Analyse guidée d'un texte :
Ordonnance de Montils-lez-Tours, 1454, extrait de l'art. 125. :
Tx.« Et que les parties en jugement, tant en notre Court de Parlement que par devant les autres juges de notre royaume, tant nôtres qu'autres, proposent et allèguent plusieurs usages, procédures, styles et coutumes, qui sont divers selon la diversité des pays de notre royaume, et qu'il convient alors qu'ils les prouvent, en raison de quoi les procès sont souvent très longs et les parties constituées en grands frais et dépens ; et que si les coutumes, usages et styles des pays de notre dit royaume étaient rédigés par écrit, les procès en seraient bien plus brefs, et les parties soulagées des dépenses et mises, et aussi les juges en jugeraient mieux et plus certainement (car souvent il advient que les parties prennent des coutumes contraires en un même pays, et souvent les coutumes muent et varient à leur appétit, d'où de grands dommages et inconvénients adviennent à nos sujets).
Nous, voulant abréger les procès et litiges entre nos sujets, et les relever des mises et dépenses, et mettre de la certitude dans les jugements tant que faire se pourra, et ôter toute manière de variations et contrariétés, ordonnons, décernons, déclarons et statuons que les coutumes, usages et styles de tous les pays de notre royaume soient rédigés et mis par écrit, accordés par les coutumiers, praticiens et gens de chacun des dits pays de notre royaume, lesquels coutumes, usages et styles ainsi accordés seront mis et écrits en livres, lesquels seront apportés par devers Nous, pour les faire voir et visiter par les Gens de notre Grand Conseil ou de notre Court de Parlement, et pour Nous les décréter et confirmer ; et ces usages, coutumes et styles ainsi décrétés et confirmés seront observés et gardés dans les pays dont ils seront, sans en faire autre preuve que ce qui sera écrit audit livre ; et lesquels coutumes, styles et usages ainsi écrits, accordés et confirmés, comme il est dit, Nous voulons qu'ils soient gardés et observés en jugement et en-dehors. [...]
Et nous prohibons et défendons à tous les avocats de notre royaume qu'ils allèguent ni ne proposent d'autres coutumes, usages et styles que ceux qui seront écrits, accordés et décrétés comme il a été dit ; et nous enjoignons aux juges qu'ils punissent et corrigent ceux qui feront le contraire, et qu'ils n'entendent ni ne reçoivent aucune personne alléguant, proposant ou disant le contraire ».
Isambert, Recueil général des anciennes lois françaises, depuis l'an 420 jusqu'à la Révolution de 1789, Paris, 1825, tome IX, p. 252-253. Texte modernisé par J.-M. Carbasse et G. Leyte, L'État royal XIIème-XVIIIème siècle. Une anthologie, PuF, Paris, 2004, p. 206-208, n° 98.
Nous, voulant abréger les procès et litiges entre nos sujets, et les relever des mises et dépenses, et mettre de la certitude dans les jugements tant que faire se pourra, et ôter toute manière de variations et contrariétés, ordonnons, décernons, déclarons et statuons que les coutumes, usages et styles de tous les pays de notre royaume soient rédigés et mis par écrit, accordés par les coutumiers, praticiens et gens de chacun des dits pays de notre royaume, lesquels coutumes, usages et styles ainsi accordés seront mis et écrits en livres, lesquels seront apportés par devers Nous, pour les faire voir et visiter par les Gens de notre Grand Conseil ou de notre Court de Parlement, et pour Nous les décréter et confirmer ; et ces usages, coutumes et styles ainsi décrétés et confirmés seront observés et gardés dans les pays dont ils seront, sans en faire autre preuve que ce qui sera écrit audit livre ; et lesquels coutumes, styles et usages ainsi écrits, accordés et confirmés, comme il est dit, Nous voulons qu'ils soient gardés et observés en jugement et en-dehors. [...]
Et nous prohibons et défendons à tous les avocats de notre royaume qu'ils allèguent ni ne proposent d'autres coutumes, usages et styles que ceux qui seront écrits, accordés et décrétés comme il a été dit ; et nous enjoignons aux juges qu'ils punissent et corrigent ceux qui feront le contraire, et qu'ils n'entendent ni ne reçoivent aucune personne alléguant, proposant ou disant le contraire ».
Isambert, Recueil général des anciennes lois françaises, depuis l'an 420 jusqu'à la Révolution de 1789, Paris, 1825, tome IX, p. 252-253. Texte modernisé par J.-M. Carbasse et G. Leyte, L'État royal XIIème-XVIIIème siècle. Une anthologie, PuF, Paris, 2004, p. 206-208, n° 98.
- Dans quel contexte est rédigée cette ordonnance ?
- De quoi parle le texte dans la formule « il convient alors qu'ils les prouvent, en raison de quoi les procès sont souvent très longs » ?
- Quelles sont d'après le texte les étapes du processus de mise par écrit des coutumes ?
- Quels sont d'après le dernier paragraphe les effets de l'ordonnance ?
En savoir plus : Réponses
1. Dans quel contexte est rédigée cette ordonnance ?
A la fin de la Guerre de Cent ans, le roi Charles VII donne un nouveau développement à son rôle de gardien des coutumes, quand il prescrit par l'article 125 de l'ordonnance « sur le fait de la justice » de Montils-lès-Tours, la mise par écrit de l'ensemble des coutumes du royaume.
Cette ordonnance s'inscrit directement dans le rôle revendiqué par le roi de protecteur et de censeur de l'ordre coutumier. Elle intervient à un moment où le roi est désormais assez puissant pour domestiquer ce mode de production du droit (Charles VII, dit Charles le Victorieux, vient de remporter la guerre de Cent Ans). Elle intervient aussi à un moment où le roi entend rappeler que le rôle de gardien des coutumes est une prérogative royale, face aux grands seigneurs du royaume qui ont commencé à faire rédiger officiellement les coutumes de leurs domaines (comte d'Anjou en 1411, comte de Poitou en 1417, duc de Berry en 1450).
2. De quoi parle le texte dans la formule « il convient alors qu'ils les prouvent, en raison de quoi les procès sont souvent très longs » ?
Le texte traite ici du problème de la preuve en justice de la coutume : comment administrer la preuve d'une norme non-écrite et par nature mouvante ?
Certaines coutumes (les coutumes « notoires ») s'imposent dès la fin du XIIème siècle, et ne font plus dès lors l'objet de discussion : c'est au juge de connaître leur notoriété, et non aux parties de la prouver. Elles peuvent donc être invoquées par une partie sans que celle-ci ait à en rapporter la preuve.
Mais pour les coutumes « privées », c'est à la partie qui l'invoque d'apporter la preuve de son existence et de son contenu. Pour cela, le plaideur doit faire appel au témoignage, c'est-à-dire à la mémoire des hommes, de préférence les anciens et ceux auxquels on peut faire confiance (les boni homines).
Dans le Sud du royaume, les juges entendent ces témoins séparément les uns des autres, avant d'établir si la coutume invoquée par une partie existe réellement. En revanche, dans le Nord, la preuve de la coutume est apportée par un groupe, selon une procédure appelée « enquête par turbe » (du latin turba : le groupe, la foule), réglementée en 1270 par une ordonnance de Louis IX. Selon cette procédure, le juge appelle un groupe de plusieurs hommes sages et expérimentés (donc âgés et pratiquant le droit) à donner un avis collectif sur l'existence de la coutume invoquée. La décision de ce groupe, si elle est unanime, permet de prouver l'existence de la coutume : le juge, lié par la décision de la turbe, applique alors la coutume au cas d'espèce. La turbe a également un second effet : la coutume devient coutume notoire, elle n'aura plus à être prouvée à l'avenir si un cas similaire se présente. Ce système de l'enquête par turbe persiste (malgré quelques modifications) jusqu'à la grande ordonnance sur la procédure civile de 1667.
3. Quelles sont d'après le texte les étapes du processus de mise par écrit des coutumes ?
- Etape 1 : dans le ressort de chaque baillage ou sénéchaussée (« chacun des dits pays de notre royaume »), les praticiens et juristes locaux (« praticiens et gens de chacun des dits pays de notre royaume ») mettent par écrit les coutumes du lieu, règles de fond (« coutumes, usages ») comme de procédure (« styles »). La mise par écrit est donc le résultat de la concertation (« coutumes accordées ») des hommes de loi de chaque bailliage.
- Etape 2 : Le texte ainsi obtenu est ensuite envoyé au Grand Conseil et au Parlement de Paris, (« lesquels seront apportés par devers Nous, pour les faire voir et visiter par les Gens de notre Grand Conseil ou de notre Court de Parlement »). Conseil et Parlement sont aptes à faire des observations et amendements (« pour les faire voir et visiter »).
- Etape 3 : le roi promulgue le texte en procédant à la publication (« et pour Nous les décréter et confirmer »). Le texte est alors transmis aux tribunaux du baillage en question.
4. Quels sont d'après le dernier paragraphe les effets de l'ordonnance ?
La première conséquence (« sans en faire autre preuve que ce qui sera écrits audit livre ») est que la coutume mise par écrit n'a plus besoin d'être prouvée. La coutume écrite est enregistrée au greffe des différentes juridictions du bailliage, il suffit désormais de l'invoquer pour prouver le droit.
La seconde conséquence est que désormais, seules les coutumes qui ont été mises par écrit selon cette procédure et promulguées par le roi peuvent être invoquées en justice par les avocats (« Et nous prohibons et défendons à tous les avocats de notre royaume qu'ils allèguent ni ne proposent d'autres coutumes, usages et styles que ceux qui seront écrits, accordés et décrétés comme il a été dit »). De même, les juges ne peuvent plus appliquer d'autres coutumes (« et qu'ils n'entendent ni ne reçoivent aucune personne alléguant, proposant ou disant le contraire »).
En conséquence, pour qu'une coutume soit recevable en justice, il faut qu'elle ait été reçue par le pouvoir royal. La portée juridique de la coutume est subordonnée à la réception qui en a été faite par le roi.
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