6077

Histoire des institutions jusqu'en 1789

La fusion des cultures : Commentaire de texte


Commentez le texte suivant :

Préface des Institutes de Justinien, promulguées le 21 novembre 533.
Ed. et trad. J.-M. Carbasse, G. Leyte, L'Etat royal, XIIème-XVIIIème siècles. Une anthologie, Paris, 2004, p. 11-12.
Tx.« Au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ.
L'empereur César Flavius Justinien, vainqueur des Alamans, des Goths, des Francs, des Germains, des Alains, des Vandales, des Africains, pieux, heureux, glorieux, victorieux et triomphateur toujours auguste, à la jeunesse avide [d'apprendre] les lois, Salut.
La majesté impériale ne doit pas seulement être illustrée par les armes, elle doit aussi être armée par les lois : ceci afin que l'État soit correctement gouverné à la fois en temps de paix et en temps de guerre ; que l'empereur romain non seulement soit victorieux de ses ennemis dans les batailles, mais aussi réprime les iniquités des calomniateurs par la sagesse de ses lois ; et qu'il se rende aussi recommandable par le droit que magnifique par ses victoires.
I. À force de veilles et avec le secours de la divine Providence, Dieu aidant, nous avons parcouru ce double chemin. Les nations barbares, ramenées sous notre joug, connaissent désormais la force de nos armes ; l'Afrique et de nombreuses autres provinces perdues ont été réintégrées par nos victoires dans le giron de l'Empire romain. Ainsi tous les peuples se trouvent-ils soumis aussi bien aux lois [nouvelles] que nous avons promulguées qu'à celles [de nos prédécesseurs] que nous avons remises en ordre.
II. Nous avons [en effet] remis en ordre les constitutions très sacrées qui étaient tombées dans la confusion; et nous avons ensuite appliqué tous nos soins à une infinité d'ouvrages des anciens jurisconsultes ; traversant cet immense océan, nous avons rapidement achevé cet ouvrage, dont beaucoup avaient désespéré.
III. Après cet heureux succès, nous avons demandé à Tribonien, homme magnifique, maître et ancien questeur de notre sacré palais, ancien consul, ainsi qu'à Théophile et Dorothée, hommes très illustres, professeurs de droit [...], de composer sous notre autorité, selon nos suggestions, un manuel de droit : ceci, afin que vous receviez les premiers principes du droit [...] de la splendeur impériale elle-même [...].
IV. C'est pourquoi, après que Tribonien et ses éminents collègues [...] eurent composé les cinquante livres du Digeste, nous leur avons ordonné de rédiger les quatre livres des Institutes, pour y mettre les premiers principes de toute la science des lois [...].
VII. Recevez donc nos lois avec empressement et étudiez-les : et devenez assez savants pour qu'au terme de vos études vous puissiez caresser l'espoir magni­fique de participer au gouvernement de notre État, dans les charges qui vous seront confiées
».

En savoir plus : Corrigé sommaire

En introduction, il faut commencer par rappeler le parcours et l'œuvre de Justinien. Empereur d'Orient succédant en 527 à son oncle Justin qui l'avait auparavant adopté en lui donnant une solide éducation politique, Justinien engage une ambitieuse politique de conquête. Un long règne (il meurt en 565), un talent politique associé à des qualités militaires certaines lui permettent d'étendre son autorité sur des provinces de l'ancien Empire occidental.

A cette volonté de renovatio, est associée une profonde remise en ordre du droit. Des initiatives antérieures existent certes (code grégorien, hermogénien, théodosien) mais elles sont largement dépassées en quantité et qualité par ce que l'on appelle plus tard la compilation justinienne. Son contenu et sa structure lui permettent de survivre à son instigateur.

A plusieurs reprises, Justinien trouve l'occasion de justifier la nécessité et la cohérence de réformer le droit existant. Dans la préface des institutes, sorte de manuel à destination des étudiants promulgué en 533, l'empereur explique sa démarche aux jeunes juristes susceptibles de le servir bientôt dans ses bureaux impériaux.

On peut dans ce texte distinguer deux points : prince pacificateur, Justinien a pour mission de restaurer et maintenir l'ordre. Il doit atteindre l'unité politique (I). Mais il est aussi un prince législateur, devant poser les conditions de l'unité juridique (II).


I - L'unité politique

A - Une responsabilité impériale

Justinien rappelle sa responsabilité impériale ; la dimension universelle de l'Empire permet de justifier toutes les conquêtes que Justinien prend soin d'énumérer. Ses victoires lui permettent de reprendre pied dans l'ancien Empire d'Occident. En charge de l'Etat romain et des destinées du monde, il doit maintenir l'ordre en temps de paix comme en temps de guerre. L'Empire sous Justinien prend un second souffle : son titulaire engage en effet une grande réforme administrative, religieuse, mais aussi juridique. Cette concentration des pouvoirs est clairement exprimée (et légitimée) tout au long de ce texte. On peut alors, à titre de comparaison, rappeler les précédents augustéen et constantinien.

B - Une mission chrétienne

« Au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ » : ses conquêtes procèdent également d'une responsabilité divine. Se considérant comme l'élu de Dieu, il est de son devoir de maintenir un ordre qui est forcément chrétien. Depuis Constantin, ce rapport à la religion est très fort et cette exigence du maintien de la paix est évidemment commode pour justifier un gouvernement autoritaire.
Cette politique centralisatrice couvre également le champ juridique. Justinien explique alors le chantier auquel il a dû s'atteler, satisfaisant à ses obligations. Les armes en temps de guerre, la loi en temps de paix.


II - L'unité juridique

A - La nécessité de la réforme

Justinien est, selon lui, dans son rôle ; Il faut « qu'il se rende aussi recommandable par le droit que magnifique par ses victoires ».
La réforme était indispensable aux praticiens comme au bon gouvernement : l'empereur souligne la « confusion », cet « immense océan », des difficultés adroitement mentionnées. Justinien commande alors plusieurs œuvres qu'il faut rappeler ici pour en apprécier l'influence (un Code, un Digeste, des Institutes et enfin des Novelles car désormais l'Empereur est seul à dire la loi), à partir des éléments figurant dans le texte.
Des compilations juridiques ont certes été réalisées auparavant, comme le code Théodosien commun aux deux partes de l'Empire, mais la compilation justinienne est la fois plus vaste et plus complète.


B - L'impact de la réforme

Justinien signale avec insistance qu'il a ordonné et conduit une remise en ordre tout autant juridique que politique.
L'impact est d'abord purement technique : par sa construction et sa clarté, la compilation justinienne restera longtemps un formidable réservoir de science juridique pour les siècles médiévaux et modernes, irriguant en profondeur les systèmes européens.
L'influence de la compilation est aussi politique car Justinien sort grandi du défi lancé, capable de venir à bout de l'amoncellement du droit produit depuis le règne d'Hadrien. Mais il rappelle aussi qu'il est un prince législateur : il devient la seule source du droit par le biais de ses constitutions (les fameuses Novelles).
Une telle ambition inspira plusieurs grands souverains européens. En effet, l'intention ne change guère en 1804 quand est promulgué le Code civil, à l'instigation d'un nouvel empereur, Napoléon Ier.
Fermer