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Jurisprudence

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 

Attendu, selon les énonciations des juges du fond, qu'Eugène X... et Leila Z..., se sont mariés le 11 juin 1946 devant l'archevêque arménien catholique d'Alep (Syrie) ; qu'un fils Philippe est né de cette union le 16 août 1947 à Paris ; que, par jugement du 8 janvier 1971, le tribunal de grande instance de Paris a prononcé le divorce des époux Y... à la demande du mari ; que Leila Z... est décédée le 27 juillet 1979 ; que le 31 mai 1980, à Beyrouth, MM. Philippe et Eugène X... ont signé une convention aux termes de laquelle le fils s'engageait à verser à son père, au fur et à mesure des encaissements, 25 % de l'actif de la succession de Leila Z... et à lui céder le 1/4 de l'actif immobilier de cette succession, cependant que M.Eugène X... déclarait renoncer à attaquer le jugement de dévolution successorale rendu le 28 avril 1980 par un juge de Beyrouth, aux termes duquel les seuls héritiers de Leila Z... étaient, d'une part, son fils, dans la proportion des 5/6, d'autre part, sa mère, pour le 1/6 restant ; que M.Philippe X..., après avoir commencé à exécuter cet accord, a assigné son père devant le tribunal de grande instance de Paris en demandant à ce tribunal d'annuler cette convention, d'ordonner la restitution des sommes qu'il avait versées ainsi que la restitution de la dot apportée par sa mère lors de la conclusion du mariage ; que l'arrêt confirmatif attaqué, accueillant ces demandes, a déclaré nul, pour vice du consentement et absence de cause, l'acte du 31 mai 1980, ordonné la restitution à M.Philippe X... d'une somme de 104.454,98 dollars des Etats-Unis et des 5/6 de la dot de sa mère, soit 3642 livres turques en or ou leur contrevaleur en francs français appréciée selon leur prix marchand à la date du paiement effectif ;

Sur le premier moyen, pris en ses deux premières branches :

Attendu que M.Eugène X... fait grief à la Cour d'appel d'avoir déclaré nulle la convention conclue le 31 mai 1980 à Beyrouth, alors que, d'une part, la règle française de conflit de lois commande de soumettre les conditions de formation d'un contrat, notamment la validité du consentement et la cause, à la loi du contrat ; que, dès lors, l'arrêt attaqué, qui s'est fondé sur les seules dispositions du droit interne français sans rechercher si la loi française était bien applicable à la convention litigieuse, serait entaché d'un manque de base légale au regard de l'article 3 du Code civil ; et alors que, d'autre part, la Cour d'appel se serait abstenue de répondre aux conclusions qui faisaient valoir que le père et le fils avaient la double nationalité française et syrienne, que la convention avait été passée à Beyrouth en vue du règlement de la succession d'une personne de nationalité syrienne dont dépendaient des biens immobiliers, situés en Syrie et au Liban, conclusions d'où il résultait que le contrat n'avait guère de liens avec l'ordre juridique français ;

Mais attendu qu'il appartenait à M.Eugène X... de rapporter la preuve du contenu de la loi étrangère à laquelle aurait dû, selon lui, être soumis le contrat litigieux et de ce que les dispositions de cette loi eussent abouti à un résultat différent de celui auquel conduisaient les règles du droit français ; que ses conclusions ne comportant aucune indication à cet égard, la juridiction du second degré n'était ni tenue d'y répondre, ni tenue de rechercher s'il convenait d'appliquer une loi étrangère dont le contenu n'était pas précisé ; que les critiques énoncées par les deux premières branches du moyen ne peuvent donc être accueillies ;

Sur les troisième et quatrième branches du moyen :

Attendu que M.Eugène X... reproche aussi à la Cour d'appel, d'une part, de n'avoir pas répondu à ses conclusions invoquant un jugement rendu le 1er octobre 1983 par le tribunal religieux de la communauté arménienne catholique d'Alep qui avait constaté que son mariage avec Leila Z... était toujours valide lors du décès de celle-ci et ordonné la radiation de la mention de divorce portée sur " l'état civil des époux " ; d'autre part, en déclarant la loi interne française applicable, d'avoir violé la règle française de conflit selon laquelle la loi successorale est, pour les immeubles, celle du lieu de leur situation, pour les meubles celle du dernier domicile du défunt ; que, selon le moyen, il appartenait à cette loi de déterminer la vocation successorale du conjoint survivant et, par conséquent, de dire si des époux mariés en Syrie selon le rite arménien pouvaient être considérés comme divorcés par un jugement émanant d'un tribunal français ;

Mais attendu que, s'il appartient à la loi successorale de désigner les personnes appelées à la succession et de dire notamment si le conjoint figure parmi elles et pour quelle part, il ne lui appartient pas de dire si une personne a la qualité de conjoint ni de définir selon quelle loi doit être appréciée cette qualité ; que la Cour d'appel énonce, à bon droit, qu'ayant obtenu d'un tribunal français le divorce à son profit, M.Eugène X... n'est pas recevable à soutenir que le divorce prononcé à sa propre demande lui est inopposable ; qu'elle a, par ce motif, répondu en les rejetant aux conclusions invoquant le jugement rendu le 1er octobre 1983 par le tribunal religieux d'Alep ; que les critiques énoncées par les deux dernières branches du moyen ne sont donc pas fondées ;

Sur le deuxième moyen, pris en ses trois branches :

Attendu qu'il est encore reproché à la Cour d'appel d'avoir prononcé l'annulation de la convention signée à Beyrouth le 31 mai 1980, alors que, d'une part, le juge du fond doit trancher les litiges conformément aux règles de droit et restituer la convention par laquelle le fils reconnaissait certains droits successoraux à son père à charge pour ce dernier de renoncer à tout recours contre le jugement rendu le 28 avril 1980 par le tribunal de Beyrouth constituait une transaction, laquelle ne peut être attaquée pour cause d'erreur de droit ; que, dès lors, l'arrêt attaqué ne pouvait se borner à retenir une erreur de droit, à savoir celle relative aux conséquences légales d'un jugement de divorce, pour annuler la convention ; alors que, d'autre part, ladite convention ayant notamment pour objet de mettre un terme à un litige relatif à la dévolution de la succession de Leila Z..., la Cour d'appel ne

pouvait, sans dénaturation, estimer qu'elle n'avait pour cause que la croyance de M.Philippe X... à la vocation successorale de son père ; et alors que, enfin, en se bornant à déclarer que le blocage des comptes en banque de Leila Z... suffisait à caractériser, eu égard à la fragilité intellectuelle de M.Philippe X..., une violence sur ce dernier, l'arrêt attaqué n'aurait pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1111 du Code civil ;

Mais attendu, d'abord, que la question de savoir si l'acte du 31 mai 1980 constitue une transaction, qui aurait eu pour objet de prévenir une éventuelle contestation entre les parties, n'a pas été soulevée devant les juges du fond ; que sa solution implique une interprétation de cet acte eu égard aux diverses circonstances de l'espèce, exclusive de la dénaturation alléguée par la seconde branche du moyen ; qu'il s'ensuit encore que la critique énoncée par la première branche est mélangée de fait et de droit et, partant, irrecevable ;

Et attendu, ensuite, que la juridiction du second degré énonce que l'engagement pris par M.Philippe X... est dû aux pressions exercées par son père sur sa volonté ; que ces pressions sont caractérisées, non seulement par le blocage des comptes en banque de la défunte suivi d'une mainlevée une fois l'accord conclu, mais aussi par la restitution à la même date d'une reconnaissance de dette antérieure ; qu'elle retient que ces contraintes étaient d'autant plus efficaces qu'à cette époque M.Philippe X... souffrait d'un déséquilibre nerveux altérant ses capacités intellectuelles et le privant d'un jugement libre et éclairé ; que, le vice de violence devant être apprécié en considération de la personne qui en est victime, l'arrêt attaqué a pu déduire de ces constatations et appréciations de fait que ces pressions étaient susceptibles d'inspirer à celui qui les subissait la crainte d'exposer sa fortune à un mal considérable et présent, et constituaient une violence illégitime de la part de leur auteur de nature à entraîner la nullité de la convention ;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;

Sur les troisième et quatrième moyens réunis, pris chacun en ses trois branches ;

Attendu qu'en un troisième moyen M.Eugène X... fait grief à l'arrêt attaqué, d'une part, de l'avoir condamné à verser à son fils en sa qualité d'héritier de la défunte et au titre de la restitution de la dot de celle-ci, 3642 livres turques en or ou leur contrevaleur en francs français à la date du paiement effectif en se bornant à déclarer que la dot n'était pas soumise " en la forme " aux règles du droit français, sans indiquer à quelle loi il se référait pour retenir la qualification de dot, admettre la preuve de son versement par des moyens autres qu'un écrit et ordonner sa restitution, après estimation sur la base de la valeur au jour du paiement effectif, de sorte que l'arrêt serait dépourvu de base légale au regard de l'article 3 du Code civil ; d'autre part, de n'avoir pas répondu aux conclusions dans lesquelles il était soutenu que des décisions rendues par les juridictions écclésiastiques, relativement à la dot, n'avaient pas autorité de la chose jugée en France et ne pouvaient être admises en preuve dès lors que, tant au regard du droit syrien

que du droit français, seule était admissible la preuve par un écrit émanant des parties ; enfin, d'avoir laissé sans réponse les conclusions qui faisaient valoir que la dot avait été employée à l'achat d'effets personnels consommés par l'épouse ;

Attendu qu'en un quatrième moyen, il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir condamné M.Eugène X... à payer à son fils la somme de 3642 livres turques en or ou leur contrepartie en francs français, alors que, d'une part, les livres turques étant actuellement démonétisées, la condamnation à payer " la somme " de 3642 d'entre elles mettrait à la charge du débiteur une obligation dont l'objet serait illicite ; alors que, d'autre part, en condamnant M.Eugène X... au remboursement du prix marchand des pièces d'or, considérées ainsi comme une marchandise, après avoir constaté que la dot était constituée en numéraire, la Cour d'appel aurait modifié l'objet du litige ; et alors, enfin, que, selon les statuts du fonds monétaire international, les monnaies nationales ne comportant aucune référence à l'or, l'arrêt attaqué ne pouvait ordonner la conversion d'une somme libellée en livres turques-or en sa contrevaleur en francs français actuels en l'absence d'un avis interprétatif de l'autorité gouvernementale compétente autorisant une telle méthode de conversion, si bien que la Cour d'appel aurait violé le principe de la séparation des pouvoirs ;

Mais attendu, d'abord, que les juges du fond étaient en droit de donner aux jugements écclésiastiques la valeur probante qui leur est reconnue par la loi sous l'empire de laquelle ils ont été rendus sans leur conférer pour autant l'autorité de chose jugée ; qu'ayant dès lors relevé que ces jugements émanaient d'une juridiction compétente en raison du statut personnel des époux Y... au regard de la loi étrangère dont M.Eugène X... invoque le bénéfice, ils ont pu en déduire la preuve du versement de la dot et de sa consistance ; que le principe de l'obligation de restitution de la dot lors de la dissolution du mariage n'a pas été contesté devant les juges du fond ;

Attendu ensuite que la Cour d'appel a constaté que la dot de Leila Z... était constituée de pièces d'or démonétisées ; que ces pièces d'or ne pouvaient dès lors être assimilées à une somme libellée en monnaie étrangère mais devaient être traitées comme des choses de genre dont la restitution doit être faite en nature ou, à défaut, par équivalent ; que c'est donc à bon droit que la juridiction du second degré a décidé que la contrevaleur des pièces versées en dot devait être calculée en fonction de leur valeur marchande au jour du règlement ;

Et attendu, enfin, que l'arrêt attaqué énonce, répondant ainsi aux conclusions invoquées, que M.Eugène X... ne démontre pas que les biens donnés en dot ont été employés au règlement des charges du mariage ni qu'une " compensation s'est faite entre eux et les cadeaux par lui offerts à son épouse " ;

D'où il suit que les troisième et quatrième moyens ne peuvent être accueillis en aucune de leurs branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi




Publication : Bulletin 1986 I N° 98 p. 98

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, du 5 février 1985

Titrages et résumés :

1° CONFLIT DE LOIS - Application de la loi étrangère - Preuve de sa teneur - Charge

1° Il appartient à celui qui prétend qu'un contrat est soumis à la loi étrangère de rapporter la preuve du contenu de cette loi et de ce que ses dispositions auraient abouti à un résultat différent de celui auquel conduisaient les règles du droit français.


2° CONFLIT DE LOIS - Succession - Dévolution - Loi applicable - Etablissement de la qualité de conjoint - Loi successorale (non)

2° S'il appartient à la loi successorale de désigner les personnes appelées à la succession et de dire notamment si le conjoint figure parmi elles et pour quelle part, il ne lui appartient pas de dire si une personne a la qualité de conjoint, ni de définir selon quelle loi doit être appréciée cette qualité.

2° CONFLIT DE LOIS - Succession - Dévolution - Loi applicable - Etablissement de la qualité de successible - Loi successorale.

3° CONFLIT DE LOIS - Statut personnel - Divorce, séparation de corps - Epoux étrangers de même nationalité - Divorce prononcé en France à la requête de l'un d'eux - Possibilité pour le requérant de soutenir que le jugement français lui est inopposable (non)

3° Celui qui a obtenu d'un tribunal français le divorce à son profit n'est pas fondé à soutenir que le divorce prononcé à sa propre demande lui est inopposable.


Précédents jurisprudentiels : (1) A RAPPROCHER : Cour de Cassation, chambre civile 1, 1984-01-24, bulletin 1984 I N° 33 (1) p. 26 (Rejet) et les arrêts cités. (2) A RAPPROCHER : Cour de Cassation, chambre civile 1, 1980-01-03, bulletin 1980 I N° 4 (1) p. 3 (Rejet) et les arrêts cités.