaissance des populations concernées et surtout d’un changement dans les représentations du phénomène qui s’élargit à la question du lien social et non plus seulement de l’emploi.
Df.Pour le Ministère de l’emploi et de la solidarité, l’exclusion se définit comme étant un ensemble de mécanismes de rupture tant sur le plan symbolique (stigmates ou attributs négatifs) que sur le plan des relations sociales (ruptures de différents liens sociaux qui agrègent les hommes entre eux). L'exclusion est à la fois un processus, produit par un défaut de cohésion sociale, et un état, résultat d'un défaut d'insertion. Le concept d'exclusion se caractérise par 3 dimensions :
- la sphère économique : précarité vis-à-vis de l'emploi, insuffisance chronique ou répétée des ressources ;
- la non-reconnaissance : non usage des droits sociaux, droits civils, droits politiques ;
- les relations sociales : déstructuration sociale et psychologique que la crise économique et les situations de non droits engendrent chez les individus, familles ou groupes sociaux.
Lorsque Robert Castel propose le concept de désaffiliation, son objectif est de dépasser le constat pour comprendre les mécanismes qui y conduisent. Il le propose la première fois dans un article du Débat de 1990 (n° 61, septembre-octobre) intitulé « Le roman de la désaffiliation. A propos de Tristan et Iseut. » Dans sa contribution au livre dirigé par Jacques Donzelot, Face à l’exclusion, le modèle français (Paris, Éditions Esprit, 1991, p. 137-168), « De l’indigence à l’exclusion, la désaffiliation », « il propose de distinguer deux axes permettant de penser les situations de dénuement : un axe d’intégration – non-intégration par le travail et un axe d’insertion – non-insertion dans une sociabilité socio-familiale. En somme, pour définir la désaffiliation, il est tentant de recourir à deux figures : déficit de filiation et déficit d’affiliation.» (Martin Claude, « Désaffiliation », in Paugam Serge (dir.), Les 100 mots de la sociologie, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Que Sais-Je ? », p. 61-62).
Ainsi peut-on comprendre ce qui unit la mère de famille monoparentale, le chômeur, le jeune en quête d’emploi, le RMIste. Ils ont en commun une fragilité professionnelle qui commence par l’emploi précaire et sa mise en défaut du rôle social car « une condition salariale forte jouait un rôle intégrateur fondamental dans la société et assurait la protection des individus contre les risques sociaux majeurs. » (Castel in Donzelot, dir., 1991, p. 157). Mais ils partagent aussi une fragilité d’insertion relationnelle en raison de la fragilisation des relations familiales et de la disparition des sociabilités de classe.
Ex.D’après une étude du CERC (n° 109, 3ème trimestre 1993), la corrélation est forte entre le taux de rupture conjugale et la précarité du rapport à l’emploi : la proportion des ruptures est de 24 % pour les individus ayant un emploi stable, 31,4 % pour ceux en travail précaire, 38,7 % pour celles inscrites au chômage depuis plus de deux ans. Les désunions constituent un « risque social », avec les familles monoparentales.
Sy.Les transformations du travail du 3ème âge du capitalisme ont profondément déstabilisé nos sociétés fondées sur le travail. Elles ont provoqué à la fois la précarisation de ceux qui sont exclus du travail et une fragilisation générale du salariat qui n’est pas prête de s’éteindre quand on sait qu’en 2017, 87 % des contrats signés sont des CDD, contre 79 % en 1997 (source Dares). Outre les syndicats, cette crise du travail affecte nécessairement l’État social, forgé autour de lui : à la fois son système de redistribution et son ciment.
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