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Histoire des institutions jusqu'en 1789

L’esprit de l’État monarchique (XVIe – XVIIIe siècles). Entre idéalisme et réalisme : Commentaire de texte


Commentez le texte suivant en vous aidant du cour et de quelques manuels. Le contexte est celui de la régence de Philippe d'Orléans et du destin du testament successoral de Louis XIV. La thématique juridique est, quant à elle, celle des lois fondamentales du royaume et le sujet, celui de l'indisponibilité de la couronne. Il faut donc replacer le document dans son contexte historique, tout en insistant sur les points de droit pour construire le plan.

Edit de juillet 1717 (Isambert, Rec. gén. des anc. lois françaises, t. XXI, p. 141).

Tx.« Louis [...] le feu roi, notre honoré seigneur et bisaïeul, a ordonné par son édit du mois de juillet 1714 que si, dans la suite des temps, tous les princes légitimes de l'auguste maison de Bourbon venaient à manquer, en sorte qu'il n'en restât pas un seul pour être héritier de notre couronne, elle serait en ce cas dévolue et déférée de plein droit à Louis-Auguste de Bourbon, duc du Maine, et à Louis-Alexandre de Bourbon, comte de Toulouse, ses enfants légitimés, et à leurs enfants et descendants mâles à perpétuité, nés et à naître en légitime mariage, gardant entre eux l'ordre de succession et préférant toujours la branche aînée à la cadette, les déclarant audit cas seulement de manquement de tous les princes légitimes de notre sang capables de succéder à la couronne de France exclusivement à tous autres [...]. Depuis cet édit [...] le feu roi [...] ordonna par sa déclaration du 23 mai 1715 que dans notre cour de parlement et partout ailleurs il ne serait fait aucune différence entre les princes du sang royal et ses dits fils légitimés et leurs descendants en légitime mariage et, en conséquence, qu'ils prendraient la qualité de prince du sang [...]. Nous savons avec déplaisir que la disposition que le feu roi [...] avait faite, comme il le déclare lui-même par son édit du mois de juillet 1714, pour prévenir les malheurs et les troubles qui pourraient arriver un jour dans le royaume si tous les princes de son sang royal venaient à manquer, est devenue, contre ses intentions, le sujet d'une division présente entre les princes de notre sang et les princes légitimés, dont les suites commencent à se faire sentir, et que le bien de l'état exige qu'on arrête dans sa naissance. Nous espérons que Dieu, qui conserve la maison de France depuis tant de siècles et qui lui a donné dans tous les temps des marques si éclatantes de sa protection, ne lui sera pas moins favorable à l'avenir et que, la faisant durer autant que la monarchie, il détournera par sa bonté le malheur qui avait été l'objet de la prévoyance du feu roi. Mais si la nation française éprouvait jamais ce malheur, ce serait à la nation même qu'il appartiendrait de le réparer par la sagesse de son choix et, puisque les lois fondamentales de notre royaume nous mettent dans une heureuse impuissance d'aliéner le domaine de notre couronne, nous faisons gloire de reconnaître qu'il nous est encore moins libre de disposer de notre couronne même ; nous savons qu'elle n'est à nous que pour le bien et le salut de l'état et que, par conséquent, l'état seul aurait droit d'en disposer dans un triste événement que nos peuples ne prévoient qu'avec peine et dont nous sentons que la seule idée les afflige : nous croyons donc devoir à une nation si fidèlement et si inviolablement attachée à la maison de ses rois la justice de ne pas prévenir le choix qu'elle aurait à faire si ce malheur arrivait et c'est par cette raison qu'il nous a paru inutile de la consulter en cette occasion, où nous n'agissons que pour elle, en révoquant une disposition sur laquelle elle n'a pas été consultée, notre intention étant de la conserver dans tous ses droits en prévenant même ses vœux comme nous nous serions toujours crus obligé de le faire pour le maintient de l'ordre public, indépendamment des représentations que nous avons reçues de la part des princes de notre sang ; mais, après avoir mis ainsi l'intérêt et la loi de l'état en sûreté et après avoir déclaré que nous ne reconnaissions pas d'autres princes de notre sang que ceux qui, étant issus des rois par une filiation légitime, peuvent eux-mêmes devenir rois, nous croyons aussi pouvoir donner une attention favorable à la possession dans laquelle nos très chers et très aimés oncles, le duc du Maine et le comte de Toulouse, sont de recevoir dans notre cour de parlement les nouveaux honneurs dont ils ont joui depuis l'édit de juillet 1714 [...]. À ces causes [...] révoquons et annulons ledit édit du mois de juillet 1714 et ladite déclaration du mois de mai 1715 : ordonnons néanmoins que nos très chers et très aimés oncles, le duc du Maine et le comte de Toulouse, continuent de recevoir les honneurs dont ils ont jouis en notre cour de parlement depuis l'édit du mois de juillet 1714, et ce en considération de leur possession et sans tirer à conséquence, comme aussi sans qu'ils puissent se dire et qualifier princes de notre sang, ni que ladite qualité puisse leur être donnée... ».


En savoir plus : Commentaire proposé

Le 2 septembre 1715, au lendemain de la mort du roi Louis XIV, se tient une séance solennelle dans la grand chambre du Parlement de Paris, réunissant les cours souveraines, les princes du sang et les ducs et pairs. Il s'agissait de la coutume pour proclamer la Régence ; c'est à cette occasion que le duc d'Orléans, Philippe, se fait proclamer régent. Au cours de la séance il est donné lecture du testament de Louis XIV et de l'édit d'août 1714 relatif au droit de succession des bâtards. C'est tout l'enjeu du document à commenter, l'édit du 1er juillet 1717 pris par le jeune roi Louis XV. Il invite à réfléchir à la notion de lois fondamentales du royaume et de théorie statutaire.

Dès 1716, en effet, le régent Philippe d'Orléans avait demandé à Louis XV un lit de justice pour revenir sur la décision de Louis XIV modifiant la coutume successorale (I) et ainsi rappeler la règle d'indisponibilité de la couronne, au risque de révoquer l'acte pris par le roi soleil deux ans auparavant légitimant ses fils adultérins (II).


I.  L'« attentat à la couronne »

A la fin de son règne, Louis XIV est confronté à une grave crise successorale (A). Fort de son autorité exceptionnelle, il n'hésite pas à substituer sa propre volonté à la coutume dynastique (B). C'est ce que rappelle Louis XV au début de son édit.

  • A. Une crise successorale
En moins de deux ans, entre 1711 et 1712, Louis XIV voit disparaître sa descendance la plus proche : le dauphin, son fils Louis ; le duc de Bourgogne fils aîné du dauphin ; et enfin le fils aîné du duc de Bourgogne, le duc de Bretagne. À cette époque, en dehors de son petit-fils, Philippe V d'Espagne, qui a renoncé à régner en France, Louis XIV n'a plus comme postérité légitime que le futur Louis XV, frère cadet du duc de Bretagne ; un fragile enfant de quatre ans dont le roi craint la disparition prématurée. Cette crainte du roi Louis XIV, Louis XV l'évoque dès le début de l'édit de 1717 : « si, dans la suite des temps, tous les princes légitimes de l'auguste maison de Bourbon venaient à manquer, en sorte qu'il n'en restât pas un seul pour être héritier de notre couronne ».
C'est dans ce contexte difficile que Louis XIV décide de réagir en outrepassant ses droits de monarque et en disposant le couronne.

  • B. Louis XIV viole la loi de succession dynastique
Face à ce vide successoral, et craignant certainement pour le royaume, Louis XIV se soustrait à la tradition constitutionnelle. Comme le rappelle l'édit de Louis XV, Louis XIV procède d'abord à la légitimation de ses deux fils adultérins, ceux qu'il a eu avec Mme de Montespan : le duc du Maine et le duc d'Anjou. C'est l'objet de l'édit de juillet 1714. Ensuite, par la déclaration royal du 23 mai 1715, il déclare ses fils légitimés, princes du sang, et donc aptes à régner.
Cet acte constitue une violation manifeste des lois fondamentales du royaume. Il cause du reste une émotion considérable dans l'entourage royal, risquant de nuire au « bien de l'État ». C'est ce qu'exprime clairement l'édit de 1717 qui déclare que la décision de Louis XIV est « le sujet d'une division présente entre les princes de notre sang et les princes légitimés, dont les suites commencent à se faire sentir, et que le bien de l'état exige qu'on arrête dans sa naissance ». Saint-Simon y voit à l'époque un véritable « attentat à la Couronne ». Il propose même dans ses Mémoires sur les légitimés de 1720, de juger « criminel de lèse-majesté » l'auteur de cette « disposition si monstrueuse [...], nulle en soi, honteuse pour lui, injurieuse à la nation, si dangereuse pour ceux qui règnent tour à tour suivant la loi salique, odieuse aux hommes et impie devant Dieu ».
Selon les termes mêmes de l'édit de Louis XV, « le bien de l'État » exigeait donc « qu'on arrête dans sa naissance » « le sujet » de cette division.


 
II. Les lois fondamentales supérieures à la volonté du prince
 
La violation royale de la loi de succession est si manifeste à l'époque que les princes du sang, les grands et tous les corps constitués auraient pu rappeler le roi au respect des lois fondamentales. Mais en 1714 ils n'en ont ni l'intention ni les moyens tant le roi conserve toute son autorité. Ce n'est qu'après sa mort, le 1er septembre 1715, qu'est officiellement rappelée la règle d'indisponibilité de la couronne (A) et qu'est entérinée, par l'édit de 1717, la révocation de la déclaration royale de 1714 en faveur des légitimés (B).

  • A. L'indisponibilité de la couronne : un principe réaffirmé par Louis XV
C'est vers le milieu du texte que le principe d'indisponibilité est évoqué. Il rappelle que le Capétien se trouve de toute tradition dans l'impossibilité de déroger à la coutume successorale et d'en modifier les règles. Celles-ci ont forgé avec le temps des lois intemporelles et inviolables, constituant le fondement statutaire de l'État monarchique. Cette réalité statutaire s'impose donc à la volonté royale et elle permet de comprendre cette curieuse, mais belle formule, qui met le roi dans « l'heureuse impuissance » d'aliéner le domaine et de disposer de la couronne.
Dans l'édit de Marly, Louis XIV avait en effet confondu héritier et successeur. Or la succession au trône de France n'est pas simplement héréditaire : elle est surtout statutaire, c'est-à-dire réglée par des normes particulières qui lui sont propres. Le futur roi, avant même d'accéder au trône et du vivant du roi régnant, possède déjà un droit à succéder qu'il tient directement de la coutume et dont il ne peut être privé ; il est l'héritier nécessaire. Même le grand Louis XIV ne pouvait donc modifier l'ordre successoral en se donnant des successeurs par légitimation. Les édits d'août 1374 et de novembre 1392 avaient d'ailleurs déjà formellement exclu les bâtards de la succession royale, lesquels ne furent effectivement jamais admis au trône.
Le conseil de régence statuant en juillet 1717 ne pouvait donc que redire le droit.

  • B. La révocation
L'édit de 1717, en rappelant fermement que seule « la loi du royaume appelle à la Couronne » et que « personne ne la peut avoir que celui qui y est appelé par les lois fondamentales », il insiste sur la nécessité de révoquer l'édit de 1714 et la déclaration de 1715. La couronne de France ne pouvait être attribuée à des descendants que les règles de dévolutions écartent formellement.
Louis XV déclare donc solennellement à la fin de l'édit et sur le fondement des lois fondamentales : « À ces causes [...] révoquons et annulons ledit édit du mois de juillet 1714 et ladite déclaration du mois de mai 1715 ». La décision de Louis XIV était définitivement annulée. Maigre consolation pour le duc du Maine et le duc d'Anjou, ils sont conservés dans leurs honneur et dignité mais sans toutefois « qu'ils puissent se dire et qualifier princes de notre sang, ni que ladite qualité puisse leur être donnée ». Un an plus tard néanmoins, le lit de justice du 26 août 1718 leur fait perdre ces mêmes honneurs.
Avec l'édit de 1717 on observe que les règles qui président à la succession royale constituent un ordre statutaire qui assure, au-delà de la personne du roi et de sa volonté, permanence et continuité à l'Etat.
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