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Grands problèmes contemporains

Avènement et apogée de la société salariale en crise

Cette leçon historique vise à retracer les grandes lignes des bouleversements que nos sociétés vont connaître à partir de la révolution industrielle, de l’extension du salariat à la construction de l’Etat social en réponse à la naissance de la question sociale, qui est d’abord la question ouvrière.


Si cette leçon s’ouvre en reprenant le titre d’un ouvrage de Karl Polanyi, La grande transformation. Aux origines politiques et économiques de notre temps (1944), traduit par Gallimard en 1983 seulement, nous ne prétendons évidemment pas reprendre à l’historien et économiste hongrois sa démarche de longue durée sur l’économie de marché du XVème siècle à la Seconde guerre mondiale. Plus modestement, elle vise à retracer les grandes lignes des bouleversements que nos sociétés ont connus à partir de la révolution industrielle, de l’extension du salariat à la construction de l’État social en réponse à la naissance de la question sociale, qui est d’abord la question ouvrière.

Section 1. La « grande transformation »



C'est au XVIIème que Dominique Méda (Le travail, une valeur en voie de disparition, Aubier, 1995) situe « l'inversion de l'ordre des valeurs » concernant le travail (p. 74). L’indicateur en est, selon elle, la publication, en 1776, de Les causes de la richesse des nations, d'Adam Smith qui marque l'avènement de l'économie politique. Le travail devient la source de la richesse, le fondement de l’échange, le symbole de l’autonomie individuelle donc de la liberté, d’où la marchandisation du travail avec le « contrat de travail ».

On parle de révolution industrielle quand le secteur industriel devient le moteur de l'économie : entre 1780 à 1820 en Grande-Bretagne, 1830 à 1860 en France, 1840 à 1860 en Allemagne, à partir de 1860 aux États-Unis. Les indicateurs sont nombreux : le degré de mécanisation, la part de l'industrie dans le PNB, la production industrielle et plus précisément celle des branches les plus marquées par les innovations technologiques (industrie cotonnière, sidérurgie), l'existence de crises de surproduction et non plus de sous-production agricole entraînant des effets en chaîne (comme la crise de 1816, que David Ricardo juge nouvelle et appelle « crise de reconversion » ; celle de 1847, mixte ; celle de 1882-89, moderne).

Le machinisme démarre entre 1820-1850. La mécanisation touche d'abord le textile (machines à fouler et à lainer, tondeuses hélicoïdales, machines à bobiner et à carder), la sidérurgie avec la modification du haut fourneau (fonte à air chaud), la papeterie (machine Canson de production en continu), puis viennent en 1827 la naissance de l'industrie chimique et du chemin de fer. Aussi entre 1789 et 1880, la population active augmente de 10 à 16,5 millions.

L’urbanisation est un phénomène connexe qui voit d’abord croître les villes moyennes puis Paris (50 0000 habitants en 1800, 1 million en 1850, 1,8 en 1870). Elle est particulièrement lente en France, où la population urbaine rejoindra la population rurale seulement en 1930. En 1851, 14 % de la population vit dans des agglomérations de plus de 10 000 âmes (39 % en Grande-Bretagne). Pourtant, l'urbanisation va aggraver les peurs et les critiques contre les méfaits du déracinement et de la concentration.

Le Second Empire (1852-1870) connait le boom de la révolution industrielle. On parle de « fête des profits » en raison de l’essor du crédit, des libertés accrues pour le commerce et la circulation des capitaux (invention des sociétés anonymes). Il est aussi marqué par une politique de grands travaux dans l'urbanisme, le bâtiment et les chemins de fer et, sur le plan industriel, par une concentration majeure des usines qui favorise le déclin de la pluri-activité. Une seconde révolution industrielle a cours entre 1870 et 1914 par la multiplication des innovations (électricité, pétrole, aluminium, chimie, moteur à explosion, auto, imprimerie), et de la mécanisation du travail qui entraîne le déclin des ouvriers professionnels au profit des non qualifiés. Entre 1864 et 1913, la puissance totale de l'énergie dépensée par l'industrie progresse de 1 400 %.

Évolution de la population active (en %)


 1781-179018561881
Agriculture
55


51,7


47,5

Industrie
15

26,8

26,7

Services
30

21,8

24,9


Source : Gérard Noiriel, Les ouvriers dans la société française XIXème-XXème , Seuil, 1986, p. 12.

Les phénomènes sont liés et parfois globalement qualifiés de « rationalisation » avec d'un côté l'OST (Organisation scientifique du travail, taylorienne), de l'autre le travail à la chaîne fordien. Mais les deux vont beaucoup plus loin et leur importance dépasse celle de l'organisation du travail. Le paternalisme patronal reposait sur une politique de bas salaires et une forte auto-consommation ouvrière. Cette politique marque ses limites dans les années 1930 ; elle apparaît comme un obstacle au développement du capitalisme. Pour augmenter leurs débouchés, Citroën et Renault plaident pour une élévation du niveau de vie. Cet impératif avait déjà été lancé par Frederick Winslow Taylor qui voyait dans l'accès des ouvriers à la consommation un moyen de les plier aux contraintes de la discipline d'usine, et surtout par Henry Ford qui en perçoit en outre les profits. C’est cette articulation entre production et consommation de masse qui caractérisera le fordisme.

Robert Boyer parle du « caractère structurant du taylorisme », moyen d'unifier le fonctionnement d'ensemble de l'entreprise, vecteur de standardisation de la production, qui entraîne une mutation des relations entre directions patronales et travailleurs, une recomposition de la classe ouvrière et une mutation des conceptions et des pratiques de l’État vers une technocratisation qui propage l'impératif de rationalisation (in Maurice De Montmollin et Olivier Pastré (dir.), Le taylorisme, La Découverte, 1984, p. 38-40). Le tournant taylorien a d'ailleurs pour effet d'obliger une redéfinition des nomenclatures juridiques en trois temps : pour les premières conventions collectives de masse en 1936, pour les arrêtés sur les bas salaires de 1943 et les classifications des décrets Parodi de 1945 qui distinguent 5 catégories d'ouvriers, et finalement pour la nomenclature INSEE de 1954 qui en définit 4 principales : les contremaîtres (ayant une fonction d'« encadrement des travailleurs manuels ») ; les ouvriers qualifiés (OQ) qui « exercent un métier qui en principe exige un apprentissage » ; les ouvriers spécialisés (OS) qui « occupent un poste d'emploi qui nécessite une simple mise au courant, mais pas de véritable apprentissage » ; les manœuvres qui « font, en principe, un travail manuel qui ne demande aucune spécialisation, ni qualification particulière ».

C’est l’État qui, en France, a impulsé le compromis fordien d’accroissement du pouvoir d’achat des salaires : par la procédure d’extension à la profession ou à la branche des conventions signés par un nombre jugé suffisant de partenaires sociaux (1950), par l’accroissement du salaire indirect (qui passe de 1 % en 1900 à près d’un tiers aujourd’hui) formé par les allocations de sécurité sociale, par le rôle d’entraînement des entreprises nationalisées et des négociations tripartites au sommet, par l’instauration du SMIG en 1950 (SMIC en 1970).

L'Organisation Scientifique du Travail (OST) est mise au point à la fin du XIXème par l'ingénieur américain Frederick Winslow Taylor (1893). Son obsession est de lutter contre ce qu’il appelle la « flânerie » ouvrière par le recours à la science. “L'une des principales caractéristiques d'un homme qui est capable de faire le métier de manutentionnaire de gueuses est qu'il est si peu intelligent et flegmatique qu'on peut le comparer, en ce qui concerne son aptitude mentale plutôt à un bœuf qu'à toute autre chose.” (Taylor, La direction scientifique des entreprises, Trad. Dunod, 1971, p 312). Il invente ainsi différentes techniques du « scientific management » : l'étude des temps et des mouvements ; une tâche spécifique ; la prime de rendement ; la formation définie par des experts en management ; le travail individualisé ; la mesure objective du travail et le « feedback » quotidien ; la standardisation ; le temps de repos et la diminution du temps de travail ; différents types d'encadrement et d'agents de maîtrise ; la division des tâches de conception-préparation et d'exécution.

En France, la 1ère étape est constituée en 1912, à Renault, par le chronométrage du travail ouvrier puis la spécialisation et l’individualisation des tâches qui permettent la mise en place de la production en série et des chaînes de fabrication. Il ne concerne alors, c’est-à-dire avant la guerre, qu'à peine 1 % de la population industrielle. Après, en 1920, les « postes de travail » sont redéfinis par des « bureaux d'études ». En 1927, est introduite la « méthode Bedeaux » avec la décomposition « scientifique » du travail des mineurs et salaire modulé en fonction de la quantité de travail qui en ressort. En 1957, le travail en équipe concerne une usine sur 10 soit 1/7ème des ouvriers. Il en résulte une remise en cause de l'autonomie ouvrière, la limitation des besoins en emplois par gains de productivité, le déclin des ouvriers professionnels qui, à l'île Seguin, passent de 46,3 % en 1925 à 32,3 % en 1939. L’OST est surtout appliquée dans l'automobile, l'aéronautique et l'armement, le chemin de fer, la mine, la construction électrique.
Chaîne de montage des carrosseries aux usines Renault, à Boulogne-Billancourt, 1931. Source : © Jacques Boyer/Roger-Viollet.


En 1908, Henry Ford développe la première automobile pour les classes populaires, la Ford T., et pour abaisser les coûts de production, poursuit l’OST de Taylor en introduisant dans les années 1910 le travail à la chaîne, associé à une politique d’intéressement des ouvriers. Comme il le dit, « la fixation du salaire de la journée de 8 h à 5 dollars fut une des plus belles économies que j'ai jamais faites, mais en le portant à 6 dollars, j'en fis une plus belle encore ! » (Ma vie et mon œuvre, Payot, 1925, p. 168).

Robert Castel définit la société salariale comme « une société dans laquelle l'identité sociale se fonde sur le travail salarié plutôt que sur la propriété » (dans Les métamorphoses de la question sociale, Fayard, 1995, p. 483) qu’il reprend à Michel Aglietta et Anton Brender (Les métamorphoses de la société salariale , Calmann-Lévy, 1984). «  Une société salariale n’est pas seulement une société dans laquelle la majorité de la population active est salariée. C’est surtout une société dans laquelle l’immense majorité de la population accède à la citoyenneté sociale à partir, d’abord, de la consolidation du statut du travail. » (R. Castel, L’insécurité sociale. Qu’est-ce qu’être protégé ?, Seuil, 2003). Pour lui, la société salariale succède à la société industrielle après la seconde guerre mondiale avec une expansion et une différenciation du salariat avant d’entrer en crise dans les années 1970. Elle est faite « de grandes catégories sociales homogènes qui sont représentées par des syndicats puissants et qui ont une grande force dans la négociation collective (...) un ensemble de catégories professionnelles homogènes dont les rapports sont gérés dans le cadre de l’État-nation à travers les procédures de la négociation collective. » (in Classes sociales, retour ou renouveau ?, Syllepse, 2003, p. 14). Les métamorphoses du travail au 3ème âge du capitalisme, que nous verrons dans la 4ème leçon, fragiliseront en profondeur ce modèle, en raison à la fois de la fragmentation de l'organisation du travail et de la déstabilisation des collectifs fondés sur celui-ci.

Ainsi on comptait 57,8 % de salariés dans la population active en 1911, 65,2 % en 1954, 82,7 % en 1975, 86 % en 1983-84, 91,7 % en 1999-2000 (source INSEE). Cette extension du salariat est due à plusieurs facteurs :
  • l’effondrement des exploitants agricoles (les chefs d’entreprise non agricole se maintiennent grâce à la vigueur des PME) dont le nombre continue à décroître inexorablement (429 000 en 2017 contre plus de trois millions en 1960 et encore un million en 1988). Hommes pour les ¾ d'entre eux, âgés pour plus de la moitié (55 %) de 50 ans et plus, ils sont aux ¾ sans salariés (données INSEE 2019) ;
  • la « révolution commerciale », c’est-à-dire l’apparition de la grande distribution au début des années 60 qui connaît un essor tellement spectaculaire (création de Carrefour en 1960, d'Auchan en 1962 et ouverture en 1963 du premier hypermarché en France) que la loi Royer de 1972 va en réglementer l’ouverture sans enrayer le mouvement : les non salariés dans le commerce représentaient 48 % en 1962 contre 22,5 % en 1997 ;
  • l’augmentation spectaculaire des salariés du public : condition du développement de l’Etat-Providence et de la décentralisation, les effectifs de la Fonction publique (toutes catégories confondues) ont presque doublé depuis 1954 et occupent en 1995 près d’un emploi sur 4 (23,3 %).
Plus généralement, la croissance des emplois de service qui occupaient 41 % de l'emploi total en 1960, 48 % en 1970, 57 % en 1980 et 65 % en 1990 est continue (voir tableau 1). Il s'ensuit un bouleversement de l'emploi par secteur : entre la fin des années 1970 jusqu'à l'aube du 2e millénaire, le secteur primaire perd plus de trois millions d'emplois et le secteur secondaire un million, alors que près de treize millions d'emplois ont été créés dans le secteur tertiaire (voir tableau 2).

Tableau 1 : Evolution des grands secteurs d'activité (1962 et 2016) de l'emploi par secteur.
Tableau 2 : Répartition de l’emploi par groupe socioprofessionnel de 1982 à 2019.


Toutefois, à côté de cette tendance lourde à l'extension du salariat, on observe une remontée significative des non-salariés depuis le nouveau millénaire avec l'émergence de l'auto-entrepreneuriat – créé en janvier 2009, remplacé fin 2014 par le micro-entrepreneuriat – avec l'augmentation de 26 % des indépendants entre 2006 et 2011. Fin 2019, selon l'Insee, 3,5 millions de personnes exercent une activité non salariée en France, dont 0,4 million dans le secteur agricole. Sur ce total, 1,7 million sont des auto-entrepreneurs selon un bilan de l'Acoss-URSSAF. Le nombre de travailleurs indépendants a augmenté d'environ 1 million en dix ans.
Elle s’est accompagnée de l’élévation très marquée du taux d’activité féminin, passé de 47 à 85 % pour les femmes âgées de 30 à 59 ans entre les années 1970 et 2010. Ainsi, le nombre de femmes actives exerçant une activité rémunérée est passé de moins de 7 millions en 1960 à plus de 10 en 1990 soit pour l'ensemble de la population active, de moins de 34 % à plus de 43 %. Si entre 1962 et 1982, l'emploi salarié masculin croît de 16 %, l'emploi féminin bondit quant à lui de 57 %. Plusieurs facteurs ont encouragé la salarisation des femmes comme l'allègement des travaux domestiques avec la révolution de l'électroménager et l'extension des services de l'Etat soulageant les activités maternelles (le taux de scolarisation des enfants de 2 à 5 ans passe de 50 % en 1960 à 67,4 % en 1970 et place en crèches passent de 18 000 en 1961 à 31 800 en 1971).

Rq.Toutefois, à côté de cette tendance lourde à l’extension du salariat, on observe une remontée significative des non-salariés depuis le nouveau millénaire avec l’émergence de l’auto-entrepreneuriat – créé en janvier 2009, remplacé fin 2014 par le micro-entrepreneuriat – avec l’augmentation de 26 % des indépendants entre 2006 et 2011. On en compte 3 millions en octobre 2016 soit 11,5 % des emplois dont 860 000 micro-entrepreneurs hors Mayotte.

Cette extension du salariat s'est accompagnée de l'élévation très marquée du taux d'activité féminin, passé de 47 à 85 % pour les femmes âgées de 30 à 59 ans entre les années 1970 et 2010. Leur part dans la population active est montée régulièrement, passant de 35 % avant 1970 à une quasi parité (48 %) en fin de période (INSEE, 50 ans). Le législateur acte de cette évolution en décidant en 1965 que les femmes n'ont plus besoin de demander l'autorisation de leur mari pour travailler et qu'elles peuvent jouir librement de leurs revenus. Les années 1970 poursuivront ces indéniables progrès pour la condition féminine notamment sur le plan des mœurs en permettant de dissocier sexualité et procréation (accès à la contraception avec la loi Lucien Neuwirth, le député gaulliste qui la proposa en 1967, loi Veil dépénalisant l'avortement et droit de divorcer par consentement mutuel en 1975, etc.). Toutefois, se maintiennent des inégalités considérables tant dans la sphère domestique que professionnelle comme nous le verrons dans la leçon 5.

Section 2. La formation de la classe ouvrière et du mouvement ouvrier



Dans La formation de la classe ouvrière anglaise, (1963, Paris, EHESS-Gallimard-Seuil, 1988), l’historien britannique Edward P. Thomson (1924-1993) a profondément renouvelé l’histoire sociale, alors marquée par l’orthodoxie marxiste et surtout sa vision mécaniste de la classe ouvrière, c’est-à-dire l’idée que la classe ouvrière serait une sorte de produit spontané du développement des forces productives et des transformations des rapports de production (la propriété privée des moyens de production dans le mode de production capitaliste). A l’inverse, dit-il pour expliquer le titre de son ouvrage, “le mot "formation" indique que l'objet de cette étude est un processus actif, mis en œuvre par des agents tout autant que par des conditions. La classe ouvrière (...) a été partie prenante de sa propre formation.” (p. 13)

Il montre tout d’abord la profonde hétérogénéité des conditions objectives et subjectives d’existence ouvrière qui sont à l’origine de la « classe » avant de souligner avec force que la « conscience de classe » ne se matérialise pas que dans des rapports de production ; elle se manifeste tout autant dans une culture spécifique (une idée que l’on trouvera aussi chez Richard Hoggart, dans La Culture du pauvre, 1957, traduit aux éditions de Minuit en 1970). C’est une formation sociale et culturelle insérée dans une histoire particulière.

Df.« J’entends par classe un phénomène historique, unifiant des événements disparates et sans lien apparent, tant dans l’objectivité de l’expérience que dans la conscience. J’insiste sur le caractère historique du phénomène. Je ne conçois la classe ni comme une ‘structure’ ni même comme une ‘catégorie’, mais comme quelque chose qui se passe en fait – et qui, on peut le montrer, s’est passé – dans les rapports humains. […] On peut parler de classe lorsque des hommes, à la suite d’expériences communes (qu’ils partagent ou qui appartiennent à leur héritage), perçoivent et articulent leurs intérêts en commun et par opposition à d’autres hommes dont les intérêts diffèrent des leurs (et, en général, s’y opposent). »

Si l’histoire sociale de la France a si longtemps été comparée à celle de la Grande-Bretagne, c’est en raison de la précocité de sa révolution industrielle et de la formation de la classe ouvrière britannique que ce pays connait, en faisant une sorte de modèle. A cela, trois facteurs principaux :
  • D’une part, son poids industriel grâce aux mines de charbon et ses révolutions en matière de transports par le chemin de fer et la machine à vapeur, brevetée par l’Écossais James Watt en 1769 ;
  • D’autre part, la puissance de son empire colonial ;
  • Enfin, son poids financier avec le développement de la Bourse de Londres au cœur du quartier de la City qui fait de la livre-sterling la première monnaie des échanges internationaux.

Aussi ce pays produit-il en 1850 plus de 40 % des produits manufacturés du monde. Et la reconnaissance de l’organisation syndicale se fait 40 ans plus tôt qu’en France (1824 versus 1864) et celle du droit de grève en 1875 (1884 en France).

Ex.Concernant la France, Gérard Noiriel distingue 4 étapes de formation de la classe ouvrière (in Les ouvriers dans la société française XIXème-XXème , Seuil, 1986) :
  • jusqu'en 1880, le groupe reste éclaté mais s'achemine vers son unité
  • 1880-1920 : il s'homogénéise autour des ouvriers de métier et du syndicalisme révolutionnaire
  • 1920-1930 à la fin des années 50 : nouvelle classe ouvrière avec le "métallo" et le couple PCF-CGT
  • depuis : déclin de l'identité et du mouvement ouvrier

Les handicaps à la mobilisation étaient nombreux, parmi lesquels l’hétérogénéité du groupe, sa dispersion sur un territoire encore rural, le maintien d'une mentalité corporative et de la répression (liste noire, emprisonnement). Aussi les résistances sont-elles d'abord individuelles : méthodes de freinage pour casser la discipline de l'atelier ; absentéisme (exalté par l'association la St Lundi) ; déguerpissement ou turn-over. Elles vont ensuite être locales et ponctuelles.

Les grèves, alors appelées coalitions, se développent, souvent sur des revendications salariales, en plusieurs vagues de grèves (1817-1820 ; 1825-1830). On y voit la prééminence des corps de métiers à tradition corporative (chapeliers lyonnais et parisiens, fileurs de Rouen, garçons boulangers marseillais). Au début de l’hiver 1831-1832 survient la révolte des Canuts (tisserands en soie) à Lyon qui débouche sur une révolte générale, avec pour slogan : "Vivre en travaillant ou mourir en combattant !". C’est la première union intercorporative dans une action insurrectionnelle qui aura une portée nationale et européenne. Elle a pour effet d'amorcer des grèves offensives.

A partir de 1830, on assiste aux premières affirmations symboliques d'une unité et à des tentatives d'appropriation sur le groupe : « La classe la plus nombreuse et la plus utile de la société est, sans contredit, la classe des ouvriers », proclame par exemple le prospectus de lancement de L'artisan, en septembre 1830. Le terme « ouvrier » apparaît et concurrence « prolétaire », « travailleur », « classe laborieuse » avec l’idée selon laquelle le travail est la source de toutes les richesses d'où exaltation des ouvriers, qui deviennent synonymes de « peuple ».

Les années 1860 constituent des années-clé pour le mouvement ouvrier. En 1862, à l'occasion de l'Exposition universelle de Londres, une délégation de 200 ouvriers français découvrent l'organisation ouvrière anglaise. En février 1864 est lancé le « Manifeste des 60 » inspiré par Henri Tolain, candidat aux élections complémentaires de 1864. Il appelle à une représentation politique des ouvriers, à l'autonomie et à l'auto-émancipation, témoignant ainsi d’une profonde méfiance vis-à-vis de la bourgeoisie et l’affaiblissement du sentiment républicain. Cette effervescence conduit à la dépénalisation du délit de coalition par loi du 25 mai, remplacé par celui d’« atteinte au libre exercice de l’industrie ou du travail » mais les articles 290-291 du code pénal interdisent toujours les associations. La loi demande aux préfets de ne pas réprimer les chambres syndicales naissantes qui se multiplient (Eugène Varlin - 1896-1871 -, secrétaire de la section française de la 1ère Internationale constitue la chambre fédérale des sociétés ouvrières). Les chambres syndicales étaient à l’origine des chambres mixtes de négociation entre patrons et ouvriers (mais refusé par les patrons donc elles sont indépendantes). Cette loi entérine un état de fait : le développement des grèves (donc leur normalisation), et s’inscrit dans un contexte européen : Belgique 1866, Prusse en 1869, Pays-Bas en 1872 et Luxembourg en 1879. Elle a un effet de stimulation des grèves, surtout en 1867-69, mais des grèves pacifiées (insultes et quolibets se substituent aux violences physiques). Les revendications témoignent d'une maturation grandissante : augmentation des salaires, diminution de la journée de travail, révision des règlements d'entreprise, gestion ouvrière des fonds sociaux. La même année se constituent l’ancêtre de l’organisation patronale, le Comité des Forges et l'Association Internationale des Travailleurs dite Première Internationale.

Quatre ans plus tard, par loi du 6 juin 1868, les réunions deviennent licites sur simple déclaration sauf si elles abordent des sujets politiques ou religieux. Et en 1884 c’est la légalisation des syndicats (1824 en Grande-Bretagne). Les syndicats professionnels réunissent « des personnes exerçant la même profession, des métiers similaires ou des professions connexes concourant à l'établissement de produits déterminés ». Il a fallu huit années avant son adoption et il faudra encore attendre 1901 pour la liberté d’association totale. La CGT est créée en 1895.

A la fin du siècle, la classe ouvrière est devenue un enjeu politique en raison du suffrage universel.

Ex.Elle a ses symboles identitaires, issus pour l'essentiel de la Commune : le drapeau rouge, La Carmagnole et L'Internationale, un jour de fête international, le 1er mai, une iconographie mettant en scène un travailleur masculin au torse nu : le prolétaire commence à remplacer l'ouvrier de métier dans les représentations de la classe ouvrière. La mutation sera accomplie dans les années 1930.

Entre-temps, le mouvement ouvrier connait une longue crise, de l'après-guerre à 1936, en attendant qu'une nouvelle classe ouvrière se substitue à l'ancienne. C'est chose faite avec la crise des années 1930, qui se traduit par la contraction de la classe ouvrière et son homogénéisation : renvoi des ouvriers immigrés, des femmes et des ouvriers les plus fragiles (âgés, ruraux), déclassement des OQ. Le fait syndical devient un syndicalisme de masse en 1936.


Le droit de grève est donc reconnu en 1864 et il devient un droit fondamental en 1946. Son histoire est celle d'une institutionnalisation progressive depuis l'émeute, la rupture du contrat de travail jusqu'à la loi du 11 février 1950 relative aux conventions collectives (« la grève ne rompt pas le contrat de travail, sauf faute lourde imputable au salarié ») et le moyen de faire avancer des négociations exercées dans des conditions précises et paisibles aujourd'hui.
Elle s’accompagne de deux évolutions majeures :
  • Son institutionnalisation et son intégration progressives se font en trois temps selon Stéphane Sirot (La grève en France, Odile Jacob, 2002) : de la Révolution Française à 1864, banalisation entre 1864 et la 2ème guerre mondiale, régulation et institutionnalisation depuis. Cette normalisation s’illustre par la création de statistiques sociales sur les conflits du travail en 1888 (1889 en Grande-Bretagne et 1892 en Allemagne) et le développement de thèses de droit sur le sujet : on en compte 11 entre 1881 et 1900, 57 entre 1901 et 1920. Un autre signe de cette évolution est le développement des grèves avec préavis ou au moins prévenues.
  • Son extension progressive à d’autres catégories sociales que les ouvriers : les ouvriers agricoles à partir de la charnière du siècle (en moyenne 7 grèves annuelles entre 1890 et 1903, 53 entre 1904 et 1914), les employés de bureau pendant la Grande guerre (banques et assurances), les fonctionnaires à partir de 1953, les ingénieurs et cadres à partir de 1968. Seules la police, l’armée, l’administration pénitentiaire et la magistrature sont exclues du droit de grève.

C'est surtout la jurisprudence qui la réglemente. La Cour de cassation la définit depuis 1961 comme “la cessation concertée du travail, en vue d'appuyer des revendications professionnelles déjà déterminées auxquelles l'employeur refuse de donner satisfaction.” Toute grève n'est pas licite. Elle doit n'avoir que des objectifs professionnels. Un préavis de 5 jours est nécessaire pour les fonctionnaires (loi 1963), les grèves perlées (ralentissement du travail ou exécution volontairement défectueuse) sont interdites.

On terminera ce panorama en rappelant les droits des salariés dans l'entreprise.
  • Les délégués du personnel (loi de 1936) sont élus par les salariés, et ils s'occupent des revendications quotidiennes sur les questions de conditions de travail : réclamations, saisie de l'inspection du travail.
  • Par ordonnance du 22 février 1945 et Loi 16 mai 1976 est mis en place le Comité d’entreprise. Dans toute entreprise de plus de 50 salariés, composé des représentants élus du personnel, il est obligatoirement consulté pour la formation professionnelle et la marche générale de l'entreprise, mais aussi prend en charge la gestion des œuvres sociales comme moyen d'éviter le paternalisme patronal (restaurants d’entreprise, bibliothèques, activités culturelles et sportives, centres de vacances...). Depuis le début des années 70, il a aussi des compétences en matière d'emploi, d’examen des plans de formation et des conditions de travail. Il a été élargi au niveau européen avec les comités de groupe européens dans tout établissement de plus de 1000 salariés implanté dans au moins deux États de l’UE (Directive 1994).
  • La section syndicale d'entreprise et les délégués syndicaux ont été reconnus par loi du 27 décembre 1968. Ce fut un grand progrès de la citoyenneté dans l'entreprise car avant, il n’y avait pas de représentation juridique du syndicat reconnue de l'entreprise. Dans toute entreprise de plus de 50 salariés, tout syndicat représentatif peut, s'il le demande, faire reconnaître une section syndicale et désigner librement des délégués avec des droits syndicaux afférents : collecte des cotisations, réunion mensuelle, distribution de tracts et publications, panneau d'affichage.
  • Les lois Auroux de 1982 sur les libertés et droits à l’expression directe dans l'entreprise (4 août), les institutions représentatives du personnel, droit à la section syndicale dans les entreprises de moins de 50 salariés et obligation de lui accorder un local dans les entreprises de plus de 1 000 salariés (28 octobre), la négociation collective annuelle sur les salaires et droit de veto possible sur les accords pour les syndicats qui ont remporté plus de la moitié des suffrages aux élections professionnelles (13 novembre), les comités d'hygiène, de sécurité et d'amélioration des conditions de travail peuvent saisir l’inspection du travail (CHSCT, 22 ou 28 décembre). Ces lois créent deux nouvelles structures : les délégués de site (DP de plusieurs entreprises situées au même endroit mais n’atteignant pas chacune 11 salariés de type galerie marchande) et comités de groupe (équivalent des CE au niveau du groupe).

Section 3. La construction de l’État social


C'est autour des années 1830 que le mot « social » prend la connotation qu'on lui connaît. Au XVIIIème, il signifie un acte volontaire d'association entre individus indépendants. Au début du XIXème, « un ensemble d'institutions supra-individuelles, étroitement liées entre elles et échappant au contrôle des individus ». Entre 1830 et 1840, il commence à « désigner les problèmes du travail et de la pauvreté en particulier », explique William H. Sewell (Gens de métier et révolutions, Aubier, 1983, p. 301). Par ailleurs, comme le souligne Giovanna Procacci, “l'accroissement du nombre des pauvres rend désormais inadaptés aussi bien le traitement charitable au cas par cas que l'enfermement systématique.” (in Gouverner la misère. La question sociale en France. 1789-1848, Seuil, 1993, p. 38). Une intervention de l’État devient nécessaire qui va se fonder sur une distinction entre les « pauvres méritants » (auxquels il faut donner du travail) et les « pauvres honteux ».


Df.Politiques sociales = « ensemble d'actions mises en œuvre progressivement par les pouvoirs publics pour parvenir à transformer les conditions de vie d'abord des ouvriers puis des salariés et éviter les explosions sociales, la désagrégation des liens sociaux. » (Marie-Thérèse Join-Lambert, Politiques sociales, Dalloz-Presses de Sciences Po, 1997).

Par ordre d'apparition, on trouve (Marie-Thérèse Join-Lambert, Politiques sociales, Dalloz-Presses de Sciences Po, 1997, p. 27) :
  • les politiques du travail (conditions de travail et relations professionnelles) : régulation des activités privées,
  • la protection sociale (aide sociale, assurances, sécurité sociale, vieillesse, santé, famille, indemnisation du chômage) : transfert de ressources monétaires et fourniture de biens et services,
  • formation professionnelle et emploi utilisent toute la palette d'interventions,
  • politiques dites transversales : RMI, politique de la ville, etc.

A la fin du XIXème siècle sont prises une série de mesures protectrices : loi sur le travail des enfants et des femmes (1892), sur l'hygiène et la sécurité des travailleurs (1893), sur la responsabilité des accidents du travail (1898), limitation de la journée de travail (1900), repos hebdomadaire (1906), retraites ouvrières et paysannes (1910), journée de huit heures (1919), semaine de quarante heures en juin 1936 et surtout congés payés, création d’un système généralisé de sécurité sociale (assurance-maladie, vieillesse, chômage) en 1945, création d’un salaire minimum en 1950.

Proportion, en % du PIB, des dépenses de la sécurité sociale et de l’ensemble des dépenses publiques de 1872 à 1970 en France

Années
1872

1890

1900

1909

1920

1930

1950

1960

1970

Sécurité Sociale
0

0

0

0

0

0,2

6,9

10,9

14,3

Dépenses publiques
(Etat, collectivités locales, Sécurité sociale)
11

14,3

14,4

15

32,8

21,9

41,3

47,7

49,3


Source : Marie-Thérèse Join-Lambert, Politiques sociales, Dalloz-Presses de Sciences Po, 1997, p. 41.

La France n’est pas, loin s’en faut, le pays le plus avancé en la matière. C’est l’Allemagne du Chancelier Otto von Bismarck qui est pionnière avec la loi de 1871 sur la responsabilité des entrepreneurs en cas de faute occasionnant un accident du travail, puis avec le système d’assurances sociales par les lois de 1883 et 1898. La Grande-Bretagne se dote en 1911 d’un système d’assurance obligatoire géré par l’État, pour les risques de maladie, de chômage et d’invalidité (National Insurance Act). Il faut attendre la loi du 1er juillet 1930 pour que notre pays adopte un premier grand texte équivalent d’inspiration bismarckienne.

Rq.1853 : interdiction du travail au moins de douze ans en Prusse
1860 : journée de travail limitée à dix heures aux États-Unis
1883-1889 : lois sociales du chancelier allemand Otto von Bismarck sur la maladie, les accidents du travail et la retraite
1911 : assurances chômage et maladie en Grande-Bretagne
1948 : National Health Service


Evolution du pourcentage de la population bénéficiant d’une couverture sociale en Europe (moyenne) 1910-1990


Année
1910

1920

1930

1940

1950

1960

1970

1980

1990

Assurance maladie
9.83

15.42

33.23

46.62

56.58

66.69

73.69

90.23

93.4

Assurance vieillesse
5.83

8.25

22.69

44

66.83

76.85

90.54

92.69

95.9


Source : François-Xavier Merrien, L’État-providence, PUF, 2007, p. 58 d’après Bela Tomka.

Df.L’expression, française, d’« État providence » est apparue sous le Second Empire (1852-1870), dans un sens péjoratif ou à tout le moins critique. On lui préfère aujourd’hui le terme d’« Etat social ». Celui, britannique, de Welfare State (littéralement « État du bien-être ») serait né dans les années 1940 par opposition au Warfare State nazi de l’époque.

L’opposition la plus classique, en tout cas, historique, distingue le modèle bismarckien du modèle beveridgien. Comme on l’a vu, le Chancelier Otto von Bismarck a mis en place un système complet d’assurances sociales : assurance maladie (1883), assurance accidents du travail (1884), assurance vieillesse et invalidité (1889). La protection repose sur la solidarité professionnelle car elle est fondée sur le travail et le principe des cotisations adossées au salaire qui ouvrent droit à des prestations proportionnelles. Le modèle beveridgien, du nom du président de la commission britannique réunie en 1942, Lord William Beveridge, est très différent. Il est universel, reposant sur l’impôt, et non pas réservé aux seuls salariés, et régit par le principe d’unité, entendu à la fois par le caractère unique de l’organisation gérant les prestations sociales, et par l’uniformité de ces dernières (là encore, contre la proportionnalité bismarckienne entre cotisations et prestations).

Rq.Le plan français de la sécurité sociale, établi en 1945, mixe ces deux modèles bien qu’à l’origine, l’inspiration fut principalement beveridgienne.

A partir d’une analyse statistique portant sur 18 pays, Gosta Esping-Andersen (Les trois mondes de l’État-providence - Essai sur le capitalisme moderne, trad. PUF, 1999, version originale 1990) établit une typologie des États-providence en 3 régimes fondée sur deux variables principales :
  1. le degré de « démarchandisation » : le capitalisme a eu pour effet de transformer l’homme ou plus exactement le travail humain en marchandise. La fonction principale de l’État-providence est de permettre aux individus de vivre décemment en s’affranchissant partiellement de l’activité productrice. « La démarchandisation ne doit pas être confondue avec la disparition du travail comme marchandise. Le concept fait référence au degré jusqu’auquel les individus ou les familles peuvent soutenir un niveau de vie socialement acceptable indépendamment d’une participation au marché du travail. » (p. 37) ;
  2. le système de stratification sociale corrigeant plus ou moins la structure des inégalités sociales par le biais de la redistribution (par la fiscalité ou les prestations sociale) et par l’éducation pouvant favoriser la mobilisation sociale ascendante. Il peut être de trois inspirations différentes : libérale et individualiste (d’où le privilège pour les assurances volontaires privées) ; conservatrice avec des prestations qui sont fonction des revenus des différents groupes sociaux ; socialiste ou sociale-démocrate au nom du principe d'universalisme.
Partant de là, Esping-Andersen distingue 3 modèles.
  • L’État-providence libéral ou encore « résiduel » ou subsidiaire par rapport au marché, par exemple aux États-Unis, au Canada ou en Grande-Bretagne. Le marché par les assurances privées joue le rôle essentiel tandis que l’État n’intervient que pour les plus faibles.
  • L’État-providence conservateur-corporatiste de la France, de l’Italie, l’Autriche, l’Allemagne, de  type bismarckien et empreint d’étatisme faisant reposer le système de protection sociale sur les revenus.
  • L’État-providence social-démocrate des pays scandinaves repose sur le principe de l’universalité du droit à la protection sociale, un niveau élevé de protection contre les risques et d’offre de services sociaux financés par un impôt fortement progressif.

Classement des pays selon les régimes d’État-providence (p. 74)


Régime libéral

Régime conservateur-corporatiste

Régime social-démocrate

Australie
Canada
Japon
Suisse
États-Unis
Grande-Bretagne
Autriche
Belgique
France
Allemagne
Italie
Danemark
Finlande
Pays-Bas
Norvège
Suède
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